1.
J'ouvre les yeux difficilement, et attrape mon portable sur ma table de chevet. J'éteins mon réveil, avant de refermer les yeux un instant. Le visage souriant d'Isuzu m'apparaît sous mes paupières closes, et je souris doucement. J'aime le fait que ce soit toujours elle la première personne à laquelle je pense le matin. C'est comme ça depuis un bon moment, maintenant, mais je crois que je ne m'y habituerait jamais. Au début c'était flippant, mais je m'y suis faite. Maman m'a toujours dit de m'accepter comme je suis, alors je l'ai fait. Difficilement, mais j'y suis arrivée.
Je m'étire lentement, avant de m'asseoir, encore engourdie par cette longue nuit de sommeil. Je suis encore resté au téléphone pendant une heure avec Isuzu hier soir, l'écoutant se plaindre de tout et de rien. Même quand la conversation est plate, parler avec elle fait faire des bons à mon cœur, c'est incroyable. Et dire qu'elle n'en a aucune idée... J'observe mon uniforme propre, pendu sur un cintre à la porte de ma penderie, et décide enfin de me lever. J'évite agilement mon carnet de dessins au pied de mon lit, encore à l'endroit où je l'ai posé avant de dormir, puis me dirige vers mon armoire.
J'enfile des sous-vêtements propres, avant de mettre l'uniforme de mon lycée. La jupe raccourcie, dévoile mes jambes minces. Je met des chaussettes hautes, qui m'arrivent à mi-cuisses, avant de nouer mon ruban rouge autour du cou, qui signifie que je suis en première année. Je coiffe ensuite rapidement mes cheveux, qui m'arrivent au milieu du dos, ce qui est bien plus long qu'autorisé dans mon lycée. Ma permanente les fait légèrement onduler, et avec mes grands yeux verts on me confond parfois avec une étrangère. Ils me viennent de mon arrière-grand mère anglaise. Je regarde mes yeux bridés, ma bouche pulpeuse, mon teint clair, et me demande un instant si je suis vraiment obligée de me maquiller. Je sais que dans tous les cas je le ferai, mais c'est toujours beau de rêver. Je soupire, et descend déjeuner.
Toute ma famille est déjà attablée, et je les salue rapidement. Je mange au contraire assez lentement, parlant par message à Yukihito, mon meilleur ami d'enfance. Il a apprit qu'Isuzu m'a appelé hier soir, apparemment. Il me passe un savon, me faisant lever les yeux aux ciel. Depuis qu'on a fait ce pacte tous les trois, avec Keiji, ils me bassinent avec, dès que je fais quelque chose qui semble contraire aux règles établies. Pourtant c'est elle qui m'a appelé, pas l'inverse, que je sache ! Et la jalousie est un vilain défaut, comme on dit !
Quelle idée, aussi, d'être tous les trois amoureux de la même personne ? On est tous aussi idiots les uns que les autres, y a pas d'autres raisons possibles.
-Saya, si tu continues, tu vas finir par être en retard ! me dit papa, de sa voix rauque.
Il a levé le nez de son journal, et ses sourcils sont légèrement froncé, même si son visage respire la bonté. Mon père est un homme adorable, mais il vaut mieux obéir quand il s'agit des études. J'acquiesce donc, n'ayant pas envie de me faire remonter les bretelles en rentrant ce soir.
Ce jour là comme tant d'autres jours, je marche en direction du lycée, m'attendant d'une seconde à l'autre à voir arriver Isuzu. Yuki vit avec ses parents dans un restaurant traditionnel dans la rue commerçante de notre petite ville, et Keiji au centre-ville, très loin de notre quartier excentré. Isuzu et moi habitons dans le même quartier, alors on va tous les jours en cours ensemble.
Nos parents se connaissent à peu près tous depuis le lycée, et sont amis depuis tout ce temps. C'est drôle, parce que nos mères sont toutes tombées enceintes en même temps. Il n'y a qu'une exception, et c'est Yukihito. Il a un an de plus que nous, mais a redoublé sa deuxième année de collège, à cause du divorce de ses parents. Enfin, c'est en tout cas ce qu'il a l'habitude de raconter.
C'est sans une once de surprise que je vois apparaître Isuzu au croisement habituel. Quand mes yeux se posent sur elle, mon cœur fait un bond. Je sens mes mains trembler, et je n'ai qu'une envie : sauter à son cou et l'embrasser. Mais je n'ai pas le droit, notre pacte me l'interdit. J'accélère tout de même le pas pour parvenir plus vite à sa hauteur, faute de pouvoir faire mieux
Son court carré brun, volette quand elle marche vers moi, et un sourire étire ses lèvres délicates. Ses yeux bridés, subtilement maquillés, se plissent, et la rendent adorable. Elle est menue, et minuscule, mais tellement belle. Je la vois s'avancer vers moi, et c'est comme si mon cœur gonflait dans ma poitrine.
Elle est, tout comme moi, vêtue de l'uniforme de notre lycée. Elle le porte exactement de la façon dont il faut le porter : sa chemise est longue, et couvre la taille de la jupe, et cette dernière n'est pas raccourcie. Peu de filles portent l'uniforme de cette façon, et je n'en fait absolument pas parti. Mais étrangement, sur elle ça ne fait pas coincé, au contraire. Je la trouve magnifique comme ça. Enfin, je la trouve tout le temps belle, en même temps, alors c'est pas très objectif, j'avoue.
-Salut Saya ! dit-elle en me voyant.
- Salut Isuzu ! répondis-je, un sourire aux lèvres. Comment ça va ?
- Bien et toi ? J'avais peur d'être en retard mais bon, on dirait que non !
-Haha, oui, heureusement je sais pas si je t'aurais attendu si ça avait été le cas. dis-je en riant
Je suis toujours un peu gênée quand je suis avec elle, et même si nos conversations ne volent pas très haut, c'est toujours agréable. À l'entrée du lycée, les deux garçons nous attendent en discutant, eux aussi. Comme d'habitude, je ne manque pas de remarquer le fossé qui les sépare, c'est tellement étonnant de voir que malgré ça ils s'entendent si bien !
Ils sont le parfait opposé l'un de l'autre, et malgré tout, passent leur temps ensemble. Keiji est sérieux, travailleur, ouvert. Même son apparence est comme ça : ses cheveux bruns bien coiffés, son uniforme impeccable quand on est au lycée, et son style sérieux à l'extérieur. Yukihito, quand à lui, est un cancre, un peu renfermé sur lui-même et préfère le sport aux études. Ses cheveux décolorés, et son style de star de Kpop sont à l'opposé de son meilleur ami. Mais je pense que ce qui les rapproche, mis à part leur amour inconditionnel pour les jeux vidéos, c'est leur gentillesse. Je crois n'avoir jamais rencontré de garçons aussi gentils que ces deux-là.
On les rejoint et parlons tous les 4 assez rapidement, avant d'entendre la sonnerie. Il faut qu'on aille en cours. Isuzu souffle en entendant ça, l'air totalement saoulée, avant même que les cours ne commencent. Je la trouve adorable, même quand elle à l'air lassée. Nous rejoignons nos classes respectives sans plus de cérémonies, avant d'être vraiment en retard.
Je suis dans la même classe que Yukihito, et Keiji a l'immense chance d'être dans celle de Isuzu. Lorsque l'on se sépare au détour d'un couloir, je sens mon cœur se serrer, comme tous les matins. En jetant un coup d'œil à Yuki, je suis certaine, vu l'expression de son visage, qu'il ressent exactement la même chose que moi en cet instant. Et ça aussi, c'est douloureux
La journée de cour passe lentement, et la seule chose amusante à faire c'est d'empêcher Yukihito de s'endormir. Je me suis amusée pendant un bon moment à lui lancer des bouts de papiers, avant de finalement arrêter. À qui bon, après tout ? J'aime l'école et les cours à peu près autant que lui, et pourtant je m'efforce d'écouter au moins un minimum, moi !... Ce garçon m'épuise, à croire qu'il veut qu'on s'occupe de lui sans arrêt.
Depuis toujours, il est celui avec qui je m'entends le mieux. Ce n'est que depuis la première année de collège qu'on a créé des liens avec les deux autres. Avant ça, nous étions toujours tous les deux, vivant des aventures imaginaires plus palpitantes les unes que les autres. Jamais je n'aurai pu penser que nous allions tomber amoureux de la même personne.
Dans mon esprit d'enfant, tout comme dans le sien, jamais quoi que ce soit pourrait nous éloigner. Et pourtant les faits sont bien réels, nous nous éloignons. Lorsqu'on se retrouve tous les trois, Yukihito, Keiji et moi, un froid nous envahit. Plus rien n'est pareil, et on le sait bien. Depuis peu, on ne se voit que quand Isuzu est là, ou quand on y est obligés. Tout est vraiment bizarre ces derniers temps. Comme si tout ce qu'on a vécu jusque-là était réduit à pas grand-chose.
C'est perdue dans mes pensées, les yeux plongés dans le bleu du ciel, un magnifique jour d'octobre, que pour la première fois depuis longtemps je dois retenir mes larmes. Ce triste futur où nous serons tous séparés me rend folle. Je ne veux pas être séparée d'eux. Je ne sais pas si je pourrai le supporter.
J'ouvre les yeux, doucement, découvrant une salle de cours entièrement vide. Je me suis endormie en cours ?... Et dire que je me suis moquée de Yuki, j'ai pas l'impression de valoir beaucoup mieux. Le soleil commence sa douce descente vers la nuit, alors que je m'étire longuement. Plus personne n'est là... Du moins c'est ce que je crois, jusqu'à ce que je tourne la tête vers la porte d'entrée.
Une ombre noir est assise sur une table à ma gauche, que je met un instant à identifier. C'est lorsqu'il lève la tête vers moi que je reconnais la coiffure de Yuki.
-Comme tu dormais, j'ai demandé aux autres de faire attention pour pas te réveiller. dit-il en me faisant un clin d'œil.
-Haha, j'étais juste un peu... fatiguée. répondis-je en faisant mine de bailler. En tout cas merci !
-De rien ! Enfin, maintenant que madame est réveillée, que dirais-tu de sortir de cet enfer communément appelé « lycée » ?
-Pff t'es con ! Mais j'accepte ton offre ! dis-je en me levant et prenant mes affaires.
Je sors de la classe, Yuki sur mes talons. Dans le hall, la lumière du soleil couchant se reflète sur les murs blancs, créant un étrange effet de lumière, les peignant d'un rouge-orangé. Les couloirs sont déserts, et seul le bruit de nos pas résonnent dans le lycée. Le silence qui occupe tout l'espace est là pour prouver que nous ne sommes plus aussi proche qu'autrefois. C'est bien plus calme que ça ne l'aurait été il y a à peine deux ans.
Je cherche un sujet intéressant de conversation, mais mon esprit reste vide. À vrai dire, la seule chose dont je voudrais vraiment parler, c'est Isuzu, mais ce serait vraiment trop bizarre d'en parler avec lui. Tout est bizarre dernièrement, de toute façon. Je finis par ne plus entendre les pas de Yuki derrière moi, il s'est arrêté au milieu du couloir. Je me tourne vers lui, m'apprêtant à lui demander ce qu'il se passe, mais il me prend par surprise, et s'approche de moi, avant de me prendre les mains. J'ouvre la bouche, surprise, mais il me coupe avant que je ne dise quoi que ce soit.
-Saya, je t'ai pas attendu seulement pour ça... Il faut que je te dise quelque chose. me dit-il, ses yeux évitant à tout prix les miens.
-Qu'est-ce qu'il y a ?
-Je... commence-t-il, avant de reprendre son souffle et de fixer son regard dans le mien. Je sais de qui Isuzu est amoureuse. Et je sais aussi qu'elle a décidé de se confesser aujourd'hui.
-Comment ça se fait ? C'est qui ?!
Mon cœur bat si fort que le ressens jusque dans mes tempes.
-Non Saya, tu ne comprends pas.
Il cherche du regard quelque chose, avant de revenir vers moi, les yeux embués de larmes.
-À l'heure qu'il est, elle a déjà dû lui dire...
J'écarquille les yeux, et pose ma main sur ma bouche. Ma vision se brouille. Alors elle ne nous a pas choisi. Elle n'a même jamais pensé à nous choisir. C'est Keiji. C'est le sérieux et mignon Keiji dont elle est amoureuse. Dont elle a toujours été amoureuse, probablement. Comment ai-je pu être assez idiote pour ne pas m'en apercevoir ? Pour ne pas voir qu'aucun de nous n'avait sa chance ? Que je n'allais jamais être choisie ?
Une boule se forme dans mon ventre. Et mon cœur vole en éclat dans ma poitrine. Il est en bouillie. J'ai mal. Je regarde dévaler les larmes de Yuki sur ses joues, et j'ai encore plus mal. C'est la première fois que je le vois pleurer. Et c'est tellement douloureux de voir ça. Nous sommes tous les deux dans le même état, comme des idiots. J'arrive même pas à détester Isuzu, ni Keiji. Ils n'y sont pour rien. Mais en même temps j'en veux au monde entier. Pourquoi lui et pas nous ? C'est tellement injuste.
C'est tellement bizarre d'avoir mal, alors même que je ne suis pas physiquement blessé ! C'est comme si on venait d'écrabouiller mon cœur et mon corps, pourtant seuls mes sentiments ont été touchés. Mes mains tremblent, et mon souffle ne ressemble plus qu'à des hoquets à répétitions. Mes joues sont tout autant noyées de larmes que mes yeux, et cela fait bien longtemps que je ne regarde non plus Yuki, mais le sol.
Sa main se glisse de nouveau dans la mienne. Mais ça ne change rien. Si, bien sûr, le fait même qu'il soit là change tout. Mais je suis trop blessée pour vraiment être réconfortée. Sans rien dire, Yuki m'attrape par la taille, et me serre contre lui. Je sursaute à ce contact, mais ne m'écarte pas. Ses bras sont plaqués dans le creux de mes reins, et je sens son souffle chatouiller mon front.
Il est plus grand que je ne le pensais, et ma tête repose sur ses clavicules. Il essaye de retenir ses sanglots, de se calmer pour mieux pouvoir me consoler. Et il y arrive. Je me sens en sécurité dans ses bras, et même si ça met du temps, on arrive finalement à se calmer. C'est comme si sa présence m'était bénéfique, et que ma présence lui était bénéfique.
Ainsi, nos larmes se sont naturellement arrêtées de couler. Nos cœurs, eux ne sont toujours pas réparés, mais ça viendra.
Devant l'entrée du lycée, Yuki me propose de dormir chez lui, et j'accepte. J'envoie rapidement un mail à mes parents pour avoir leur approbation, mais sans attendre leur réponse. Je sais qu'ils accepteront. Puis, nous allons chez lui.
Sur tout le long du chemin, nous marchons en silence, chacun perdu dans ses pensées. Mais même si on a tous les deux besoin de réfléchir, on sait qu'on a besoin l'un de l'autre. Et c'est les mains enlacées qu'on marche jusqu'au restaurant de son père.
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