14.

 Je me sens somnoler, alors que je sais pertinemment que c'est pas l'heure de se lever. J'attrape tout de même mon portable, qui affiche 5h50. L'éclairage me fait plisser les yeux, et je grogne en découvrant l'heure. Il ne manquait plus que ça, je me réveille avec trois heures d'avance, maintenant ! Je fixe le plafond pendant un moment, laissant mon esprit divaguer à sa guise. Je pense à un nombre incalculable de chose, en vraiment très peu de temps.

Isuzu et Keiji sont décidément le plus beau couple que je connaisse. Peut-être même plus que celui que forme mes parents, qui sont inséparables. Je me demande si moi aussi, un jour, je ressentirais de nouveau tout ça. Je secoue la tête, et change de sujet.

Depuis qu'on a commencé les cours à la fac, j'ai l'impression de pas vraiment être à ma place. Ça va faire trois mois, pourtant... Finalement, je pense que j'aurais dû sérieusement réfléchir à mon futur. J'ai simplement suivit Isuzu, et la facilité. Mais je m'ennuie à un point inimaginable. Je pense pas que mes parents m'en tiendraient rigueur, si je décidais d'arrêter et de faire une autre licence. Après tout, si je ne m'y plaît vraiment pas... Isuzu tuerait probablement pour avoir des parents aussi cool que les miens. C'est vrai que de ce point de vu, j'ai jamais eu de vrai soucis. Pas de pression sur les épaules, ou quoi que ce soit. Est-ce que je devrais arrêter mes études ? Mais pour faire quoi ?

Je soupire, incapable de répondre à cette question. Une scène me revient en mémoire. Je tente de la réprimer, mais je sais très bien que j'ai envie de la voir. Alors je laisse mon esprit faire ce qu'il veut.


-Tu es trop libre pour être enchaînée, Saya. Je peux pas te faire ça. me dit Yuki.

-Comment ça ? Qu'est-ce que tu entends par là ?

Il soupire, et regarde ses pieds. J'ai l'impression qu'il a beaucoup de mal à accepter ce qu'il va dire. Il ouvre plusieurs fois la bouche, avant de finalement parler.

-Tu sais très bien ce que je veux dire. C'est la première fois qu'on se voit depuis 3 mois, ça peut pas durer comme ça... Je peux pas te faire ça. Je sais que ça te rend malheureuse, Isuzu m'a raconté...

Je fais claquer ma langue contre mon palais, et fronce les sourcils. Je sais où il veut en venir, mais je ne eux pas que ça se termine comme ça. Ça me fait mal, oui, et alors ? Il revient dans pas longtemps, de toute façon... Me vue se brouille, et je sens mon cœur partir au quart de tour. Il ne peut pas me faire ça. Il ne peut pas m'abandonner pour la deuxième fois. Comment Isuzu a-t-elle pu lui dire pour mes crises ? Elle ne se rend pas compte de ce qu'elle a provoquée ?

-Ne lui en veux pas de me l'avoir dit, c'est moi qui ait insisté. Elle s'inquiète pour toi. Vraiment beaucoup. Et moi aussi, je m'inquiète pour toi. Je ne veux pas te blesser à ce point là. Je veux que tu sois heureuse, et sans moi. Je te rends ta liberté.

Il me regarde une dernière fois, puis tourne les talons. Je tente de l'appeler, mais ma voix reste bloquée dans ma gorge. Je ne peux rien faire. Et je sais tout au fond de moi que, quelque part, il n'a pas tord. Je serais mieux sans cette douleur permanente qui m'habite. Pourtant, j'ai l'impression que mon cœur s'est brisé en milles morceaux. Je sens des larmes dégouliner sur mes joues, et j'appuie sur mon cœur. Ça fait mal. On ne m'avait pas dit que ça faisait aussi mal. Un amour partagé, puis brisé, fait horriblement mal.


Je sens mes yeux se remplir de larmes. Je me redresse, et essuie mes yeux rapidement. Même après tout ce temps, c'est toujours aussi douloureux d'y penser. C'est mon premier amour, en quelque sorte. Et on dit que l'on oublie jamais son premier amour. Je soupire une nouvelle fois, épuisée par cette histoire. En tout cas, il n'avait pas tord sur un point : j'ai besoin de liberté. Et actuellement, je me sens enchaînée à une discipline qui ne me correspond pas. Je fixe mon portable. J'ai pris ma décision.

Je me sens tout de même idiote. Me voilà déjà en train de vouloir changer de filière. Que vais-je bien pouvoir faire du reste de mon année ? Je ne peux pas lâcher Isuzu, ses parents auront beaucoup trop de mal à louer l'appartement tout seuls. Peut-être que je pourrais rester à Tokyo, mais j'ai du mal à croire que maman me laisserait ici à rien faire de mes journées. D'autant plus que je n'aurais vraiment rien à faire. À moins que je me trouve un petit boulot... Oui, ça ce serait une bonne idée ! Je me rallonge rapidement, et m'emmitoufle dans ma couette. Rien n'est encore sûr, mais en tout cas ça me plaît comme idée. Oui, ça me plaît vraiment.


Je regarde Isuzu sortir de notre appartement, encore en colère. Elle a pas apprécié, quand je lui ai dit que ce matin que je voulais pas aller en cours. Elle m'a même fait la morale. Elle s'inquiète pour moi, encore et toujours, mais je sais que cette fois elle a pas besoin de s'en faire pour moi. Après tout, je pense avoir trouvé la solution pour être heureuse. Du moins, un peu plus heureuse qu'à l'heure actuelle.

J'attrape mon portable, posé près de moi sur le canapé, et décide d'appeler ma mère. Il vaut mieux que je lui en parle tout de suite. Sinon, plus j'attendrai, moins j'aurai le courage de le faire. Je me connais. Stressée, je ferme les yeux un instant, prend une grand inspiration, puis clique sur son contact.


-Allo ?

-Coucou maman, c'est Saya !

-Coucou ma chérie, tu vas bien ?

-Ça va et toi ? Et comment vont papa et les filles ?

-Tout le monde va très bien. Pourquoi tu m'appelles aussi tôt ? Il s'est passé quelque chose?

-Non, t'inquiète pas, j'ai juste... Je sais pas vraiment comment t'en parler...

Je soupire, et entend presque ma mère arrêter de respirer à travers le combiné.

-Tu ne veux plus vivre avec Isuzu ? J'étais sûre que ça allait arriver ! Ton père me croyait pas, mais j'en étais persuadée. Vos caractères sont trop différents pour que ça marche...

-Haha, non, c'est pas ça, tout va bien, de ce côté là. Ça n'a aucun rapport avec Isuzu. Avec personne, d'ailleurs, c'est juste moi.

-Je vois... Tu peux tout me dire, tu sais ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

-Je crois que mes études... Elles me plaisent pas du tout... Mais j'aimerai beaucoup rester à Tokyo quand même ! Je pourrai trouver un petit boulot, et je tenterai une autre université l'année prochaine.

-Ça te plaît pas ?... répond-elle en soupirant. T'es sûre ? Tu vas pas regretter ?

-Non, je suis sûre de moi. Je voudrai... Je crois que j'aimerai vraiment faire des études d'art.

Le silence se fait. J'attends patiemment, sans un mot, la décision de ma mère. Je sais qu'elle-même a eut des problèmes avec ses parents lorsqu'elle leur a annoncé qu'elle voulait devenir mannequin. Alors je sais qu'elle me soutiendra. Mais j'ai quand même peur qu'elle refuse que je reste à Tokyo. Pourtant, ici, je peux enfin voir les expositions que je veux, les monuments anciens... Mais surtout, je peux observer les gens. J'adore me balader à Harajuku et voir des personnes au style vestimentaire incroyable, parfois sorti tout droit de mangas. Oui, j'adore ça.

-Te connaissant, je suis sûre que t'as prit cette décision sur un coup de tête, même si tu penses vraiment y avoir réfléchit. Si c'est vraiment ce que tu veux, bien sûr que j'accepte ton choix. Mais je veux que tu y penses plus sérieusement. Ne fait pas n'importe quoi avec ton avenir Saya.

J'ouvre la bouche, et m'apprête à répliquer, mais je sais qu'elle a raison.

-OK, je vais y réfléchir...

-Ne t'inquiètes pas, je ne te demande pas de le faire pendant des années, mais je veux juste que tu y réfléchisse jusqu'à la semaine prochaine, d'accord ? Rappelle-moi mercredi prochain, et quoi que tu aies décidé, j'accepterai. C'est à toi de décider ce que tu veux faire. J'en parlerai avec Tadanobu quand il rentrera ce soir, mais t'en fait pas, ton père sera du même avis que moi.

-D'accord, merci beaucoup maman.

-De rien, je t'aime. Porte-toi bien jusqu'à mercredi.

-Je t'aime aussi.


Sur ces mots, je raccroche, et renverse ma tête en arrière. Elle a raison, je le sais, mais ça m'énerve quand même. C'est comme si elle me prenait encore comme une enfant, alors que j'en suis plus une. Bon, pour elle je serais toujours une enfant, c'est ma mère, après tout. Mais quand même. Je regrette un peu d'avoir sécher les cours aujourd'hui, du coup.

Je fronce les sourcils. Non, je ne regrette pas. De toute façon, qu'est-ce que ça aurait changé ? J'aime pas les cours que je suis, vraiment pas. Ils m'ennuient à mourir... J'ai juste opté pour l'option de facilité, histoire de pas me retrouver seule cette année. La solitude et l'abandon me font étrangement peur depuis que Yuki est parti. C'est comme si tout ce que je faisais me faisait revenir à lui, c'est épuisant. Enfin, quoi qu'en dise maman, je sais que ces études ne me plaisent pas. J'attendrai tout de même la semaine prochaine avant de la rappeler, mais je crois que pour une fois, j'ai pas prit une décision sur un coup de tête.


Je soupire, avant de rapidement décider de sortir pour me changer les idées. Pourquoi ne pas aller dessiner ? Je me lève, et vais rapidement me préparer. J'enfile une jupe fluide longue, un grand T-shirt blanc et un gilet beige. En passant dans la salle de bain, j'inspecte mon reflet, coiffe rapidement mon court carré noir, qui entoure mon visage, puis me maquille légèrement. Je suis tellement différente de la Saya de seconde... Je secoue la tête, et sors de la salle de bain. J'attrape mon sac à dos, met mes chaussures dans l'entrée, puis sort.

Il fait beau aujourd'hui, et la chaleur du soleil caresse ma peau quand je sors. Je plisse les yeux en sortant de mon immeuble, et me met en route. Vers où, je ne le sais pas vraiment. Je me laisse porter au gré de mes pas, appréciant l'architecture des bâtiments autour de moi, mais aussi les gens, les parcs, les brindilles d'herbes poussant à travers le goudron... J'apprécie le vent qui lèche de temps en temps ma peau, et me rafraîchi.


Sans vraiment savoir comment, j'arrive devant Heaven, aux alentour de 12h. C'est mon ventre affamé qui a réussi à guider mes pas, plus que mon cerveau, vraisemblablement. J'entre sans hésiter, commande à boire et à manger, puis vais m'installer à ma table habituelle. Je sors mes affaires de dessins, puis laisse le crayon glisser sur ma page blanche. J'ai pas envie de penser. C'est comme ça que je suis, maintenant. Je ressens avant de penser. Beaucoup de choses ont changées depuis qu'il est parti, et ma façon de vivre en fait parti. Je ne suis plus la même. Je suis calme, peut-être même « introvertie ». C'est comme si du jour au lendemain j'avais disparue, et qu'une autre moi était apparue. Je me suis renfermée. Je ne m'énerve plus, je ris très rarement, et je pleure de temps en temps. Je laisse mes émotions remonter à la surface seulement lorsque je dessine ou que je peins.

Je veux faire une école d'art. J'ai toujours secrètement voulu en faire une, mais je me disais toujours que ça n'avait aucun sens. Au lycée, on m'a toujours dit que ce genre d'études ne menait nul part. Et surtout, le prix de ce genre d'école est vraiment très élevé, d'autant plus qu'il faudra que je fasse une prépa avant... Pourtant, c'est la seule chose qui m'intéresse. Je veux vivre mes rêves, et arrêter de subir la vie. Parce que oui, je ne fais que subir, et il faut vraiment que j'arrête.


Je soupire, et observe le portrait que j'ai fait de la serveuse. Il est plutôt ressemblant, mais sans couleur, je ne peux rien faire de plus que ce croquis approximatif. Je tente de vérifier traits par traits les ressemblances, mais elle parle avec un client, ce qui ne me rend pas la tache facile. J'aimerai bien qu'il finisse rapidement de commander, si c'est possible...

Quand enfin il se pousse et attrape ses affaires, je ne peux plus détacher mes yeux de lui. Je me sens blêmir. C'est une blague ?... Ça ne peut être qu'une blague. Ses paupières tombantes, sa bouche charnue, parfaitement dessinée, son grain de beauté sur le menton... La seule chose qui change, se sont ses cheveux, qui sont désormais noirs ébène. Son allure est la même, et il s'habille toujours à la pointe de la mode. Je regarde Yukihito se déplacer à travers la pièce, sans parvenir à réfléchir. Qu'est-ce qu'il fait là ? Il était là tout ce temps ? Et il n'a rien fait pour nous joindre ? J'espère que c'est une blague.

Je suis figée, ne sachant quoi faire. Aller lui parler ? Mais à quoi bon ?... Mon cœur qui bat comme un fou me dit que rien n'a changé. Mais mon cerveau, lui, me crie que plus rien n'est comme avant. Il s'assoit un peu plus loin dans la salle, les yeux fixés sur son portable. Il se met face à moi, et j'espère de tout mon cœur qu'il ne me verra pas. Ou qu'il le fera. Qu'il ne me reconnaîtra pas. Ou qu'il le fera. Tout se mélange dans mon esprit, je ne sais plus rien de ce que je veux. Le cœur au bord des lèvres, je baisse les yeux sur mon dessin, et tente de me calmer. Je suis complètement folle, c'est pas possible autrement. Je ne peux pas être encore amoureuse de lui après autant de temps. Je ne le connais plus. Il ne me connaît plus.

Je soupire, et tente de me calmer. De fermer mon cœur, comme j'arrive si bien à le faire désormais. Mais c'est trop dur. Surtout en sachant qu'il est là, si près de moi, et pourtant plus loin qu'il ne l'a jamais été. J'attrape mon crayon, et croque une lolita que j'aperçois par la fenêtre. C'est la seule chose actuellement capable de me détendre. De me faire penser à autre chose. Ses cheveux blonds bien soignés, et bien coiffés. J'aperçois un bandeau bleu pale dans ses cheveux, ainsi qu'un camé autour de son cou. Sa belle robe blanche, tout en dentelle l'entoure, et la fait ressembler à un ange. Ses yeux semblent chercher quelqu'un. Comme je l'ai fait pendant longtemps. Ses mains délicates tiennent une ombrelle fermée, sur ses genoux. Elle s'est assise sur un banc à l'ombre, et n'en a probablement pas besoin...


-Sayako ?



*

Bonjour ! Je sais que je publie absolument n'importe quand, et j'en suis vraiment désolée, mais sachez qu'on approche de la fin :) 

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