Chapitre 8
Dao.
« Tu veux te regarder un film en mangeant ? je propose en voyant une notification Netflix sur mon téléphone.
- Grave ! On se met sur ton lit ?
- Installe-toi, je mets les nouilles sur un plateau et c'est parti. »
Il attrape son oreiller et va le positionner à côté du mien qu'il relève, j'apporte le plateau et ouvre mon ordinateur. Nous choisissons rapidement le film, le tout dernier sorti, comme ça, nous sommes sûrs qu'aucun de nous ne l'a vu et nous le lançons.
Nos bras nus se touchent et cela suffit à mon cerveau pour se mette dans tous ses états. Suis-je un adolescent en chaleur ou un jeune adulte ? Sérieusement ! Nous rions ensemble devant le film et finissons presque avachis l'un sur l'autre. Ai-je le droit d'y voir une avance ? Je veux dire, il sait que je suis gay, il sait que je sais qu'il est bisexuel... A moins qu'il soit très tactile avec tous ses amis, mais cela m'a plutôt l'air de se limiter à Issam.
Je décide d'arrêter de réfléchir à ça pour ce soir et de profiter du moment. Une fois le film fini, nous papotons de tout et de rien, toujours sur mon lit et Meng s'allonge, tout à fait à son aise. Visiblement, il n'est pas du genre timide ! Cela me change des personnes qui me fuient, pour le coup. Sa tête est calée sous mon bras et ma main touche ses cheveux, doux, soyeux. Comme mû par un réflexe, je commence à les caresser doucement alors que nous continuons de discuter, il ne bouge pas, ne vacille pas.
« Tu as des rêves d'avenir ?
- J'aimerai continuer en tant qu'acteur mais à plein temps, peut-être passer aussi derrière la caméra, j'écris pas mal de scripts mais en tout cas, j'espère pouvoir rester dans ce milieu.
- Tu es un amoureux de show-bizz ?
- On peut le dire comme ça, je ne sais pas, j'aime juste vraiment ça. Pour moi c'est un plaisir, un loisir, plus qu'un simple boulot.
- C'est génial de pouvoir gagner de l'argent en faisant quelque chose que tu aimes, affirme-t-il, l'air soudainement pensif.
- Et toi ?
- Oh, je veux fonder une famille et avoir assez d'argent pour rendre ma femme ou mon mari et mes enfants heureux.
- C'est un joli rêve.
- Peu original.
- Mais joli.
Nous échangeons un sourire. J'allais enchaîner mais la porte s'ouvre dans un grincement et Issam ne tarde pas à arriver, il mime d'être exagérément choqué de nous trouver dans cette position et on ne peut qu'éclater de rire devant son expression. Meng se redresse et je repose mon bras sagement sur mon genou.
- Dis donc, je m'absente cinq minutes et ça flirte déjà ?
- Tu utilises encore le verbe flirter ? se moque Meng.
- Ne joue pas sur les mots ! Ah, je vous jure.
- Le boulot s'est bien passé ?
- Hm, quelques petits problèmes, pareil que d'habitude, la routine.
Tiens, j'ai comme l'impression d'être devenu de l'air. Je me racle la gorge pour signaler ma présence.
- Désolé, désolé, je t'ai dit qu'on t'en parlerait !
- Ce soir ? s'étonne Issam.
- Pourquoi attendre ?
- Si tu veux mais vous me laissez me doucher avant et me changer avant, je pue la clope. Meng, viens m'aider, s'il-te-plaît.
- A te doucher ? plaisante-t-il.
- Idiot ! Viens juste.
- Ok, ok, désolé Dao, à tout de suite.
- Hm. »
Je lève les yeux au ciel. Je suis vraiment curieux de savoir mais je ne vais pas non plus les supplier ou leur en vouloir. Nous ne nous connaissons pas encore vraiment, ce serait un peu osé de ma part de leur demander de me raconter leur vie. Mais j'ai comme l'impression qu'ils portent un poids difficile et qu'ils leur seraient peut-être bénéfique de le relâcher un peu. Puis, la plupart des étudiants gardent leur chambre pour plusieurs années, je ne compte pas bouger non plus alors si nous voulons partir sur de bonnes bases pour nos années universitaires, mettre toutes les choses à plat permet d'être certain de ne pas créer de problème pour plus tard.
Je traîne sur mon téléphone, les garçons sont sur le balcon, ils discutent depuis un moment maintenant. Au bout d'une dizaine de minutes, Issam sort et m'adresse un petit sourire crispé avant de filer à la salle de bain. Quelques cris ont filtré par la baie vitrée mais je n'ai pas pu entendre leur conversation. Peut-être n'est-il pas d'accord pour que je sois mis au courant ? Je verrais bien ce qu'ils décident et je m'adapterai, ce n'est pas urgent, ils peuvent m'en parler plus tard s'ils le souhaitent.
Je vois Meng tirer énergiquement sur sa cigarette, visiblement de mauvaise humeur. J'hésite à aller le voir mais je me décide à le laisser se calmer seul, tout cela ne me regarde pas, je ne voudrai pas avoir l'air trop intrusif. Je ne savais pas qu'il fumait, dommage, cela enlève un petit peu à son charme, je déteste l'odeur du tabac.
Une fois qu'il a terminé, il rentre enfin à l'intérieur, tremblotant de froid.
« Tu prends le risque de tomber malade.
- J'avais chaud en fumant, je ne me suis pas rendu compte du froid.
- Pas bien de fumer, je grommelle.
- Oui, papa. Ce n'est qu'occasionnel.
- Même.
- Désolé papa.
- Eh, arrête de te moquer de moi !
- Je rigole, je rigole. »
Il enfile un pull, se sert un verre d'eau et s'assoit sur un des poufs à la petite table, je l'observe par-dessus mon téléphone. Le seul bruit que l'on entend est l'eau de la douche qui coule.
Meng.
Issam brise le silence de la pièce en sortant de la salle de bain, les cheveux trempés et dégoulinants. Il vient s'asseoir sur le pouf à côté de moi et laisse tomber sa tête en arrière, sur la vitre.
« Issam, tu vas être malade, reproche Dao.
- Pourquoi ? s'étonne naïvement celui-ci.
- Tes cheveux ! Tu es juste devant la baie vitrée en plus, tu devrais les sécher.
- J'ai la flemme d'aller chercher une serviette, gémit-il avant de bailler.
Comme d'habitude, il rentre éreinté du travail. Dao se lève alors, part chercher une serviette dans la salle de bain et lui lance dessus.
- Je n'ai pas envie de t'entendre renifler toute la nuit si tu attrapes froid, explique-t-il.
Issam grogne pour la forme mais accepte le tissu et entreprend de frotter sa chevelure rebelle.
- Je n'en peux vraiment plus de cet endroit, ils ont réussi à me mettre de mauvaise humeur pour la soirée, râle-t-il encore.
- Tu ne l'as pas choisi, c'est sûr, patiente encore un peu, ça va vite se régler.
Dao nous regarde sans rien dire. A sa place, je me serai agacé d'être laissé à l'écart de cette façon, parler de quelque qu'il ignore devant lui sans plus d'explications, c'est vraiment malpoli.
- Il est peut-être temps d'éclairer notre nouvel ami, non ? je tente, sur un ton comique pour essayer de rendre la chose moins tragique.
- Hm, qu'est-ce que tu veux savoir Dao ?
- Tout ce que vous voulez bien me dire, réponds simplement celui-ci en hochant les épaules.
- Si je me rappelle ce que tu as dis plus tôt dans la soirée, le boulot de Issam, le mien et pourquoi on est proches au point de dormir ensemble ?
- Hm, c'est un bon résumé. Mais je ne veux pas vous forcer à vous confier, on ne se connaît pas encore beaucoup, je peux attendre.
- Tu n'as pas envie de savoir ?
- Si, évidemment.
- Plus tôt ce sera fait, plus tôt on sera débarrassé. A toi de voir ensuite si tu n'as pas peur que nous entachions ta réputation si tout ça vient à se savoir, j'explique.
Il fronce les sourcils, sûrement encore plus curieux. Je me tourne vers Issam, espérant qu'il se lance mais il ne semble pas du tout en avoir l'intention.
- Tu racontes, tu es plus doué que moi pour résumer les choses clairement.
- Tsss, t'abuse.
- Je suis trop fatigué.
- Trouillard, surtout.
- Ferme-là.
Après cet échange plein d'amour fraternel, je prends une grande inspiration et me tourne vers Dao, même si parler de ces évènements fait remonter de mauvais souvenirs, cela fait du bien de pouvoir le dire. En plus, j'avoue avoir hâte de voir sa réaction. Bien évidemment, nous ne comptons que lui dire les grandes lignes, il n'a pas non plus besoin de tout savoir, disons que je vais essayer de parler de la situation actuelle sans dire comment nous en sommes arrivés ici.
- Je fais faire ça vite, nos activités ne sont pas très légales pour une partie. Issam est le gérant d'un bar/hôtel de la nuit, si tu vois le genre, je ne pense pas avoir besoin de te faire un dessin. Il en a hérité de ses parents et il se retrouve coincé avec sur les bras, le fermer reviendrait à mettre à la rue des dizaines de personnes, ceux qui y travaillent n'ont nulle part où aller et le vendre, on essaye, mais c'est compliqué. On a pas mal de dettes à rembourser, justement à cause de trucs illégales qui nous sont tombés dessus et ce qu'on touche ne suffit déjà pas.
Dao nous fixe à tour de rôle sans rien dire, intégrant les informations. Il n'arrive pas à cacher sa surprise et son inquiétude, comme si nous venions de lui révéler un secret d'état. Nous vivons dans ce milieu si longtemps, à vrai dire nous y avons grandi, que c'est devenu ma normalité. Je me demande comment il va réagir ? Lui qui vit dans le monde du jour, sous les lumières des projecteurs, tandis que nous préférons nous cacher dans la nuit.
- C'est le bar d'Issam mais tu parles de « vos dettes », finit-il par relever.
- Nous sommes tombés dans cette merde ensemble, peu importe si c'est le nom d'Issam sur le papier, nous gérons ça à deux.
- Mais ce bar/hôtel, en soit, il est légal, non ?
- Oui mais les « services supplémentaires » qui y sont offerts ne le sont pas.
- Je vois...
- Pas trop choqué ?
- Si, plutôt ! Je veux dire, comment s'attendre à un truc pareil ? Je suppose que si vous ne faîtes que le gérer, ça va mais tout de même... C'est bizarre à entendre.
Que le gérer, hm. Je m'amuse de ce détail, nous avons bien fait de ne pas tout lui dire. C'est trop tôt. En fait, ce serait même mieux s'il ne l'apprenait jamais.
- Si cela te met trop mal à l'aise, on peut déménager, si jamais cela se sait, ça risque de nuire à ta réputation et ton boulot, propose Issam, ouvrant enfin la bouche.
Dao semble réfléchir comme heurté par la réalité.
- Je ne crois pas que ce soit nécessaire, ce n'est qu'un travail, cela n'a rien à faire avec moi. Tant que je ne me retrouve pas entraîné, je ne vois pas pourquoi vous devriez partir.
- Merci. Nous ne comptons pas du tout t'embarquer, pas de panique, mais on préfère te le dire maintenant plutôt que tu le découvres plus tard et nous en veulent.
- Oui, merci de me l'avoir dit, je préfère savoir. »
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