Chapitre 2 : Les épreuves commencent
La nuit commence déjà et emporte avec elle la date de mon anniversaire. Je prends mon trésor et le dépose sur la table du salon. Les sequins verts brillent avec la luminosité de la télévision et je soupire bruyamment en me dirigeant vers les escaliers. Mes pas traînent derrière moi, aussi lourds qu'est ma fatigue. Je me déplace mollement jusqu'à ma chambre. Cette fois-ci, pas de trace de Patate-Douce, elle doit être retournée dans la forêt, où elle passe la majorité de son temps.
Dès l'aube, je dois affronter des tâches censées me préparer au monde des adultes. J'appréhende mais je force mon corps à rentrer en phase de sommeil. Si je veux tenir le coup demain, une bonne nuit de repos est indispensable.
Je me sens mon corps s'endormir, alors que ma tête vient tout juste d'entrer en contact avec l'oreiller. Je ne sais si je rêve ou si des cauchemars montrent mon appréhension. Je pense ne pas avoir eu le temps d'y réfléchir : ma couverture vient d'être arrachée de mon corps ensommeillé, me plongeant dans la confusion.
J'ouvre les yeux brusquement, presque étonnée de ne pas voir le soleil briller à travers le rideau de la fenêtre. Décontenancée, je cherche à saisir de quoi me réchauffer mais un grondement sourd me fait aussitôt me redresser.
Dans l'ombre se tient deux silhouettes, debout, qui semblent attendre dans le silence.
- Papa, maman ? demandé-je à tâtons.
- Il est l'heure, Maggie, murmure mon père d'une voix grave et rauque, que je reconnais à peine.
Je ne l'ai jamais entendu parler avec aussi peu d'émotion, et cet écart avec la réalité me fait douter : suis-je en train de rêver ?
Mais galvanisée d'une soudaine prise de conscience, je réalise de quoi il parle. Mes épreuves commencent dès l'aube, je dois me lever. Les silhouettes semblent accompagner mon mouvement. Dès que je pose le pied par terre, ils sont sortis de la pièce. J'enfile rapidement un pantalon, un haut et un gilet que je trouve au hasard, sans même prendre la peine d'allumer la lumière.
C'est la première fois depuis trois ans qu'ils doivent préparer les tests de maturité, comme la dernière fois, c'était pour l'un de mes voisins. J'appréhende encore davantage, qui sait ce qu'ils ont eu le temps de préparer, depuis tout ce temps ?
Dans le couloir, mes parents sont toujours là, impatients. Ils se dirigent au bas de l'escalier et je les suis avec lenteur et suspicion. Depuis petite, j'ai appris à me méfier des miens. Le mot d'ordre est de ne faire confiance en personne, même la famille, à part en nous-mêmes.
Je m'attends à chaque instant à me faire surprendre dans les lieux obscurs qui me sont pourtant familiers. Quand j'avais quatre ans, mon frère se plaisait bien à m'effrayer en surgissant de passages étroits et sombres. À ce jeu là, il est toujours le meilleur. Il peut rester des heures durant dans sa cachette juste pour pouvoir mieux nous ficher la trouille. Un jour, il a passé la soirée entière sous mon lit, pour pouvoir agripper ma jambe alors que je dormais profondément. J'avais hurlé si fort que chaque habitant de notre bourgade s'étaient réveillés, sur le qui-vive. Finalement, mon idiot de frère s'était fait passer un tel savon qu'il n'avait plus osé troubler mes nuits, ce dont j'étais reconnaissante.
Seulement, à présent que mon initiation au passage à l'âge adulte vient de commencer, je sais que tous les coups sont permis. Cette semaine, tous vont essayer de me faire craquer et ce, par tous les moyens. De jour comme de nuit, je ne dois pas relâcher ma vigilance ni me laisser surprendre. Je dois me montrer forte, tenace et d'user des points forts de ma propre personnalité pour faire face à ce qui m'attends.
Heureusement, je sais que mes parents sont là et leur présence me rassure. Pourtant, tout en les suivant, je demeure méfiante. «Ne fais confiance en personne, même pas à nous. Crois seulement en toi et en ta propre force.» Ces mots, maintes et maintes fois répétés, restent gravés dans mon esprit.
J'avance toujours à petits pas et la lumière commence à apparaître tandis que nous approchons de la cuisine, qui sert également de salle à manger. La pièce est éclairée à l'aide d'une unique bougie, haute et large, sans photophore, pour rendre l'espace agréable.
- Assieds-toi et mange. Ce sera ton seul repas de la journée, préviens ma mère en me laissant seule face à la table de la cuisine.
Elle et mon père se retirent aussitôt, bien trop vite. Je fixe le plat, qui est présenté dans une boîte alimentaire en verre, sans aucune présentation. Je pose mon derrière maigre sur l'assise et mes pieds cognent un objet mou. Je garde tant bien que mal mon sang-froid et j'essaye de m'attendre au pire, comme mon frère portant un déguisement effrayant.
Je rentre un maximum d'air dans mes poumons puis souffle avec lenteur, les dégonflant entièrement. Ce faisant, il m'est plus facile de m'empêcher de crier. Alors, je me baisse avec flegme, un air d'ennui feint sur le visage. Je vois alors un sac à dos, d'apparence vide. Je le saisis des orteils et le ramène sur mes genoux. Je l'ouvre, il est bien vide. Mais il ne doit pas être ici par hasard, rien n'est ici par hasard. Je fixe maintenant la nourriture que l'on m'a servi et la renifle avec suspicion.
- De l'aubergine, du céleri et de l'avocat ? décris-je à voix haute en sentant mon nez se froncer.
En un mot, les trois aliments que je hais le plus. Je ne trouve pas de couverts, alors je forme une cuillère improvisée en collant mon index et mon majeur ensemble. J'avale difficilement le tiers du plat, je me force à ne pas tout revomir. L'amertume de l'aubergine reste sur ma langue et le goût prononcé du céleri me donne des hauts de cœur.
Je cesse le repas, referme le plat en verre et le glisse dans mon sac. Dégoûtante ou pas, la nourriture, c'est la survie. Je saisis la bougie et fouille la cuisine, prenant garde à ne pas faire de bruit. J'ouvre les placards de denrées : ils sont tous vides.
Je ne désespère pas et cherche dans tous les autres. Je ne trouve que la vaisselle et les produits d'entretien sous l'évier. Je referme le battant avant de marquer un temps d'arrêt. Depuis quand utilise-t-on cette marque de produit lave-vaisselle ?
J'avise le produit d'un œil nouveau et saisis le paquet. Il est lourd et massif. Au même moment, j'entends des pas retentir dans la pièce d'à côté. Je vérifie le contenu rapidement, avant de le verser dans le sac à dos avec un sourire narquois. Puis je repose la boîte où je l'ai prise en prenant soin de bien la refermer.
La porte du placard close, je traverse la pièce en grandes enjambées, faisant vaciller la flamme de la bougie. La cire vient couler sur mes doigts, mais je reste impassible. Juste avant qu'une grande personne n'arrive au seuil de la cuisine, je me tiens debout, près de la chaise où je me tenais assise il y a quelques instants à peine.
J'espère qu'on ne m'a pas entendu me déplacer, ni ouvrir les placards. Après avoir vu mes parents, ce que je savais devient réalité. Ces personnes qui partagent ma vie et mon quotidien depuis dix-huit ans n'existeront plus, jusqu'à ce que mon périple prenne fin.
Je suis une boule de nervosité, qui craint les prochaines épreuves, qui vont s'enchaîner si rapidement que je ne me rendrai compte de rien. J'ai déjà hâte d'en finir mais je suis aussi pressée de faire mes preuves. L'appréhension me guette, mais mon visage se fait plus acéré.
Et lorsqu'une personne encapuchonnée, massive et menaçante, apparaît sur le seuil de la cuisine, je sais que je suis prête pour affronter la suite du programme.
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