On dit souvent qu'on ne se rend compte des bonnes chose une fois qu'elles sont finies. Et bien, ce n'est pas faux dans mon cas.

Près de deux mois ont passés depuis cette conversation que j'ai eu avec Yuki. Je ne parle plus à aucun de mes meilleurs amis, et même si Isuzu tente de temps en temps des approches, je la rejette. Tout ce dont j'ai besoin, c'est de temps. J'ai tout simplement appliqué la solution à mon problème. Il me faut du temps pour oublier, et du temps pour remettre en place mes sentiments.

C'est indéniable, ils me manquent. Surtout Yuki, à vrai dire. Je sais que ce qu'il m'a dit la dernière fois qu'on a parlé était au moins à moitié vrai, mais je n'arrive plus à communiquer avec lui. Ce qu'il m'a dit m'a profondément blessé. Je ne pense pas lui en vouloir, mais c'est trop douloureux de retourner le voir gentiment après ça.

Je suis pourtant arrivée à mettre fin à mes sentiments envers Isuzu. En les voyant, Keiji et elle, ensembles, je ne suis même plus jalouse. Mais vers eux non plus, je n'arrive pas à aller. J'ai l'impression que l'amitié que nous avions autrefois a complètement disparue. Yuki fait exactement comme moi, et traîne avec ses amis du club de basket. Personnellement, je préfère être seule, mais il m'est arrivé de rester avec des filles de ma classe.

Nos vies ont changées du tout au tout.

Je me remémore encore une fois la conversation que j'ai eu avec ma mère, dans laquelle elle m'a annoncé que nous irons chez Yuki, avec la famille de Keiji, et celle d'Isuzu après être allés au temple demain soir. Généralement, pour le nouvel an, nous allons dans la résidence secondaire de notre famille, là où vivent mes grands-parents. Mais cette année , une tempête de neige a coupé les routes pour y accéder, et il est impossible de s'y rendre. Ça faisait dix bonnes années que ce n'était pas arrivé, et que l'on reste à Kanao.

Demain, nous serons tous réunis dans la même salle. Demain, je vais probablement devoir leur parler, alors même que je ne me sens pas prête pour ça. Demain, je vais devoir résister au regard inquisiteur de mes anciens meilleurs amis, et surtout à celui de Yuki.

J'ouvre doucement les yeux, et découvre ma mère assise près de moi. Un sourire éblouissant éclaire son visage, alors qu'elle me caresse doucement les cheveux.

-C'est l'heure de se réveiller, ma chérie...

Je marmonne en m'étirant, sans vraiment lui répondre. Je la sens se lever de mon lit, et la suis des yeux alors qu'elle sort de ma chambre. Ma mère est une très belle femme, grande et élancée. La seule chose que j'ai hérité d'elle, ce sont ses yeux verts, et ses cheveux noirs. Son visage, même marqué par le temps, a toujours le même éclat. Quand elle demande quelque chose, elle peut être sûre de l'avoir. Même si il s'agit de la Lune.

Je m'assois , et remarque mon kimono rose pale à fleures bleues plié au pied de mon lit. Je le regarde un instant, sachant très bien ce qu'elle veut me faire comprendre en le posant ici. Je soupire, puis me lève doucement, encore à moitié endormie. J'enfile un gros pull, avant de descendre déjeuner.

La journée passe à une vitesse folle, alors même que je préférerais l'inverse. J'ai dû m'occuper d'Akina, comme je l'avais promis à ma mère. Je l'aide rapidement à s'habiller, puisqu'elle a insisté pour porter son nouveau kimono. Loin d'être aussi traditionnel que le mien, le sien est tout rose, avec des petits animaux chibis au lieu de fleurs. Une fois qu'elle l'a enfilé, je dois avouer qu'elle est adorable avec.

C'est ensuite à mon tour de m'habiller, puis de me maquiller. Les tissus de nos kimonos étant épais, en sortant de la maison j'ai presque chaud. Je découvre aussi que ma mère nous a tous obligé à nous habiller de cette façon. J'entends mon père râler tout le long du chemin vers le temple, alors que je tiens la main d'Akina. J'espère de tout mon cœur que je ne rencontrerai pas mes ex-amis dès le début de la soirée... Mais je ne me fais pas d'illusions. La rencontre se fera dans tous les cas.

Malgré le monde qu'il y a, Akina insiste pour faire tous les stands de jeux possibles et imaginables. Je suis chargée de surveiller mes deux sœurs, Mioko nous suis donc à travers la foule, et s'amuse même avec Akina. Cette dernière est étonnement douée pour attraper des poissons, tandis que le plus grande a un peu plus de mal. On se retrouve tout de même avec quatre poissons sur le dos. Le forain me tend le sachet plastique remplis d'eau, et je le remercie en souriant, avant de me tourner vers mes sœurs.

-En tout cas, j'en connais un qui va être content en découvrant ces poissons !

-Haha, oui c'est vrai que papa aime pas ça ! Mais on les gardera dans nos chambres, et ça ira ! ris Mioko, trouvant la solution parfaite.

-Oui, y en a quatre ! Je t'en donne un grande-sœur, comme ça on en aura toutes !

Je frotte la tête d'Akina en entendant cela. Si jeune et déjà aussi gentille !

-Merci de m'en donner un ! dis-je en souriant.

Deux heures et demi, et quatre stands plus tard, je n'ai toujours pas croisé ceux-que-je-ne-veux-pas-croiser. L'ambiance autour de nous est très agréable, et mes sœurs ont rencontrés quelques-uns de leurs amis en marchant. Mais elles restent néanmoins avec moi, comme leur avait demandé de faire maman. Akina s'amuse comme une folle, et cours partout, tandis qu'avec Mioko on commence un peu à saturer. Il y a vraiment beaucoup de monde, et ça commence à me mettre mal à l'aise.

Quand vient enfin l'heure de tirer la bonne fortune, et de souhaiter la bonne année, je décide qu'il est temps d'aller retrouver nos parents. Mais à peine ai-je tourné la tête, que je les vois. Ils sont là, tous les trois, à parler et rire ensemble. Il me semble que cela fait une éternité que je n'ai pas vu ce genre de scène. Mon cœur se serre, alors que je les fixe un moment. Isuzu a mit un kimono bleu, magnifique, avec des fleurs blanches. Keiji a opté pour un kimono unis, bleu marine, et Yukihito porte ses vêtements de tous les jours. Ils sont tous les trois rayonnants de bonheur, et en dépit de mon cœur serré, je suis contente qu'ils se soient retrouvés.

C'est Akina qui me sort de ma contemplation, en tirant sur le bas de mon kimono.

-Grande sœur ! On va pas présenter nos vœux ? me demande-t-elle de sa voix adorable.

-Si, si, bien-sûr ! Mioko, on y va !

Je prend sa toute petite main dans la mienne, et me détourne de ce spectacle douloureux. Comme beaucoup d'autres personnes, on se met dans la queue pour formuler nos vœux. On attend pas longtemps, et on discute un peu de choses et d'autres. Puis, finalement, une fois devant le temple, je fais sonner la cloche, avant de taper dans mes mains. Je ferme les yeux, et fais le vœux suivant : « J'aimerai beaucoup voir notre amitié réparée, ou au moins les voir heureux tous les trois. ».

C'est ensuite au tour de la bonne fortune, que nous allons toutes tirer en même temps. Mioko tire un « petit malheur », et me le montre e fronçant les sourcils, ce qui nous fait bien rire avec Akina. Cette dernière tire un « grand bonheur », tandis que je me retrouve avec un « petit bonheur ». En y pensant, je me souviens que l'année précédente, j'avais tiré un « grand malheur ». Si ces prédictions ont du vrai, mon année va être un meilleure que celle passée, et cela me fait sourire de nouveau.

Akina saute partout après avoir vu le résultat de ses prédictions. Elle est beaucoup trop mignonne. Mais après avoir accroché les papiers à un arbre, nous devons rejoindre notre famille. Et cette fois-ci, on je ne peux pas faire demi-tour.

Nous trouvons nos parents avec ceux de Keiji, d'Isuzu, et de Yukihito. Néanmoins, ces trois là ne sont pas, là. Anticipant la question naissante d'Akira-kun au moment où on arrive, je demande :

-Les autres ne sont pas encore là ?

-Non, on attendait que t'arrives pour te demander si tu pouvais aller les chercher... dit Akira-kun avec un regard étrange.

-On sait que vous vous êtes disputés... Il serait peut-être temps de vous réconcilier ! affirme ma mère.

-Oui, mais je ne sais pas non plus où ils sont... dis-je, espérant pouvoir y échapper.

-Saya... Je sais bien que t'en meurs d'envie, alors prends ton courage à deux mains et vas-y ! renchérit-elle en me poussant légèrement vers le temple.

Je soupire, mais vois bien à son regard que je ne peux dire non. Je fais donc demi-tour, après lui avoir confié les poissons, puis me met à leur recherche.

Je fais le tour du festival deux fois, avant de finalement trouver Yukihito tout seul. On dirait qu'il attend qu'Isuzu et Keiji finissent de présenter leurs vœux. Les battements de mon cœur se mettent à accélérer, et mes tremblent un peu. Je ne sais si c'est parce que je suis stressée ou parce qu'elles sont gelées, mais je les regarde un instant. Je les serre pour stopper le tremblement, et tente de reprendre contenance. Après tout ce chemin, je vais pas abandonner maintenant ! Je relève soudain la tête, en sentant quelque chose de froid tomber sur ma joue. Il neige. Normal que mes mains soient gelées.

Je regarde le ciel, et apprécie un instant le spectacle qui s'offre à moi. Il ne neige que très rarement ici, alors autant en profiter. Je sens que ce temps me donne du courage. Je ferme les yeux, puis finis par les rouvrir, pour poser mon regard sur Yuki. Lorsque nos regards se croisent, je sursaute, surprise. Mon cœur rate un battement, et reste pétrifiée.

Sous la neige, qui tombe drue, il est seulement légèrement éclairé. Pourtant, il se démarque du reste du paysage. Jamais je n'avais remarqué qu'il était aussi beau. Et là, à cet instant précis, personne ne pourrait me contredire. Ses iris bruns me défient du regard, et ses paupières tombantes font battre mon cœur plus vite. Sa bouche charnue et bien dessinée semble être crispée, mais son grain de beauté au menton adoucie cette impression. Je serre les poings, et m'avance vers lui, déterminée. Nos yeux ne se lâchent pas une seconde, et le temps semble s'être arrêté.

Mais quand j'arrive devant lui, je ne sais pas quoi dire. J'ai les jambes en compote, et le cerveau dans le même état. Je baisse les yeux vers le sol, et maltraite mes mains, en les tournant dans tous les sens. Je cherche désespérément comment comment commencer cette conversation, avant de tout simplement relever la tête, et parler.