Chapitre 17
Depuis des mois Neal Cassidy restait chez lui, rideaux tirés, ne sortant que pour se rendre à son travail. Malgré tous ses efforts, il n'arrivait pas à retrouver sa femme. Il n'avait rien, aucune information, aucune piste, juste quelques certitudes sur la manière dont elle s'y était prise. Il était sûr, par exemple, qu'elle avait commis l'erreur d'utiliser une gare routière. Il savait, en effet, que c'était le seul moyen de transport qu'elle pouvait emprunter. Les billets étaient bon marché. On n'exigeait aucune pièce d'identité pour s'en procurer. Mais il ignorait quelle somme exacte elle lui avait volée. Depuis le premier jour de leur mariage, Neal contrôlait tout, particulièrement l'argent. C'était pourquoi il obligeait son épouse à conserver les reçus et à lui rendre la monnaie. Après la deuxième fugue de celle-ci, il enfermait également son portefeuille dans le coffre où il rangeait déjà ses clefs, son téléphone et ses pistolets. Seulement parfois, il s'endormait sur le canapé...
Il l'avait imaginée en train de sortir le portefeuille de sa veste pour le voler tandis que le lendemain matin, elle lui avait préparé son petit déjeuner, faisant comme si de rien n'était. Elle lui avait souri et l'avait embrassé. Intérieurement, elle devait bien se moquer de lui.
Dans la pénombre, Neal se mordit les lèvres, se rappelant qu'au début il avait caressé l'espoir de la retrouver rapidement. Il avait fait toutes les gares, montrant son insigne et la photo d'Emma. Mais nul ne l'avait reconnue. Ou plutôt : nul ne s'était souvenu. Il avait eu un espoir lorsqu'un des techniciens s'était rappelé une fille « aussi jolie que celle de votre photo, inspecteur ». Mais après questionnement, il s'était avéré qu'il s'agissait d'une brunette aux cheveux courts, enceinte jusqu'aux yeux malgré ses airs de garçonne, qui accompagnait sa Granny dont elle prenait grand soin. Une grand-mère ! Quel imbécile, ce mécanicien ! Son épouse étant orpheline, elle ne risquait pas d'avoir une grand-mère.
La première fois que la jeune femme blonde avait essayé de s'enfuir, après une tentative minable pour l'assommer, il l'avait rattrapée immédiatement, l'avait tirée jusqu'au lit où il l'avait attachée afin de la punir. Il l'avait alors frappée de toutes ses forces, ivre de colère. Il ne s'était arrêté qu'une fois qu'elle eut été en sang, à moitié évanouie sur le sol. Il s'était enfui un peu honteux, non pas de l'avoir tabassée, car elle le méritait bien, mais d'y avoir été un peu fort. Il était revenu plus tard. L'avait observée toute la nuit avec amour tandis qu'elle gisait recroquevillée sur le sol. Au petit matin, la rage l'avait repris et il l'avait à nouveau sévèrement punie. Cela avait duré plusieurs jours. Jusqu'à ce qu'il en eût marre de ne plus avoir sa femme à sa disposition.
Ce soir de février, le soir où il se rendit compte de sa disparition, il avait bu trois verres de rhum en essayant de comprendre comment elle avait pu s'enfuir. Il avait maudit plus d'une fois le maire, qui lui avait confisqué son téléphone. À cause de cela, contrairement à son habitude, Il n'avait pu surveiller son épouse. Il ne s'était pourtant guère inquiété : la maison était une forteresse, il avait dépensé suffisamment d'argent pour cela. La seule solution pour qu'elle ait pu s'échapper était de lui piquer les clefs qu'il tenait à la main. Il se souvenait bien avoir perdu un trousseau, mais c'était plus d'un an auparavant, il ne pouvait donc pas y avoir de rapport. Il continuait de boire, incapable de comprendre comment elle s'y était prise. Avait-il été étourdi au point d'oublier de claquer la porte à fermeture automatique ? Il y faisait toujours attention depuis qu'elle avait profité de cette négligence pour enfuir une deuxième fois, car il ne recommençait jamais la même erreur. Peu importait, pour l'instant, la façon dont elle était sortie, elle n'avait pu aller bien loin. Il vérifiait sans cesse son argent et savait fort bien qu'elle n'avait pu lui dérober beaucoup. Il s'en serait rendu compte si cela avait été le cas.
Après la clôture de l'enquête pour laquelle il avait dû prolonger son service d'une journée, lorsque le chef de la ville avait enfin libéré le policier et lui avait rendu son téléphone avec un sourire paternel, il avait aussitôt envoyé un texto à sa femme, lui ordonnant de se faire belle pour lui et de mettre le repas à chauffer doucement. Lorsqu'il était parti de la maison pour travailler quatre jours auparavant, il était encore tout émoustillé par leurs ébats du matin et s'était promis de recommencer dès son retour. Il avait fantasmé, tout au long du chemin, sur la manière dont il lui ferait passionnément l'amour, la manière dont il lui arracherait ses vêtements affriolants pour la pénétrer sans plus attendre, la manière dont il s'enfoncerait en elle en lui mordillant la nuque. Il était arrivé le sexe en érection, prêt à satisfaire son épouse, sachant la chance qu'elle avait qu'il soit un amant aussi prévenant qu'ardent.
Il avait senti, dès son arrivée, que quelque chose n'allait pas : aucune odeur de cuisine, aucun bruit. Elle n'avait pas répondu lorsqu'il l'avait appelée. Dans la cuisine, aucun dîner ne réchauffait, la table n'était pas mise. Il avait parcouru en courant toute la maison, ne l'avait trouvée nulle part. Il avait commencé à paniquer sérieusement. C'était à ce moment-là qu'il était allé prendre du rhum et qu'il s'était assis pour réfléchir. Au bout de trois verres, il s'était levé, avait attentivement examiné le placard de son épouse : aucun vêtement ne manquait, à part le manteau long qu'il l'obligeait à porter, refusant que quelqu'un d'autre que lui puisse voir ses jambes. Il s'était tenu sur le seuil, avait cherché des empreintes de pas dans la neige. Mais la poudre blanche recouvrant le jardin était intacte. À croire qu'elle s'était volatilisée. Ou qu'elle avait disparu depuis deux jours, dernier moment où il avait neigé. Deux jours. Si c'était le cas, elle était peut-être allée plus loin qu'il ne le pensait.
Il avait attrapé son portable, avait rapidement obtenu de l'opérateur les coordonnées du téléphone de sa femme. Heureusement qu'il avait pensé au GPS de celui-ci pour la localiser. Il avait loué son intelligence et sa prévoyance. Il avait eu conscience d'avoir été un peu hystérique, d'avoir menti comme un arracheur de dents pour obtenir l'adresse, mais c'était de son épouse dont on parlait, aussi n'avait-il aucun remord. Un jour ou l'autre, les progrès de la technologie permettraient bien de pouvoir espionner quelqu'un sans avoir besoin de passer par une autre personne. Il s'était précipité pour prendre sa voiture, avait roulé comme un fou jusqu'au lieu indiqué.
Une décharge.
Neal avait martelé le volant, le visage déformé par la rage. Cette salope l'avait roulé dans la farine ! Elle s'était crue plus futée que lui, sauf qu'elle était stupide, il était bien placé pour le savoir. Il avait hurlé comme une bête féroce. Elle ne se remettrait jamais de la punition qu'il lui ferait subir lorsqu'il la retrouverait. Il avait fallu un moment avant que ses mains ne cessassent de trembler. Il s'était remis à conduire, rentrant hâtivement dans son quartier pour attaquer l'enquête de voisinage.
Il avait commencé par le secteur commercial, situé cinq rues au-dessus de sa maison. Il avait fait le tour des magasins, brandissant une petite photo Emma qu'il gardait dans son portefeuille, demandant si quelqu'un l'avait aperçue, demandant à voir les caméras, ce qu'on lui refusa à plusieurs reprises, étant donné qu'il n'avait pas de mandat. À deux ou trois reprises, il avait parcouru la moindre artère dans un rayon de six kilomètres autour de leur quartier. Il était rentré dans la nuit, après plus de dix heures de recherches intensives. Sa bâtisse demeurait aussi vide que glaciale.
Après un dernier verre, il s'était endormi en pleurant. Il avait espéré pouvoir sentir les fragrances de sa femme. Mais le lit, comme tous les vêtements, fleuraient bon le propre et la lessive. Il avait regretté de ne lui avoir jamais offert de parfum, mais ce n'était pas de sa faute s'il préférait l'odeur naturelle d'Emma, une odeur douce et printanière.
Le lendemain matin, il était allé s'asseoir sur le canapé, tentant d'envisager d'autres possibilités sur la fuite de sa femme. Quelqu'un était-il venu la prendre en voiture ? Quelqu'un qu'elle connaissait. Mais où avait-elle bien pu le rencontrer ? Certainement pas lorsqu'ils faisaient les courses, il ne la quittait pas d'une semelle. Quant à la bibliothèque, il gardait sans cesse un œil sur elle tandis qu'elle déambulait parmi les étagères. De plus, il l'obligeait à en partir au bout d'une heure.
Il se rendait à la cuisine pour se servir un autre verre de rhum lorsque son téléphone avait sonné. Neal avait décroché précipitamment dans l'espoir fou qu'il s'agisse d'Emma. En décrochant, Neal avait entendu la tonalité. Puis on avait raccroché. Était-ce elle ?
Dans les mois qui suivirent son départ, des mois qui devenaient des années, la douleur qu'il éprouvait ne cessa de grandir. Trop de temps s'était écoulé depuis. Emma pouvait se trouver n'importe où. L'idée de sa disparition définitive le mettait au supplice. Neal piquait des colères, cassait des objets, s'endormait en sanglotant. Il avait parfois l'impression de perdre la raison. Il l'avait aimée depuis leur première rencontre à Boston. Et ils avaient été heureux, non ? Il l'avait souvent contemplée en se disant que c'était la plus belle femme au monde.
C'était un bon mari. Il avait sécurisé sa maison pour elle, lui avait acheté tous ses vêtements, lui avait coupé les cheveux. Il lui avait fait l'amour avec passion tous les jours, parfois même plusieurs fois dans la journée. Il lui avait appris tout ce qu'il y avait à savoir sur le rôle d'une épouse, n'hésitant pas à la punir pour qu'elle apprît mieux. Après leur mariage, il lui avait offert des fleurs plusieurs fois par semaine, lui avait demandé d'allumer des bougies pour des dîners romantiques, lui avait constamment répété qu'il l'aimait.
Emma ne comprenait pas tous les sacrifices qu'il avait faits pour elle. Elle était gâtée, égoïste. Qu'elle ne réalisât jusqu'à quel point elle avait eu la vie facile depuis qu'il l'avait épousée le rendait fou.
Il l'aimait et elle l'aimait. Elle devait rentrer à la maison car il désespérait de la retrouver. Elle pourrait de nouveau mener une vie heureuse. Pour lui montrer sa reconnaissance quand elle franchirait la porte, il ne la frapperait pas tout de suite, ne la giflerait pas tout de suite, ne lui donnerait ni coups de poing ni coups de pied immédiatement parce qu'il avait toujours été un bon époux.
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