CHAPITRE XXXIII
- Tu penses que je devrais être avec Vanya hein ?
Un léger courant d'air caressant mes doigts me donne assez rapidement la réponse que j'attendais.
- Et si papa avait...
Je me mets à sourire malgré moi en réalisant ce que je viens de dire aussi naturellement.
- Apparemment je recommence à l'appeler papa.
Du coin de l'œil j'aperçois le carnet posé à côté de moi. Ce carnet que je n'aurais jamais dû ouvrir.
- Je devrais le balancer là maintenant.
Je me penche pour regarder le vide qui se présente devant moi, réalisant que faire cette connerie reviendrait à faire tomber tous les petits secrets des enfants Hargreeves entre les mains d'une nouvelle personne beaucoup trop curieuse qui serait prête à s'en servir pour de très mauvaises raisons. Comme Harold Jenkins. Qui est mort à cause de ça.
- Et maintenant qu'il est mort...tu crois que l'Apocalypse est annulée ? Qu'on va tous pouvoir rentrer chez nous comme si rien ne s'était passé ? Que je vais pouvoir la regarder en face comme si c'était encore possible ?
30 ANS AUPARAVANT
- Numéro Sept ! Numéro Huit ! Concentrez-vous !
Reginald Hargreeves avait pour habitude d'hurler sur ses élèves lors de ses leçons, mais celles qu'il avait en face de lui, n'étaient pas les plus dociles. Chaque leçon avec elles se terminait de manière violente et parfois sanglante. Oui, elles étaient inséparables, comme deux jumelles. Mais lorsque leurs pouvoirs prenaient le dessus sur elle, personne ne pouvait plus les arrêter. Personne, sauf leur père de substitution. Le seul qu'elles avaient jamais eu. La petite Numéro Huit était terrifiée. Elle craignait plus que tout ces séances d'entraînement, contrairement à sa sœur adoptive qui n'y trouvait qu'une nouvelle opportunité de désobéir.
Hargreeves, comme à chaque entraînement, fit un pas en avant pour donner un coup sur l'un des verres posés sur la table en face de lui. La vibration fit frissonner celle qui ne pouvait la sentir qu'à travers le simple contact que lui procurait la main de Numéro Sept. Elle détestait cela, et ne comprenait pas comment sa sœur pouvait les supporter aussi facilement.
- Numéro Huit !
Elle tenta tant bien que mal de se redresser pour se tenir bien droit, et se concentrer sur l'étagère lourde à côté d'elle. Toujours la même étagère. Ou du moins était-elle identique aux précédentes en apparence. Il ne lui fallut pas longtemps pour parvenir à la soulever dans les airs sans même avoir à la toucher, mais la main de sa sœur dans la sienne commençait à la faire souffrir. Elle sentait que cette dernière commençait à la brûler tandis que les vibrations s'intensifiaient autour d'elle. Hargreeves, bien que témoin de leur mal-être, continuait de cogner sur ces verres, tout en hurlant.
- Concentrez-vous !
- Papa ! se mit à crier celle pour qui l'étagère devenait de plus en plus lourde. J'ai mal à la tête !
- C'est parce que vous n'essayez pas de contrôler vos émotions Numéro Huit ! Si vous refusez de m'écouter...
Mais il fut interrompu par l'explosion quasi simultanée de tous les verres en face de lui. Explosion suivie comme habituellement, de la violente chute de l'étagère dont les débris ne tardèrent pas à se répandre sur le sol, puis de la surchauffe. Les mains des petites commençaient à devenir aussi brûlantes que de la lave en fusion quand elles furent soudain propulsées loin l'une de l'autre. De chaque côté de la pièce.
Reginald Hargreeves se contenta alors de contourner la table en retirant son monocle pour l'essuyer avec ennui, au moment où les portes s'ouvraient dans un grand fracas, faisant place à leur récente mère, et au majordome qui se précipitèrent vers les petites pour leur faire subir le massage cardiaque habituel. Cet entraînement n'allait donc pas être différent des autres. Quoiqu'une fois les petites réanimées, ce jour-là Pogo décida d'aller s'entretenir avec son maître, laissant les enfants entre les mains de leur mère.
- Monsieur si je puis me permettre...j'ai bien peur qu'un jour ces chocs répétitifs ne leur soient réellement fatals.
- C'est bien pour cette raison que leur lien doit être contrôlé. Si ces jeunes filles continuent à s'autodétruire mutuellement, non seulement elles ne me seront d'aucune utilité, mais je serai également contraint d'en venir à des méthodes plus radicales.
D'un geste naturel, il replaça simplement son monocle, et contourna son interlocuteur pour se diriger vers les portes sans se soucier de l'état de la pièce qu'il s'apprêtait à quitter.
- Cette discussion est à présent terminée, je dois m'occuper de l'entraînement de Numéro Six.
Qu'est-ce que je suis supposée penser de tout ça ?
- Foutu bout de papier.
Je me lève du rebord de l'immeuble le plus haut que j'ai pu trouver pour tenter de m'éloigner le plus possible du reste du monde, saisie le carnet, et sans attendre le jette violemment derrière moi.
- Foutu Hargreeves !
Je regarde le carnet atterrir à quelques centimètres de la porte menant au toit, qui s'ouvre soudain sur un inconnu qui se met à fixer bizarrement, assez surpris de toute évidence. Vêtu d'un simple costard cravate de bureau, un donut à la main, il semble terrifié de me voir aussi près du rebord.
- Mademoiselle ? Comment êtes-vous montée jusqu'ici ?
Je lève les yeux au ciel en sautant du rebord pour marcher vers lui et aller récupérer le carnet. Je n'ai pas le temps de taper la discute avec un étranger.
- Est-ce que vous vous sentez bien ? Votre uniforme est déchiré et couvert de sang...
- J'ai passé une mauvaise journée. Ou...nuit. J'en sais rien. Je passe une mauvaise vie en général.
Je ramasse le carnet en donnant un coup de main dessus pour enlever la poussière qui avait pu le recouvrir.
- Qu'est-ce que vous faisiez aussi près du vide ?
- Je pensais à ma sœur.
- Elle a des problèmes ? Vous avez des problèmes ?
- Ecoutez...
- Georges.
C'est un nom qui lui ressemble assez bien. Je ne sais pas comment l'expliquer mais...oui ses parents n'auraient pas pu trouver mieux.
- Georges. C'est très gentil de votre part de vous soucier de mon bien-être ou de celui de ma sœur, mais croyez-moi, vous devriez saisir la seule chance qui vous a réellement été donnée dans la vie.
- Laquelle ?
Je me redirige vers le bord en soupirant et en rangeant le carnet dans ma veste. Puis arrivée à destination, je me retourne vers lui, et lui souris simplement.
- Ne pas faire partie de ma famille.
Et sur ces mots, je remonte sur le bord en ignorant ses cris et me laisse tomber en arrière. Je tombe un instant, bien trop court, qui me procure une sensation de liberté et de paix. Avant d'atterrir aussi légèrement qu'une plume au milieu d'une ruelle sombre et abandonnée. Un simple détail m'interpelle dans ce qu'il a dit. C'est vrai que mon état doit attirer l'attention. On pourrait croire que je me suis faite attaquée par une meute de loups enragées alors que je courrais le marathon des Jeux Olympiques. Il faut que je rentre à l'Académie pour me changer. Une bourrasque me repousse pourtant légèrement alors que je commençais à marcher en direction du bâtiment le plus imposant de la ville.
- Qu'est-ce que tu veux que je fasse ?! L'avant-dernière fois qu'on a utilisé nos pouvoirs ensemble on en est mortes toutes les deux ! Et la dernière fois, qui soit dit en passant est plutôt récente, on a carrément tué un type comme si on était en plein remake de massacre à la tronçonneuse !
Sans que je puisse l'empêcher, je me fais très rapidement pousser contre un mur avec violence. J'y crois pas.
- Ah ouais t'es en colère ?! Bah moi aussi je suis en colère ! Je suis en colère de pas pouvoir te botter le cul comme tu mériterais que je le fasse !
Et après quelques secondes de silence radio de sa part, je finis par me calmer en me laissant tomber par terre, les larmes aux yeux.
- Tu crois que c'est facile pour moi ? Je refuse qu'elle pense que je suis en train de l'abandonner, mais je refuse aussi de la tuer, et si on s'approche de trop près, c'est ce qui risque d'arriver. Alors maintenant, est-ce que je peux s'il te plaît rentrer à l'Académie sans me prendre une tornade en pleine figure ?
Pas de réponse. Bah voyons...
- C'est ça boude si tu veux. Je te signale que j'ai une gosse ça me changera pas énormément de mon quotidien.
Et je me lève enfin pour me diriger vers l'Académie. Marchant le plus possible dans les ruelles et les coins sombres, pour ne pas être vue. Je ne sais pas ce que je dois faire. Ce n'est pas la première fois de ma vie que tout est aussi bordélique autour de moi, mais c'est la première fois...que je n'ai absolument aucune idée de comment arranger tout ce merdier. Quand j'arrive enfin devant le grand portail de l'Académie, je dois m'arrêter un instant pour penser à ce que je vais dire. Comment leur expliquer tout ça ? Comment...
Et merde.
Je pousse le portail en priant pour ne pas tomber trop tôt sur Cinq, mais il fallait qu'en entrant...ce soit la première personne que je croise. Ainsi que Klaus. Tous les deux en pleine dispute je suppose puisque Cinq a eu le temps de lancer un truc en verre contre le mur avant de se retourner et de remarquer finalement ma présence. Son regard, empli de colère, se mêle alors de l'inquiétude.
- Oh mais je vous en prie continuez, les rassuré-je aussitôt. C'est quand j'entends des disputes que je me sens vraiment à la maison ici.
- Huit bon sang je peux savoir où t'étais passée ?
Je voulais qu'ils continuent de se disputer entre eux, pas avec moi.
- Je viens de passer des heures très sombres à base de...pleurs, meurtres, et de révélations très...révélatrices. Et comme je viens d'arriver je crois pas avoir envie de vous en faire un petit résumé dans l'immédiat. Vous avez qu'à retenter votre chance dans une dizaines de minutes. Ou plutôt une dizaine de verres. D'ailleurs tu seras gentil de nettoyer ce bazar Cinq, maman va encore se sentir obligée de le faire.
Et sur ces mots je tourne simplement pour me rendre dans le salon, ou plus particulièrement, dans le bar. Je dois me changer oui, mais avant je dois boire. Je me sers un verre quand Cinq fait son apparition devant moi. Ça ne me surprend même plus, je porte juste le verre à mes lèvres en essayant de me détendre un peu.
- Tu pensais que rentrer après avoir disparu pendant plusieurs heures, pour nous sortir des conneries, et ensuite ne plus lâcher un seul mot ça allait marcher ?
J'avale la gorgée amère et brûlante avant de reposer mon verre et la bouteille sur le bar, pour le regarder droit dans les yeux.
- T'es bien rentré après plusieurs années pour nous balancer tes 58 ans en pleine figure. En quoi c'est différent ?
Je contourne le bar et vais m'installer dans le canapé pour fermer mes yeux et essayer de mettre mon cerveau sur pause le temps d'une simple minute. C'est tout ce que je demande.
- J'ai jamais aimé le yoga. Je devrais peut-être essayer de m'y mettre.
- On a retrouvé Harold Jenkins chez lui.
Et merde...sérieusement ?! Il peut pas me lâcher deux secondes avec ce type ?!
- On sait pas ce qui lui est arrivé.
- Il a été transpercé par une quinzaine de couteaux, de ciseaux...et d'autres conneries du genre. Alors pour moi c'est assez évident.
- Comment tu sais ça ?
Je soupire en rouvrant les yeux pour me tourner vers celui qui se tient debout devant moi avec insistance.
- A ton avis Cinq ?! Je viens de te dire que c'était assez évident !
Il fronce les sourcils un instant.
- Tu l'as tué ?
- J'étais pas seule.
Et alors qu'il s'apprêtait à me poser encore plus de questions, maman fait son entrée avec un regard tout aussi inquiet et furieux que celui de Cinq il y a encore quelques instants.
- Voyons ma grande je me suis fait un sang d'encre pour toi et regarde l'état dans lequel tu rentres.
- Désolée maman. J'ai pas vu l'heure passer.
Elle attrape le verre de ma main et va le poser sur le bar sans se soucier de mon air ennuyé.
- Ce n'est pas ça qui t'aidera à aller mieux. Je vais te préparer un bon bain chaud et un nouvel uniforme, celui-là est bon pour la poubelle.
- Je n'ai pas besoin de prendre un bain.
- Bien sûr que si. Veux-tu que ta sœur te voie dans cet état à son réveil ?
Minute...quoi ?! Ma sœur ? Son réveil ? Je me lève aussitôt.
- Allison ?! Allison est en vie ?!
- Oui évidemment. Cinq ne te l'avait pas dit ?
Je me tourne vers le concerné furieuse.
- Je suppose qu'il a dû oublier.
Mais je suis bien trop soulagée pour rester en colère. Je saute plutôt au-dessus de la table basse et je cours vers l'infirmerie où je suppose que ma sœur est. Allison est vivante. Elle n'est pas morte. Vanya ne l'a pas tuée. Bon sang enfin une putain de bonne nouvelle !
En entrant dans l'infirmerie, la première chose que je vois c'est Luther. Assis à côté de la table d'opération métallique, sur laquelle repose la belle endormie. Elle est simplement endormie. Avec un bandage autour du cou. Je m'approche en sentant des larmes de soulagement et de remords me monter aux yeux. J'aurais dû être avec elle. Elle n'aurait pas eu à utiliser son pouvoir. Elle...son pouvoir...
- Comment elle va ?
Luther se retourne surpris, avant de se calmer en me voyant.
- Où est-ce que t'étais ? Cinq était fou d'inquiétude.
- Comment elle va ?
Il se retourne vers elle. C'est à ce moment précis que je me rends qu'il lui tient la main. Comment je pourrais oublier leur relation ? Ils ont toujours un peu été comme Cinq et moi quand on était petits. Toujours là l'un pour l'autre, jamais l'un sans l'autre. Voir Allison dans cet état a dû lui procurer le même choc que lorsque Cinq s'est écroulé devant moi à cause de cette balle. Quand j'ai cru que j'allais le perdre.
- Diego lui a donné son sang. Son état est stable elle devrait se réveiller très bientôt.
- Diego ? Je suppose qu'il s'est évanoui rien qu'en voyant l'aiguille ?
Un léger sourire apparaît sur les lèvres de mon frère. Je souris à mon tour en m'approchant un peu plus pour observer ma sœur de plus près. Je ne sais pas comment j'aurais pu vivre sans elle. Comment j'aurais pu annoncer à Claire que sa maman ne rentrerait jamais. Je ne veux plus jamais avoir à ressentir ça. Je ne veux plus perdre personne, c'est pour cette raison que je ne peux pas risquer d'approcher Vanya maintenant que ses pouvoirs se sont éveillés. J'essuie rapidement la larme qui s'était mise à couler le long de ma joue avant de poser ma main sur l'épaule de Luther, qui je suppose, refusera de bouger d'ici tant qu'elle n'aura pas ouvert les yeux.
- Préviens-nous quand elle sera réveillée.
- Ouais.
On échange un dernier regard, puis je sors de la pièce en essayant de retenir mes larmes. J'ai l'impression que lire ce carnet a ravivé en moi des souvenirs effacés depuis bien longtemps. Effacés par Allison, malgré elle. Elle n'avait aucune idée de ce qu'elle nous faisait, tout comme je n'avais aucune idée de ce que tout ça pouvait représenter. Mais est-ce que c'est le cas aujourd'hui ?
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Voilà voilà c'était le chapitre 33 ! J'ai repris le boulot aujourd'hui, je suis épuisée et j'espère sincèrement pouvoir garder le rythme d'écriture que j'ai pris pendant mes vacances. Dans le pire des cas, j'ai déjà quelques chapitres d'écrits pour ne pas vous faire trop attendre !
J'espère que celui-là vous aura plu en tout cas !
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