CHAPITRE XLVI

- Comment ça c'était pas un rêve ?

Je ne voulais pas le dire à Cinq, tout simplement parce que je ne voulais pas qu'il se mette à me dévisager comme il le fait maintenant.

- Tu crois que je suis folle.
- Huit non...

Je me lève du canapé pour avancer vers la fenêtre dans laquelle je peux apercevoir mon reflet. Cette personne que j'ai vu dans le miroir dans ce « rêve », c'était moi mais...pas vraiment moi. Je crois que je ne m'étais jamais vu aussi rayonnante. Comment j'aurais pu ne pas l'être d'un côté ?

- Huit ?

Je me retourne pour faire face à Cinq, à présent debout devant moi avec un air inquiet qui ne semble pas quitter son visage depuis qu'il m'a trouvée dans cette foutue boucle.

- T'es pas folle. T'as vécu une expérience traumatisante.
- Cinq...je t'assure que ça paraissait tellement réel.

Tellement que je regrette presque de m'être réveillée. Je sais que je dois aider ma famille à surmonter cette nouvelle apocalypse, mais pourquoi est-ce que je n'ai jamais droit à un peu de tranquillité ?!

- On va trouver ce qui t'arrive, je te le promets.

Soudain quelque chose de rapide vient me frôler l'épaule dans un cri strident, avant d'atterrir lourdement sur le canapé qui se retourne à cause de la puissance de l'impact. Cinq n'hésite pas un instant à se mettre devant moi pour me protéger de la possible menace. C'est à la fois mignon et dégradant.
Mais je suis trop soucieuse de ce qui vient de faire irruption dans la pièce pour lui faire remarquer. A la place, je reste tout comme lui immobile, les yeux rivés sur le canapé derrière lequel des grognements se font entendre. Des grognements humains.

- Sale petit con !

Cinq et moi échangeons un même regard perplexe à l'attente de cette phrase. Je n'ai pas le temps de me demander qui a bien pu la prononcer puisque la réponse m'apparaît sous la forme d'une jeune adolescente qui se redresse d'un coup en époussetant sa tenue. Une combinaison entièrement noire, très éloignée du style des années 60. Dos à nous, elle continue de pester contre je ne sais qui.

- La prochaine fois que je le croise je jure de le balancer au milieu de l'Océan Pacifi...

Voilà qu'elle s'est retournée. Elle se tait immédiatement lorsqu'elle nous remarque enfin et semble plus étonnée que nous d'être là.

- Qui es-tu et comment es-tu arrivée ici ? s'impatiente très vite Cinq en faisant un pas dans sa direction.

Son visage me semble si familier. Est-ce que je la connais ? Oui je la connais. Je suis certaine de la connaître.

- Qui ça ? rétorque-t-elle aussi rapidement sur un ton insouciant. Moi ?
- Je ne vois personne d'autre ici qui ait débarqué dans la pièce comme un boulet de canon.

Je comprends la méfiance de Cinq, mais je ne parviens pas à la ressentir. Cette inconnue, elle n'est pas dangereuse. Je le sais au fond de moi.
C'est pourquoi lorsque Cinq commence à dégager une aura bleuâtre, dans le but d'effrayer la nouvelle venue, c'est cette fois à mon tour de venir me mettre devant lui.
Mais ce n'est pas pour le protéger lui...
Je viens de me jeter devant la personne en qui j'ai le plus confiance, pour l'empêcher d'attaquer une ado qui se met subitement à crier et à sautiller sur place comme une enfant.

- J'arrive pas à croire que je suis là ! Vous imaginez pas le temps que ça m'a pris pour vous trouver ! Attendez, on est en quelle année ?! Me dîtes rien ! Dîtes rien je vais trouver...1962 ! Non ! 63 ! C'est ça ?! 1963 !
- Je sais que je dis ça très rarement, murmure Cinq derrière moi. Mais là je suis complètement largué.

Plus je regarde cette fille sautiller de victoire, plus je réalise pourquoi elle me semble si familière. Ses grands yeux bruns pleins de curiosité et de malice, son petit nez qui gigote à chaque fois qu'elle est heureuse, ses longs cheveux bruns qui se retrouvent malgré elle collés à ses lèvres quand elle saute...ce sourire.

- Grace ?

Elle se tait au moment où elle m'entend prononcer ce nom et se tourne complètement vers moi.
Cinq quant à lui, semble de moins en moins comprendre.

- Comment ça « Grace » ?

Et là où je voyais de la joie et de l'excitation il y a à peine quelques secondes, de petites larmes se mettent à apparaître. La boule d'énergie fond en larme sous nos yeux avant de disparaître et de réapparaître devant moi comme le fait toujours son père. Elle plonge son regard dans le mien qui se remplit également de larmes. Elle est tellement belle. Ce n'est plus la petite fille de six ans que j'ai perdu dans l'Apocalypse de 2019, c'est une magnifique jeune femme qui évidemment semble plus grande que moi et mon corps de 13 ans, mais...c'est mon bébé.

- Grace...
- Maman.

On se jette dans les bras l'une de l'autre sans attendre. Mon cœur bat à mille à l'heure, je crois n'avoir jamais ressenti un truc pareil. Même lorsque j'ai retrouvé Cinq après des années. Je serrais incapable de décrire ce que ça me fait de pouvoir serrer dans mes bras ma fille que je croyais perdue à jamais. La douleur que j'éprouvais laisse place à une vague de soulagement et de larmes.
En fait je crois qu'elle pleure autant que moi, comme ma petite Grace de six ans.

- Je me demandais si t'allais me reconnaître.
- Bien sûr que je te reconnais ma chérie.

Je me sépare d'elle un instant pour l'observer un peu mieux malgré mes yeux remplis de larmes.

- Tu as tellement grandi.
- Je sais. Ça m'a pris du temps de maîtriser les voyages temporels.
- Je te croyais morte.
- Je suis désolée maman.
- Tu n'as absolument aucune raison de t'excuser mon ange. Je suis tellement heureuse que tu aies survécu.

Et une nouvelle fois je l'entoure de mes bras. Ma petite fille, qui n'est plus si petite, est vivante et en bonne santé. C'est tout ce qui compte pour moi.
Rapidement, Grace s'éloigne légèrement de moi, me permettant de suivre son regard. Je me retourne pour voir Cinq complètement abasourdi. Je crois que je ne l'avais jamais vu comme ça. Même quand il a découvert qu'il était père, il ne faisait pas cette tête. Le pauvre a vécu tellement de rebondissements dernièrement, voir sa fille qu'il croyait lui aussi morte alors qu'il venait à peine de faire sa connaissance, apparaître de cette manière et avec plusieurs années en plus...heureusement qu'il n'a plus son cœur de quasi-soixantenaire, sinon ça fait un moment qu'il aurait lâché.

- Papa !

Contrairement à leurs premiers échanges où la petite s'était contentée de lui parler sans trop le brusquer, l'adolescente qui se tient devant lui se jette aussitôt à son cou. Je me retiens de rire en le voyant tendu comme un piquet face à cette subite étreinte et il ne faut pas beaucoup de temps à Grace pour le remarquer et le lâcher en souriant.

- Désolée. Je...je suis tellement contente de pouvoir vous parler. C'était cool de pouvoir vous observer de loin vivre votre vie, mais je devais toujours me cacher et...
- Nous observer de loin ?

Ma question semble la forcer à revenir à la réalité. Une réalité dans laquelle elle n'avait sûrement pas l'intention de laisser échapper cette information aussi vite.

- Oui je...comment dire...il bien fallu que je m'entraîne à sauter dans le temps avant de parvenir à vous trouver ici grâce à vos empreintes. D'ailleurs j'aurais été plus rapide si vous n'aviez pas autant voyagé dans le temps tous les deux. J'ai dû vous suivre dans les quatre coins du monde et...
- Attends, l'interrompt Cinq, comment ça nos empreintes ?

Apparemment Grace en sait beaucoup plus que lui sur le voyage temporel. Ce qui est assez étonnant d'ailleurs. Je me demande...

- Qui t'as appris tout ça ? demandé-je avant même qu'elle puisse répondre à Cinq. Et puis comment tu as pu survivre à l'Apocalypse ?

Elle nous regarde tour à tour avec crainte. Elle a beau avoir grandi, elle semble avoir peur de dire la vérité à ses parents, ce qui ne fait que m'intriguer encore plus. Elle sait que je suis plus qu'heureuse de la savoir en vie alors pourquoi ça l'inquiète autant de me dire comment c'est possible ?

- J'ai...en fait...c'est arrivé très vite...

Bien que soulagée de la voir je n'aime pas son regard et commence à m'impatienter moi aussi.

- Grace Hargreeves je t'ai posé une question !
- C'est La Commission qui m'a sauvé !

La...

- Quoi ?!

Entre Cinq et moi, je ne sais pas lequel de nous à crier le plus fort ce mot, mais une chose est sûre il est aussi peu ravi que moi d'apprendre ça.

- La Directrice pour être plus précise...
- Grace !

Encore une fois, une parfaite synchro de notre part qui fait presque sursauter la concernée.

- C'est pas ce que vous croyez !

J'étais déjà bien assez furieuse quand j'ai découvert que Cinq avait travaillé pour eux lui aussi, mais Grace ?! Sérieusement ?!
Et alors qu'elle s'apprêtait à tout nous raconter, sa montre se met à biper en produisant des clignotements rouges alarmants.

- Fais chier ! s'écrie-t-elle en appuyant sur le bouton du côté pour l'arrêter. Bon écoutez je dois y aller, mais je reviendrai le plus vite possible maintenant que je sais où...ou plutôt quand vous trouvez.

Elle ne va quand même pas...

- Je vous aime !

Et je n'ai même pas le temps de la retenir qu'elle a déjà disparu. Elle laisse derrière elle un vide si immense que si le canapé en face de nous n'était pas toujours renversé je pourrais croire que tout ça n'était encore qu'une nouvelle hallucination. Bouche bée, je me tourne vers Cinq qui fixe l'endroit où se tenait notre fille à l'instant.

- Cinq, dis-moi que je n'ai pas entendu ce que je crois avoir entendu.
- Le fait que La Commission ait sauvé Grace en la recrutant exactement comme elle l'avait fait avec nous ? T'as bien entendu.

Je serre mon poing pour essayer de me contrôler. Rien que d'imaginer cette garce de Directrice recruter mon bébé d'à peine six ans pour faire d'elle un assassin...
Malgré mes tentatives de contenir ma rage, la table basse s'élève très vite dans les airs pour s'abattre contre le plafond et réatterrir en mille morceaux sur le sol autour de nous.
La porte d'entrée s'ouvre au même moment sur notre nouvel ami qui regarde son salon dévasté avec choc.

- Comment...Pourquoi vous...

Je me tourne vers lui avec colère, le faisant encore plus paniquer. Je le regarde se plaquer contre le mur derrière lui pour essayer de s'éloigner le plus possible de moi avec peur.

- Huit ! hurle Cinq en agrippant mon bras. Tes yeux !

Je reviens légèrement à moi lorsque mon regard se pose sur lui. Suffisamment en tout cas pour comprendre de quoi il parle et en être terrifiée. Oh non...

- Ça a recommencé.

Je pensais qu'après ma dernière altercation avec Vanya, j'étais bien trop épuisée pour pouvoir repasser en mode tueuse impitoyable maintenant. Pourtant ça vient de se reproduire, et c'est une bonne chose que seule la table basse en ait souffert.

- Ça arrive à chaque fois que tes émotions prennent le dessus.

Non sans blague Numéro Cinq ?

- Et qu'est-ce que je suis supposée faire ?
- Tu dois apprendre à contrôler ta colère.
- Notre fille travaille pour des putains de sociopathes temporels Cinq ! Ne me dis pas de contrôler ma colère !

A ma grande surprise, je le vois disparaître au moment où un ciseau pointu va se planter dans le mur derrière l'endroit exact où il était. C'était moi ça ? J'ai failli...

- Huit.

Je soupire de soulagement en faisant volte-face pour le trouver devant moi, sans la moindre égratignure.

- Je suis désolée je...je voulais pas...
- Je sais. Viens là.

Je n'attends pas un instant de plus pour accepter son étreinte. Ses bras me fournissent un tel réconfort lorsqu'ils m'entourent que je parviens enfin à retrouver mon calme. J'aurais pu le tuer avec ce satané ciseaux et je ne m'en suis même pas rendue compte.

- Grace va bien, poursuit-il en passant sa main dans mes cheveux. Elle est en vie, c'est le plus important non ?

Je me contente d'hocher la tête, la gorge nouée. C'est vrai que la savoir vivante est pour moi le plus grand des cadeaux, même si je crains toujours, et même beaucoup plus, pour sa sécurité. Je n'ose même pas imaginer toutes les choses que La Commission l'a obligée à faire. Je ne peux pas m'empêcher de repenser à ses enfants dont K s'occupait. Jamais je n'aurais pu imaginer qu'elle en ferait partie un jour. Elle était si jeune.
Trop jeune pour devenir ce que je m'efforce de ne plus être. Pourtant j'ai bien failli tuer Cinq. J'agrippe la veste de ce dernier comme si je m'apprêtais à m'écrouler sur le sol. D'abord la boucle temporelle, maintenant ça...je me demande si je vais vraiment pouvoir garder la raison encore longtemps.

+++++++++++++++++

Hey hey hey ! Comme promis ! Ça me fait plaisir d'enfin écrire le retour de Grâce auquel j'avais déjà pensé en écrivant sur la saison 1. J'espère que ça vous a plu, et aussi que je vais pouvoir bien reprendre cette histoire avec cohérence parce que certaines des idées que j'ai pu avoir il y a un an ne sont peut-être plus dans ma tête. Espérons qu'elles reviennent ou que j'en trouve de meilleurs. Et je vais essayer de mettre un coup de pied au cul de la page blanche aussi !!!

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