CHAPITRE XLVIII
- Bon pour faire court, il y a dix ans La Directrice a débarqué à mon école en figeant toute ma classe et maintenant que j'y pense, c'est vrai que j'aurais dû trouver ça bizarre, mais j'avais six ans et j'étais déjà entourée de pas mal de choses bien plus étranges. Elle m'a dit que le monde entier allait disparaître dans seulement quelques heures et que si je voulais vous revoir je devais la suivre. Elle m'a aussi dit que là où on irait je serais libre de m'entraîner autant que je le voulais, ce qui, quand on voit le résultat, n'était peut-être pas une bonne idée...
Je sais que je lui ai promis de ne pas l'interrompre, mais le regard qu'elle vient de lancer dans ma direction en prononcer cette dernière phrase n'a pas vraiment aidé son cas. Pourquoi j'ai l'impression qu'elle tente de sauter tout un passage crucial de l'histoire ?
- Attends, pourquoi ce serait moi « le résultat » ?
Elle cherche à éviter mon regard en fixant Cinq, qui se contente de croiser les bras dans l'attente d'une réponse de sa part. Malheureusement pour elle, si elle me croyait curieuse, elle ne se doute pas à quel point son père l'est davantage.
Mais je rêve ou on est en train de se comporter comme des parents normaux là ? Enfin...presque normaux. On a juste l'air plus jeunes que notre enfant de quelques années.
- Bah...tu sais comme tu arrives à contrôler et à créer de l'air maman ? On va dire que je sais faire la même chose, mais avec le temps. J'arrive toujours à parler avec Monsieur A, mais je suis incapable de faire ce que tu fais, de la même manière que j'arrive à utiliser les pouvoirs de papa.
Alors elle ne contrôle pas l'air ? Moi qui croyais que mes pouvoirs allaient se développer plus tard chez elle après ceux de Cinq. Je dois admettre que je suis un peu déçue, mais ça me réconforte qu'elle puisse parler avec mon plus vieil et fidèle ami. Sans lui je me serais sentie terriblement seule à plusieurs reprises tout au long de ma vie.
- Donc à mes 14 ans, j'ai découvert qu'en plus de pouvoir voyager dans le temps je peux aussi d'une certain façon le modifier. Dans la limite du possible. Par exemple je peux vieillir le temps de vie du corps d'une personne...ou...le rajeunir...
Le rajeunir ?
Le rajeunir...
Le rajeunir !
- Grace ne me dit pas que...
- Avant que tu te mettes à hurler, je tiens à dire que je voulais juste assister à vos retrouvailles ! J'en avais tellement entendu parler, vous imaginez même pas à quel point votre histoire est célèbre à La Commission et j'en avais marre de l'entendre des autres alors que vous êtes mes parents à moi ! Donc je me suis téléportée dans l'arrière-cour de l'Académie le jour de l'enterrement de grand-père et j'ai attendu cachée derrière un buisson que papa fasse son grand retour.
Elle se tourne vers son père en souriant avec admiration. Je ne vois pas vraiment pourquoi elle est si admirative d'un retour si catastrophique.
- Je voulais faire en sorte que tu gardes ton corps d'adulte en passant le portail, mais alors que j'essayais de me concentrer sur toi, Oncle Klaus a débarqué dans mon champ de vision en hurlant comme un malade avec un extincteur, et évidemment, j'ai eu le plus grand fou rire de ma vie quand il l'a balancé dans ton portail !
Je n'en reviens pas de la voir rire de ce souvenir alors que la suite des événements que je crois avoir déjà comprise, ne m'amuse absolument pas. Et Grace remarque très vite mon visage plus que sérieux puisqu'elle se calme très vite en se grattant la nuque, gênée de devoir admettre sa bêtise flagrante. Elle continue cependant de s'adresser à son père, resté silencieux jusque-là.
- Ouais bref donc...comme j'ai été déconcentrée, à la place c'est maman qui a été touchée dans le sens inverse, et au lieu de te vieillir, c'est elle qui a...enfin vous voyez.
Donc Grace est la raison pour laquelle je suis actuellement coincée dans ce corps ?! Je me disais aussi que c'était bizarre que ça m'arrive sans raison. Mais après tout ce temps que j'ai passé à lui dire de ne jamais se servir de ses pouvoirs inconsciemment, c'est moi qui finis dans cet état et c'est Cinq son grand héros ?!
- Je suis vraiment désolée maman, tu sais je me suis beaucoup entraînée depuis et je peux toujours essayer de te redonner ton corps si tu...
- Non !
Je n'ai absolument aucune envie qu'un nouveau manque de concentration me transforme en bébé ou en centenaire.
Mais je ne devrais pas non plus réagir de cette façon, je vois bien que ma réaction l'a blessée alors que je viens à peine de la retrouver. Je recommence déjà à me comporter comme mon père.
- Je veux dire...c'est gentil de vouloir m'aider ma chérie, mais je crois qu'on devrait plutôt se concentrer sur des problèmes plus urgents.
Pour la première fois depuis nos retrouvailles, elle semble perplexe. Ce qui est assez étrange...
- Qu'est-ce qu'il y a de plus urgent que ça ?
Cinq et moi nous regardons aussitôt. Elle n'est pas au courant pour l'Apocalypse ? Bien sûr je ne m'attendais pas à ce que La Commission lui fasse part de tous ses petits secrets, mais comment ça se fait qu'elle ne sache pas qu'une nouvelle Apocalypse arrive ?
- Grace qu'est-ce que tu sais des boucles temporelles ?
- Cinq !
Il a l'air surpris que je lui hurle dessus de cette façon. Est-ce qu'il s'apprêtait réellement à dire à notre fille de 16 ans, que je viens de passer 24H à mourir encore et encore dans une boucle apocalyptique ?! Je sais que la paternité reste une notion étrangère pour lui, mais tout de même !
- Elle a accès aux mêmes infos que La Commission, reprend-il très vite. Elle pourrait peut-être t'aider.
- C'est une adolescente !
- On était déjà coincés dans le futur quand on avait son âge et on s'en est très bien sortis !
- Tu trouves qu'on s'en est bien sortis ?! On a causé la fin du monde deux fois !
Un sifflement aigu nous stoppe et nous oblige a nous tourner vers celle qui vient de mettre fin à notre petit désaccord, avec un sang froid qui m'épate. Je ne pensais pas qu'on se disputerait aussi tôt concernant l'éducation de notre fille. Et surtout pas devant elle.
- Maman, papa a raison je sais que la dernière fois que tu m'as vu j'étais une enfant, mais je sais me débrouiller aujourd'hui alors dîtes-moi ce qu'il se passe.
Il y a encore quelques jours je devais lui raconter des histoires pour l'endormir, j'arrive pas à croire qu'elle soit aussi grande. Je ne veux pas avoir à compter sur elle quand je m'étais déjà habituée au fait qu'elle aurait encore besoin de moi pendant un bon moment. Je n'ai même pas eu le temps de la voir grandir.
- Les gars ?
Diego débarque au milieu de notre conversation comme s'il n'était pas du tout en train de nous déranger. Cinq garde les yeux rivés sur le sol, tandis que mon regard est plongé dans celui de Grace, qui semble déterminée à tout faire pour nous venir en aide. Une détermination terrifiante que je ne vois d'habitude que chez une seule personne.
Avant, tout le monde disait qu'on se ressemblait toutes les deux, maintenant quand je la regarde je vois majoritairement son père. Je peux quand même pas être jalouse de lui ! Si ?!
L'impatient Numéro Deux décide de se faire remarquer une nouvelle fois en se raclant la gorge.
- Le taré est attaché, on attend plus que vous pour regarder le film.
Le film des Frankel. Celui qui a rendu Eliott furieux au point de vouloir nous tuer.
C'est vrai qu'on a encore énormément de choses à se dire tous les trois, mais il ne faut pas oublier que la fin du monde approche et qu'on doit retrouver notre famille avant que ça se produise, pour pouvoir l'empêcher une nouvelle fois.
Je m'apprêtais à prendre la parole, mais de nouveau la montre de Grace vient mettre son grain de sel en sonnant à plein volume. Sa propriétaire se met à pester en l'éteignant.
- Fais chier ! Mer...
Envolée. Encore une fois il ne reste plus aucune trace de son passage lorsqu'elle disparaît sous nos yeux. C'est quoi cette alarme ? Pourquoi elle oblige toujours Grace à partir ?
- Elle est passée où ? nous interroge Diego.
- Aucune idée, réponds-je agacée. Mais elle finira par revenir. Je l'espère en tout cas.
Je lui souris du mieux que je peux en lui faisant signe de partir en premier. Il obéit avec hésitation, nous laissant seuls de nouveau, Cinq et moi. Je sais que ce vieil entêté ne va pas lâcher l'affaire si facilement.
- Huit, tu sais que j'ai raison à son sujet.
J'imagine que ça l'aide de ne l'avoir rencontrée qu'une seule fois quand elle n'avait encore que six ans. Il est peut-être plus objectif que moi, mais elle reste ma fille à moi aussi ! J'ai passé cinq années cauchemardesques à La Commission pour avoir une chance de l'élever moi-même, et finalement c'est La Commission qui s'est chargée de son éducation à ma place. D'accord, ils l'ont sauvée d'une mort certaine mais j'ai tellement peur pour elle, je ne veux pas qu'elle s'attire des ennuis. En fait je ne sais pas jusqu'où peut aller ce traumatisme temporel, mais je préférerais en mourir plutôt que de la laisser se mettre en danger pour le découvrir.
- D'abord on doit retrouver notre famille et quitter cette époque avant de la détruire.
Il hésite clairement, mais ne refuse pas mon offre. Tout simplement parce que lui aussi voudrait à tout prix empêcher ce qui est supposé se produire. Il a dû attraper le syndrome de la fin du monde.
- Dans ce cas allons rejoindre Diego et sa petite amie avant qu'on perde définitivement ce pauvre Eliott.
Il recommence à faire de l'humour. C'est bon signe. Je crois.
Je lui souris en commençant à le suivre jusqu'à la pièce où Eliott est parvenu à projeter le mystérieux film.
- C'est quand même toi qui as fait croire à ce type qu'on était des aliens échappés de la zone 51, fais-je remarquer sur un ton moqueur.
- J'étais en manque de caféine. Ces deux-là sont en manque de neurones.
Je lève les yeux au ciel en me retenant de rire de sa remarque. D'un côté, ils ont quand même tous les deux réussi à s'échapper d'un asile psychiatrique hautement sécurisé. Venant de Diego ça ne m'étonne pas beaucoup, il a toujours été du genre tête brûlé, et sait se sortir des pires situations quand il y met un peu du sien. Mais plus j'y réfléchis, plus je me dis que c'est quand même incroyable qu'il soit tombé sur une pro du combat qui sache remettre en place un bras déboîté avec tant de facilité. Je ne lui ai pas demandé où elle a appris tout ça. Ce serait sûrement indiscret de le faire.
En tout cas, quand on entre dans la pièce je suis très peu surprise de voir la façon dont notre nouvel ami a été si soigneusement mis hors d'état de nuire.
- Je vois que vous nous avez pas attendu pour commencer la fête, plaisante Cinq à la vue de l'homme bâillonné.
- T'avais raison, poursuit Diego. Il est plutôt sympa quand on apprend à le connaître un peu mieux.
L'ambiance est redevenue beaucoup moins sérieuse très rapidement. Surtout quand je me rends compte que Lila est en train de mettre du vernis à ongles aux pieds du prisonnier. Et dire qu'on est les squatteurs, et que c'est lui qui se fait maltraiter.
Finalement le grand moment de révélation arrive, le fameux film des Frankel.
Honnêtement je ne m'attendais pas à ce qu'un film supposé nous aider à empêcher l'Apocalypse, soit une simple vidéo d'un vieux couple se disputant sur la façon de faire fonctionner une caméra. Je me demande si Cinq et moi, on aurait fini par devenir comme ça si j'étais restée à ses côtés dans la première Apocalypse.
- Nous sommes Dan Frankel et Edna Frankel, et nous sommes à Dallas au Texas, pour voir le président. Aujourd'hui nous sommes le 22 novembre 1963.
Wow. Je me redresse légèrement sur ma chaise en entendant cette date symbolique, et je ne suis bien évidemment pas la seule.
- Nom de Dieu, se réveille enfin Diego. On y est. Le fameux talus, Kennedy est sur le point d'être assassiné. Où vous avez eu ça ?
- Hazel est mort en me remettant cette vidéo, lui répond Cinq. Ça doit être une clé pour empêcher l'Apocalypse.
- Hazel ?
Comment j'ai pu oublier le passif plus que récent de ces deux-là. Diego est arrivé à cette époque il y a un bon moment déjà, mais il se souvient toujours du nom d'un des responsables de la mort d'Eudora. Je ne peux pas lui en vouloir, mais Hazel nous a été d'une aide précieuse. Sans son intervention, je serais toujours en train de revivre ma mort et celle de ma famille.
Je laisse Cinq se charger des explications et me concentre sur le film qui malgré son aspect ordinaire doit contenir une piste. Je suis prête à accepter n'importe quoi à ce stade. Et au moment où le coup de feu fatidique se fait entendre, provoquant les cris et la panique de notre cher petit couple, j'ai juste le temps de voir une silhouette étrange apparaître et disparaître à toute vitesse sur le grand écran. Elle n'aurait pas attiré mon attention si je ne l'avais pas déjà vu des centaines de fois.
- Cinq revient en arrière.
Il s'exécute, bien que troublé comme s'il avait vu la même chose que moi, et...
- Non je rêve.
Cinq, Diego et moi, avançons lentement vers l'arrêt sur image projeté devant nous.
- Vous pouvez m'expliquer les mecs ? nous interroge une Lila contrariée. C'est quoi ce truc qu'on regarde là ?
J'aimerais que ce soit tout sauf ça. Tout sauf lui.
- Non c'est pas possible, déclare finalement Diego.
- Pourtant si ça l'est, poursuit Cinq.
- Cet enfoiré...
Je sens mon sang se mettre à bouillir. Mes joues sont brûlantes de rages. J'avais espéré ne jamais le revoir de ma vie après l'annonce tant attendue de sa mort, mais il fallait qu'il soit impliqué dans cette histoire. Partout où le monde est sur le point d'être anéanti, on peut être sûrs que Reginald Hargreeves et son putain de parapluie sont passé par là.
Je sens mes ongles s'enfoncer dans la chair de mon poignet, au même endroit que le tatouage qu'il nous avait imposé à tous quand on était encore que des gosses. Je ne sais pas si c'est mon cerveau détraqué qui parle, ou juste la rancœur énorme que je lui porte, mais si je le trouve je sens que je vais avoir du mal à ne pas le tuer moi-même cette fois.
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Et c'est ainsi que s'achève ce nouveau chapitre. J'espère que ça vous a plu d'en savoir un peu plus sur Grace et que j'ai pu bien répondre à la question que beaucoup se posent depuis le chapitre du retour de Cinq.
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