Chapitre 14
« Allô, oui ?
- Comment tu vas mon fils ? s'enquiert ma mère d'une voix guillerette.
- Très bien, tout se passe bien, et vous ?
- Nous ça va mais tu manques beaucoup à tes sœurs, tu comptes venir quand ?
- J'ai les examens dans deux semaines, j'essaierai de venir passer quelques jours ensuite mais tu sais bien que c'est compliqué.
- Je sais, emmène Issam si vous arrivez à vous libérer tous les deux. Sinon, on viendra vous voir sur place.
- Je vais essayer d'organiser ça, promis.
- Et le bar ? interroge-t-elle d'une voix tout de suite moins enjouée.
- Les chiffres sont bons, si cela continue comme ça, on va pouvoir commencer à chercher un acheteur.
- Faites-le dès maintenant, combien de fois ai-je dit que nous payerions les dettes de Ahmed et Faustine ?
- June et Mona sont trop petites, je veux que vous gardiez cet argent pour les filles, au cas où elles en aient besoin un jour. Issam et moi gérons.
- Nous ne supporterons pas cette situation éternellement, on a déjà eu tellement de mal à vous en sortir.
- Je sais maman. Nous ne retomberons pas dedans, ok ? Nous allons nous en occuper rapidement et tout s'arrangera.
- Hmm, oui.
- Tu veux parler à Issam ?
- Bien sûr, mes deux fils me manquent.
Je souris, elle a toujours considéré Issam comme le sien. Ils ont toujours tout donné pour lui autant que pour moi, c'est grâce à eux que nous nous en sommes sortis et n'avons pas fini hôtes. Je ne les remercierai jamais assez de leur aide et j'aimerai les rendre fier, arrêter tout ce bordel. Encore un peu de patience, papa, maman, je vais le faire.
- 'Sam ? Maman veut te parler !
- J'arrive !
Il ne tarde pas à apparaître, un grand sourire à l'idée d'avoir ma mère au téléphone et je lui tends mon portable.
- Maryse, quoi de neuf ? Comment vont mes petites sœurs adorées ?
Je rentre à l'intérieur et voit Dao, abandonné, alors qu'il enseignait à Issam.
- Désolée, ma mère a un boulot prenant alors c'est rare qu'on puisse l'avoir au téléphone.
- Je comprends, elle semble très bien connaître Issam.
Je ne peux m'empêcher de rire à cette remarque.
- Issam est mon frère, le frère de mes sœurs, le fils de mon père et son fils. Lui et moi, c'est la même famille.
- Mais...
Il hésite et je devine ce qu'il veut demander. Et les parents d'Issam ?
- Les parents d'Issam sont décédés dans un accident il y a presque trois ans. C'étaient les gérants du bar, il en a donc hérité à seize ans. Son oncle l'a géré pendant presque deux ans avant de partir vivre à l'étranger avec le petit frère d'Issam, et c'est à partir de là que nous avons pris le relais.
- Je vois, je suis désolé pour lui.
- Ce n'est rien, tu peux lui en parler si tu veux, il n'est pas du tout fermé sur le sujet. Il n'était pas très proche d'eux car depuis petits, ils essayaient de nous maintenir le plus possible de leurs affaires, ce sont donc mes parents qui nous ont élevés, ils ont pris Issam sous leur aile.
- Je comprends mieux. Mais pourquoi Issam a-t-il été séparé de son frère ?
- Pour ça, c'est encore trop tôt pour t'en parler. Mais depuis un an, nous n'avons plus aucune nouvelle de son oncle et de son frère, qui doit avoir cinq ans maintenant.
- Comment il s'appelle ? interroge-t-il, l'air profondément touché par cette histoire.
- On ne le sait pas.
- Vous ne savez pas son nom ?
- Je te l'ai dit, c'est encore trop tôt pour que tu saches tout, désolé. »
Il hoche la tête, essayant de se montrer compréhensif malgré ses interrogations. Issam revient dans la chambre, me rend mon téléphone et se remet à travailler avec Dao comme si rien ne s'était passé.
Dao.
Deux semaines sont passées, nous avons pris notre petit rythme de vie, nous essayons de manger tous les trois au moins deux soirs et je vais courir avec Meng une fois par semaine. Le reste du temps, on se croise à l'appartement ou on est trop fatigués pour discuter, c'est donc plutôt la journée à l'université, que nous échangeons vraiment.
Nous sommes samedi matin et je me suis levé tôt, aujourd'hui, j'ai une grosse journée de fin de tournage ! J'aime beaucoup les fins de tournage car c'est un moment de fête, un relâchement après plusieurs semaines de travail mais c'est aussi la tristesse de savoir que n'aurons peut-être plus l'occasion de se plonger dans ce charactère à nouveau ou de travailler avec certains des membres de l'équipe. Je m'attache vite à eux. Nous irons sûrement fêter ça tous ensemble ce soir, cela m'évitera de passer un nouveau samedi soir seul, puisque Meng et Issam sont toujours fourrés au bar ce jour-là.
Je vais donc au boulot. Tout le monde est un peu sur le qui-vif.
« Une fois qu'on a fini, on a trouvé une bonne adresse à vous montrer !
- Ohhh, quel genre ?
- Un bar avec des danseurs, qui proposent des services complémentaires en plus, après aucune obligation pour ceux qui ne veulent pas.
- C'est vers où ? je demande, par simple précaution.
- Quatre ou cinq kilomètres au Nord d'ici il me semble, un ami m'a donné l'adresse mais j'ai pas trop regardé.
Parfait, c'est l'opposé de la direction du dortoir, c'est donc situé bien trop loin pour être le bar des garçons, ils m'ont affirmé qu'il n'avait que vingt minutes de bus pour s'y rendre.
- Et il est vraiment bien ? Pourquoi vous ne voulez pas aller au même que d'habitude ? Il est pas mal, se plaint Fabian.
- Celui-ci est mieux, ils s'occupent de nos amis gays aussi. Dans le bar habituel, ils ne peuvent pas profiter, là, c'est pour tout le monde ! »
Aussitôt, trois autres membres de l'agence à l'orientation sexuelle identique à la mienne poussent un cri de joie et je ne peux m'empêcher de sourire, même si ce genre d'endroit, ce n'est pas mon truc et que je ne fais jamais plus que d'y boire, c'est rare qu'il y ait des services gays.
Tout le monde valide donc l'idée et nous nous mettons au travail sous les ordres du producteur, lassé de nos bavardages. Enfin, il se donne l'air mais ce soir, je suis sûr que ce sera le premier à sauter dans sa voiture.
La journée est épuisante, Fabian est beaucoup trop excité et oublie son texte, nous sommes obligés de rejouer une de nos scènes presque dix fois par sa faute. Il s'en excuse mais s'enfuit bien loin en voyant mon air courroucé. La fatigue se fait sentir dans mes muscles aussi et je commence à douter de pouvoir sortir ce soir jusqu'au moment où on annonce la fin de tournage. Les cris de joie, les accolades et les félicitations semblent me remettre d'aplomb en quelques secondes seulement, l'alcool aidera sûrement aussi une fois au bar.
Nous prenons le minimum possible de voitures, nous nous organiserons ensuite avec ceux qui rentrent, deux d'entre nous ne boivent pas et devraient donc pouvoir ramener les autres. Nous aimons bien sortir de temps à temps, quand je me suis engagé en tant qu'acteur, je pensais devoir faire une croix sur les sorties de ce genre mais finalement, j'y suis sûrement allé plus souvent que je n'y aurai été sans. Nos managers s'occupent de faire un peu peur aux patrons pour être sûr qu'aucune image ne soit diffusée sans notre accord et le tour est joué. Ce genre d'endroit évite à tout prix les problèmes.
Nous arrivons devant une devanture grossière avec des néons roses qui piquent les yeux. Même si rien n'est écrit sur la porte, il n'est pas difficile de deviner de quel genre d'endroit il s'agit. « Lovers bar », le nom est assez explicite aussi.
A peine rentrés, nos managers sautent sur le barman pour lui demander de voir les responsables, nous patientions gentiment derrière.
« Vous ne voulez pas vous asseoir à une table avant ? Je vous en envoie un dans deux minutes.
- Hm mais faites vite.
- Ouais, ouais. Prenez la table près de l'entrée, c'est la seule assez grande pour vous qu'il nous reste et vous aurez une belle vue sur la scène et les danseurs. Les spectacles commenceront dans une demi-heure.
- Ok et pour les commandes ?
- Le responsable les prendra après vous avoir vu.
- On veut un gérant, pas un serveur.
- Y a deux gérants, ça sera un des deux, ici tout le monde fait tout, ils participent aussi. Maintenant allez-vous asseoir, les autres clients attendent. »
Nous allons nous installer à la table, le barman sort un talkie-walkie et marmonne dans l'appareil entre deux boissons. Il doit prévenir les gérants. Le gars qui nous a conseillé le bar a affirmé qu'il était au Nord de l'agence mais au vu de la direction que l'on a prise, je pense qu'il s'est trompé. Un bar avec deux gérants... Il n'y en a pas tellement dans les alentours. Si jamais c'est le bar de Meng et Issam ? Que dois-je faire ? Après tout, je n'y suis pour rien, je ne suis qu'un client. Je ne sais pas trop quoi en penser.
Je me penche vers Jérôme.
« Je commence à me demander si ce n'est pas le bar de mes potes.
- Merde, tu crois ?
- Y a des chances, attendons de voir le gérant et nous saurons. »
Je n'ai pas besoin d'attendre longtemps et je donne un petit coup de coude à Jérôme lorsque Issam se plante devant la table, l'air morose. Mon manager comprends aussitôt et soupire, c'est trop tard. Celui-ci me remarque, hausse un sourcil mais reprend bien vite son air neutre pour se tourner vers les autres.
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