CHAPITRE XV
J'arrive sur le parking une fois la nuit tombée. Constatant avec soulagement que la camionnette est toujours là. Je ne sais pas ce que j'aurais fait si au final Cinq était parti je ne sais où sans moi. Sa fenêtre ouverte me permet alors d'entendre une conversation entre lui et...Delores...
- Tu sais, c'est pas la peine de me le dire. Je suis au courant qu'il nous reste que six jours.
Six jours. Six ridicules petits jours avant...
- Quoi ? T'as une meilleure idée peut-être ?
L'entendre parler avec Delores a au moins le don de me distraire un peu. Je m'inquiète surtout pour sa santé mentale quand ça arrive. Et pour la mienne, quand on pense à la petite discussion qu'on a eu tout à l'heure elle et moi.
- Si tu le dis.
Je décide de faire mon entrée à ce moment en apparaissant devant sa fenêtre comme il a l'habitude de le faire.
- Dis si je vous dérange je peux toujours repasser à un autre moment.
Il me sourit quand son regard se pose sur moi.
- J'ai cru que tu ne reviendrais jamais.
- Ouais bah tu peux me croire, je préfère largement passer la nuit à surveiller un scientifique ennuyant plutôt que de passer une seconde de plus avec cette famille qui est en train de me rendre dingue.
Son attention, que je monopolisais jusqu'à présent, se tourne soudain sur quelque chose d'autre derrière moi.
- Le voilà.
Je me retourne pour voir Grant sortir de l'immeuble avec un gros sac dans la main.
- On dirait que je suis revenue au bon moment.
Mais le plus surprenant reste à venir. Car très vite, une voiture vient se garer devant lui, et il s'empresse de donner le sac au conducteur inconnu, après avoir récupéré une enveloppe assez épaisse qu'il cache dans son manteau.
- Mais qu'est-ce qu'il fout ? s'interroge alors Cinq.
- Je sais pas mais il y a rien de net dans cette histoire.
La voiture s'en va, et notre suspect reprend tranquillement sa route. C'est alors que Cinq attrape ma main par la fenêtre pour nous téléporter tous les deux derrière lui. A une distance assez éloignée pour pouvoir rester cachés. Je n'ai même pas le temps de lui faire remarquer que Delores est toujours dans la voiture, je trouve ça même assez surprenant qu'il l'ait laissée là-bas. Au moins il n'a pas oublié de m'emmener avec lui. Dans le silence le plus totale, on prend en filature le scientifique qui marche quelques minutes jusqu'à un immeuble dans lequel il entre rapidement. C'est sûrement là qu'il habite.
- Bon je suppose qu'il va passer un bout de temps ici, déclaré-je. Tu comptes monter la garde devant chez lui toute la nuit ?
- S'il le faut oui.
- Très bien.
Je me contente d'hausser les épaules en me retournant pour traverser la route et aller m'asseoir sur un banc qui donne pile sur l'immeuble. Cinq ne tarde pas à me rejoindre. Et je me demande bien ce que se demandent les passants en nous voyant à ce moment précis. Deux enfants en apparence, en tenue d'écoliers, assis sur un banc au milieu de la nuit, en train d'attendre quelque chose...ça doit être intriguant.
- Comment ça s'est passé avec les autres ? m'interroge Cinq.
- C'était...
Comment en parler sans évoquer la catastrophe finale ?
- C'était comme d'habitude. Beaucoup de cris, et très peu d'écoute. Luther et Allison veulent débrancher maman. Vanya, Klaus et Diego pensent comme moi que c'est légèrement extrême, et...ils veulent que tu votes.
- Vous êtes à quatre contre deux. Pourquoi vous auriez besoin de moi ?
- Parce que même si tu sembles parfois l'oublier, tu fais partie de la famille Cinq.
J'aimerais savoir ce qu'il voterait. Parce que j'ai beau connaître par cœur le Cinq de mes souvenirs qui n'aurait jamais été d'accord avec tout ça, même si ce n'était que pour être de mon côté, aujourd'hui je ne sais pas qui il est. Je ne sais pas ce qu'il a vécu, je ne sais pas ce que le temps, la solitude et...La Commission lui ont fait. Psychologiquement, s'il a travaillé aussi longtemps que moi pour eux, il doit être bien amoché. Il est doué au combat, il sait réagir avec sang-froid aux situations de stress...il n'y a donc aucun doute à avoir sur le poste qu'il occupait. Le même que le mien. Et je n'ai jamais aimé ce travail. Le quitter a été pour moi une grande source de soulagement, mais je n'avais pas vraiment le choix. Je devais tuer tous ces gens.
- Tes cauchemars, reprend Cinq alors que le silence s'était installé entre nous. Quand est-ce que ça s'est arrêté ?
Je souris tristement dans l'obscurité, en baissant la tête.
- Ils ont fini par diminuer avec le temps, c'est sûr. Mais je n'ai jamais dit que ça s'était un jour arrêté. C'est d'ailleurs pour ça que Vanya voulait absolument m'envoyer voir un psy. Quand je suis revenue à cette époque, je n'avais plus vraiment de repères. Plus de chez moi, mis à part l'Académie que j'avais déjà mis de côté depuis longtemps. Je ne voulais pas retourner vivre avec papa, et il ne restait plus que Luther là-bas de toute façon. Alors Vanya m'a accueillie chez elle. Allison m'avait proposé d'emménager avec elle et Patrick à plusieurs reprises pour qu'ils s'occupent de moi pendant ma grossesse mais je ne voulais pas...elle était toujours tellement occupée, je me suis dit que je serais sûrement un poids lourd pour eux.
J'ai l'impression de beaucoup trop raconter ma petite vie triste.
- Bref, tout ça pour dire que quand je me réveillais dans le canapé en pleine nuit en hurlant comme un tarée parce que je venais de voir le monde entier réduit en cendres dans un cauchemar qui semblait plus réel que la vraie vie, elle devait souvent venir me réconforter. Je ne sais pas ce que j'aurais fait sans elle. C'est pour ça...que je ne veux pas que tu affrontes ça tout seul. Pas si je suis là avec toi et que je peux t'éviter ça.
Dans la nuit noire, je pourrais jurer l'avoir vu sourire pendant une fraction de seconde. Peut-être que c'est juste mon esprit fatigué qui me joue des tours. Je ferme les yeux un instant en penchant ma tête en arrière pour inspirer un bon coup l'air frais du soir. Je me demande...
- Si on arrive à empêcher l'apocalypse et qu'on sauve le monde d'une destruction totale...qu'est-ce que tu comptes faire ?
- Comment ça ?
- Je sais pas, tu as passé des années à chercher un moyen de revenir à cette époque pour sauver tout le monde et tu n'as jamais pensé à l'après ? Parce que moi j'ai passé ces dernières années à me faire à l'idée que c'était inévitable et je me rends compte que je ne sais pas vraiment ce que je ferais si on réussissait. J'adore mon travail mais...ce n'est pas ce que j'ai envie de faire toute ma vie.
- Tu as une fille. C'est déjà pas mal.
C'est vrai. C'est la seule chose que je suis certaine de trouver dans mon futur si jamais je peux en avoir un. Même Cinq...je n'en suis pas sûre.
- Mais c'est vrai que je n'ai pas songé à ça, reprend mon voisin en réfléchissant un peu.
Je ne peux pas lui en vouloir. Il a le droit d'avoir peur d'assumer son rôle de père et...je n'ai pas le droit de le considérer comme acquis. On a été ensemble, et on a été heureux, mais c'était il y a si longtemps, encore plus pour lui que pour moi. J'attendrai. Comme je l'ai fait depuis qu'on s'est quittés. De toute façon c'est tout ce que je peux faire.
*************
Je ne sais pas à quel moment je me suis endormie, mais je me réveille après ce qui m'a semblé être une sieste de cinq minutes. Pourtant il fait déjà jour. Je baille légèrement, sentant un poids sur mon épaule. Même en ne tournant pas la tête, je pourrais deviner facilement que Cinq s'est endormi lui aussi. Sur moi. Je ne peux pas m'empêcher de sourire en ne bougeant pas d'un pouce. Il a l'air d'être si paisiblement endormi je ne saurais pas comment le réveiller. Il ne fait même pas de cauchemar. Malheureusement, je le sens bouger doucement après quelques secondes, au bout desquelles il se réveille en se redressant d'un coup. Je fais donc semblant de sursauter comme si je venais de me réveiller moi aussi parce que...soyons réalistes, Cinq n'aime pas baisser sa garde devant les autres. Même pas devant moi. Plus maintenant en tout cas.
- On s'est endormis ? demandé-je en baillant de nouveau.
- J'en ai bien l'impression. Je ne sais pas comment ça a pu se produire.
Je regarde ma montre rapidement.
- Si Grant...
- Lance.
Je lève les yeux au ciel avant de me reprendre.
- Si, Lance, ne travaille pas aujourd'hui, je suppose qu'il doit toujours être chez lui.
- Tu peux vérifier ?
- Evidemment que je peux.
Je lui souris avant de me tourner vers l'immeuble. Je ferme mes yeux, me concentre un instant en m'étirant doucement, puis je relaxe tous les muscles de mon corps, avant d'envoyer un courant d'air qui sort de moi, pour...revenir immédiatement dans mon corps comme un coup de poing en plein ventre qui me fait me plier en deux de douleur. Je secoue ma tête avec agacement. Allez Huit concentre-toi tu peux le faire. Des années en moins ne t'empêcheront pas de faire ce que tu as à faire.
- Tout va bien ?
- Oui je...je dois juste...réessayer.
Et alors que je m'apprêtais à recommencer, je sens une main saisir la mienne. J'ouvre aussitôt mes yeux pour me tourner vers Cinq qui me sourit.
- Tu peux le faire. Concentre-toi.
Je lui souris à mon tour, serrant sa main dans la mienne, avant de fermer de nouveau mes yeux pour avoir recours au même processus. La seule différence cette fois, c'est que je murmure quelques mots pour demander un peu d'aide, qui s'échappent dans le courant d'air qui sort très rapidement de mon corps, et traverse la route comme une flèche. Je le sens se faufiler sous la porte d'entrée de l'immeuble, monter les escaliers, et se séparer en plusieurs partie pour commencer à fouiller les appartements, un par un. Par chance, l'une d'elles trouve rapidement celui que je cherche, au deuxième étage. Et j'ouvre de nouveau mes yeux, après avoir senti la chaleur émanant de sa salle de bains.
- Il est toujours là. Il doit être en train de prendre sa douche.
- Excellent. Il ne nous reste plus qu'à attendre.
Je dois admettre que je ne me sens pas au top de ma forme après ce petit exercice. Je me lève donc rapidement dès que j'ai pu reprendre mes esprits.
- Je vais nous chercher des cafés. Tu veux quelque chose d'autre ?
- Non ça ira.
Je me demande bien combien de personnes sur cette planète, toutes époques confondues, ont déjà eu le privilège d'entendre Cinq dire « Merci ». Si on ne compte pas Delores bien sûr. Peut-être qu'il est trop grognon pour le dire et qu'il lui faut simplement son café du jour pour daigner être aimable. Je vais donc chercher notre précieux nectar dans la boulangerie devant laquelle on était passés hier soir en suivant Grant. Elle était fermée à ce moment-là, mais au moment où j'entre je sens une bonne odeur de pain cuit envahir mes narines. J'ai récupéré de l'argent à l'Académie hier en attendant que tout le monde arrive. Après l'incident Klaus à cette supérette, je me dis qu'il vaut mieux marcher avec de l'argent. Du liquide surtout. Je ne sais pas combien de personnes trouveront normal qu'une fille de 13 ans paye ses achats avec une carte de crédit avant que quelqu'un ne décide d'appeler les services sociaux. Même si je ne me sens pas moins épiée quand je sors de cet endroit avec deux grands cafés et que je retourne avec Cinq sur le banc, en lui tendant son gobelet.
- Merci.
Eh bah voilà. Le déchiffrer n'est pas si difficile finalement, même s'il aimerait penser le contraire. On passe alors encore une fois un petit moment à attendre sur ce banc. Je crois que j'aurais même eu le temps d'acheter un deuxième, et puis un troisième café, si Grant ne sortait pas actuellement de son immeuble, avec son chien dans les bras.
- Voilà notre homme.
Cinq lève alors sa main pour me faire signe de l'attraper. Bien sûr je sais ce qu'il compte faire, et même si je ne suis pas vraiment fan de la téléportation, j'attrape sa main pour être transportée à l'arrière de la voiture de notre cible qui sursaute quand il remarque en refermant sa portière, la présence de Cinq sur le siège passager à côté de lui.
- Nom de Dieu !
Je me tourne vers le chien qui est assis à côté de moi en souriant pour le prendre dans mes bras et le caresser.
- Salut toi.
Et Cinq ne tarde pas à utiliser la force en se penchant vers Grant pour lui poser un couteau sur la gorge avec un air menaçant qui pourrait faire peur à n'importe qui même avec ce corps. En fait...surtout avec ce corps.
- Une seule chance. C'est tout ce que je vous laisse. Une chance de me dire ce qu'il se passe dans ce laboratoire exactement.
- Je...je fabrique un certain nombre de prothèses pour de faux patients.
Waouh. Il parle beaucoup plus vite que prévu. Il a vraiment la trouille.
- Je facture les compagnies d'assurance et ensuite je les revends sur le marché noir.
- Ça concerne aussi les yeux de verre ? lui demandé-je avant même que Cinq en ait l'occasion.
- Oui c'est ma...ma meilleure vente. C'est vrai, c'est le genre de produit qui se vend tout seul.
Il est...répugnant ! Le marché noir. Et moi qui le plaignait d'avoir à faire à Klaus. Je lui souhaite de subir une réunion de famille des Hargreeves au complet.
- J'ai une liste. Une liste d'attente avec une vingtaine d'acheteurs.
- Et le numéro de série que je vous ai donné ? reprend Cinq.
- Il a peut-être déjà été vendu...au marché noir.
Est-ce qu'il se rend au moins compte du temps précieux qu'il vient de nous faire perdre ?!
- Il nous faut cette liste Lance. Avec les noms et les numéros, je la veux tout de suite !
- Je ne l'ai pas. Enfin...pas sur moi. L'unique copie est dans mon coffre, au labo.
- Bien. Démarrez la voiture dans ce cas. Parce que nous allons faire une petite balade.
Cinq accompagne ses propos d'un air menaçant, avant de retirer la lame de la gorge du scientifique véreux, qui s'empresse de démarrer. Je continue de caresser le chien en me disant que...cette personne, qu'on recherche depuis maintenant des années et des années...est peut-être sur cette liste. On approche du but. Et enfin j'ai une lueur d'espoir qui s'éveille en moi.
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Et un chapitre 15 ! Un !
Je me rends compte que comparée aux quelques fanfictions que j'ai pu lire sur Umbrella Academy, la mienne est très lente ! Je veux dire que je m'attarde beaucoup sur les détails et qu'un épisode peut me prendre plusieurs chapitres. J'espère que ça ne vous dérange pas et que ça vous plaît comme ça !!!
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