Chapitre 12

« La neige tombait drue au moment où Neal Cassidy gara sa voiture dans l'allée. Des sacs de commissions se trouvaient sur la banquette arrière. Il les saisit tous avant de gagner la porte d'entrée de la maison, devant laquelle il les posa. Il revint ensuite vers le véhicule, utilisa la clef pour déverrouiller la portière afin de libérer Emma. En public, il paraissait toujours extrêmement galant, bien qu'en réalité il ne supportât pas de la laisser seule un instant, n'acceptant pas qu'un homme lui parlât ou la regardât. Ainsi, dans les allées du supermarché, il se collait aux basques de la jeune femme blonde, tandis qu'elle scrutait les rayons à la recherche de promotions. Leur budget était serré certes, mais le véritable problème venait du fait que le jeune homme refusait qu'elle travaillât. En réalité, les seuls moments où elle pouvait sortir de la maison était lorsqu'il l'accompagnait. De plus, il se mettait dans des colères noires s'il pensait qu'elle avait trop dépensé. Elle ne dépensait pas trop. Il lui avait donné l'argent. Lorsqu'elle avait eu réglé les courses, elle lui avait tendu la monnaie. Il avait compté les pièces, avait veillé à ce qu'aucun cent ne manquât.

Une fois à l'intérieur, l'orpheline enleva sa veste, ne put s'empêcher de se frotter les bras pour se réchauffer, avant de rapidement glisser ses mains dans les poches de son pantalon. La bâtisse était glaciale. Elle évitait autant que possible de poser ses pieds nus sur le sol. Il lui était interdit de monter le thermostat : Neal trouvait les factures de chauffage trop élevées. Lorsqu'il était au travail, elle se couvrait allègrement, mais, dès qu'il se trouvait là, le jeune homme souhaitait la voir habillée sexy : ses bras et ses jambes devaient être visibles, ses seins mis en évidence, sans soutien-gorge, sauf, bien sûr, lorsqu'ils sortaient. Elle avait fini par comprendre qu'elle n'était qu'une sorte de trophée, un objet qu'il aimait exhiber.

Il posa les courses sur la table de la cuisine, s'approcha immédiatement du réfrigérateur, abandonnant le rangement à sa compagne. Il sortit du freezer deux ou trois glaçons. Il les jeta dans un verre, sortit de la pièce pour se diriger vers le meuble du salon où il remplit celui-ci de rhum. Presque à ras bord. Il prit la carafe d'alcool afin de la placer sur la petite table du séjour, à portée de sa main. Il se laissa tomber pour s'asseoir sur le divan.

Restée dans la cuisine, celle-ci l'observait d'un œil, tout en sortant des sacs une bouteille de liquide vaisselle. Elle s'approcha rapidement de l'évier. Elle se baissa vers le placard d'en dessus, y posa le flacon tandis qu'elle glissait une main dans la poche arrière de son pantalon. Elle y attrapa hâtivement le téléphone qu'elle venait d'acheter sans que son conjoint n'en ait eu conscience. Cela avait été facile. Il avait la manie de regarder autour d'elle, cherchant ceux qui auraient pu la mater. Elle avait prétendu avoir oublié les éponges, lui avait demandé avec des yeux de biche débile de surveiller le chariot. Elle était partie en courant avant qu'il n'ait le temps de réagir, était passée par le rayon adéquat pour y prendre un tout petit portable, à clapet, qu'elle avait glissé dans son manteau. Elle était revenue avec des Chamex, qu'elle avait fièrement posées dans le caddy. Lorsqu'elle avait disposé les courses à la caisse, après une longue queue, elle y avait ajouté le téléphone. Là encore, à trop chercher dans la file ces soi-disant dragueurs qui l'obsédaient, il ne l'avait pas vue le déballer, le glisser dans la poche de sa pelisse. Elle l'avait ensuite déplacé, lors de leur retour, dans celle de son pantalon.

Elle attrapa un vieux seau, dont elle ôta rapidement les chiffons sales, y glissa l'appareil au fond, par-dessus les clefs qu'elle avait dérobées, replaça l'ensemble dans le réduit. Jamais Neal n'aurait l'idée de venir y voir : il ne supportait pas la saleté, exigeant qu'elle fît tous les jours un ménage minutieux. Elle espéra ne pas avoir été vue, sentit ses joues rougir à cette idée. Plus d'une fois, il lui avait prouvé qu'il était capable de lire dans ses pensées. Craignant qu'il n'arrivât, encore abasourdie par ce qu'elle venait de faire, elle se consacra au rangement des courses, plaçant lentement chaque produit dans les étagères, du plus ancien au plus récent. Elle respirait profondément, calmant petit à petit les battements erratiques de son cœur paniqué. Il ne vint pas. Lorsqu'elle eut fini, elle se lava les mains, se passa de l'eau sur le visage.

Elle sortit ensuite un couteau du tiroir, prit la planche à découper et se mit à fendre les pommes de terre en tranches fines après les avoir épluchées. Elle huila une plaque de cuisson, alluma le four, assaisonna les tubercules avec de la coriandre, du sel, du poivre et de l'ail avant de les mettre à cuire. Le jeune homme aimait les ingrédients de ses salades finement tranchés, aussi coupa-t-elle la tomate en deux ainsi qu'un quart du concombre, avant d'emballer le reste dans un film plastique pour le ranger au frais. Alors qu'elle ouvrait la porte du frigo, elle aperçut Neal appuyé contre le chambranle de l'entrée de la cuisine. Elle plongea la tête dans le frigidaire, afin qu'il ne pût voir ses tremblements. « Il ignore que j'ai acheté un téléphone portable ». Elle s'accrocha à cette idée, retrouvant peu à peu son calme. Elle l'entendit boire une longue gorgée. Lorsqu'elle posa la viande sur la table, il avait achevé son verre de rhum mais continuait de l'observer.

— « Filet de poulet, ce soir ?
— Oui, répondit-elle. Je viens d'allumer le four. C'est l'affaire de quelques minutes. Les pommes de terre terminent de cuire. Je m'occuperai la viande après avoir préparé la salade. »

Elle entreprit de couper finement la tomate.

— « Pas trop gros, les morceaux, prévint-il.
— Je sais. »

Le jeune homme hocha la tête. Il avait ramené la bouteille de rhum qu'il posa avec son verre sur le plan de travail, avant de s'avancer vers la jeune femme blonde. Il se colla à son dos, regarda par-dessus son épaule la manière dont elle découpait la tomate en tous petits dés. Percevant son souffle sur sa nuque, elle se retint de tressaillir lorsqu'il plaqua les mains sur ses hanches. Supposant ce qu'il voulait, elle reposa le couteau, s'essuya les mains dans un torchon à cet effet, se retourna en mettant les bras autour de son cou. Elle l'embrassa tout doucement, s'abstenant de déglutir en respirant son haleine alcoolisée.

Elle ne vit pas venir la gifle, sentit uniquement la douleur cuisante sur la joue. Rouge. En feu.

— « Tu m'as fait perdre tout mon après-midi !, hurla-t-il. Tu avais oublié les éponges ! J'avais l'air ridicule, seul à t'attendre. Combien de fois dois-je te dire que le rôle d'une femme est de rester à côté de son mari ? Sans compter le monde à la caisse. »

Il lui agrippa les bras en serrant fort. Un rictus de colère déformait ses lèvres, ses yeux injectés de sang. Les effluves fétides débordant de sa bouche écœurèrent définitivement la jeune femme qui se débattit, tenta de se détacher. Il la lâcha si brusquement qu'elle manqua tomber. Seule la table la retint.

« Ça ne t'a pas traversé l'esprit que je pouvais avoir envie de me détendre aujourd'hui ? Me détendre durant mon unique jour de congé ?
— Je suis désolée, dit-elle en se tenant la joue.
— Bon sang, cria-t-il à nouveau, c'est si compliqué pour toi de penser à quelqu'un d'autre qu'à ta petite personne ? Tu n'as même pas eu l'idée, maintenant que nous sommes rentrés, de remettre ta jupe alors que tu sais que ça me fait plaisir. »

Neal tendit la main pour la saisir. Elle se tourna, essayant de s'enfuir, mais l'étal la coinçait. Il était, de toutes manières, décidé à frapper : elle ne put lui échapper. Il cogna fort. Son poing atteignit la jeune femme blonde au creux du dos. Elle en eut le souffle coupé, s'écroula par terre, les reins en feu, la souffrance sillonnant ses jambes et sa colonne vertébrale. La tête lui tournait. Elle voulut se redresser. Le mouvement ne fit qu'aggraver son vertige.

— « T'es qu'une sale pute ! Une petite idiote que j'ai la pitié d'héberger, incapable de s'occuper correctement de moi. Incapable d'être une vraie femme. Une débile à qui je dois tout apprendre. »

Figée au sol, elle ne dit rien. Non seulement elle ne pouvait plus parler, plus respirer, mais elle savait que cela ne servait à rien. Les hurlements et les coups du jeune homme ne l'atteignaient plus depuis longtemps. Lorsqu'il l'avait enfin laissée sortir, elle lui avait expliqué qu'il y avait toujours du monde le samedi, qu'elle pourrait faire les courses en semaine, quand il n'y avait personne. Il n'avait pas supporté cette idée, la menottant à nouveau au radiateur dès le lendemain, comme si cela ne suffisait plus qu'il l'enfermât à double tour, qu'il ne lui laissât aucun argent ou qu'il exigeât qu'elle l'appelât toutes les deux heures. Emma se mordit la lèvre pour ne pas hurler. Elle avait l'habitude des coups : elle avait été tabassée dans toutes ses familles d'accueil. Elle avait même prévu qu'il la frapperait, après l'arnaque des éponges. Elle avait tout calculé. Elle n'avait simplement pas envisagé qu'il serait aussi violent. Peut-être devenait-il de plus en plus violent. À moins que l'idée d'être bientôt libre ne la rende moins endurante. Ce dont elle était certaine, pour l'instant, était qu'elle trouverait du sang dans ses urines le lendemain. Il resta quelques instants au-dessus d'elle, puis lâcha un soupir de dégoût. Il récupéra la bouteille de rhum en quittant la cuisine, abandonnant le verre vide.

La jeune femme blonde mit quelques minutes pour rassembler ses forces afin de se relever. Ce n'était pas la première fois qu'il la frappait. Elle préférait cela aux viols. Il la frapperait encore souvent avant qu'elle ne puisse s'enfuir. Elle le savait, s'en était fait une raison. Il avait réagi ainsi lorsqu'elle lui avait dérobé les clefs. Elle n'avait pas craint qu'il changeât de serrure. Il s'était vanté de son sens de l'économie, du fait d'avoir acheté une serrure de sécurité et plusieurs doubles de clefs. La vérité était qu'il était trop radin pour en racheter une nouvelle. Là aussi, elle l'avait roulé dans la farine. Elle ne pouvait s'empêcher d'en éprouver une certaine fierté. Il avait l'habitude, dès son arrivée, de ranger les clefs, son révolver et son téléphone, dans un coffre près de l'entrée, qu'il verrouillait soigneusement avec un cadenas à code. Mais ce soir-là, lorsqu'elle avait rangé sa veste en cuir noir, elle avait senti les clefs qu'il avait oubliées, sans doute trop pressé de la violer. Lui disait « faire l'amour ». Pendant qu'il dormait après l'avoir violée à plusieurs reprises, — jamais elle n'avait imaginé que, même dans un mariage, les viols étaient possibles — il ne cessait de lui répéter qu'elle devait faire son « devoir conjugal », que c'était le rôle d'une femme —, pendant qu'il dormait après l'avoir violée, elle avait déchiré la fameuse poche, afin de lui faire croire que les clefs étaient tombées. Lorsqu'il avait découvert la « perte », il s'en était pris à elle, lui reprochant de n'avoir pas réparé le trou alors qu'elle n'avait pas l'autorisation de toucher à son blouson. Il n'avait pas envisagé qu'elle ait pu voler le trousseau parce qu'il pensait qu'elle était « débile », le lui répétant sans cesse. Elle, ne commettait pas cette erreur. Elle avait laissé s'écouler trois mois avant de faire le coup du téléphone.

Elle se hissa au-dessus de l'évier, se mouilla le visage, le cou, passa l'eau glacée sur l'ensemble de son torse. Lorsqu'elle revint devant la planche à découper, ses mains tremblaient moins. La cuisine lui sembla encore plus glaciale, comme si la chaleur du four n'existait pas. La douleur dans son dos l'élançait. Une semaine plus tôt, Neal l'avait frappée si fort à l'estomac qu'elle avait passé le reste de la nuit à vomir. Elle en avait gardé des élancements au poignet gauche. Elle sécha ses larmes du dos de la main. Il lui fallait reprendre la préparation du dîner afin d'éviter d'autres agressions : « Une femme doit veiller à ce que les repas soient toujours prêts pour son mari ». La voix du jeune homme résonnait dans son esprit. Comment pouvait-il croire en de telles âneries ? Comment avait-elle pu croire que son apparente gentillesse indiquait nécessairement une bonté naturelle ? Mais elle l'avait cru. Maintenant, elle devait assumer.

Elle entendait, venant du salon, les jingles de la télévision. Quand l'avait-il allumée ? Elle l'ignorait. Elle sortit la plaque de pommes de terre, en vérifia la cuisson. La chaleur du four effleura son visage, réveilla les picotements de sa peau douloureuse. Elle savait qu'elle n'aurait aucune marque : il connaissait avec précision les endroits et de quelle manière frapper pour qu'il n'y ait nulle preuve. Elle se demandait régulièrement s'il avait appris cela à son travail, ou si c'était inné.

Elle versa un peu d'huile d'olive dans une poêle, lança la cuisson du poulet, qu'elle assaisonna de citron et d'une pincée de curry. Elle ajouta quelques olives vertes, ainsi que de la coriandre fraiche. Elle évitait de penser au téléphone portable, aux clefs sous l'évier. Elle se centra uniquement sur la cuisine, retournant la viande pour qu'elle cuise uniformément. Ainsi concentrée, elle replaça son masque, remit en place les barrières psychiques qui la protégeaient. Elle oublia peu à peu la douleur qui sourdait tout au long de son corps. Elle avait si souvent mal qu'elle n'y accordait plus aucune importance, s'y étant habituée comme s'il s'agissait d'un état normal. Elle tourna de nouveau les filets avant de les saler, de les poivrer légèrement. Elle venait d'arrêter le four, s'apprêtant à sortir les pommes de terre, lorsque Neal réapparut dans la cuisine, les yeux vitreux, tenant à la main la bouteille de rhum, qui était maintenant à moitié vide.

— « Le dîner sera prêt dans un petit moment », dit-elle alors que tout son être se tendait. Viol ou coups ? Les deux étaient possibles.

— « Je suis désolé, mon amour, répondit-il, avec cet air contrit dont elle avait appris, au fil du temps, qu'il ne signifiait rien. Mais comme tu n'es qu'une orpheline, tu es si ignorante que je dois tout t'apprendre.
— Je sais. Tout va bien, chéri.
— Je n'avais même pas remarqué ce nouveau tee-shirt.
— Il y a longtemps, en fait, que je ne l'avais mis.
— Il te va bien.
— Merci.
— Tu n'as pas mis ta robe.
— Je suis désolée. Je faisais le repas et il fait un peu froid, ce soir.
— D'accord. Mais tu es si belle avec. Tu sais que je fais cela pour ton bien, n'est-ce pas ? Parce que tu es mon amour et que je t'aime.
— Je sais.
— Tu es censée dire que tu m'aimes aussi, remarqua-t-il en fronçant les sourcils.

Il lui embrassa la joue. Elle éteignit le feu sous les filets, à nouveau le prit par le cou, sans oublier de s'essuyer les doigts car cela provoquait sa colère. Cette fois, elle n'avait aucun doute sur ce qu'il voulait, avait deviné que le sexe du jeune homme était déjà en érection.

— « Je t'aime », mentit-elle en murmurant, sachant qu'il valait mieux, pour l'instant, que son corps évite un deuxième tabassage.

La main de Neal souleva le haut de la jeune femme blonde, qu'il ôta rapidement. Le froid la fit trembler. Le jeune homme s'aventurera sur ses seins, les pinça avec ferveur. Leurs pointes se durcirent, mais ce n'était que le froid ou la douleur, elle ne savait pas. Elle attendait seulement le moment où la souffrance deviendrait atroce, le moment où la souffrance s'arrêterait. Elle se concentrait afin de ne pas vomir, ne supportant plus l'haleine brûlante et alcoolisée de celui qui était son mari, dont les pressions devenaient de plus en plus fébriles, de plus en plus agressives au fur et à mesure qu'il parlait :
— « Bon sang, bébé, que tu es belle ! Tu l'as toujours été. Dès l'instant où je t'ai vue. Tu es à moi. Tu m'appartiens.
— Je pensais que tu avais faim », dit-elle, tentant de détourner son attention.

Elle détestait lorsqu'il l'appelait « bébé ». Non seulement parce que l'idée d'un viol sur un enfant la débectait, mais parce qu'un bébé était dépendant, ne pouvait dire ce qu'il souhaitait vraiment. C'était méprisant. Juste une autre manière de la dévaloriser.

— « Pour le moment, j'ai faim pour d'autre chose », susurra-t-il, tout en déboutonnant son jean.
— Pas ici, dit-elle tout en renversant la tête en arrière afin qu'il croît qu'elle le désirait. Dans la chambre.
— Je préfère sur la table.
— Et si quelqu'un nous voyait par la fenêtre ?
— T'es pas marrante.
— S'il te plaît. Ce serait gênant que les voisins se plaignent. »

Il se passa la langue sur les lèvres, avant de la traîner brusquement vers la chambre. Sitôt dans la pièce, il fut pris d'une véritable frénésie. Il la jeta sur le lit, lui baissa le jean jusqu'aux chevilles. À son tour, il se déshabilla. Elle put constater, sans surprise, avec amertume, qu'il était en érection. « Il faut que je mouille, il faut que je mouille », pensa-t-elle comme s'il s'agissait d'un mantra. Cela n'arriva pas : elle ne savait même plus ce qu'était le désir. Il arracha brutalement sa culotte. Elle ne put retenir un cri lorsqu'il s'enfonça en elle d'un coup violent et profond. Elle vit sur son visage le plaisir qu'il prenait à la pénétrer ainsi, sans préliminaire. Elle se reprit rapidement, pour dire les mots qui le feraient jouir immédiatement, afin que la douleur s'arrêtât au plus vite : « Oui, Neal, continue, prends-moi Neal, prends-moi, je suis à toi. Oui, Neal. » Dans cet ordre exactement. Tout en gémissant. C'était ainsi qu'il voulait la voir agir, convaincu qu'elle jouissait parce qu'il jouissait. Il le lui avait répété à maintes reprises : « Une femme ne jouit que si son mari a joui. » Il s'enfonça plusieurs fois, se délectant des exhortations qu'elle poussait. L'unique chose qu'elle souhaitait était qu'il terminât son affaire au plus vite. S'il n'y arrivait pas, il se mettait en colère. Les gifles et les coups de poing pleuvaient jusqu'à ce qu'il la retournât pour d'atroces pénétrations anales qui la faisaient saigner des jours durant.

Curieusement ce jour-là, la souffrance lui sembla moins vive, parce qu'elle ne voulait pas qu'il sache pour le téléphone portable, parce qu'elle serait bientôt libre. Lorsque le corps du jeune homme fut parcouru de spasmes, elle comprit qu'elle avait réussi. Elle lui caressa les cheveux, le berçait tout en murmurant : « Tu as été extraordinaire, mon amour ». Il s'endormit rapidement. Il s'endormait toujours après. Particulièrement s'il avait beaucoup bu. Particulièrement si elle le félicitait de ses 'prouesses' sexuelles. Durant deux heures. Ce sont des choses qu'elle avait remarquées au fil du temps. Elle s'en servait maintenant à son avantage. Elle le dégagea délicatement, afin de ne surtout pas le réveiller.
— « Je vais faire réchauffer le repas. Repose-toi, mon amour ».

Elle s'engouffra dans la salle de bain. Elle ne put atteindre les toilettes, vomissant à même le sol la bile qu'elle retenait depuis un trop long moment. Elle ne nettoya pas, préférant se jeter hâtivement dans la douche où elle rinça avec ardeur son vagin tandis que des larmes de rage et de douleur glissaient sur son visage. Elle utilisait l'eau la plus brûlante qu'elle puisse supporter, espérant que cette chaleur tue un maximum de spermatozoïdes. C'était une chose qu'elle avait lue : les spermatozoïdes ne supportent pas le chaud. Elle ne voulait surtout pas avoir d'enfant avec celui qu'elle ne considérait plus comme un être humain. Elle ne pouvait plus prendre la pilule, Neal refusant qu'elle voie un quelconque médecin, encore moins un gynécologue, aussi désirait-elle ne prendre aucun risque. Elle se sécha. Se mit diverses crèmes pour soigner ses plaies. S'il y avait une chose qu'il ne lui refusait jamais, c'était les produits pharmaceutiques. D'abord parce qu'il était extrêmement douillet, ensuite, parce qu'il craignait que l'on découvrît un jour qu'il la frappait régulièrement. Elle nettoya le sol avant de se rendre dans la cuisine.

Elle avait pu se rincer encore deux fois le vagin à l'eau chaude et avait fini de préparer le repas, lorsqu'il la rejoignit. Il lui dit qu'il l'aimait. Ensuite, après s'être servi un nouveau verre de rhum, il voulut que la jeune femme blonde s'assît auprès de lui afin qu'ils regardassent ensemble le programme qu'il avait choisi à la télévision, négligeant de la consulter. Ce qu'ils firent jusqu'à ce que vienne l'heure de se coucher. Il avait, durant ce moment, bu de nombreux gobelets de rhum. Le temps qu'elle se lave, — il voulait qu'elle sente bon avant d'aller au lit —, il s'était endormi. Elle retourna dans la cuisine où elle utilisa une bouteille de verre pour y mettre de l'eau bouillante. Elle la recouvrit d'un torchon afin de l'utiliser comme bouillotte. « Crevez, spermatozoïdes, crevez ! », se répéta-t-elle en s'allongeant tout en s'éloignant le plus possible du corps de l'homme qu'elle haïssait le plus au monde. Elle se releva au bout d'une heure, remit de l'eau bien chaude après s'être, encore une fois, lavée. Il y avait maintenant des années qu'elle dormait à peine, sans cesse réveillée par des cauchemars où les viols de son mari se répétaient sans cesse. Sans cesse obligée de s'éveiller car, lorsqu'il était à son travail, il exigeait qu'elle lui téléphona toutes les deux heures. »

Emma se tut, fermant les yeux un instant. Elle tentait, depuis des mois, de refouler les souvenirs de Neal, refusant de penser à lui. Elle réalisait soudainement que cela avait été vain, qu'ils étaient toujours aussi vivaces, aussi tenaces. Le fait, pourtant, d'avoir fait sa narration à la troisième personne lui avait permis de prendre de la distance, de ne pas s'effondrer. Elle n'avait pu, néanmoins, confier toutes les atrocités qu'il lui avait fait subir. Juste une partie. Elle sursauta, cependant, lorsqu'elle sentit deux mains douces se poser délicatement sur ses doigts. Elle s'était tant perdue dans ses pensées, qu'elle n'avait pas entendu Regina se glisser à ses genoux.
— « Pardon, murmura la jeune femme brune, en reculant pour s'asseoir à même le sol contre la rambarde de bois.
— Non, dit l'orpheline, se mettant à son tour à genoux.
— Je ne forcerai jamais. »

En se rapprochant de l'ancienne militaire, la jeune femme blonde vit des traces de maquillage sur le visage de cette dernière. Que celle-ci ait pu pleurer durant son récit bouleversa encore plus la serveuse, mais d'une manière fort différente. Elle prit à son tour les mains de la veuve, qui répéta doucement :
« Je ne te forcerai jamais.
— Je sais, dit la barmaid, alors qu'elle sentit les pleurs qu'elle avait retenus jusque là couler le long de son visage.
— Hé », fit la commerçante en glissant ses doigts pour les essuyer.

Une immense chaleur envahit Emma lorsqu'elle perçut la caresse. Sans comprendre comment, elle fut blottie dans les bras de Regina, tandis que coulaient des larmes silencieuses. La négociante la tenait doucement, la berçait tendrement, sans dire un mot, juste en étant là.

Ce n'était pas la première fois que l'ancienne militaire entendait de tels récits. Certaines des recrues qu'elle avait encadrées s'étaient engagées pour fuir des maris violents. Fuir ou se protéger. Ou apprendre à se protéger. Le processus pour se libérer devenait définitif lorsque la personne racontait son histoire. La jeune femme brune savait donc qu'il fallait que l'orpheline continue son récit. Quel que soit le temps que cela prenait. Quel qu'en soit la longueur. Mais le savoir n'empêchait pas la veuve d'avoir une boule à l'estomac. Elle avait beau avoir déjà pensé que le passé d'Emma était plein de souffrances, elle ne s'attendait pas à ce que ce soit si violent. Il ne s'agissait pas là d'une jeune soldate qu'elle aidait, il s'agissait d'une jeune femme à la sensibilité extraordinaire et dont elle était tombée, sans en avoir conscience, profondément amoureuse.

Elle caressait doucement les cheveux d'or de l'orpheline, ne s'offusquant nullement des larmes inondant sa poitrine. Elle devinait sans peine que ce n'étaient pas des pleurs silencieux pleins de rage et de colère, mais des larmes permettant à la tristesse de s'en aller peu à peu. Elle projeta, comme elle l'avait déjà fait auparavant dans la soirée, des ondes de douceur colorée vers sa compagne afin de l'apaiser, tout en sachant qu'il était fondamental que la barmaid pleurât. Elle se contenta ensuite de lui offrir un mouchoir, sentant peu à peu la jeune femme blonde se détendre, ses larmes se tarissant petit à petit. Elle fut pourtant fort surprise de l'entendre murmurer :
— « J'ai tâché ta tunique et ton mouchoir.
— Il y a des choses bien plus importantes qu'un mouchoir ou qu'une tunique tâchée, Emma. Et juste au cas où la question t'effleurerait, je suis parfaitement capable de laver mon linge sale. Il faut être complètement débile pour ne pas savoir le faire. »

Surprenant encore une fois Regina, la serveuse pouffa, partant finalement dans un fou-rire quelque peu hystérique. La veuve sourit, sans pour autant cesser de caresser la chevelure dorée : s'esclaffer était plutôt bon signe. Quelques soient les agissements de ce type, il n'avait pas détruit l'orpheline. Certes, à l'instant même, celle-ci était fragile, perdue. Mais ce n'était que pour l'instant. Très vite, elle découvrirait que cela l'avait rendue plus forte, et la commerçante se ferait une joie de le lui confirmer. Une fois calmée, la jeune femme blonde tenta d'expliquer :
— « Neal. Il me traitait tout le temps d'idiote, de débile. Mais il était totalement incapable de s'occuper de son linge. Il ne savait même pas faire cuire des pâtes.
— Alors que toi, tu as appris toute seule à gérer ton quotidien, car quelque chose me dit que ce n'est pas dans tes familles d'accueil que l'on t'a transmis ces connaissances. Le débile, en fait, ce n'est pas toi : c'est lui.
— Oui. »

Cette découverte sidéra totalement Emma. Elle n'avait jamais vu les choses de cette manière. « Je ne suis pas débile : c'est lui qui l'est. » Elle se répéta plusieurs fois cette phrase afin d'en appréhender la réalité. Elle se blottit plus encore contre le corps doux et rassurant de la jeune femme brune, avant de lever les yeux vers elle :
— « Je n'avais jamais envisagé ce point de vue. »

Regina se pencha pour lui ramener délicatement une mèche de cheveux derrière l'oreille :
— « J'ai l'impression que tu n'es pas prête de l'oublier.
— En effet. »

Jamais la jeune femme aux cheveux dorés ne s'était sentie aussi bien. Jamais personne ne l'avait ainsi tenue dans ses bras. Surtout en ne lui demandant rien en échange. Ses familles d'accueil voulaient, au mieux qu'elle soit invisible, au pire qu'elle serve de punching-ball. Lily, — elle l'avait compris trop tard —, n'attendait d'elle que du sexe et l'avait trompée parce qu'Emma ne se sentait pas encore prête pour passer à l'acte. Neal ne désirait qu'une esclave, y compris sexuelle. Regina ne quémandait rien, se contentant des instants qu'Emma lui offrait. Regina attendait qu'Emma soit prête. « Prête à quoi », s'angoissa soudainement la barmaid. La réponse lui sauta à l'esprit : « Prête à vivre. »

Elle plongea ses yeux d'émeraude dans la douceur d'ébène de l'ancienne militaire. Pour la première fois depuis le début de la soirée, ce fut l'orpheline qui initia un baiser. Ce n'était pas un baiser plein de passion ou de fougue. C'était un simple effleurement empli de promesses, léger comme une brise d'été. Un baiser plein d'amour et d'espoir. La négociante glissa un doigt aérien sur les lèvres de sa compagne, heureuse que celle-ci ait enfin pris l'initiative.

— « Tu as pris la bonne décision en t'en allant, dit-elle doucement.
— Je sais.
— Cela n'avait rien à voir avec toi, Emma. »

La serveuse fut une nouvelle fois surprise par la capacité de la commerçante à suivre le cheminement de ses pensées.
— « Bien sûr que si, répondit-elle. Je l'ai choisi, je l'ai épousé.
— Tu étais très jeune, trop jeune. Malheureusement, tu es tombée sur un manipulateur, qui a utilisé ta jeunesse et ton triste passé à son avantage. Je suis certaine que Neal est plus âgé que toi.
— Il a douze ans de plus que... Comment le sais-tu ?
— J'ai connu un sergent, qui était ainsi. La formation des jeunes soldats est assez dure. C'est important pour trouver ceux qui ont la carrure de survivre au front. Whale, — c'est son nom —, était toujours extrêmement gentil avec les recrues féminines, en particulier avec celles qui étaient très jeunes et très jolies. En particulier avec celles qui avaient un passé difficile. Il utilisait sa gentillesse pour les mettre dans son lit. Ensuite, il devenait totalement abject avec elles, faisant tout pour les détruire et les renvoyer de l'armée. Le sergent Whale n'a vraiment pas eu de chance lorsque je suis devenue sa supérieure. Il finira sa vie dans une prison militaire et j'en suis fort aise. Neal est semblable à lui, Emma. Cela s'appelle de l'abus de confiance. C'est une chose terrible que d'abuser de la confiance de quelqu'un. »

La jeune femme brune lisait sans peine le cheminement des pensées de sa compagne. Ce qu'elle avait compris en un instant avait dû prendre des mois pour que l'orpheline le perçoive. Elle effaça doucement les larmes qui coulaient sur le visage de la serveuse, sachant que cette dernière ne devait même pas avoir conscience de celles-ci. Le doute s'installa de nouveau dans les yeux d'émeraude :
— « Tu ne comprends pas.
— Alors, explique-moi.
— Je l'ai laissé faire, Regina. Marco m'avait dit de me méfier de lui mais...
— Excuse-moi de te couper. Qui est Marco ?
— C'était mon patron. C'est grâce à lui que j'ai pu partir plus tôt de ma dernière famille d'accueil. Bien que je ne fusse pas majeure, Marco m'avait signé un contrat de travail. Je venais juste d'avoir seize ans. Comme j'étais indépendante financièrement, j'ai pu quitter ma famille d'accueil. Je dépendais encore des services sociaux, en tous cas jusqu'à mes dix-huit ans, mais je pouvais choisir où habiter. Marco est mort alors que je venais d'avoir dix-huit ans. Une agression par un junkie.
— Tu étais en deuil lorsque tu as rencontré Neal ?
— Oui. Enfin, je ne sais pas. Je ne connaissais pas Marco depuis si longtemps que cela, mais c'était la personne la plus importante de ma vie. La seule personne de ma vie, en fait. Je n'étais pas triste, j'étais anéantie. Neal, quant à lui, était tellement gentil. Je le croisais constamment, comme si le destin tentait de nous rapprocher. Il me faisait sans cesse des cadeaux. Tout s'est passé si vite. Nous étions mariés alors que je n'ai même pas le souvenir d'avoir dit « oui ». Mais je l'ai fait. Et l'enfer s'est déclenché. »

L'ancienne militaire caressa doucement le dos de l'orpheline, tandis que cette dernière se perdait dans ses souvenirs. La négociante ne tenta pas de la sortir de son silence. Elle se contenta de murmurer :
— « Ces rencontres n'étaient pas dues au hasard, Emma. Encore moins au destin. C'était du harcèlement. Si tu n'avais pas été en deuil, si tu n'avais été si jeune, tu en aurais eu conscience. Ce type n'est pas seulement un vrai salaud, c'est également un véritable lâche.
— Peu importe. C'est trop tard maintenant. Non seulement il me tabassait, mais j'ai fait l'amour avec lui chaque fois qu'il en avait envie. En disant que je l'aimais alors que je mentais. Neal disait toujours que je n'étais qu'une sale pute, et c'est exactement ce que je suis. Je ne suis pas quelqu'un de bien, Regina. Je ne suis pas quelqu'un pour une Lady comme toi.
— Laisse la Lady décider ce qui est bien pour elle, Emma. Et si je te dis que tu es bien pour moi, dis-toi que c'est le cas, parce que j'ai toujours raison. »

La veuve souriait en affirmant cela, ses yeux plein de limonade qui pique, un sourire communicatif, plein de vie, qui, à son tour, fit sourire la jeune femme blonde, un sourire tremblant, mais un sourire quand même. La négociante redevint soudainement sérieuse, liant sa main à celle de la barmaid pour obtenir toute son attention :
« Écoute mon point de vue, Emma. Tu n'es pas, tu n'as jamais été, et tu ne seras jamais une « sale pute ». C'est un vocabulaire et une idée à bannir définitivement de ta vie. D'autant plus, lorsque ce jugement inepte est tenu par un être malfaisant, qui n'a, ni la capacité d'être humain, ni la capacité d'aimer. Il te violait. Tu ne faisais pas l'amour avec lui : tu avais la lucidité de te protéger pour éviter d'être tuée, car, vu la manière dont il te tabassait, c'est ce qui aurait fini par arriver. Il te violait car faire l'amour, c'est avoir le choix de dire « non ». Tu n'avais pas ce choix. Un viol n'est pas un acte d'amour, c'est un acte de haine et de mépris. De même, mentir pour se protéger n'est pas un mensonge. Tu as fait ce qu'il fallait pour survivre. Tu n'avais pas d'autres choix. Pour moi, la situation dans laquelle tu te trouvais est identique à celle d'un otage prisonnier de fous extrémistes. Normalement, la cavalerie aurait dû venir te délivrer. Mais il n'y en avait pas. Tu as été ta propre cavalerie, Emma. Cela démontre une grande force de caractère, pour laquelle j'ai la plus grande admiration. Tu aurais été un formidable soldat. »

La veuve se tut : elle savait qu'il fallait du temps pour que l'orpheline assimilât de tels propos, tout comme il faudrait du temps pour démolir les aberrations que le jeune homme lui avait fourrées dans la tête. Elle garda leurs mains liées, offrant à la jeune femme blonde toute la force et la sérénité dont celle-ci avait besoin. Que la serveuse lui laisse ainsi voir ses émotions lui paraissait un extraordinaire cadeau, alors que pendant des mois, celle-ci ne lui avait offert qu'un visage pâle et fermé, si rarement souriant.

— « J'ignore pourquoi je l'ai laissé faire, finit par confier la barmaid.
— Il y a diverses raisons, répondit Regina d'une voix extrêmement douce. Tu étais en deuil, tu étais jeune, tu étais seule, et, surtout, tu pensais qu'il t'aimait. Tu l'as cru lorsqu'il t'a promis de ne plus recommencer. Et ce, bien qu'il soit devenu de plus en plus violent, jusqu'à ce que tu finisses par comprendre que cela n'arriverait jamais, qu'il ne changerait pas. Tu l'as cru parce qu'il y a en toi une capacité que Neal n'aura jamais : la capacité d'aimer. C'est une capacité rare, Emma, qui vaut tout l'or du monde. De plus, tu ne voulais pas rompre ta promesse, ce qui est tout à ton honneur. Il n'y a pas de honte, cependant, à rompre une promesse qui n'a jamais été respectée. Tu as pris soin de ton mari jusqu'à l'abnégation. La réciproque n'est pas vraie. Nul ne peut rompre une promesse qui n'a pas été tenue. Enfin, j'y vois, quant à moi, une autre raison, une raison que tu vas détester. C'est lié à ton enfance. Tu as dit que tu avais l'habitude des coups, que tu avais été tabassée dans toutes tes familles d'accueil. Je pense que c'est pour cela qu'il t'a fallu du temps pour réaliser que Neal ne t'aimait pas : tu n'avais aucun moyen de comparer. Encore moins après qu'il t'ait enfermée, isolée de toutes les personnes qui auraient pu te montrer que les choses doivent se passer différemment. Crois-moi, Emma : Neal ne t'a pas choisie par hasard. Il y a une chose, cependant, que ce saligaud n'avait pas prévue. Si vivre en famille d'accueil ne t'a pas appris à reconnaître le véritable amour, cela t'a donné un immense atout : la capacité de survivre, de te fondre dans le décor, de disparaître. Telle une guerrière. »

L'orpheline était peu à peu devenue livide en entendant ces mots, ses épaules parcourues de légers spasmes. Regina s'en voulut immédiatement d'avoir dû blesser sa compagne, mais il était impératif que cette dernière comprenne jusqu'à quel point son mari était maléfique et jusqu'à point elle était plus forte que lui. La veuve aurait aimé la tenir dans ses bras plus fortement, mais elle sentait qu'il était préférable de laisser la crise s'estomper, ne voulant pas que la serveuse se sente agressée alors que celle-ci était si vulnérable. À nouveau, elle préféra attendre un signe de la barmaid.
« Je n'aurais pas dû te dire cela, murmura la négociante alors que sa gorge se serrait. Tu n'étais pas prête. Pardonne-moi, mon amour. Mon bel amour. »

Les mots pénétrèrent néanmoins l'esprit bouleversé de la jeune femme blonde, perturbant encore plus ses émotions. Elle se blottit encore plus fort contre le corps de la militaire, gobant la douceur et la force que celui-ci lui offrait, souhaitant de tout son cœur que la commerçante lui rende son étreinte. Comme si elle l'avait entendue, la négociante l'enserra tendrement, caressant longuement son dos, sa chevelure. Lorsqu'Emma remonta pour se mouvoir vers les épaules de sa compagne, elle fut étonnée de constater qu'encore une fois, Regina pleurait pour elle.

— « Tu pleures, dit-elle à mi-voix. Je n'aurais jamais dû te raconter tout cela.
— Au contraire. Je suis heureuse que tu aies eu suffisamment confiance en moi pour me parler enfin de toi.
— Mais tu n'avais pas besoin de savoir en détail tout ce que j'ai dû faire.
— Ne t'inquiète pas pour cela. Je t'ai dit que je voulais tout savoir afin de ne jamais te faire de mal. Je ne plaisantais pas. Ce n'est pas mon genre. De plus, je peux tout entendre car être militaire m'a permis de rencontrer des gens tout aussi blessés que toi. Voilà pourquoi je peux t'affirmer qu'un jour, – bientôt –, tout ceci sera du passé. Y compris ce que tu ressens lorsque tu penses à lui.
— Je le déteste tellement, mais je me déteste encore plus. Tu dois comprendre que je suis mieux seule. Que je ne corresponds nullement à l'image que tu as de moi. Que je ne suis pas la femme que tu croies connaître. »

Réalisant qu'Emma était de nouveau au bord des larmes, Regina décida qu'il était temps de la sortir de cette spirale d'autodénigrement. Elle se détacha de la jeune femme blonde, en lui murmurant :
— « Viens. »

Elle se leva, inclina la main afin de l'aider à se mettre debout. Elles restèrent un instant à se regarder, quelque peu ankylosées. Lorsque la veuve remarqua que la serveuse avait la chair de poule, elle lui frotta tendrement les bras afin de la réchauffer.
« Viens, répéta-t-elle. Tu as froid et je pense qu'il est temps que nous passions par la salle de bain. »

L'ancienne militaire sentit sa compagne hésiter, comprit qu'il était difficile pour celle-ci de passer de l'ombre à la lumière. En son fort intérieur, la négociante réprima sa colère envers celui qui avait démoli le peu d'estime de soi que se portait la barmaid, se contentant de le maudire. Elle s'approcha de la porte-fenêtre pour l'ouvrir. Elle se tourna vers l'orpheline, lui tendit la main :
« Viens, dit-elle doucement. Mon maquillage a coulé. J'aimerais me laver le visage, tout comme toi, je suppose. Et si tu préfères que je ne te regarde pas, je te promets que je ne le ferai pas. Par ailleurs, la nuit fraîchit. Je crois donc qu'une tisane ou un bon café s'imposent. »

Cette dernière phrase arracha un pâle sourire à la jeune femme blonde. Elle prit la main que la brune lui offrait, se laissa délicatement entraîner vers la salle de bain. La veuve respecta la promesse qu'elle avait faite, ne regardant aucunement la serveuse, de même qu'elle la laissa seule lors de ses ablutions.

Lorsqu'Emma se retrouva seule devant le lavabo, elle réalisa qu'elle se sentait curieusement sereine. Totalement perturbée, mais sereine. L'eau lui avait fait du bien et, bien que les réactions de Regina l'aient sidérée, savoir la jeune femme aux cheveux d'ébène derrière la porte la rassurait.
— « Puis-je entrer ? demanda cette dernière.
— Oui. »
L'orpheline allait sortir lorsque la négociante dit :
— « Reste. »

Après s'être passée de l'eau sur le visage, la commerçante prit doucement Emma par les épaules afin de les diriger toutes les deux vers le miroir :
— « Je voudrais te montrer ce que je vois. Tu te vois comme quelqu'un qui ne pouvait s'enfuir. Quelqu'un qui devrait éprouver de la honte ou de la culpabilité face à une situation inextricable. Je vois, quant à moi, une jeune femme intelligente, sensible, particulièrement belle. Elle a traversé l'enfer, mais s'en est échappée, faisant preuve d'un courage comme on en voit peu, sans pour autant perdre son humanité et sa douceur, ce qui est encore plus rare. C'est cette jeune femme, Emma, que tu dois voir lorsque tu te regardes dans la glace. Car c'est la seule qui soit réelle. »

La serveuse baissa la tête, comme si elle ne supportait pas son propre reflet. Mais la commerçante lui releva doucement le visage, la poussant tendrement à s'observer de nouveau dans le miroir :
« La seule qui soit réelle, Emma. »

La négociante glissa ses doigts dans ceux de l'orpheline, remonta leurs mains pour qu'elles caressent les yeux, les joues, la bouche de la jeune femme aux cheveux d'or tout en lui répétant :
« La seule qui soit réelle. »

Finalement l'orpheline se détacha, se retourna vers la veuve, la regarda attentivement, cherchant quelque chose qu'elle ne trouva pas.

— « Tu le penses vraiment ?, demanda-t-elle au bout d'un moment.
— Oui. Crois-tu que je pourrais tomber amoureuse de n'importe qui ? Tu es la femme que j'aime, Emma. N'en doute jamais. »

La brune s'approcha de la blonde, s'assura d'avoir dissipé toutes ses craintes avant de se pencher pour l'embrasser. Ce fut bref et d'une douceur extrême.

« Ma belle guerrière pense-t-elle que nous pouvons aller boire ce café, maintenant ? D'autant plus que j'ai remarqué dans son charmant salon un canapé qui nous tend les bras. »

Emma resta immobile en entendant le surnom. « Ma belle guerrière. Regina l'avait appelée 'ma belle guerrière'. Plaisantait-elle ? Elle n'en avait pas l'air. D'autant, que ce n'était guère dans sa nature. » L'orpheline regarda l'ancienne militaire qui l'attendait, patiemment, sérieusement, près de la porte.

— « Emma, s'inquiéta cette dernière, tout va bien ?
— Oui. »

Une fois dans la cuisine, la jeune femme aux boucles d'ébène refusa de laisser sa compagne s'occuper du café, prétextant qu'elle voulait remercier son hôtesse pour son si délicieux repas. En réalité, la négociante avait constaté que la serveuse était plongée dans l'une de ses si habituelles introspections et la veuve pensa nécessaire de ne pas troubler l'orpheline. Dans le canapé, elles s'installèrent face à face, proches néanmoins. Savourant le chaleureux breuvage, aucune des deux ne ressentit le besoin de parler. Très vite, cependant, elles ôtèrent leurs chaussures afin de se blottir l'une contre l'autre, la blonde dans les bras de la brune.

Lorsque Regina sentit sa guerrière se détendre contre son torse, s'y enfouir tendrement, cela réveilla en elle, comme précédemment dans la soirée, des émotions qui avaient disparu depuis le décès de Daniel. Emma, quant à elle, avait l'impression que le corps de la veuve était un immense baume guérissant tous les coups et les blessures qu'elle avait pu recevoir tout au long de sa vie.

— « Je suis bien ici, murmura-t-elle doucement.
— Moi aussi, Emma. Cela ne m'était pas arrivé depuis fort longtemps. Sache que tu n'es plus seule dorénavant. Mon unique regret est que tu aies dû traverser un tel enfer. Un jour néanmoins, lorsque tu te sentiras prête, il faudra que tu racontes ton passé à quelqu'un d'autre que moi. À des personnes compétentes. Parce que c'est le seul moyen de te débarrasser de Neal.
— Je ne pense pas que cela soit un jour possible, Regina. Quelque soit l'amour que je te porte, quelque soit celui que tu me portes, un jour je serai obligée de disparaître de Storybrooke.
— Pourquoi ? Parce que tu penses qu'il est à ta recherche ?
— C'est évident. Et il ne s'arrêtera jamais.
— Pour quelle raison n'as-tu pas appelé la police ? Ce doit être une sacrée raison pour que tu ne l'aies pas fait.
— Je l'ai fait une fois, soupira la jeune femme blonde.
— Il me semble impossible que les policiers ne l'aient pas arrêté.
— Neal m'avait prévenue que cela ne servirait à rien de les appeler. Et il avait raison.
— Je ne comprends pas.
— C'est un flic. », avoua Emma.

Regina se figea, comprenant tout maintenant.

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