Chapitre 11

Meng.

Nous patientons moins de dix minutes avant que madame Richemont ne revienne, elle ne nous dit rien mais s'assoit entre nous à notre surprise. Nous attendons qu'elle se décide.

« Nous en avons parlé entre nous. L'université décide de vous faire confiance, Meng s'annonce comme un très bon élève et il serait idiot de tout gâcher à cause de ça. Issam nous attendons de toi que tu fasses tes preuves et nous montre de quoi tu es capable, il est d'autant plus important de te donner une bonne image, d'accord ? Nous allons vous laisser agir à votre guise mais vous devez vous assurer de régler cette affaire rapidement et de vous en libérer. Si les choses changent et l'université entend parler de vous ou de votre bar en mal, des mesures seront prises alors prenez soin de vous les garçons. J'ai compris à la lecture de votre dossier, rempli de similitudes, que vous vous connaissiez depuis petits et je pense qu'il est important que vous profitiez de cette proximité pour vous assurer du bon comportement de l'autre. Je n'ai rien de plus à dire, était-ce clair ?

- Oui, merci madame, nous sommes désolés de causer du trouble.

- Un héritage n'est pas toujours un cadeau, vous n'y êtes pour rien. Sur ce, je vous laisse, ne vous prenez pas la tête avec ça, d'accord ?

- D'accord, encore merci. »

Elle s'éloigne en faisant claquer ses talons hauts et nous prenons une grande bouffée d'air. Nous échangeons un regard entendu avant de nous lever. Sans que je m'y attende, Issam m'offre un câlin et se serre fort contre moi. Je lui caresse les cheveux pour l'apaiser en lui rendant l'étreinte, je n'imagine pas la peur qu'il a eu. Pouvoir étudier à l'université est la seule chose qui lui reste, si on lui enlève, il se verra obligé de vivre au bar et d'y travailler à plein temps malgré lui.

Nous nous espaçons et prenons le chemin de la sortie, sans rien dire. Nos gorges sont encore trop nouées. Nous n'avons pas cours avant midi et il est neuf heures trente. Le bar est fermé la journée mais pas l'hôtel, nous décidons donc de nous rendre sur les lieux, Issam a des papiers à signer, comme toujours et je vais profiter de la salle de sport.

Nous prenons le bus et arrivons en une trentaine de minutes sur les lieux, ce n'est pas trop loin ni trop près de l'université, de jour l'endroit fait assez délabré, la devanture ne donne pas envie lorsque les néons ne sont pas allumés. Nous nous faufilons par l'entrée de derrière, à cette heure-là, les premiers clients de la nuit commencent à quitter les chambres et nous n'avons pas vraiment envie de les croiser.

« Salut les gars, la forme ? interroge Tom en nous voyant arriver.

Tom a trente-cinq ans, c'est notre barman, c'est le seul qui vit ici sans pour autant être un « hôte ». Nous lui faisons pleinement confiance et en échange d'être logé gratuitement, il nous aide dans la gestion, c'est à lui que les gens s'adressent quand nous ne sommes pas là. Une sorte de sous-directeur même si son rôle n'est pas précisé.

- La forme et toi ?

- Pareil, pareil. La nuit a été bonne.

- Dis-moi les chiffres, exige Issam en s'asseyant sur le canapé.

Je prends place à côté de lui. Quand nous sommes ici, lui aussi, adopte un visage et un ton différent. Il ressemble vraiment à un patron d'entreprise et plus à un étudiant fainéant et retardataire.

- Sept des quinze filles ont gardé quelqu'un et dix des douze mecs.

- Pas mal, pourquoi autant de monde en semaine ?

- Tout une entreprise a débarqué hier soir pour fêter la fin d'un gros projet, je pense que dix d'entre eux, au moins, sont restés pour la nuit.

- Que des hommes ?

- Non, cinq femmes aussi, elles ont pas mal dépensé.

- Tant mieux, les filles dépensent souvent plus. Tu penses qu'ils reviendront ?

- Il y avait deux gays parmi eux, ils ont été super heureux de voir qu'une bonne partie des hôtes sont bi' et ils ont dit qu'ils ramèneraient des potes ici.

- Bien, je t'avais dit que ça allait marcher, l'information circule vite, je me félicite.

En effet, j'ai accentué ce trait de notre bar ces derniers temps pour attirer les clients. Nos hôtes couchent tous avec les deux sexes, certains sont réellement intéressés dans les deux, d'autres sont homosexuels ou hétérosexuels mais ils ont été embauché pour avoir affirmé qu'ils n'étaient pas dérangé dans l'idée d'avoir des relations avec les deux sexes. Ils n'y sont pas obligé et nous connaissons ceux qui l'apprécient le moins, ne les recommandons pas aux clients. Pour le reste, c'est à eux de décider, ils n'ont pas d'obligations, pas d'interdictions, nous sommes laxistes sur le sujet. Enfin, il semble bien que la plus grande partie d'entre eux n'en ait strictement rien à faire et ne fasse pas de préférence sur les clients. 

- Ouais, bien joué, reconnaît mon frère.

- Tu dois les payer avant samedi, faut que tu m'aides de finir de calculer leurs salaires.

- Ok, c'est parti. Fan, tu peux aller faire ton sport et essaye de voir comment va tout le monde.

- Bien reçu, chef, à plus tard ».

Je le dis sur le ton de la plaisanterie mais son changement de comportement dès qu'il passe la porte du bar me choquera toujours. Je grimpe l'escalier caché qui mène aux coulisses de l'endroit. Les deuxièmes, troisièmes et quatrièmes étages sont remplis de chambres d'hôtel plutôt propres et entretenues mais ce n'est pas le cas du premier.

Il y fait assez sombre, il y a deux dortoirs où femmes et hommes dorment mélangés lorsqu'ils n'ont pas de clients. Ils vivent assez entassés avec un placard cadenassé pour seul endroit de rangement et personnel. Tout le reste est commun, ils achètent souvent des plats préparés qu'ils empilent dans le frigo et chacun se sert à son tour, ici c'est l'entraide qui règne. Ce sont tous des bonnes personnes, ils n'ont juste pas eu la bonne vie. Certains aiment vivre ici d'autres rêvent de pouvoir partir au plus vite.

Je passe devant les dortoirs puis les deux grandes salles de bains communes, une pour femmes et une pour hommes. La plupart du temps, ils essayent d'utiliser celles des chambres d'hôtel pour se laver mais s'ils n'ont pas de clients, ils n'ont pas le droit, c'est trop d'entretien en plus. Ensuite il y a une grande salle de vie avec un billard, un baby-foot, une télévision, des canapés et un coin avec des machines de musculation.

Ils sont trois dans la pièce, deux garçons à peine plus âgés que moi et une fille qui semble encore plus jeune.

« Fan ! Ça fait un moment !

- Ouais, j'étais occupé, comment vous allez ?

- Bien, y a pas mal de boulot en ce moment, le bar marche bien même si nous n'avons pas eu de chance hier soir.

- Peut-être aujourd'hui, vous verrez bien mais c'est vrai que les affaires avancent bien.

- Tu sais si nos salaires vont augmenter vu qu'il y a plus de monde ?

- Peut-être le mois prochain mais pas là. Il faut attendre de voir si ça dure. Je verrais ça avec Amel.

- Ok merci, t'es un bon.

- Sinon pas de problèmes en ce moment ?

- Juliana est malade depuis avant-hier alors elle reste au lit, j'ai peur qu'elle nous ait refilé son truc, plusieurs toussaient ce matin. A part ça, la routine.

- Elle a pris des médicaments ?

- On lui en a passé.

- Ok, elle est dans quel dortoir ?

- Le numéro un, lit cinq.

- J'irai la voir après mon sport, merci d'avoir prévenu.

- Merci de t'inquiéter ».

Je m'éloigne d'eux pour rejoindre les machines. J'enlève mon tee-shirt et échange mon pantalon contre un short. Je me change devant tout le monde, ce n'est pas dans un endroit pareil que le fait d'être pudique existe. Je décide de rester torse-nu, il fait déjà assez chaud dans la salle, le soleil tape dans les vitres et ce sera pire après ma séance.

Après une bonne heure d'exercice, je range le dernier haltère et pousse un soupir de fatigue. La salle s'est bien remplie, plusieurs sont revenus de leurs nuits. Je salue tout le monde et remarque en effet que plusieurs toussent, tomber malade est toujours un risque lorsque tu vis en communauté. Je décide donc d'aller voir l'état de Juliana avant d'aller informer Issam.

La jeune femme est couchée dans son lit le teint pâle.

« Juliana ?

- Oh Fan, salut.

- Comment tu te sens ?

- J'ai un peu de fièvre, un peu de toux mais ça commence à aller mieux, mon dernier client semblait aussi un peu malade, il a dû me refiler son truc.

- Tu sais que tu peux refuser le client s'il ne te semble pas en forme ?

- J'ai besoin d'argent, c'était mon premier client de la semaine.

- Tu dois quand même prendre soin de toi, ok ? En plus, on dirait bien que tu as contaminé plusieurs autres personnes, s'il-te-plaît, fais plus attention.

- Oui, désolée.

- Bon, repose-toi et évite tout contact avec les autres, ok ?

- Oui.

- Ce soir et demain, tu as interdiction de travailler, je vais prévenir Issam, tu ne seras pas pénalisée sur ta paye.

- Merci. »

Je m'assure qu'elle a de quoi boire et manger pas loin avant de la laisser tranquille. Je descends les escaliers en courant, habitué et rejoins les bureaux. Issam et Tom sont toujours concentrés sur les fiches. 

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