Chapitre 9 : Les confessions froides

L'instant même où le monteur gronda, la voix grave d'Amaël remplit l'habitacle.

Contrairement à l'arrivée où le grand brun s'était tu dans le rôle du futur avocat qu'il deviendra en gardant cette distance entre lui et moi, il se déchaîna dans ses paroles :


— Je n'arrive pas à croire que je me suis encore fait duper pour de beaux yeux et une belle bouche ! Il faut vraiment que j'en termine une bonne fois pour toutes avec ces études et que je me lâche complètement !


Je ne l'observais que d'un œil.

Est-ce qu'il s'adressait à moi ou à lui-même ?

N'osant pas intervenir, je restais dans mon mutisme, à l'écouter. Sa voix ne se bloquait pas.

Seuls des souffles atténuèrent sa conversation rapide et pleine de reproches qu'il poursuivit, tout en ne quittant pas la route des yeux :


— Tu te rends compte que j'ai complètement vrillé, Yu ? Comment est-ce que j'ai pu leur montrer cette même facette alors que j'ai clairement changé ? Putain !


Ma tête se pencha brusquement alors qu'il venait de freiner dans le village, en voyant une mère et un enfant traverser, sortant d'entre deux voitures en courant.

La ceinture me bloqua affreusement le torse et tandis que je tirai dessus pour la détendre, il insulta les deux personnes avec un sourire sur le visage, en les fixant.


— Tu recommences ! m'exclamai-je en passant les yeux de lui aux piétons, le souffle coupé à cause du choc.


Le dispositif continua de me plaquer au siège et à m'irriter le cou en me brûlant la peau.

Je forçai dessus pour me libérer de cette horrible sensation d'étouffer sur le cuir.

Une boule bloqua ma gorge, mon cœur n'arrêtait pas l'accélération, ma peur se prolongea.

Je continuais à m'agiter en bougeant de droite à gauche, mais la ceinture se resserrait davantage.

Et alors qu'elle m'étranglait et que les larmes se déversèrent sur mes joues en rythme avec ma respiration effrénée, je vis mon cousin se détacher et se pencher vers moi, en appuyant consécutivement sur le fermoir qui n'obtempérerait pas.


— Aller... Ouvre-toi !


Tout en s'énervant sur le plastique qui restait bloqué, j'observai la femme avec le garçon provoquer une fureur en face alors qu'une voiture venait de klaxonner à leur passage.

Puis j'entendis Amaël contre ma tête, les mains sur la ceinture de sécurité :


— Calme-toi, respire doucement et elle se détendra.


Je retins mon souffle tout en sentant mon cœur cogner contre ma cage thoracique.

Je mourrai de chaud dans ma doudoune et la chaleur de mon buste se déplaça partout dans mon corps, y compris mes paumes qui devinrent moites.

Je fermai les yeux pour me concentrer en ignorant la pression de la matière brûlante sur ma chair et je sentis que l'on forçait dessus.

Quelques secondes plus tard, quand la respiration d'Amaël me chatouilla la joue, je sursautai à nouveau en entendant klaxonner plusieurs fois.

La ceinture se relâcha, puis il remit ses mains sur le volant en braillant contre les automobilistes derrière nous et tourna la tête quelques fois vers moi en roulant quand je me rattachai.

Mes mains s'essuyèrent sur mon pantalon et je baissai mon corps en avant pour récupérer.


— Sacrée journée, commenta-t-il.


Je le regardai anxieuse, en me redressant avec un sourire épuisé sur le visage.

Je me frottai les yeux avec mes poings puis attrapai la bouteille à mes pieds après qu'Amaël accepta.

La fraîcheur du liquide traversa mon torse traumatisé et je sentis comme une libération de mon être.

La tension s'apaisa et il resta silencieux le long de ma reprise d'esprit.


— Je..., commençai-je en prenant une grande respiration. J'ai cru comprendre en sortant de l'association que Lucas a un faible pour toi...


Amaël aspira sa lèvre inférieure et joua avec celle-ci, mais je poursuivis avant qu'il entame ses réponses :


— Et comment ça se fait que tu connaisses son ami, mais pas lui ?


Son expression s'étira en un sourire gêné et quand son regard passa sur tous les rétroviseurs, il s'expliqua :


— Apparemment, et je dis bien : apparemment, j'ai cru comprendre que pas beaucoup de monde ne m'aimait au lycée.

— Pourquoi ?


Il s'arrêta au dernier feu rouge du village que je supposai être, en voyant les derniers bâtiments animés avant de me prêter entièrement son attention.


— Tu as remarqué comment Mehdi m'a parlé. Monsieur Troblain, c'est surtout en référence à mon père qui se déplaçait presque deux fois par semaine pour voir le proviseur à la suite de contrariétés que je causais.

— C'est joliment dit pour dire que tu cassais des gueules...


Un rire grave et mauvais s'échappa de sa bouche.

Il tourna sa tête vers le feu en continuant, les mains sur ses cuisses :


— Mehdi me cassait la gueule. Nuance...

— Pourquoi ?


La bouche semi-ouverte, je lui montrai le feu vert et il démarra en s'engageant sur la route.

Peu à peu, les petites maisons disparaissaient dans le blanc s'unissant aux verts des pins.

À la rencontre d'un panneau de signalisation, le bruit du clignotant rythmait l'ambiance avec la voix grave du garçon qui reprit, en s'engageant sur une route plus peuplée.


— En réalité, j'ignore la réelle cause de son mépris. Tu sais, tu ne sauras jamais pourquoi les gens agissent de telles ou telles façons avec toi. Ils ne dévoileront jamais leurs failles parce qu'ils te font du mal. Pourquoi une victime harceleuse se confirait-elle à une victime harcelée par elle ? Tous les gens sont victimes de quelque chose et subissent les actes violents de quelqu'un.


Il coupa son discours en me demandant d'ouvrir la boîte à gants et d'y pendre un contenant marron.

Il m'ordonna de la refermer.

Les deux surfaces en cuir m'irriguèrent le bout de mes doigts sensibles.

Il attrapa le coffret entre ses mains en gardant le pied sur l'accélérateur et il y sortit une paire de lunettes aviateur qu'il déposa sur son nez avant de mettre l'étui dans le rangement de sa portière.


— Le peu de choses que je sais à son propos s'était qu'il se battait souvent, avoua-t-il, en affichant le majeur à un chauffard qu'il l'avait doublé, et laissant sa paume appuyée contre le volant qui y sorti un bruit strident. Et une fois en cours de sport, parce qu'on était dans la même classe en terminale, j'avais vu son torse recouvert de blessures colorées.


Sa main se déplaça vers son cou qu'il gratta et il dit, la voix écorchée :


— J'avais osé le regarder trop longtemps et il avait fait circuler la rumeur que j'étais gay.

— Et c'est vrai ? C'est pour ça qu'il t'en veut par rapport à Lucas ?

— Non, avoua-t-il en lâchant un rire. Je n'ai remarqué Lucas qu'à la remise des diplômes. Il était aux premiers rangs avec sa famille quand j'étais monté avec la classe sur la scène pour la photo. Cela étant, je me doute qu'il avait fantasmé sur moi après cette rumeur. Les gars m'emmerdez avec ça.


J'observai quelques fois le paysage blanc qui m'aveugla.

Je remarquai qu'Amaël avait actionné le clignotant gauche pour entrer plus tard dans une bifurcation pour rejoindre l'autoroute.


— Tu peux prendre la route normale ?

— Pourquoi ? On va mettre 3 heures au moins...

— S'il te plaît ? J'ai vraiment envie de voir le paysage.


C'était faux.

Je voulais gagner du temps pour ne pas aller au restaurant.

Plus de temps on mettrait dans cette sortie, plus de temps on aura pour rater le repas donc les remarques et les piques de Loann.

Amaël accepta, un sourcil levé en voyant mon sourire timide et il commenta :


— Tu vas m'expliquer après.


Je le soupçonnai de m'avoir donné un ordre auquel je ne pourrai pas échapper.

Alors, j'acquis en remettant mon attention sur le sujet de Mehdi.


— Il n'a jamais rétabli la vérité. Et la façon dont il m'a parlé aujourd'hui prouve bien qu'il a encore les nerfs contre moi, surtout s'il a vu mon père plus tôt...

— Pourquoi on ne t'aimait pas au lycée ?


Bizarrement, je voulais en savoir plus sur lui.

Essayer de trouver un lien, même peu ressemblant avec ce que me faisait Loann qui lui, était autant adulé que méprisé.

Et surtout, méprisé par Arman qui me défendait.

Est-ce qu'au final, je n'étais pas un mélange de Amaël et Mehdi ?


— Tu en poses des questions ! rigolât-il en forçant le contact visuel sur moi.


Pourtant, je ne laissais rien paraître.

J'affichais toujours la même expression neutre, bien que curieuse, je ne transpirais pas de honte comme lorsque j'étais arrivée dans sa chambre.

C'était d'ailleurs bizarre qu'il se confie autant.


— Pourquoi tu te confies autant à moi ? lançai-je en verbalisant ma pensée directement.

— Deux questions pour le prix d'une ! OK. Premièrement, et encore aujourd'hui, mon père a créé de bons contacts professionnels dans son métier. Ça ne plaît pas puisqu'il a gravi les échelons en ne partant de rien. Pour ma mère, et ça, je reviendrai à toi plus tard, a été aidé par mamie. Mamie qui, je le rappelle si tu ne le savais pas, a épousé un De Haurel. Tu regroupes prestige et héritage, tu as un harcèlement et de la jalousie.


Je connaissais les affaires de famille. Mais je ne m'étais pas étalée sur le sujet puisque j'avais déduit ma propre hantise sur cette famille.

Je m'en souvins lorsque j'avais découvert le tas de lettres dans l'album familial De Haurel à la maison.

Papa m'avait expliqué qu'il venait de mon grand-père Thierry, qui lui avait fait du chantage en essayant de l'acheter en lui proposant une rencontre.

Mon père avait donné les lettres à ma mère qui s'était éloignée de sa famille jusqu'à la mort de Thierry.

Mes pensées se fractionnèrent, laissant apparaître un brouillard en réentendant la suite du récit de mon cousin.


— C'était un lycée catholique, le même où nos mères étaient allées. Je suis presque sûr que mamie a rencontré papi là-bas, mais je ne vais rien affirmer. J'avais eu des notes désastreuses avant le lycée. Je n'aurais jamais dû y aller si mamie n'avait rien magouillé. J'ai eu un professeur particulier du début jusqu'à la fin puis j'ai excellé. Mais ça, c'est un secret. Ni Elias, Arman ou Loann ne sont au courant.

— T'as pas peur que je le dise ?

— Tu peux, avoua-t-il lâchement. Je n'ai pas envie de revenir sur le passé, mais ça me fera un poids en moins.


Je regardai le GPS qui affichait l'heure.

Dix heures trente-huit.

Une pression se forma dans mon abdomen et j'eus du mal à respirer.

J'espérais et priai de toutes mes forces pour qu'on ait du retard.

Ma mère m'avait dit que ce soir, nous irions au restaurant.

Mais la fourchette était trop large.

Dix-huit heures ?

Dix-neuf ?

Vingt ?

Vingt-et-une heures ?

J'humidifiai mes lèvres en comptant sur mes doigts mentalement et conclu une réponse approximative.

S'il restait environ neuf heures avant le rendez-vous, il fallait que je gagne du temps, par tous les moyens.

Amaël poursuivit son récit sans s'apercevoir de mon angoisse ni du fait que je ne l'écoutais plus.


— Donc en classe, j'étais en concurrence avec Mehdi. Je lui avais piqué sa place de premier. Il était parfait. Bonne élocution, il se distinguait des autres, il avait un bon groupe d'ami, tandis que je me sentais souvent seul même si j'étais entouré. Puis j'ai osé fouiner dans sa vie. Je l'ai suivi à sa sortie des cours et j'ai vu sa mère le frapper quand ils pensaient être seuls sur un parking éloigné. J'ai tenté de lui parler le lendemain, mais il m'a envoyé à l'hôpital. Il a été exclu du lycée une semaine, ses parents ont été convoqués et il m'a détesté.


Sa voix résonnait à mon oreille gauche.

Même si je ne l'écoutais qu'à moitié, et que ses propos me parvenaient à l'esprit, je vis un tout autre paysage qui traversa mes yeux vides et fixes.

Je me fis un mélange entre son histoire et la mienne.

Des scènes passèrent de la dispute de mes parents à cause des lettres, à la dispute de la mère de Mehdi et son fils dont Amaël était observateur.

C'était comme si je créai une histoire mixée entre les deux récits.


— Quand je suis revenu avec des béquilles, la réunion parents-profs avait lieu le soir même. Les bus scolaires n'étaient pas là. Nous n'avions pas d'argent de poche pour les bus de ville et la maison était trop loin. Mes parents ne pouvaient pas venir nous chercher avec Elias avant longtemps. Alors nous avions traîné dans les couloirs, jusqu'à ce qu'il m'eût entraîné dans une pièce vide en refermant suffisamment pour qu'on ne soit pas vus. Mehdi se faisait rabaisser par ses parents et sa mère le menaçait. Elias m'avait supplié de ne pas m'en mêler et j'aurais dû l'écouter.


Je ramenai mon attention sur la bouche de profil d'Amaël, maculée de quelques tâches de rousseurs après avoir imaginé un souvenir trompeur qui avait fini par se dissiper.

Sa voix dérailla et des mimiques apparurent sur son visage. Il se lécha les lèvres plusieurs fois par minute.


— Mon dernier souvenir de Mehdi c'est lorsqu'il s'était retourné vers notre cachette quand Elias avait éternué. Il était derrière ses parents à traîner des pieds. Son regard surpris rempli d'un mélange de supplices et de haine me revient encore en mémoire. C'était comme si j'avais découvert son côté vulnérable et qu'il allait me le faire payer. Après ça, je ne l'ai jamais revu et je l'ai oublié, jusqu'à aujourd'hui.

— Et tu t'en es mêlé ?

— J'ai appris par du bouche-à-oreille différentes versions : qu'il aurait été recruté pour une excellente école à trois mois d'intervalles du baccalauréat. Puis celle où il aurait été envoyé au service militaire. Il y a aussi celle où il a fugué de chez ses parents et qu'il est devenu un sans-abri ou même un criminel. Mais je pense qu'il a obéi à sa mère, fait profil bas et a fini sa scolarité dans un lycée public. C'est un bon type au fond, il a juste une famille de merde.

— Comme toi.

— Comme moi, valida-t-il en enfouissant un chewing-gum dans sa bouche.


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J'ai beaucoup trop bien visualisé ce chapitre, j'ai même essayé de me rappeler personnellement de mon étranglement par la ceinture en 2010 environs, quand mon cousin a freiné d'un coup. Eh oui ! Un souvenir de plus de 10 ans que je fais vivre à un personnage... Pauvre Yu ! Elle n'a pas fini de souffrir...


Est-ce que vous aviez eu juste pour Mehdi ? Je crois que je vais le garder pour une autre histoire lui, je l'ai beaucoup trop aimé !

Et Amaël qui se confie ? Il n'était pas censé détester Yu ? Pourquoi il agit comme ça ?

Puis Yu qui se compare à tout le monde, en mélangeant tous les récits... Ca sent pas bon ça... Et en plus, elle tente un plan pour fuir... Foireux ou pas ?


J'ai hâte de voir votre avis ! Je vous retrouve au chapitre 10, qui est... M.I.A.M. Mais demain, parce que je suis encore tristoune par rapport à hier...

⚠️ PAS. DE. FANTASMES. SUR. LES. PERSONNAGES.

L'avancée des chapitres et des histoires est sur...

Instagram : allynnalf

10/02/23

(corrigée le 20/06/23)

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