17.

 En un mois, j'ai du voir Yukihito environs trois fois. Et ces trois fois, je l'ai trouvé complètement perdu dans ses révisions. Keiji a bien tenté de l'aider, mais rien y fait, il a l'air totalement dépassé par ses études, et c'est exactement ce que je redoutais. Disons qu'il n'a jamais été très doué à l'école, même s'il passait toujours tout juste d'une année à l'autre. Mais là, ça ne suffit pas. Et comme j'ai beaucoup de temps pour penser, au boulot, ça n'arrête pas de revenir. On aimerait beaucoup l'aider, avec Isuzu et Keiji... Il a clairement pas les compétences pour devenir médecin, il faudrait qu'il le comprenne. Ou qu'il le fasse comprendre à sa mère.

Étonnamment, Keiji et Isuzu aussi ont très vite renoué avec Yukihito. Bon, pas trop vite non plus. On lui en veut toujours, même si c'est compliqué de ne pas avoir de la peine pour lui, et de ne pas comprendre ses choix. Mais ces années sous silence nous ont éloignées, et elles ne vont pas disparaître de sitôt.

Une vieille dame venant commander un thé me sort de mes pensées, et je la sert consciencieusement. Ce boulot est pas mal, même s'il me bouffe la plupart de mon temps libre. Mais au moins, j'ai tenu ma promesse. Quand j'ai reçut un mail du gérant de Heaven, m'annonçant que j'avais été prise, j'ai sauté partout ! Je pensais pas que ça arriverait réellement.

Je vais vite me changer dans les vestiaires lorsque Izumo-san vient me remplacer, vers 15h. Ce soir, c'est la première fois qu'on sera réunis tous les quatre. On a décidé d'aller manger dans un restaurant, histoire de discuter autour d'un bon repas. Et de persuader Yukihito de faire le bon choix quand à ses études et à son avenir. D'ailleurs, je commence à en avoir marre de de nouveau penser à lui aussi souvent. Comme si quoi que j'en dise finalement je ne pouvais pas lui en vouloir. Alors que clairement, je lui en veux.

Isuzu est déjà rentrée de la fac quand j'arrive à notre appartement, et je la trouve en train de chercher ce qu'elle va mettre ce soir. Je lève les yeux au ciel, épuisée. Je pense que quoi qu'elle mette elle sera jolie, mais elle est pas vraiment du même avis que moi. C'est marrant, parce que j'étais celle qui faisait très attention à son style vestimentaire au lycée, et depuis que je suis à Tokyo je me met beaucoup moins la pression. C'est peut-être le fait d'être loin de ma mère, qui fait ça.

Je jette tout de même un coup d'œil à ma tenue quand Isuzu me fait une réflexion, mais mon jean brut taille haute et mon large T-shirt blanc me semblent tout à fait adapté à un dîner avec des amis. Je ne comprends pas pourquoi elle fait tous ces chichis. D'autant plus qu'on rejoint les garçons à 20h devant le resto, et qu'on a largement le temps de se préparer. Cette enfant m'épuise.

Quand l'heure de partir arrive justement, je comprends un peu mieux pourquoi elle m'a dit que j'étais mal habillée. Avec sa robe chic et ses escarpins, elle me semble tirée aux quatre épingles. Est-ce que c'était vraiment nécessaire de s'habiller aussi bien ? Apparemment, oui. Je soupire en entendant sa réponse, mais ne dis rien. Qu'elle fasse comme elle veut. Si elle est bien dans cette tenue, c'est pas mon problème.

Keiji et Yukihito sont déjà devant le restaurant quand on arrive, et semblent heureux de nous voir. Eux non plus, n'ont pas fait d'efforts vestimentaires, ce qui me rassure quand même un peu. On se salue rapidement, avant de rentrer dans le resto, et de se faire installer par un serveur. On met un moment à commander, mais quand enfin c'est fait, Keiji rentre directement dans le vif du sujet :

-Bon, je sais qu'on en a déjà parlé, mais jamais tous ensemble. On pense tous les trois que tu fais une grosse erreur en faisant des études de médecine.

Yukihito soupire, et ouvre la bouche. Mais Keiji le coupe rapidement, sans lui laisser le temps de parler.

-écoutes, tes compétences en cuisine pourraient te permettre d'aller bien plus loin que tu ne le penses, et surtout que ta mère ne le penses. Je te rappelle que t'as toujours fait de la cuisine, depuis ton plus jeune âge, et que t'as un palais incroyable.

-Je sais bien, mais qu'est-ce que vous voulez que je fasse ? Je suis coincé, là.

-Tu pourrais demander à ton père de t'aider, non ? demandé-je.

-Il veut plus entendre parler de ma mère, lui non plus. Je vois pas comment est-ce que ce serait possible.

-Attend, il est au courant, au moins pour ta prépa ? demande Isuzu, en écho avec mes pensés.

Yukihito soupire de nouveau, sans rien dire. J'y crois pas, il en a pas parlé à Akira-kun, cet imbécile !

-Ce silence en dit long...

-Akira-kun pourrait essayer de raisonner ta mère, au moins lui elle le verra comme un adulte. lance Keiji, sûr de lui.

-J'en sais rien. Je pense pas que ça change quoi que ce soit.

-Mais qu'est-ce que t'as à perdre, dans le pire des cas ? C'est idiot de subir sans rien faire. Essais, au moins.

Yukihito lève les yeux vers moi, l'air de dire qu'il sait très bien tout ça. Mais s'il le sait alors pourquoi il ne se bouge pas ? Il a beaucoup changé en deux ans, je m'en rend encore une fois compte.

-Promets-nous que tu vas au moins essayer. C'est tout ce qu'on demande. Après, on parlera plus jamais de ça si tu nous fait cette promesse.

 Il lève les yeux au ciel, clairement septique, mais accepte néanmoins, probablement pour se débarrasser de nous. Chose promise, chose due, on clos cette conversation pour le reste du repas. J'espère juste qu'il va nous écouter, et qu'il va pas faire sa tête de mule.

***

Je suis tellement absorbée dans mon Drama que je sursaute en entendant la sonnette retentir dans l'appartement. Je met le film sur pause, et me lève pour aller ouvrir. Isuzu doit encore avoir oublié ses clefs... À moins que ce soit un des garçons. Ou un voisin, qui sait ? Je déverrouille la porte d 'entrée, et tombe sur Yukihito, un grand sourire aux lèvres.

-Qu'est-ce que tu fais là ? dis-je, sous la surprise.

-Fais au moins semblant d'être heureuse de me voir !

Je lève les yeux au ciel, et attend la réponse à ma question.

-Tu me fais pas entrer ? demande-t-il.

-Ça dépend la raison de ta venue.

-Ah, ça semble logique. J'ai des nouvelles par rapport à la prépa, et par rapport à ma mère. Et t'es la première à qui j'ai pensé quand je l'ai su, alors... Me voilà.

J'ouvre la bouche, mais ne trouve rien à dire. Mon cœur bat plus fort qu'il ne le devrait, et je décide de laisser rentrer Yukihito. Il me remercie, et je vais l'attendre à la table du salon pendant qu'il se déchausse. Je sais pas vraiment si c'est une bonne idée, mais je vois pas vraiment ce que j'aurais pu à part l'accueillir. Il me rejoint finalement, ne percevant probablement pas mon malaise, et s'assoit en face de moi.

-Isuzu n'est pas là, j'imagine ?

-Non, elle est à la fac.

-Bon, je les appellerai tout à l'heure. Alors la nouvelle que j'ai à t'annoncer... C'est que ma mère a accepté de me laisser faire des études de cuisine, après deux semaines de négociations avec mon père. dit-il d'une traite, avec un sourire éclatant.

Je porte ma main à ma bouche, sous le choc.

-Mais c'est super ! Ça veut dire que tu vas pouvoir réaliser ton rêve ! J'étais sûre qu'elle allait accepter, Akira-kun est fort en terme de négociations. Tu vas pouvoir rester ici ?

-Oui ! Je vais juste devoir me trouver un autre petit boulot en remplacement, mais sinon je reste ici. Je t'abandonnerai plus.

La dernière partie de sa phrase, il la dit d'une voix sourde, et mon cœur, ce faible, ne peut s'empêcher de fondre en l'entendant. Pourquoi est-ce que je réagis encore comme une petite fille devant lui ? C'est quand même fou ! Je ne peux m'empêcher de le regarder, et quand je me rend compte qu'il est en train de regarder mes lèvres, il est déjà trop tard.

Au simple contact de ses lèvres contre les miennes, un millier de souvenir refait surface. Cette sensation dans le bas de mon ventre m'avait manqué. Plus que je ne le pensais. Mais tout à changé. Même si mon cœur est d'accord avec ce qu'il se passe, mon cerveau ne l'est pas du tout. Alors je le repousse, et met fin à notre baiser. Son visage lorsque je m'éloigne de lui, m'indique qu'il ne comprend rien. 

 -Je t'aime encore... me dit-il dans un souffle, les yeux baissés. Et je pense avoir toujours été amoureux de toi, au final. Enfin, peut-être pas toujours, mais depuis plus longtemps que je le pensais, en tout cas.

Je pouffe, touchée par ses paroles. Je comprends tout à fait ce qu'il veut dire. L'attachement qu'on a toujours eu l'un pour l'autre ne pouvait que nous mener à ça.

-Je pense que moi aussi, je t'aime.

-Dis moi qu'il n'y a pas de « mais ».

-Haha, tu me connais bien. Je t'aime, mais tu m'as fait trop de mal. Et tous les deux, on a beaucoup changé en l'espace de deux ans. On peut pas se lancer tête la première là dedans, et je peux pas te pardonner aussi facilement sur ce plan là.

-Je comprends.

Malgré son air profondément blessé, il m'offre un petit sourire, qui me montre qu'il comprend vraiment. Ce ne sont pas juste des paroles en l'air. Je ne veux pas que l'histoire se répète. Je veux voir si nous deux, ça peut toujours marcher. Parce que l'amour n'est pas un jeu, comme on le pensait quand on était adolescents. Si ça se trouve, on est tout simplement pas fait pour être ensemble, et les seuls sentiments qui nous reste ne sont que des souvenirs. Je veux prendre mon temps, cette fois-ci. Parce que j'ai compris que dans la vraie vie, ça ne finit pas forcément bien à tous les coups.

-Alors j'imagine qu'on verra bien ce que l'avenir nous réserve. dit Yukihito, me sortant de mes pensées.

Un sourire mélancolique flotte sur ses lèvres, et je décide de lui rendre. Oui, on verra bien. 

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