Chapitre 14 : Le jeu suspect
La langue rugueuse du chaton râpait en continu mon doigt devenu maintenant humide.
Amaël poursuivait son silence éternel.
Les douze coups de midi sonnèrent dans le village que nous traversâmes.
Le seul bruit qui donnait vie à notre présence.
À court de patience, je remarquai bien qu'Amaël s'était plongé dans un long mutisme afin de réfléchir.
Probablement à cause de cette Shahizadeh qui lui en aurait fait baver.
Alors, je pivotai vers l'un des sacs de courses et m'étira de tout mon long jusqu'à réussir à chopper la boîte du thon ouverte, dont le jus séché marquait la conserve.
Munie du bouchon de la bouteille d'eau de mon cousin, je nourris le chat qui se précipita sur sa boisson. Mais ce dernier bougeait jusqu'à m'en mettre quelques gouttes sur mon pantalon.
Super. Puer l'urine à la cannelle avec un soupçon de thon en arrière-plan. Loann sera ravi.
— Tu roules trop vite, fis-je remarquer au garçon tantôt crispé, tantôt zen.
Il papillonna des yeux comme s'il s'était réveillé. Il suffit d'un regard vers moi pour que ses yeux se plissent à nouveau sur la route, à la recherche de quelque chose.
— On va où ?
Aucune réponse.
Juste un souffle qui accompagna la faim de l'animal.
Plus aucune habitation ne nous entourait.
Seul un près enneigé.
Le moteur se coupa quelques secondes plus tard, laissant les flocons s'écraser sur nous.
La tempête ne me disait rien qui vaille.
Ni cette route abandonnée.
— Je pense que si on s'arrête trop longtemps, le moteur va geler. D'ailleurs, pourquoi on s'arrête ?
Les yeux ronds, j'attendais impatiemment sa réponse. Le pare-brise se recouvrait d'une pellicule blanchâtre, nous cloisonnant tous les trois dans un espace plus intime.
Puis, Amaël inspira profondément.
Les paupières closes pendant un instant, il étira ses bras en les pliant. Son attention se posa désormais sur moi.
J'eus une sensation inconfortable quand ses pupilles transpercèrent mes questions qui se lisaient depuis mon regard intrigué.
Est-ce qu'il essayait de lire en moi, sans chercher à m'interroger ?
Un instant beaucoup trop long à mon égard. La gêne voulut s'emparer de moi quand sa voix résonna en un bruit sourd, pouvant perforer mes tympans.
— Lorsque j'étais lycéen, nous jouions à un jeu avec Elias. J'aimerais refaire une partie. Avec toi, cette fois-ci.
— Quel était ce jeu, au juste ?
Inquiète, je baissai le regard vers les poils noirs dans mes mains pour me rassurer.
— Le but était de poser une question chacun son tour et de dire stop si l'autre voulait savoir.
— Pourquoi je sens que ça ne va pas me plaire ?
Il ria pour la première fois de l'heure. Un rire sadique ou amusé ?
Aucune idée.
Il se frotta les paumes dont l'une bifurqua vers l'animal.
— Fais-moi confiance, Yu. Je commence à comprendre que ce qu'on m'a dit sur toi est erroné. Et je souhaite en savoir plus sur ce qui s'est passé tout à l'heure. Déjà à savoir pourquoi tu as fait une crise.
Un soupire m'échappa.
Trop honteuse pour lui faire face, j'observai la neige colorer ma vitre et fermai les yeux.
Toutes révélations étaient bien plus simples à avouer lorsqu'on n'y voyait plus rien.
— J'ai peur de rester seule avec des inconnus.
Je marquai une pause.
Les souvenirs de moi petite me revinrent en tête.
— Le fait de savoir qu'un membre de ma famille est à proximité me fait encore plus paniquer.
Foire du village à mes six ans. Ma mère avec Isis. Loann et Arman qui se chamaillent. Loann qui pousse mon meilleur ami et Isis qui s'énervent.
— C'est comme s'il accepter le fait de m'abandonner.
Le sourire de Loann en venant vers moi et qui m'offre une barbe à papa. Sa main pressant la mienne et ses pas beaucoup trop rapides pour ses quatre ans. Nous au milieu de la foule et plus rien. Il avait disparu.
Les larmes s'étalèrent sur mes joues quand je les essuyai.
Amaêl agrippa nos mains ensemble, mais la scène de Loann resta dans mon champ de vision.
Je retirai brusquement notre lien et ouvris les paupières.
Loin de ce marché, loin de mon abandon et loin des cris de ma mère que j'entendais, mais ne voyais pas.
— Je me suis perdue dans une foule petite. Et une femme m'avait pris par la main. Si ma mère n'avait pas crié et avait reconnu ma doudoune rose, je ne sais pas où je serais aujourd'hui.
— Tu veux dire qu'elle...
— Elle allait me kidnapper.
À cause de ton putain de petit frère.
Un sourire forcé brûla mes joues rondes.
Je ne pouvais pas révéler ça.
Ma parole contre celle de son frère.
Sa cousine contre celui qu'il connaissait parfaitement ?
Impensable.
Il hocha la tête et caressa ma main pour m'apaiser, me demandant si le jeu me tentait. Je haussai les épaules comme réponse.
Après tout, qu'est-ce que j'y perdais ?
Alors, il commença à m'expliquer :
— C'est vraiment un jeu pour mieux nous connaître. Bon, dans le cas de moi et mon frère, c'était pour savoir ce que l'autre nous cacher, mais tu vois le principe.
Un large sourire se fit sur son visage en même temps qu'il rigola.
De son autre main, il se gratta la nuque.
— T'en as su des secrets...
Il me guetta en me lançant un clin d'œil puis reprit :
— On commence comme ceci : « Tu voulais savoir... », tu exposes ta question, puis tu enchaînes cette phrase si l'autre est intéressé. Voilà ma question.
Il plaça ses deux mains sur ses genoux après avoir reculé son siège pour se tourner confortablement.
— Tu voulais savoir pourquoi je me force à ne pas être en colère.
La question en suspens, il me regarda intensément.
— Tu dois dire « stop » si tu veux avoir la réponse. Sinon, j'enchaîne avec une autre jusqu'à ce que tu dises « stop ».
— Oh ! Je vois... OK. Non. Euh... Stop ?
Il sourit en hochant la tête.
— Comme tu l'as vu avec Mehdi, j'ai eu un passif assez chargé en termes de bagarre dans ma scolarité. J'ai appris à me défendre depuis, mais à l'époque, j'étais très susceptible en ce qui concernait ma famille.
Ouais... Un peu comme Loann aujourd'hui, quoi.
— Ce qui fait que j'ai appris de ça. J'ai compris qu'il fallait comprendre les gens et les analyser. Pour une personne qui passe des coups à la réflexion, c'est dur de ne pas frapper. Et malheureusement, le meilleur moyen pour moi que de faire sortir cette colère c'est soit en frappant, soit en criant. Un peu comme mes parents, en fait...
Que voulait-il dire par-là ?
Qu'est-ce que ces parents avaient à faire ici ?
Ses réponses se superposaient à mes interrogations. Je pris l'initiative de stopper ce flux de pensées envahissantes pour l'écouter.
— Pour conclure, je dirai que je me force à ne pas être en colère parce que je n'ai rien pour externaliser. Et je refuse de lever la voix comme mes parents. À toi !
S'arrêter si brusquement m'avait empêché de préparer ma question, à tel point que je bégaiyais jusqu'à la trouver.
— Tu voulais savoir ma réaction avec la scène du jus d'orange ? commençai-je en frottant mes mains moites sur mes manches. Euh...
La salive me manquait.
Ma bouche asséchée n'arrivait pas à exprimer les mots.
Ceux que je m'étais refusé de dire par peur de me l'avouer à moi-même.
Dire à sa famille qu'on a peur de manger était une phrase très compliquée à entendre.
— Je me suis promis de ne plus manger de sucre. J'adore les gourmandises, mais... depuis que Loann se moque de moi à cause de « ma peau qui fond » j'évite... Et d'autant plus maintenant que je suis chez vous. Parce que, tu sais... Le sucre fait grossir et...
Il me coupa net en affichant un regard grave.
Très grave.
Suivi d'une voix plus austère.
Sérieuse.
— Tu n'as pas mangé de la journée. Le sucre je peux le concevoir, mais ne te prive pas de nourriture.
Je le fuis, essayant de demander s'il pouvait poser une question, mais il ne me lâcha pas.
— Tu as des problèmes avec la nourriture, c'est ça ? Tu crois que le fait d'arrêter ou de diminuer au maximum les quantités va te maintenir en bonne santé et que Loann ne dira plus rien ?
Je bougeai la tête négativement. Il me faisait des reproches.
Comme Arman.
Et ma mère.
— J'ai juste besoin de faire attention...
— Attention ne veut pas dire arrêter.
Je le suppliai du regard de passer à son tour et après de longue minute à le fixer désespérée, il abdiqua.
— Je te surveille, prévint-il en adoucissant sa vue.
S'en suivit une multitude de questions que je n'acceptai pas savoir en détail.
Lui voulait tout connaître.
Mais aussi étonnée que cela puisse paraître, je le l'interrompis pas sur l'une d'elles.
— Tu voulais savoir ce que Shahizadeh m'a dit pour que je perde mon calme.
Silence.
Il s'étonna.
— Rien du tout ?
Je secouai la tête.
— Pourquoi ?
— C'est dingue ça ! Le grand Amaël qui me demande pourquoi je ne veux rien savoir de sa vie amoureuse !
— Ma vie... ? Attends, quoi !? s'étonna-t-il en cherchant des explications non explicables.
Je laissai apparaître un sourire plein de sous-entendus et lui ordonnai de passer à la suivante.
— Tu voulais savoir pourquoi je deviens distant après avoir aidé quelqu'un ? Je suppose d'ailleurs que tu voulais parler de toi et de la cheville...
— Stop !
Je passai un bras derrière ma tête. Tout attentive.
Le moment que j'attendais.
— Je ne veux rien devoir à personne. J'aide parce qu'il faut croire que c'est naturel chez moi. Mais... Je ne veux pas qu'on ait de la sympathie pour moi parce que j'aide. Et j'ai possiblement un problème avec le fait de m'attacher aux gens aussi. C'est pour ça que je suis aussi surpris que toi de continuer à te parler. Après... C'est parce que tu es ma cousine, mais ce n'est pas pareil. L'attachement m'attache trop. Et je n'aime pas savoir que les autres attendent que j'intervienne à tout moment. Bref, à toi !
Il évita de justesse la révélation de trop.
Peut-être qu'il essayait de changer, ou alors, qu'il en avait peur ?
Je laissai passer outre et en vins à ma question.
— Tu voulais savoir pourquoi j'ai fait une crise d'angoisse fasse au docteur.
— Stop, mais tu as déjà répondu.
Je me mordis la lèvre inférieure en supposant que ce n'était pas le cas.
— Oui et non. Pour l'inconnu. Mais quand le docteur m'a touché, la crise s'est aussi déclenchée par rapport à ça. Je n'aime pas qu'on me touche, qu'un homme pose les mains sur moi. Même pour s'assurer que je vais bien.
Ou pour me pincer et s'assurer que je suis bien « enrobé de gras ».
— Pourtant avec moi tu n'as rien...
— J'ai confiance en toi.
Il passa sa langue sur ses lèvres avec en sourire en coin puis souffla :
— Voilà pourquoi je m'éloigne des gens. Tu es ma cousine, mais des inconnus se font des illusions. Si tu n'es pas de mon sang, évite de t'attacher.
— Je ne suis pas de ton sang, ma mère a été adoptée et...
— Tu m'as compris, me coupa-t-il gentiment. À mon tour.
C'est ce qui était bien avec Amaël.
Lui révéler des parts de moi sans tout dévoiler.
Il respectait l'intimité.
Pas comme mon meilleur ami.
— Tu voulais savoir pourquoi j'ai vrillé avec Mehdi.
— Stop !
Je me rattrapai :
— Mince tu m'as déjà expliqué.
— Faux. J'ai expliqué ce qui s'est passé avec Mehdi au lycée. Je parle d'aujourd'hui. Je t'ai dit pour mon père. Le fait de m'appeler Troblain. Cependant, c'est aussi en sachant que mon père a déposé un chèque. Il n'était pas censé le faire. Et Mehdi le sait. Ça a toujours été la folie avec mes parents et pas qu'en amour... Même si je pense qu'on peut plus parler d'obsession, mais soit. Mehdi me rappelle le bon vieux temps et le fait qu'il n'existe plus aujourd'hui, me fout les nerfs. Avec Elias, nous faisons notre possible de notre côté, mais quand vous êtes deux, contre un couple qui est pour et contre eux, et deux frères qui sont contre, c'est difficile...
— Et Vivianne ?
— Elle est, et je cite : « dans l'incapacité de concevoir une relation de ce type ».
— C'est quoi une relation de ce type ?
— À toi.
Bizarrement, j'acceptai.
Le temps viendra où les réponses seront données.
Ou volées.
Mais elles seront là.
— Tu voulais savoir pourquoi je me suis jetée sur la rou...
— Stop ! Stop !
Ma bouche en une grimace, je me tordis entre un rire et une angoisse.
J'aspirai ma salive avant de lui demander :
— Toi tu veux savoir...
— Oh que oui ! Ne me fais pas attendre !
Est-ce qu'il attendra longtemps avant de frapper son petit frère, si obnubilé par Amaël, dans ce cas ?
Que fera-t-il quand il l'apprendra ?
Est-ce que je veux qu'il l'apprenne ?
Une part de moi me dit que oui.
C'était le moment où jamais.
Mais peut-être pas pour cette question.
— J'ai peur d'arriver à l'heure au rendez-vous de ce soir. J'ai peur de me retrouver face à Loann et de manger à sa table. J'ai peur de le voir me voir. J'ai peur de le voir. J'ai juste... peur de lui. De ce qu'il pourrait dire, faire. Faire des blagues, des allusions douteuses, me faire passer pour une fille dégueulasse.
J'avais trop parlé. Mes maux avaient débité à tel point que j'en eus le souffle arraché. Le simple fait de parler de Loann me fatiguait.
— C'est aussi parce que j'avais besoin d'air, avouai-je en triturant mes mains. Je te l'ai dit, enfin, tu l'as remarqué. Et je crois que tu as raison. Le simple fait d'avoir chaud, de sentir de la chaleur, de me sentir confortable... J'ai peur que tout brûle autour de moi. J'avais juste besoin de prendre l'air. D'avoir froid et de... respirer. Dans le froid.
Mes deux révélations ne m'avaient pas aidé à canaliser mes pleurs qui me firent hoqueter.
— Putain ! À chaque fois que je suis avec toi, je pleure !
— Laisse les mots aller, tu as besoin de prendre conscience de ce que tu subis. Que ce soit Loann ou l'incendie, j'ai vraiment l'impression que ce sont des traumatismes pour toi. Il ne faut pas que tu voiles ce que tu ressens, Yu. Comprends-le, analyse-le, ressens-le pour enfin tout libérer.
Ma poitrine se leva avec ma main dessus. Le sourire de mon cousin qui m'imita me fit prendre son exemple. Il inspira et expira de manière calme et reposante afin que je prenne exemple dessus.
— Tu aurais dû faire psy, ou coach en relaxation, avouai-je tout en me concentrant sur ma douleur émotionnelle.
Son rire gêné me remonta le moral tandis que sa phrase attisa ma curiosité :
— Ne t'en fais pas, je te garantis que ce soir va secouer des assiettes en ce qui concerne mon avenir.
Avant même de lui arracher sa réponse, il me coupa :
— Oh, mais je crois bien que c'est à mon tour !
— Tricheur, lançai-je en soufflant.
La patience ne jouait jamais en ma faveur.
Et même si les révélations ne tarderaient pas, ma mémoire elle, oubliera probablement son teasing.
— Tu voulais savoir pourquoi « tu me dégoûtes ».
Voilà une question bien plus importante que n'importe quelle révélation.
— Et je sais déjà que tu vas dire stop.
Il laissa une pause et me fixa. J'acquis, il poursuit.
— Et je vais te dire pourquoi c'est compliqué.
Il se craqua les phalanges, attrapa la bouteille ouverte et se lança :
— Loann m'a dit des choses pas très bienveillantes sur toi. Je l'ai cru parce que c'est mon frère. Ses actions que tu décrivais au lycée ne lui ressemblent pas. Il peut être blessant, mais pas méchant. Maintenant, je vais faire mon enquête parce que cette journée avec toi m'a prouvé le contraire. Tu es intéressante et traumatisée. Je ne peux pas te faire avouer ce que tu n'as pas envie alors je prendrai le temps pour que tu te délivres à moi. Sache que quoiqu'il se passe avec lui, de plus enfoui, je peux t'aider. Loann est... comment dire... quelque peu obnubilé par ce que je pense de lui.
Mes émotions voulurent remonter à ses paroles.
Loann bienveillant ?
Je ne saurais dire s'il a un jour existé et je ne pourrai jamais en être certaine si je me taisais.
Amaël m'expliqua en détail ce préjugé qu'il avait à mon égard :
— Je vais être honnête. Ne le prends pas mal.
Ça commence bien...
— Tu n'es pas la personne la mieux foutue physiquement. Je ne sais pas si tu as des problèmes d'hormones, mais ta peau est catastrophique et tes cheveux gras. Tu renifles, essuies ta morve dans tes habits et...
Il s'arrêta, retenant tout commentaire.
— Pardon... J'y suis allé un peu fort, là.
Eh pas qu'un peu !
— Non... Continue...
Je lui assurai que ça irait. Je devais commencer par là si je voulais avancer.
Entendre ce qu'on avait à dire sur mon apparence et m'endurcir.
Je voulais être aussi forte que Shahizadeh.
Il reprit, tout en cherchant ses mots pour ne pas être blessant :
— Tes vêtements ne sont pas de qualité, mais comme je te l'ai dit : c'est compliqué. Je connais l'histoire de ta famille. Je sais que ta mère refuse de l'aide financière et je trouve ça courageux. Mais on a les moyens, Yu ! Je peux t'aider à te faire sentir mieux. Malheureusement, ça commence par les apparences. Si tu retrouves de l'estime pour toi, ton mental suivra, tu t'endurciras et...
— Comment retrouver son estime ?
— Oh, Yu...
J'attendis, sans exprimer de tristesse. Les paroles de la tatouée encore ancrées en moi :
« J'étais comme toi, avant ».
Est-ce qu'elle manquait de moyen financier, elle aussi ?
— Même avec peu d'argent on peut s'aimer, tu sais... Si ta mère refuse toujours notre aide, je suis là. Il faudra aller voir un spécialiste pour comprendre ton corps et ton métabolisme. Savoir pourquoi ton corps expulse autant de sébum. Faire des diagnostics, boire beaucoup d'eau et manger sainement.
Là était le problème.
Je mangeais sainement.
Peut-être juste en trop grande quantité...
Amaël avoua que le fait que Loann me harcelait comme je lui en aie fait part puisse jouer grandement sur ma santé.
— Si comme tu dis, il s'acharne sur toi, il ne te vole pas seulement ta confiance, mais ton énergie. Il joue sur tes peurs pour que tu aies encore plus peur. Et c'est un cercle vicieux. Je vais me renseigner pour toi. Sache que c'est pour cela que j'ai été réticent ce matin envers toi. Il t'a décrite comme moche, sale, sans manière, grosse et grasse.
Grosse et grasse, son jeu de mots préféré.
Je reniflai doucement face à ses mots. Juste... essayer de me contenir.
— Désolée de ne pas faire attention à moi...
Il me prit dans ses bras, tout en évitant d'effrayer le chaton.
— Tu n'as pas à être désolée. Tu as sans doute autre chose à penser que ça et c'est normal. Mais fais attention à ce que Loann dit. Je crois que c'est à ton tour.
— Tu voulais savoir pourquoi je suis rentrée dans ta voiture, réussis-je à dire en reprenant mon souffle.
— Stop.
— Je fuis ma mère parce qu'elle essaie de me faire accepter votre famille, mais j'ai... peur de Loann. Je me suis dit qu'en fuyant, je gagnerai du temps et que je trouverai quelque chose pour ce soir. Quitte à arriver en retard et te retarder. Et en plus elle ne veut même pas me dire comment va mon père et...
Encore.
Des larmes qui se perlèrent aux coins de mes yeux.
J'en avais marre d'être hypersensible à chaque phrase !
Amaël le remarqua. Alors il enchaîna.
— Tu voulais savoir pourquoi je n'ai pas réagi par rapport au cambriolage.
— Stop ?
Histoire de savoir que ma vie n'est pas si merdique ça, pensai-je en acceptant sa question.
— Mon père et ma mère sont en froid, puis en chaud. Il veut la voir, puis non, puis si. Tu comprends le schéma ?
J'acquis. Malgré tout le bonheur qu'ils renvoient, ils restaient instables.
— Mes parents se font des coups tordus tous les quatre matins. Puis ils s'aiment, se haïssent, s'embrassent, se battent. Je ne compte plus le nombre de fois où il est rentré chez mamie. C'est devenu une habitude. Même pour Loann qui subit ça depuis sa naissance. Le dernier, l'espoir pour un couple qui a tenté une dernière fois, mais qui était déjà brisé.
Loann vivait avec un amour destructeur depuis qu'il est né.
Ça me rappela les fois où il me tirait les cheveux quand ma mère et mon père jouaient avec moi juste avant.
Où quand mon père me poussait sur la balançoire et ma mère qui nous prenaient en photo dans le jardin de Vivianne.
Est-ce qu'il était jaloux de moi ?
— Mais Arman n'a que deux ans de plus que lui...
— Arman c'est une autre histoire ! ria-t-il en se tordant le ventre précipitamment.
Son fou rire énigmatique me fit sourire dans l'incompréhension.
— Tes parents l'adorent ! Elias aussi ! Il est chouchouté par tout le monde et il ne s'en rend pas compte ! Et je sais ce que tu vas me dire, ajouta-t-il à la suite en me faisant taire. Loann aussi. Mais Elias ne l'a jamais considéré. Loann a toujours rejeté papa, et Elias ne comprenait pas, alors il ignorait Loann. Mais Arman... Tu l'as vu ce matin ! Je crois bien que ce sont une âme dans deux corps qui ont comploté contre Loann pour l'ignorer.
— Sauf que toi tu n'es pas proche de lui... J'ai vu comme tu les as mal regardés, ce matin...
— Oh... fit-il sarcastiquement. Je suis peut-être un peu jaloux que mon jumeau m'ait délaissé pour lui. C'est compréhensible ! Depuis la fin du lycée, je n'ai que mes études en tête. Il a dû trouver chez le petit, un moyen de faire ses coups diaboliques !
Je ris en entendant le mot diabolique associé à Arman.
Farceur, il l'était.
Dans une justesse à seulement être réconfortant pour les autres et pas néfaste comme pouvait l'être le cadet.
— Loann est chouchouté, mais je n'ai pas le temps pour lui. Je suis assez solitaire comme personne. Je me contente de moi et de mes capacités. Tu vois où les aides scolaires nous portent ! Je suis passé d'un élève médiocre à un homme qui est obsédé par l'excellence...
— Chacun à ses défauts...
— Exactement ! Allez, dernier round !
Et pour cette fin de partie, quoi de mieux que de cracher sur mon harceleur ?
Peut-être bien la pire des idées qui soit.
Amaël m'avait éclairé sur beaucoup de points non élucidés.
Des suppositions, je pouvais en faire. J'avais une base sur laquelle je pouvais me reposer pour analyser, comme il le disait si bien.
Autour de nous, le néant, le vide. J'ignorais depuis combien de temps nous discutions. Le paysage se voilait par les vitres blanchies. Je me rabattis sur les yeux clairs d'Amaël pour lui avouer le tout pour le tout.
La conversation finale. Les mots les plus destructeurs qui m'ont accompagné durant de longues années.
— Tu voulais savoir ce que Loann m'a fait...
Il me tendit sa main en liant nos doigts. Il m'écouta, attentivement, et d'un simple hochement de tête, je me lançai.
— Il me harcèle.
Premier poignard en plein cœur.
— Il lance des rumeurs à mon sujet qui sont fausses.
Deuxième coup de poignard, cette fois dans le dos.
— Il agit très peu physiquement avec moi, la plupart du temps c'est quand il y a trop de monde pour qu'on l'accuse. Il préfère utiliser les mots.
Des mots aussi tranchants que cette lame qui me lacère le cou.
J'usai de courage pour mettre en pratique les techniques de respiration d'Amaël.
Une inspiration.
Une expiration.
— La cantine, les toilettes et les couloirs sont les pires endroits. Les filles le laissent entrer parce qu'il a un physique avantageux. Les profs ne limitent pas ces actes parce que Vivianne et son père paient ses risques. Je suis la souris enrobée qui a trop mangé de fromage et il est le chaton de la portée, soutenu par sa famille.
Une inspiration longue.
Une expiration longue.
— Ma mère, mon père et les profs disent la même chose : qu'il se lassera. Il s'amuse. C'est sûr, il ne laisse pas de marque donc je n'ai pas de preuve. Quand Arman me protège, c'est soit parce que c'est mon ami, soit parce que c'est le cousin qui parle et parce qu'il déteste Loann.
L'air se bloqua, ma poitrine brûla quand il sortit.
— Il manie les mots à la perfection qu'il en arrive à laisser des poèmes dans mon sac, par je ne sais quelles façons.
— Montre-les-moi en rentrant.
J'acquis.
L'épuisement m'engloutit, et il le sentit.
Alors, je me laissai aller dans ses bras. Le chaton reposé sur mes jambes, il ignorait nos histoires d'humains pathétiques.
Manger, dormir, jus de thon, voilà ce qui l'importait.
Je ne sus pas la suite.
Le temps s'écoula à tel point que la voix d'Amaël fit office d'alarme.
En relevant le menton, je constatai que mon cousin s'était lui-même assoupi.
Tête contre tête, il remarqua mon réveil. Tout en massant ma main, il gronda doucement :
— Tu n'as pas beaucoup mangé depuis que tu es avec nous.
Ce n'était pas une question, mais une constatation.
Comme s'il se mettait les idées en place.
Un plan qu'il construisait dans son crâne avec tout ce que je lui ai avoué.
Je ne répondis rien.
Sûre de sa réponse, je me laissai aller en baissant les paupières.
Soudain, le vibreur de son téléphone attira sa main apaisante vers l'appareil. En face de moi, l'heure.
Dix-sept heures sept.
— Il faut y aller...
Il n'entendit que mon expiration frustrée.
Ou apeurée.
Je me redressai, il avança son siège.
— C'est sûr que tu es terrifiée...
Toujours aucune réponse de ma part. Je le laissai parler tout seul.
À croire qu'il comprenait de lui-même mon traumatisme en essayant de le déchiffrer.
— Peut-être même qu'il t'humilie quand tu manges...
Je reposai ma tête contre la vitre givrée puis fermai les yeux quand après une dizaine de minutes la voiture reprit la route.
Très concentré sur ce qu'il vit, il me tendit sa main que j'attrapai. Arrivé à un feu dans un village, il reporta son attention sur moi.
— Je te promets de veiller sur toi ce soir. Mais on doit à tout prix y aller pour que je leur annonce quelque chose de très important... Et qui risque de créer du grabuge. D'autant plus que ton courage revient, donc maintenant : tu dois affronter Loann.
Affronter Loann.
Deux simples mots qui provoquèrent le plus grand de tous les cataclysmes dans mon esprit.
Est-ce que je devais le regarder ?
Lui tenir tête ?
Lui parler ?
Contrer ses actions ?
Je n'eus pas le temps de prévoir quoi faire qu'Amaël provoqua une autre bombe de questions.
— Je sais que la situation est grave. Je l'ai compris. Je suis tellement obnubilé par mes études que je ne remarque rien de ce qui peut arriver autour de moi... Alors, merci, Yu. Merci pour cette journée. Merci de m'avoir fait prendre conscience sur ça. Et merci de m'avoir fait ouvrir les yeux sur ton importance.
Mon importance...
Je ne saurais dire si je l'étais, mais une chose était sûre, cette journée m'avait aussi aidé.
— Merci à toi pour ton aide et ton écoute.
Nous sourîmes. Sa poigne se fit rassurante jusqu'à ce que nous nous décrochions pour qu'il attrape son téléphone.
Le cœur palpitant, j'angoissai en me barrant la bouche de ma paume.
Il me montra l'écran. Contact : ma mère.
Message : une adresse.
Deuxième message en majuscule : l'heure.
« RENDEZ-VOUS A 19 h 30 !»
Je hochai la tête, angoissée.
Désormais, j'avais un allié à mes côtés. Il me rassura en gardant toujours à la même vitesse, faisant en sorte de respecter mon choix.
Durant le trajet, il me raconta des anecdotes sur ses études.
Le nombre de râteaux qu'il s'était pris pour avoir délaissé ses fréquentations pour ses cours. La fois où il s'était fait si discret à la bibliothèque qu'il y avait passé la nuit et fait sortir de plein fouet par le gardien qui avait entendu du bruit.
La pression retombait.
Tandis que je reconnus le paysage de notre village, il remarqua ma main moite. Il attrapa le chaton d'une main et m'ouvrit la portière pour venir me chercher. De ces mots, il me rappela qu'il veillera sur moi.
La voiture, mon endroit d'échapper à mon cauchemar, s'éloigna lorsqu'on fit face à la porte en bois vitrée. Une belle couleur jaune avec les lumières à l'intérieur tentait de me consoler.
À peine la porte passée qu'une asiatique accouru vers nous. Amaël cacha l'animal dans son manteau avant de m'agripper la main à nouveau et de m'entraîner dans un escalier en colimaçon.
Tout autour de moi me parut chaleureux et convivial. Si bien que je me laissasse entraîner par l'ambiance apaisante et me pris de fascination pour la verrière sous laquelle nous dînions. Amusé par mon expression émerveillée, Amaël me tira vers une table où tous les visages convergèrent vers nous.
Attablée contre une fenêtre, je m'avançai vers ma mère qui m'embrassa les joues. Je fus surprise par son acte, moi qui m'attendait à ce quelle soit en colère. Malheureusement, mon accoutrement fit tache lorsque je lorgnai sur leurs vêtements classes.
Mais Arman me soutenait en me montrant son éternelle chemise trois fois trop grande pour lui.
En plissant les yeux, je remarquai une chose.
Loann n'était pas là.
Il n'était pas là !
Un grand souffle de soulagement me prit quand je regardai presque larmoyante, Amaël dont les mains disparurent dans son vêtement.
Il me rendit mon sourire avant de mimer le fait qu'il m'observait.
— Toute la soirée, lus-je sur ses lèvres.
Un bien fou me combla.
Je me débarrassai du manteau de Vivianne en m'amusant avec mon meilleur ami. Amaël était rassuré de ma plénitude.
Le restaurant, plein à craquer, me faisait pourtant sentir si proche de ma famille comme si elle seule était présente.
Ma mère me caressa vigoureusement le dos, et m'entraîna vers notre place.
Un sourire crispé aux lèvres, elle me dit :
— J'ai une surprise pour toi.
Son bonheur qui se voulait joyeux me partageait en deux.
En suivant son doigt, mon être entier se statufia en découvrant la personne qui hantait mes rêves du même cauchemar.
À deux doigts de pleurer à chaude larme, son expression à lui aussi me faisait revenir sur Terre.
Mon souffle se coupa plusieurs fois, n'osant pas imaginer qu'il puisse être ici, avec nous.
Mais la concentration fut courte quand Amaël me déconcentra en me faisant m'asseoir à côté de lui.
— Pourquoi il y a une assiette de plus ? s'étonna-t-il en interrogeant sa famille prise dans une discussion complexe. Arman haussa les épaules, Elias ne l'écoutait plus, ma mère parlait avec les deux femmes. Alors je lui fis remarquer en désignant de la tête en pleurant :
— Parce qu'il est là.
Mon père.
Sorti de l'hôpital et tout sourire en me voyant.
Pourtant, il prenait son temps, n'accourut pas en ma direction.
Il... marchait.
Jusqu'à ce que je comprenne pourquoi.
Je crus que mon être aller se décomposer.
Les yeux levés vers Amaël qui se mordait la lèvre, il avait remarqué que Loann s'était glissé derrière mon père.
Tous deux très sérieux dans une discussion à n'en plus finir, ils rigolèrent avant que mon père écartât les bras pour m'enlacer.
Pour le coup, les bras m'en tombèrent.
Et d'un mauvais regard, je fixai le blond vêtu d'un long manteau similaire à celui d'Amaêl, me faire un clin d'œil qui me rendit nauséeuse.
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Chapitre très long. 5 000 mots. Je me suis autant que vous laissée entraînée par l'histoire. Bon... J'AVOUE ! C'est à cause d'Amaël. Et devinez quoi ? Je l'aime.
Yu qui commence à avoir une obsession pour Shahizadeh, ça pu ?
Vous avez pensé quoi de toutes ces révélations ?
Et Loann ???? Que ressentez-vous à son égard ?
Bizarrement, j'ai été prise dans l'histoire pile à ce chapitre, où j'ai commencé les nuits blanches. Alors, préparez-vous pour la suite, parce que ça va barder ! Rendez-vous demain pour la suite !
⚠️ PAS. DE. FANTASMES. SUR. LES. PERSONNAGES.
L'avancée des chapitres et des histoires est sur...
Instagram : allynnaf
09/06/23
(corrigée le 20/06/23)
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