Chapitre Premier : Le fil rouge

Une journée magnifique suit son cours, le quatorze juillet de l'année deux mille seize. Le soleil est très haut dans le ciel, et sa lumière traverse les quelques nuages sur son passage. Un bâtiment pourvu d'une multitude de fenêtres s'étend d'un bout à l'autre d'un parking, où tout autant de voitures sont stationnées, le tout animé par un va et vient constant de personnes angoissées.

La lumière du ciel et les ténèbres du goudron semblent s'affronter en ce jour si particulier, à l'hôpital Gorges Pianta. Dans un couloir où la lumière peine à percer, des lignes rouges sont tracées. Elles courent sans bruit, mais le personnel s'affole autour d'elles, comme si elles provoquaient l'urgence chez ceux qui doivent les suivre.

Pourtant, d'autres lignes les chevauchent, d'une autre couleur également, celle du ciel, et c'est cette fois-ci une paix, une sensation étrange de peur et de joie qui s'empare des gens qui les remontent jusqu'à trouver ce qu'ils cherchent. C'est le cas d'un homme qui marche, du haut de son modeste mètre soixante-dix, le vert de ses yeux croqué par le noir de ses pupilles, et dont les battements du cœur présagent une nouvelle grandiose. Il porte une chemise aux couleurs des lignes tracées sur le sol, ainsi qu'un short marron, dont la coupe met en avant toutes les formes de ses jambes. L'excitation de cet homme est inaudible, à la fois masquée par son souffle court, mais aussi par ses chaussures bateaux, dont lui seul à le secret du pas si léger. Les portes s'enchaînent, les unes après les autres, à mesure que l'élégant personnage progresse dans ce couloir dont la fin ne vient jamais ; il ouvre enfin la porte.

Une clarté éblouissante vient frapper les murs grisonnants pour leur donner une certaine vitalité, renforcée parles gémissements adorables d'un nouveau-né, enroulé dans une serviette. Le jeune papa s'interrompt, laisse tomber la boîte de chocolat, et se précipite vers sa femme lorsqu'il prend conscience que des larmes s'échappent de ses grands yeux obscures.

Alors, des mots sont échangés :

          « Qu'est-ce qu'il y a mon amour ?

L'épouse ne répond pas.

          _ Le petit va bien, tu veux que j'aille chercher une infirmière ?

Reprend-il, davantage paniqué.

          _ Non, rassure-toi, le petit va très bien. C'est juste...

          _ Quoi... Dis-moi...

         _ Je viens de donner la vie à notre garçon, alors qu'à un étage de là, mon frère est en train de mourir. La vie est injuste.

          _ Ethan ? Ethan est ici ? Mais... Comment ?

          _ Ils ne connaissent pas les circonstances... Je l'ai vu arrivé Etienne. Il est venu avec sa grosse voiture, en faisant crisser les pneus. Il s'est arrêté devant, a ouvert la porte, et s'est écroulé sur le parking .

          _ Mais... Ne bouge pas, je vais aller me renseigner. Ne dis pas que tu viens de ma part, ils ont déjà refusé de me laisser le voir. Ils ne veulent pas se prononcer sur son état.

          _ D'accord. Je reviens vite. »

          Etienne ramasse la boîte de gourmandises, la pose sur la table, et reprend la direction des couloirs. Il avance, en suivant les lignes rouges cette fois-ci, jusqu'à parvenir à une autre aile du bâtiment.

« Mais c'est pire que de conduire dans Genève ici ! » Pense-t-il.

De nouveau les portes se succèdent, mais curieusement personne ne chemine dans les couloirs. Il n'y a pas la moindre trace du personnel ni même de visiteurs. Alors qu'il commence à perdre patience, une silhouette en blouse blanche apparaît.

          « Excusez-moi...

          _ Oui, que puis-je pour vous ?

          _ Peut-être pourriez-vous m'aider à trouver quelqu'un ?

          _ Et bien, tout dépend de qui il s'agit...

          _ Il a fait une entrée remarquée, ça c'est sûr. C'est mon frère, et je suis très inquiet car j'étais avec lui au téléphone quand il a tenu des propos incohérents en parlant d'hôpital...

          _ Oh... Vous voulez parler de ce patient là...

          _ Ethan, oui mon frère, savez-vous où il est ?

          _ Je ne devrais pas vous le dire, mais il est dans la chambre à gauche au bout de l'angle du couloir. Nous avons réussi à stabiliser son état, mais il s'en est fallu de peu.

          _ Vous savez ce qu'il a eu ?

          _ Non... mais ce genre de blessure est... peu commun.

          _ Comment ça ?

          _ Je pense qu'il est préférable d'attendre qu'il vous explique tout lui-même, lorsqu'il sera plus en forme. »

          Le jeune homme de vingtaine-trois ans avance,visiblement fatigué par l'intensité des émotions qu'il vient de ressentir, l'inquiétude plissant ses yeux. Etienne arrive à la porte, qu'il fixe en serrant le poing, mais patiente quelques instants.

« Qui vais-je trouver derrière ? Est-ce qu'Ethan va s'en sortir ? Qu'est-ce qui a bien pu se passer ? »

Toutes ces questions se bousculent dans la tête du beau-frère, avant d'enfin se décider à frapper.

Personne ne répond.

« Bon, bah quand faut y aller... J'espère au moins que je vais reconnaître mon pote... »

          Le jeune homme la pousse, l'ouverture se fait sans un bruit. Une veste de costume noire avec une broche représentant une croix divine est posée sur une chaise, ainsi qu'un pantalon de même couleur, sur l'assise. Des chaussures elles-aussi très élégantes reposent enfin sur le sol, tout prêt des autres éléments. Il n'y a pas d'animation, personne dans les couloirs ou dans les chambres voisines pour meubler le silence, ni même le son du vol d'un insecte, si bien qu'on croirait déjà qu'Ethan a passé l'arme à gauche ; il manifeste un signe de vie.

          « Ethan... qu'est-ce que tu as foutu mon pote...

          _ ...

          _ J'ai pas les mots...

          _ S... Sa... Sarah ?

          _ Ethan ? T'es là mon gros ? Oui, oui le petit va bien ! Mais Sarah est très inquiète pour toi !

          _ N... Nom ?

          _ On l'a appelé Gabriel, comme l'ange.

          _ Bien...

          _ Ethan je sais que tu es faible, mais ça va ? Tu te sens comment ? Tu crois que ça va le faire ? Les médecins veulent rien dire à Sarah...

          _ C'est... cool. Je vais me battre.

          _ J'en suis sûr. Bon je te laisse te reposer, si t'as besoin de quoi que ce soit, tu n'hésites pas, on sera là. »

          Le patient est allongé dans un lit dont les commandes permettent toute une série de stations, mais pour l'heure l'utilisateur est trop faible pour se redresser. A la place il regarde son ami quitter la pièce, les yeux aussi sonnés que son corps. Des bandages, des appareils, des perfusions ; Ethan comprend peu à peu qu'il vient de manquer son rendez-vous avec la mort.

Les couleurs du ciel lui semblent bien ternes, quand il lance son regard cette direction, pourtant baigné de lumière.Finalement il se rendort, et la dernière chose qu'il entend est le son de la porte, refermée calmement. De son côté Etienne reprend le chemin de la maternité, en effectuant des gestes approximatifs, les émeraudes habitant ses orbites très agitées. Il se met à imaginer toutes sortes d'histoires, relier toutes les possibilités entre elles, mais peine tout de même à comprendre ce qui a bien pu arriver au frère de sa compagne. Une fois revenu auprès des siens, il fait partager ses inquiétudes à Sarah :

          « Tu as vu mon frère ?

Entame-t-elle, les larmes aux yeux.

          _ Oui... Il est très faible, mais il a bredouillé quelques mots.

          _ Il a dit quoi ?

          _ Qu'il allait se battre.

          _ Je te jure Etienne, que je vais le tuer moi-même si il me refait un coup comme ça !

          _ Ethan a toujours aimé prendre des risques, je ne suis qu'à moitié étonné de le voir comme ça aujourd'hui, mais ça me surprend, je n'arrive pas à me calmer.

          _ C'est drôle dans un sens ce que tu dis là...

          _ Pourquoi ?

          _ Parce qu'il a toujours adoré se tatouer de citations latines. Je ne sais pas ce qu'elles veulent dire pour la plupart, mais j'en connais une. C'est écrit  "Qui amat periculum in illo peribit" .

          _ Et ça veut dire quoi ?

          _ On peut traduire par "Qui s'expose au péril veut bien trouver sa perte".

          _ C'est exactement lui !

          _ Il a dit autre chose ?

          _ Oui. La première chose qu'il m'a demandé c'est comment tu allais et le nom du bébé.

          _ Tu lui as dit ?

          _ Bien sûr !

          _ Il a répondu quelque chose ?

          _ Un seul mot, "bien" en soufflant un long râle mais je dirais qu'il était soulagé. Je crois qu'il a bien aimé le prénom.

          _ Je m'en serais doutée. J'espère qu'il va...

         _ Ne t'inquiète pas, je lui ai dit que s'il avait besoin de quoi que ce soit, il n'avait qu'à demander.

          _ Merci Titoune. Merci d'être là tout le temps...

          _ Ce sera toujours le cas. »

Le jeune homme rejoint la jeune femme sur son lit, s'enserre mutuellement avec le petit entre eux, et regardent les nuages par la fenêtre.

          « Tu as vu ? On dirait la crinière d'un lion !

          _ C'est peut-être un signe...

          _ Toi tu as tout d'une reine, mais moi je n'ai rien de royal.

          _ Si toutes les femmes pouvaient compter sur un homme comme toi, le monde se porterait mieux, tu peux me croire. »

          Ethan alterne entre conscience et sommeil, et regarde de nouveau le ciel et ses nuages. Là où certains voient un animal majestueux, il semble y percevoir les vestiges d'un souvenir déplaisant. Il s'agite et tend son bras vers sa veste, sans pouvoir l'atteindre. Les machines autour de lui commencent à émettre des sons inquiétants, jusqu'à ce qu'un membre du personnel n'arrive,seringue en main, pour lui administrer un sédatif.

Le jeune homme s'endort, pour de bon cette fois-ci, en même temps que ses proches, à un étage de lui.

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