Chapitre 4 : Éperdument perdue


Mon corps est toujours traîné, mais je me débats pour me défaire de son emprise. Je lance un coup de pied, touchant Xiore à la hanche. Il grommelle, ralentit, mais attrape ma seconde jambe et continue sa marche, augmentant la cadence. Je me sens ballottée tant et si bien que je deviens étourdie, sensation accentuée par le sang qui afflue jusqu'à mon cerveau, de par ma position. 

Je dois me forcer à ne pas appeler ni supplier les miens, qui sont à quelques mètres derrière moi. Je ne suis pas comme Xiore, je ne suis pas une ratée. Je suis bien plus forte que ses tentatives d'intimidation. Alors je me fais la promesse de ne pas pleurer, de ne pas crier. Je me jure de ne pas craquer, jamais. Pourtant, je sais que la panique commence à affluer dans chacune de mes cellules. La peur tente de m'empoisonner de son vil venin, toutefois je gagne la bataille contre elle. Pour l'instant, tout du moins.

Je ferme les yeux et me concentre une seconde. Je tente d'oublier mon dos à vif, ma colonne malmenée par les sous-bois. Heureusement, mon sac à dos atténue quelque peu le choc, même si je sens la boîte en verre rentrer dans mes lombaires. Je réfléchis à la manière dont je suis tenue par mon agresseur. Avec lenteur, je bouge un peu le pied et immédiatement, son emprise se resserre fermement autour de mes chevilles. Xiore vient de commettre une erreur fatale, malgré lui. Il est si concentré à me tenir, m'empêchant de retirer les jambes de son étau, que cela m'offre une opportunité unique.

Je ravale ma souffrance et contracte mes abdominaux, en tendant bien mes jambes. Je fais basculer mon tronc en avant et en moins d'une seconde, la seule partie de mon corps qui traîne par terre sont mes fesses. Je ne perds pas de temps, et tends les bras au maximum pour attraper mon assaillant, qui n'a rien vu venir. Il ne veut toujours pas lâcher mes pieds, alors tant pis pour lui. Je suis suffisamment souple pour attraper son coude et me hisser plus en avant. Ma bouche peut désormais agir, laissant une morsure profonde sur son bras.

Je l'entends rugir, crier, et il se débat. Tout à coup, il me lâche et je m'écroule par terre, dans un atterrissage douloureux pour mon dos. Mais je ne m'apitoie pas sur mon sort et me redresse, lui faisant face. 

— Il faut croire que c'est vrai, dis-je en plissant mes yeux pour tenter de mieux l'apercevoir.

— De quoi tu parles, Maggie ? 

Il crache presque mon prénom, comme s'il s'agissait d'une insulte. Je fronce les sourcils, passablement énervée. Je dois garder mon calme, mais je veux aussi lui donner une bonne leçon, pour ne jamais qu'il recommence à me sous-estimer. 

Malheureusement, je ne suis pas très forte, je suis même complètement maigre. Pourtant, mes os, eux, sont solides. Alors, quand il s'approche de moi, telle une panthère prête à chasser, je fais le premier pas. Il tend les bras, tentant à m'attraper. En un mouvement fluide, je m'accroupis au sol et pivote, dans un pas de danse moderne-jazz improvisé. Qui peut croire que la danse puisse sauver d'un mauvais pas ? Sans mauvais jeu de mot, bien sûr. 

Ainsi au sol, je peux me contourner avec facilité et j'enfonce mon coude profondément derrière l'un de ses genoux, le faisant vaciller. Aussitôt, je me relève, face à son dos. Là, la technique gagnante suprême s'offre à moi. Mon genou anguleux vient s'échouer sur ses noisettes, les brisant à coup sûr. Je le vois se plier en deux, mais je ne cesse pas l'offensive pour autant. De tout mon poids, je me jette sur son dos, le faisant s'écrouler au sol. 

Seulement à cet instant, je m'enfuie en courant. Je ne vois pas où je vais, mais mes yeux semblent s'habituer aux lieux. Ou bien est-ce dû au jour qui se lève ? Je ne peux dire depuis combien de temps je suis ici, dans cette forêt, mais j'ai l'impression d'y être depuis des heures. Je trouve un sentier, le suis, et tombe malencontreusement nez à nez à Isa et Chris. Mon satané frère, encore lui. 

Mais même s'il m'agace profondément, j'espère qu'il ne me fera rien, hormis la gifle de tout à l'heure. Toutefois, je reste prudente. Aujourd'hui, personne n'est dans son état normal, chacun joue un rôle dont le but consiste à me déstabiliser, à m'attaquer et à me faire subir. Je ne peux prévoir quand ils arrêteront, ni quand ce calvaire prendra fin. Je peux simplement résister, me battre, fuir et survivre.

— Maggie.

J'observe mon frère, ses traits paisibles. Pour une fois, il ne m'a pas appelé Marge, mais je ne sais si c'est bon signe ou non. Isa semble calme également, comme si elle s'ennuyait. 

— Maggie, tu avais raison, Xio est un moins que rien. Il est allé trop loin, l'épreuve est finie. 

Il me tend les bras, s'avançant d'un pas dans ma direction, un sourire rassurant accroché sur son visage. Il est serein, il n'est pas lui-même. Chaque pas qu'il fait pour se rapprocher de moi, je les effectue en sens inverse, sauvegardant une distance raisonnable entre nous. Ce petit manège dure tout au plus une minute, avant que son expression joviale ne se transforme en agacement.

— Allez, viens, ma Maggie.

— Je ne suis pas à toi, craché-je. Et tu mens, ce n'est pas fini ! 

Pour réponse, il hausse les épaules, se détachant subitement de son air cordial. Un rictus se forme sur ses lèvres, tandis qu'Isa sourit de manière encore plus diabolique. Pourtant, elle a passé l'âge d'effrayer les petites filles, vu les minces rides qui parsèment son visage. Mais avec réflexion, elle a le même âge que son oncle Norbert, et lui ne s'empêche pas de me traquer dans les bois !

Soudain, je me sens profondément stupide. Mais oui, Norbert, où est-il depuis tout ce temps ? Avant que je ne cherche une réponse, un tissu sombre recouvre ma tête, me cachant l'aube naissante. Je me débats, balançant mes pieds et mes mains, mais rien n'y fait. Je sens plusieurs mains me saisir, me maîtriser sans peine. Mes poignets sont liés entre eux, attachés derrière mon sac à dos, et mes pieds subissent bientôt le même sort. Je me sens soulevée par deux personnes, transportée comme un fardeau. Ils marchent un long moment, qui me semble interminable.

Je ne cesse de lutter, de gigoter pour parvenir à me dégager de leurs emprises. Seulement, si j'y parviens, ce n'est pas avec plaisir. Leurs bras me lâchent et je sens mon corps basculer dans le vide. Sans mes bras pour me rattraper, mon visage s'écrase sur le sol, m'ouvrant douloureusement la lèvre. J'ai mal aux dents, qui se sont cognées au passage et un sang chaud coule dans ma bouche. Je gémis doucement et les mains me ramassent, puis continuent leur route. Je ne bouge plus d'un iota, paralysée par la peur. Je sens la fatigue m'envahir, alors que mes muscles sont presque tous endoloris.

— Voyons combien de temps il te faudra pour retrouver la maison, Marge, ricane mon frère.

Sans crier gare, l'on me lâche, cette fois-ci volontairement. Je me crispe, serrant les dents, en attendant la torture de la chute, qui s'approche inévitablement. Cet instant semble durer si longtemps, pourtant, j'atterris presque immédiatement, sur un sol froid, dur et droit. 

Une conversation semble se terminer entre mon oncle et un inconnu. Mais je n'ai pas le temps d'y réfléchir, car déjà, je sens ce nouveau support trembler, me secouer, alors que le son d'un moteur vrombit. Je suis visiblement dans un véhicule, toujours attachée. Je bouge tout de même suffisamment pour retirer le tissus qui recouvre mes yeux. Le jour a vraiment commencé son lever, je peux le voir dans les variations de orange et de bleu clair dans le ciel. Ils m'ont balancé à l'arrière d'une camionnette, et elle file à toute vitesse. Je ne sais même pas si elle s'arrêtera, je dois absolument descendre de là. Seulement, la voiture zigzague souvent, me ballottant de droite à gauche.

J'observe le ciel, avant de me perdre totalement. Le soleil était du côté gauche, quand la voiture filait dans un chemin droit. Ce qui signifie que pour rentrer chez moi, je dois partir en direction du nord, lorsque je serai descendue de ce tas de ferraille infernal. Qui possède encore une voiture, de nos jours ? Ils ne savent pas tout ce que ça coûte, ni tout ce que ça pollue ? 

Je maudis le conducteur, certaine que c'est quelqu'un d'extérieur à ma communauté. Personne n'a un de ces engins, chez moi. La voiture quitte la forêt, traverse des prés avant de se retrouver de nouveau sur un chemin au milieu des bois. Pendant ce temps là, je tente de gesticuler pour me retrouver assise, et de libérer mes poignets. Mais rien à faire, je n'y parviens pas car la voiture bouge trop. Par contre, je réussis à desserrer le nœud de mes chevilles, et j'arrive en quelques minutes à dénouer suffisamment le lien pour glisser la corde hors de mes pieds. Là, je ne perds pas de temps. Je m'accroupis au bord du véhicule, qui traverse des champs cultivés. J'attends qu'il pénètre dans une parcelle forestière, ralentissant l'allure. Et alors, je plonge dans le vide, me jetant du côté de la carrosserie, pour venir atterrir dans le fossé, couvert de hautes herbes.

Mon corps lourd roule plusieurs fois, et je tombe lourdement au fond du ravin. J'entends non loin le véhicule freiner brusquement et mes yeux s'écarquillent de frayeur. Il a visiblement entraperçu mon escapade depuis son rétroviseur, du moins je le suppose. Avant qu'il ne me voit, je rampe le long du fossé, me couvrant de saletés, et je passe par-dessus le talus pour atteindre les premiers arbres. Là, je me relève dans un grimacement de douleur et me cache derrière le plus gros des arbres.

— Saleté de bestiole, j'vais te trouver et te trouer comme un gruyère, moi.

Je déglutie péniblement, serrant mes genoux de mes mains, de peur qu'ils ne se mettent à trembler. Je n'ose plus bouger un membre, ne souhaitant pas que cet individu surgisse en face de moi en trouvant ma cachette. Les minutes passent et je me questionne muettement : comment vais-je bien pouvoir m'en sortir ?

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