Chapitre 5 : Les masques se craquèlent

Les mains sur une tasse de café fumante, ma mère me demanda d'ignorer le rassemblement dans le hall en râlant au passage du froid qui imprégnait la pièce.


— Désolée ! m'avançai-je pour la bloquer rapidement.


Le bout de mes doigts s'enfonça dans le bois gelé, que je retirai après avoir croisé ses yeux de travers. Ma mère, un sourire en coin, m'observa. Elle s'approcha de moi et sa peau claqua doucement mon front pour m'amuser.


— Isis est plus forte que toi pour les pichenettes...


Elle rigola et m'enlaça d'un bras avant de poser sa tasse. Ses yeux noirs aimant plongés dans les miens dévièrent quand des insultes dans un brouhaha attirèrent notre attention.


— Tu n'es qu'une ordure, Alain !

— Tu es mon double, Isis ! râla-t-il contre elle. Si ce n'était pas moi, ç'aurait été toi !

— Monsieur Troblain..., insista l'officier.

— Juste une minute, Rose, supplia-t-il en étant coupé par Amaël.

— Non. Tu sors, papa.


Une main se déposa sur mon épaule. Je me retournai, voyant la tisane que me tendit ma mère, l'air gêné.

Nous n'osions rien dire.

Elle inspira et expira, les lèvres pincées, les épaules soulevées puis tira un tabouret décoré d'un épais coussin vert caché en dessous de l'îlot central.

Elle s'y installa lentement, très concentrée à ne pas renverser une seule goutte de sa boisson.

Quant à moi, j'étais toujours préoccupée par cette dispute, encore nouvelle pour moi.

Positionnée sur le même support en marbre que ma mère, je m'attardai sur le vide.

Un point invisible se créa en face de moi.

Absente, je ressentis tout de même le contraste entre la chaleur de la tasse et la fraîcheur de la pièce qui se dissipait, me procurait un étrange frisson. Mes doigts brûlaient, mais pas autant que ma curiosité envers cette famille.


— Maman a raison ! hurla d'un coup Loann. Tu dégages tout de suite de cette baraque ! Tu n'es rien pour nous ! Tu n'es qu'un enculé de première !

— Loann, la ferme ! rétorqua Arman, la voix qui dérailla sur son prénom.

— Toi, la ferme, fils de pute !


Et une porte claqua. Isis hurla à son tour. Elle était partagée entre la rage contre son mari et l'insulte lancée par son cadet envers son frère, qui essayait de le résonner.

Arman s'impatienta à son tour :


— Vous me soûlez tous avec vos histoires !

— Arman ! s'exclama Isis quand ce dernier s'éloigna du groupe en rentrant dans la cuisine.


Son teint rougeâtre accentua son stress avec ses lèvres encore plus gonflées que d'habitude. Son regard dérivait sur le carrelage.

Alors, je m'éloignai du comptoir et de ma tasse vidée de moitié, je l'enlaçai sans qu'il réagisse. Les bras ballants, il renifla.

Je resserrai ma prise et lui chuchotai :


— Pleure. Je suis là.


Et il se détacha de moi avant de croiser mon regard. Le sien était rempli de larmes qu'il n'osait déverser.

J'attrapai ses mains formées en poings et répétai :


— Je suis là, Arman. T'as le droit.


Ses doigts tressaillirent dans mes mains. Je pus sentir ses veines bouillonnantes gronder dans ma peau. Sa mâchoire se crispa.

Il déglutit et j'observai ses taches de rousseur se noyer dans cette nuance rosée qui les recouvrait.

Puis, il cligna une fois et le contenu de ses yeux se déversa sur ces joues quand une nouvelle réplique l'irrita :


— Alain, vous devriez partir, suggéra Vivianne qui s'impatientait.

— Maman, c'est entre lui et moi ! surenchérit Isis.

— Et nous ! crièrent en même temps les jumeaux et Arman, qui l'avait chuchoté.


Ma pseudo-grand-mère apparut dans la cuisine à son tour et nous ignora, jusqu'à disparaître dans le salon. Ma mère se leva pour la suivre.

Nous étions seuls avec mon cousin, qui m'enlaça en pleurant dans mes bras. Je lui caressai le dos quand il hoqueta et resserra sa prise.


— T'as raison de détester cette famille, Yu... Elle est...


Et il déversa sa tristesse avec des pleurs plus puissants.


— Et voilà ! hurla Isis en entendant les bruits dans la cuisine. Tu as fait pleurer Arman ! Bravo, Alain... Bravo ! fit-elle en applaudissant de façon condescendante.


Arman bougea dans mon dos pour s'essuyer le visage avec son pyjama sapin et mit ses mains humides sur le manteau de Vivianne.

De ces yeux verts bouffis qui me fuirent, il dit la voix cassée :


— Ont est détruits.


Je ne savais pas quoi répondre.

Je devais le soutenir.

Alors, je le regardai. J'essayai de porter attention à mon cousin plutôt qu'aux discussions haineuses. Le dos tourné, il ouvrit un placard et en sortit des biscuits chocolatés.

J'en salivai.

Une boule se créa dans mon ventre quand il me demanda de l'accompagner.

Je le suivis.

Nous traversâmes le salon, avec ma mère et Vivianne devant le feu de nouveau allumé, jusqu'à se positionner devant un mur décoré d'un rideau marine qu'il tira.

Un trou béant me faisait face.

La cloison était complètement détruite, laissant une ouverture dans la buanderie.

Pourquoi ne l'avaient-ils pas refait, ce mur ?

En tournant ma tête, je vis les femmes m'observer et ma mère qui était aussi surprise que moi pour le trou, se pencha vers sa mère.

Je me baissai pour rentrer dans la pièce noire, mais trébuchai à cause d'un morceau de plâtre où mon pied levé se prit dedans.

Mes mains étalées sur un tapis plein de peluches fuchsia, je me relevai sans le moindre mal. Arman, lui, avait ouvert la porte juste en face de l'ouverture par laquelle je m'accrochai et alors que la lumière jaillit dans la pièce, il se retourna choqué, en me voyant me redresser.


— Merde, Yu ! Tu vas bien ?


Je souris et lui demandai où nous allions, mais la dispute qui se poursuivit le coupa :


— Tu ne m'as jamais mérité, Isis, s'insurgea Alain.


Elle émit un rire hypocrite pour lui retourner sa phrase quand l'un des jumeaux s'en mêla.

Étrangement calme tous les deux, je ne saurais dire qui parlait.


— Vous êtes pathétiques, tous les deux.


Alain et Isis s'offusquèrent en se chamaillant à nouveau, en s'exclamant « Moi !? » à cette réplique.


— Amaël a raison, parla Elias. Vous êtes tous les deux responsables. Vous avez détruit Loann et Arman avec vos égos prétentieux.

— Exactement, Elias ! suivit son frère.


Les cris passèrent à une discussion remplie d'incompréhension.

Tandis que je m'avançai vers mon cousin, ce dernier sécha ses yeux en me tenant par le bras. Il voulait écouter ce qui allait suivre comme si son avenir dépendrait de la réponse espérée.


— Et bien, commença Alain qui passait son regard d'Isis, les bras croisés et ses fils. Expliquez-nous ?

— Monsieur Troblain... interrompit la policière qui passa la tête vers la porte d'entrée, impatiente.

— Pas maintenant, Rose.

— Bien... Nous vous attendons dans la voiture.

— Non, Rose. Vous pouvez partir, ajouta-t-il en s'apprêtant à fermer la porte.


Le froid avait rempli l'air chaud de la pièce. La mère de mes cousins claqua des dents.

Rose rigola à sa phrase et surenchérit :


— Nous vous attendons ! Vous vous êtes tout en infiltré dans une propriété privée, monsieur. Nous devons vous amener au poste...


Alain se mordit la lèvre inférieure et regarda la policière d'un air grave. Il leva les mains pour abdiquer, mais lui ordonna qu'il voulût finir la discussion.

La policière acquiesça et disparut.


— Expliquez-moi, demanda-t-il à Elias.

— Nous..., corrigea Isis.


Alain leva les yeux et broncha à voix basse, un mécontentement. Isis s'offusqua à nouveau, mais Elias l'interrompit :


— Ça, par exemple. Vous êtes jaloux l'un de l'autre. Vous n'êtes jamais d'accord. Vous vous nuisez systématiquement.

— C'est comme si vous étiez en compétition constamment, termina Amaël.


Son jumeau confirma.

Les parents nièrent ensemble et se jetèrent des phrases fades.


— Soit vous êtes en amour fou, soit vous voulez vous tuer, expliqua Elias qui collait le mur, un bonnet qui recouvrait ses cheveux roux. Et vous nous entraînez avec !

— Pas du tout ! rétorquèrent-ils ensemble.


Elias leva les mains en l'air, et monta les marches.


— Réglez vos histoires de façon saines ! cria-t-il dans l'écho avant qu'un silence s'installe.


Alain souffla, Isis papillonna des yeux vers Amaël qui s'avança vers son père, les mains posées sur ses épaules.

Il nous cacha l'expression du roux, mais pas pour autant sa réplique :


— Tu n'es pas détesté par tout le monde, papa. Loann et maman te pardonneront vraiment si tu fais un effort.

— Pas du tout ! s'étrangla Isis en un rire moqueur. Mais elle baissa la tête quand Amaël lui demanda de se taire.


Ce dernier répéta les mêmes derniers mots en ajoutant :


— Avec le temps et du calme.


Et il lâcha son père pour lui offrir une accolade puissante. Alain lui tapa le dos en affirmant les propos de son fils. Soit parce qu'il le pensait vraiment, soit pour lui faire plaisir pour qu'il parte.

Sa femme et lui s'observèrent longuement quand l'aîné balança un « je t'aime » depuis le haut des marches.

Mais, à qui était-il adressé ?

Un silence s'immisça entre le roux et la blonde. Ce dernier s'approcha d'elle et souleva sa charlotte.


— Toujours avec tes bigoudis, n'est-ce pas ?

— Toujours avec ton costume, n'est-ce pas ?


Ils se toisèrent longuement puis rigolèrent d'un coup.

Arman s'était entre-temps assis contre le panier à linge, la tête entre les bras.

Je ne l'entendais pas pleurer. Mais encore moins parler.


— Tu es belle... Après deux ans.


Un rire sarcastique résonna dans sa gorge.


— Arrête, Alain ! Je sais que tu me suis depuis des mois ! Je t'ai vu au marché, il y a quelques jours...


— C'est une grande ville ! s'offensa-t-il, en croisant les bras.

— Non. Je t'ai vu au village.


Il avoua.

Je n'avais jamais assisté à une telle dispute et en quelque sorte, une réconciliation.

Les jumeaux avaient raison. C'était tout aussi tendu que sensuel entre leurs parents.

Hélas, un silence beaucoup plus prolongé s'installa. Ils se regardèrent et Isis finit par conclure qu'il fallait qu'il parte.


— Laisse-leur les cadeaux. J'insiste.


Elle accepta.


— Mais n'ouvre pas le tien... Je t'en supplie ! J'ai fait une bêtise...


Et quand il ouvrit la porte, il lui demanda d'apporter sa voiture dans une heure au commissariat.

Une fois fermée, la blonde resta seule en touchant sur sa charlotte, l'endroit où Alain l'avait relevé.

Soudain, la sonnette retentit.

Elle remit en place ces cheveux pendus dans le tissu, passa les mains sur son pyjama et ouvrit en souriant.

Son visage redevint neutre quand elle vit Rose rentrer avec quelque chose en main.


— Est-ce que vous voulez porter plainte, madame ?


Isis croisa les bras, en prenant la même place qu'Elias contre le mur.

Les lèvres pincées, elle ne dit rien avant quelques secondes :


— Non, ça ira.


Rose acquit et ferma la porte.

Tandis qu'elle restait là à attendre, je regardai Arman qui craqua son cou. Je l'observai et il sourit sincèrement, mais s'empressa de sortir en laissant sa boîte de gâteau pour accourir vers sa mère qui s'effondra au sol, en pleurant.

Elle le prit tendrement dans ses bras en s'excusant et ils partirent ensemble dans le salon.

Alors que je me retrouvai dans le couloir caché par les marches, une silhouette intervint derrière moi et me fit sursauter.

Arman ria à dents déployées et m'embrassa la joue en me demandant de remettre le paquet de biscuit dans l'armoire, tandis qu'il monta normalement l'escalier.

La boîte cartonnée entre mes doigts, j'effleurai le logo en me mordant les joues.

Ma bouche sèche s'humidifia directement.

Je marchai rapidement vers le rangement, le contenant derrière mon dos pour m'empêcher de le déchirer et d'en prendre un morceau.

Je ne devais pas. Je me l'étais promis depuis sa rencontre !

Du bout des doigts je tentai d'ouvrir l'armoire beaucoup trop haute. Puis, comme un courant d'air, une main m'aida et m'arracha les biscuits pour les ranger.

Une silhouette familière adoptant un sweat noir troué et bas de la même couleur.

Ça ne pouvait être que Loann.

Mais à peine le temps de confirmer mon hypothèse, qu'il disparut dans le salon avec ces frères, moi les suivant. Le faux blond bâilla en s'étendant sur un fauteuil en cuir, qui sentait fort à cause du feu.

Soudain, Isis reçut une étreinte des aînés et d'Arman. Loann nous ignora, en se balançant, plus intéressé par son téléphone que par nous.

Sa mère désigna les cadeaux d'Alain à côté de la cheminée et bondit d'entre les deux femmes pour les distribuer.

Seul Loann ne déballait rien. Il avait même refusé de l'ouvrir. Sa mère s'exécuta à sa place.


— Oh, l'enflure ! jura-t-elle en découvrant la boîte.


Je me déplaçai à la place d'Isis, à côté de ma mère et Vivianne quand, d'une mine horrifiée, Isis tendit le bras vers sa mère :


— Regarde ce qu'il lui a offert, maman !


Cette dernière rigola.

Loann avait peiné lever son regard vers le cadeau, un brin intéressé.

Tandis que je tournai la tête en direction des autres, j'observai Elias un sourire aux lèvres avec des billets, qui discutait avec son jumeau qui joua avec un bout de papier.


Un... Bout de papier ?


Vivianne se leva pour examiner ce que portait Isis, et je m'approchai d'Amaël :


— Il t'a donné un papier ? m'exclamai-je, un sourire moqueur.


Le futur avocat me toisa en me demandant de quoi je me mêlai.

Puis, avec un soupir il m'entraîna dans son explication :


— Ce sont des contacts professionnels pour passer l'examen du barreau.


Mon visage se déforma d'incompréhension. Elias se pencha en l'embêtant et dicta :


— Il a du favoritisme pour faire son stage dans un cabinet. Il est bientôt diplômé !


Je rigolai.

D'un côté, un profond dégoût me submergea parce ce que je savais que je ne pouvais pas bénéficier de ça...

Du favoritisme... Dans un domaine élitiste.

Je rangeai ma rancœur de côté pour questionner Elias sur son présent.


— Des billets pour les plus grands musées de France, transports compris ! répondit-il en balançant la liasse comme en éventail.


J'émis une expression impressionnée. Il allait voyager, cette année !

Je me retournai vers mon meilleur ami, les lèvres pincées, il s'était penché à l'aide de ses mains sur le haut du canapé.


— Et toi ?


Il sortit de sa rêverie et regarda en souriant discrètement :


— Je te montrerai après.

— Oh, le bâtard ! s'exclama Loann qui récupéra un couteau qu'il fit voler sur ses doigts.

— Loann ! prit peur sa mère en le voyant faire. Range-moi ça !


Il lança un rire rauque dû à sa mue et se leva.


— Je vais tester ça !


Et avant de sortir, il me regarda méchamment.


— Et peut-être qu'il me servira plus tôt que prévu...


_______________________________

Bon... Ça se drague, mais elle le gifle. Je crois que c'est le début d'une longue aventure explicative entre ces deux-là... Et je peux vous le promettre, ça va faire mal. Très mal. Tout aussi mal de Loann et son couteau.


D'ailleurs quelle idée d'offrir ça à un gamin ?

Et les cadeaux des jumeaux, vous les trouvez comment ? Amaël ne serait-il pas UN PEU prétentieux ?

Qu'est-ce qu'a reçu Arman selon vous ?


Ça commence à se corser... Surtout avec Loann... Mais on verra ça dans le prochain chapitre !


⚠️ PAS. DE. FANTASMES. SUR. LES. PERSONNAGES.

L'avancée des chapitres et des histoires est sur...

Instagram : allynnalf

13/01/23

(corrigée le 20/06/23)

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