Chapitre 11 : L'intimité violée
Le bruit de la porte arrière me réveilla en claquant d'un coup. J'ouvris brusquement les yeux en observant un paysage flou blanchi avec des couleurs marrons.
À l'extérieur résonnaient diverses voix et des silhouettes se dessinaient derrière la vitre embuée.
— Non... On est arrivés...
Mes doigts se craquèrent sous la pression de ma main pour calmer les palpitations de mon cœur.
Puis, je tournai la tête vers l'arrière alors que le coffre s'ouvrit à nouveau.
— On est arrivés ?
— Ah, tu es réveillée ! Viens m'aider !
Je soulevai le manteau en fourrure pour l'enfiler et lorsque j'ouvris la portière pour déposer mon pied sur le bitume salé, je trébuchai en m'agrippant sur le haut glacé du métal.
Amaël montra sa tête jusque-là cachée et me surprit à dire :
— Ne bouge pas !
Les sachets portés se déposèrent en un froissement dans le coffre puis il vint à moi, les paumes toujours agrippées à la porte.
Il plaça un bras sous le mien pour m'aider à me rasseoir, mais je protestai.
— Non ! Tu as la cheville cassée ! brailla-t-il en plissant les yeux vers ma blessure.
Sa main fit pression sur ma botte en fourrure qu'il retira pour constater par lui-même. D'une voix basse, il se dit :
— J'espère juste qu'elle ne l'est pas vraiment...
Un courant d'air frais traversa le tissu de ma chaussette qu'il replia jusqu'au talon après quoi il passa ses doigts sur la rougeur.
— Tu as mal ?
Je répondis négativement, mais je sifflai quand il enfonça son pouce.
— Très bien. Ferme la porte, je reviens.
— Mais les sacs ?
Il ne m'écouta pas, força mes jambes à se remettre dans la voiture et claqua ma porte, puis enchaîna avec celle du coffre. Je ne connaissais toujours pas l'heure.
Je voyais les passants me contourner et s'amuser tandis que j'étais assise, sans chauffage ni repère temporel.
Agacée par ce silence, je me surpris à avoir le regard qui dériva sur un téléphone quand une notification retentit.
C'était un message d'Alain qui m'importait peu par rapport à l'heure.
Onze heures trente-et-une.
Mes mains tremblèrent contre moi, mais je les cachai aussitôt quand Amaël ouvrit de mon côté, accompagné d'un inconnu.
— Retire ta chaussure, m'ordonna-t-il en se poussant pour laisser la place à un homme en combinaison de ski qui se baissa vers mes jambes que je décalai.
J'y allais doucement en prenant soin de suivre la forme du pied pour ne pas geindre.
La godasse placée devant moi, j'eus un frisson désagréable lorsque je sentis des doigts inconnus toucher ma peau en descendant ma chaussette.
Comme si j'étais violée dans mon intimité.
Il reproduisit les mêmes mouvements qu'Amaël avait faits, m'arrachant une grimace.
— Tu peux tourner la cheville ?
J'essayai, mais je fronçai les yeux en m'enfonçant dans le siège et soufflai ma douleur.
— Tu peux te tenir dessus ?
— Elle a essayé, mais elle est tombée.
L'homme acquit à la réponse d'Amaël et sortit un carnet de son sac à dos.
— Bien. Avec la neige qui est partout, je ne peux pas constater si l'os est cassé ou non. Tu peux essayer de te déplacer jusqu'à l'intérieur ? demanda-t-il en griffonnant mon nom qu'Amaël épela.
— Elle ne pourra pas tenir. Il y a au moins trois cents mètres, intervint-il en me fixant avec une expression lasse.
— Nous allons l'aider dans ce cas.
Les deux hommes se baissèrent pour m'extirper de la voiture et me traînaient jusqu'au bâtiment boisé.
Mon pied étant à l'air, je crispai ma mâchoire tremblotante et pressai les poings pendus de chaque côté de mes porteurs.
Dans le hall, la chaleur me brûla la gorge et tout le reste de ma peau découverte.
La vingtaine de degrés me fouetta autant au visage que la température négative de l'extérieur.
Mes pensées étaient si focalisées sur ce changement extrême qu'à peine consciente du lieu, je me retrouvai sur une chaise en plastique.
J'observai les alentours, noyé dans un brouhaha de langues multiples, de froissement de sachets, de musiques et d'animaux.
Amaël était inaudible de mon côté.
J'eus à peine le temps de le regarder qu'il se déplaça vers la sortie, les mains dans les poches.
Il me laissa seule avec un inconnu qui me touchait.
— Je... Hum...
Je m'éclaircis la gorge, mais les larmes montèrent.
Ma doudoune faisait office de couverture de survie qui me chauffait atrocement.
Je tirai sur mon pull pour essayer de me rafraîchir avec mon souffle, mais c'était trop tard.
La panique m'envahit.
J'essuyai mes mains humides sur mon pantalon, ma gorge pâteuse avait un goût étrange. La foule digne d'un festival littéraire s'agitait en donnant l'impression de tourbillonner tout autour de moi.
Les ombres floues et des odeurs diverses se mélangeaient et remuaient l'acide dans mon estomac.
Mes yeux s'embrumaient davantage et mon souffle se coupa net devant l'inconnu qui se baissa devant moi.
Je n'entendis rien.
Je vis flou.
Je ne ressentis plus mon corps.
— ... Ici ?
Je ne faisais qu'inspirer, inhaler les odeurs de parfums chimiques.
Je me sentais anesthésiée, dans les vapes.
Ma tension ralentie, tout comme ma conscience.
Tout décélérait, tout devenait plus fluide, inaudible.
Et puis... trou noir.
— ... Possible qu'elle.... Ne comprends pas...
Ma tête s'alourdissait telle une ancre.
— ... Rester encore... Va bien...
Une pression sur mon épaule me donna un frisson si étrange.
— ... Manger ce matin !
Mon menton était emprisonné de force, m'obligeant à tourner la tête en plissant les yeux de gêne.
Un long sifflement me fit baisser le visage en avant, lâchant la main qui me maintenait.
Tout bourdonnait.
Le bruit revenait sans variation, cognant l'acouphène dans mes oreilles par des battements, à une amplification digne d'un concert.
Sur le coup, je grimaçai et m'éveillai, me forçant à ouvrir les yeux.
Les couleurs étaient si vives et lumineuses.
La vue encore brouillée, je distinguai les murs nus, où la nature vivait de l'autre côté.
Les vas et-vient me firent détourner le regard.
Ma vision était kaléidoscopique, psychédélique. Je voyais des lignées vertes, roses, bleues, des odeurs telles que la menthe, l'alcool allant aux plats préparés que les employés distribuaient.
— Yu ? Yu !
Je reconnus la panique d'Amaël dans mes oreilles. Mon corps bascula à plusieurs reprises sur le côté, mais je me repositionnais toujours droite après un coup de main.
— Ouvre la bouche ! m'ordonna-t-il sans vergogne.
Je grimaçai en sentant un objet cartonné entre mes fines lèvres.
Je gigotai, mais la silhouette presque statique de mon cousin tournait toujours à l'endroit vers lequel je me penchai.
Il me donna des ordres que j'imitai.
Mais après avoir levé la voix en constatant qu'il ne voyait rien dans ma bouche, je me forçai.
Je reconnus le goût sucré.
Trop sucré.
Pourquoi !
Pourquoi il me faisait boire ça !?
Le liquide stocké dans ma bouche, il me dicta de l'ouvrir pour voir si j'avais avalé.
Je n'avais pas le choix.
La boisson me donnait envie de vomir.
Je ne pouvais pas prendre ça... Je m'étais promis d'arrêter !
Ses doigts m'emprisonnèrent la mâchoire jusqu'à ce que le contenu de la brique en carton sonnait vide.
Durant cette minute, ma vision s'était améliorée, remplaçant le flou de l'évanouissement par le flou des larmes.
Je regardais mal Amaël qui se releva, les bras chargés de sacs en se dirigeant dans un regroupement autour d'une table plus loin.
L'inconnu bougea une chaise similaire à la mienne et s'assit en face de moi, cachant mon regard meurtri vers ma cible.
— Vous avez de l'eau ?
L'homme qui me palpa la cheville se pencha pour attraper une bouteille sous sa chaise et me la tendit en souriant.
Je l'ignorai et gargouillai ma bouche pour éliminer le surplus de goût sucré que j'évitais à tout prix depuis plusieurs mois.
J'étais sûre qu'Amaël l'avait fait exprès.
Un Troblain restait un Troblain.
— Bien, Yu ? C'est ton nom, n'est-ce pas ?
Je ne répondis rien et l'ignorai pour voir sa silhouette se rapprocher de nous, les mains dans les poches.
Il se tut, lui aussi.
— Qu'est-ce que tu m'as donné ? crachai-je en le toisant méchamment avant de réprimer un sifflement quand une pommade me refroidit la cheville.
— Du jus d'orange.
— T'avais pas le droit de me forcer, putain !
Les larmes coincées au coin des yeux roulèrent sur ma peau.
Amaël quitta son téléphone du regard et m'observa brièvement, interloqué.
— Ce n'est que du jus d'orange.
— Avec du sucre ! ajoutai-je en essuyant mes paupières dans un reniflement.
— Et alors ?
Je pouffai un rire mauvais et tournai la tête vers les baies vitrées. Je regardai en coin pour voir un bandage s'enrouler autour de ma jambe.
L'inconnu semblait gêné, mais continua son activité en parlant avec Amaël qui était disposé à l'écouter, contrairement à moi.
— Mais oui, ce n'est qu'une foulure, confirma le soignant de profil. Il faudra vérifier sur la durée si la peau ne bleuit pas et s'il n'y a pas de gonflement. Au cas contraire, il serait judicieux de consulter et faire une radiographie.
— Et elle pourra marcher ?
— Oui. Mais pas de précipitation. Doucement et à son rythme.
Je leur montrais toujours ma tête de profil, en les écoutant d'une oreille. Mes orteils bougeaient difficilement à cause du bandage très épais qui me coupait la circulation.
— Parfait, merci beaucoup pour votre aide, monsieur. Laissez-moi vous...
En me tournant vers Amaël, je le vis fouiller dans son manteau et en sortir son portefeuille, mais le soignant refusa d'une main en le remerciant.
Il me souhaita un bon rétablissement en faisant grincer sa chaise qu'il rangea tout en tendant un papier à Amël, avant de disparaître dans une foule passante.
Je restais silencieuse jusqu'à la voiture, où Troblain m'aida à me stabiliser avec un bras.
— Bon... Au moins une chose de fait ! déclara-t-il en claquant la portière.
Je ne bougeais pas, et regardais droit devant moi. Je le sentis m'observer, mais il se restreint en soufflant tranquillement face à mon mutisme qu'il accepta.
Cependant, à peine le moteur vrombissant, il tourna la tête vers moi et tout autour de la voiture, paniqué :
— Tu as entendu ?
Il commença à s'agiter, vraiment déboussolé.
— Non... Non ! Je viens à peine de l'acheter !
Il baissa la fenêtre en passant sa tête à travers pour mieux entendre. Finalement, il sortit vers le moteur, les yeux affolés.
Le capot s'ouvrit et claqua directement après.
Mes yeux se plissèrent.
J'étais autant dans l'incompréhension que lui. Je le suivis dans les rétroviseurs quand il fit deux tours complets sans se détendre.
Puis, il vint à ma fenêtre et toqua en me demandant de la baisser :
— Tu peux couper le moteur ?
Le froid commençait à imprégner l'habitable. Je sentis le bout de mes doigts picoter avant de les réchauffer dans le gros manteau de la vieille.
Bizarrement, avoir seulement l'air sur mon visage m'apaisa plus que je ne l'aurais cru.
Probablement à cause de mon malaise plus tôt, où la chaleur a beaucoup joué.
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Il y a un bruit qui ne s'arrête pas dans la voiture, mais je n'y vois rien...
Alors je m'exécutai.
Mon doigt relâcha le bouton et je me penchai vers ma fenêtre. Je tendis l'oreille et me focalisai sur les différents côtés de la voiture, jusqu'à ce qu'un bruit aigu attira mon attention.
— J'ai entendu !
Le froid s'immisça dans mes narines tandis qu'Amaël accourut à ma porte ouverte et me demanda de rester à l'intérieur pendant que je le guidais.
Je pointai du doigt l'arrière de la voiture, toujours de mon côté. Mais il revient perturbé.
— Il n'y a rien !
— Retournes-y !
Il s'éloigna de moi, en s'accroupissant. J'appuyai à nouveau sur le contact et le bruit retentit instantanément.
— C'est là ! entendis-je hurler.
Son reflet dans mon rétroviseur se perdit sous la carrosserie puis ses bras disparurent à leur tour.
Je plissai les yeux pour mieux voir dans le décor blanc, mais à peine je pris appui sur la portière, qu'il revient tout souriant.
Je le regardai intriguée alors qu'il me tendit une fourrure noire au creux de ses mains. Mes paumes couvrirent ma bouche de surprise et je souris à mon tour en tendant les bras vers lui.
— Mais c'est un chaton !
Amaël passa devant la voiture et referma tout automatiquement derrière lui. Nos vitres remontèrent et me demanda hésitant, s'il pouvait mettre le chauffage.
Je m'en foutais de ce qu'il pouvait dire, ou me demandais, j'étais focalisée sur la petite boule de poil apeurée qu'il me déposât sur les genoux.
— T'as le droit de le prendre ?
— Pas de tatouage, pas de collier.
— Ça ne veut pas dire qu'il n'appartient pas à quelqu'un, Amaël ! Tu ne peux pas voler un animal !
Il sourit en observant les alentours pour reprendre la route. La chaleur sortit peu à peu devant nous et j'essayai de détendre le chat en lui massant l'une de ses pattes.
Il était terrorisé.
— Il m'appartient, dorénavant. Tu ne crois pas qu'en trente minutes, nous aurions vu et entendu quelqu'un chercher un chaton ?
Seulement trente minutes ?
Les lèvres pincées, j'aspirai la peau de ma bouche en me forçant à ne pas compter le temps restant.
Amaël restait concentré sur la route, un bras tendu vers l'animal.
À un tournant, il constata mon silence qu'il voulut briser par une blague, mais mes yeux restaient toujours statiques dans le vide.
Le bitume et les maisons de vacances disparaissaient, laissant place à des pins blancs alignés.
Je n'avais plus le choix.
Soit je lui disais la vérité et il accepterait de s'arrêter, soit nous rentrons à la maison et mon stress reviendrait.
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J'ai enfin terminé ce chapitre ! J'avoue que c'est le fait de m'imaginer le centre associatif qui m'a bloqué... Mais, j'ai laissé un indice pour un jour, si vous vous rappelerez. En lien avec quelque chose :)
Déjà, pourquoi Amaël a ce comportement de connard viril et autoritaire quand il est avec une 3e personne ?
Et Yu qui lui en veut plus d'un coup... Est-ce qu'elle va finir par se confier à 100 % ?
J'ai un truc à dire : faites attention au docteur miracle. Il est pas là pour rien :) en tout cas, c'est une avant première pour quelque chose d'autre... Et préparez-vous, le restaurant c'est le prochain chapitre... :)
⚠️ PAS. DE. FANTASMES. SUR. LES. PERSONNAGES.
L'avancée des chapitres et des histoires est sur...
Instagram : allynnalf
03/03/23
(corrigée le 20/06/23)
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