CHAPITRE XIX
Je crois que j'ai dormi quelques heures, bien plus que ce qui était prévu. Je me suis écroulée sur mon lit quand je suis arrivée. Et c'est un bruit sourd qui vient me réveiller une fois le soleil levé, comme quelqu'un qui monte les escaliers. Je me lève donc rapidement, espérant voir Diego, mais je suis encore plus surprise quand je me retrouve nez à nez avec Klaus. Il est couvert de sang, et de saleté. Il porte des vêtements style militaire, ainsi que des plaques autour du cou, et a un nouveau tatouage à l'épaule. Oh non. Il ne me faut pas longtemps pour comprendre ce qui lui est arrivé. Il a dû voler la mallette d'Hazel et Cha-Cha et...
- Klaus ?
Il se contente de me contourner sans m'adresser le moindre regard. Il a l'air vidé, anéanti. Je ne sais pas où il a atterri, ni combien de temps il est resté là-bas, mais ça l'a complètement traumatisé. Et je peux comprendre, la guerre...c'est pas joli à voir. C'est pourquoi je le laisse entrer dans la salle de bains, et attends quelques minutes avant d'aller frapper à la porte pour l'ouvrir et le rejoindre à l'intérieur. Il est allongé dans la baignoire, l'air absent, il fixe le plafond. Je m'avance doucement en essayant d'éviter les tâches de sang sur le sol, et vais m'agenouiller à côté de la baignoire pour poser ma main sur son bras.
- Hey ?
Il se tourne enfin vers moi. Je peux facilement voir qu'il a pleuré, et qu'il continuerait de le faire s'il avait encore des larmes dans le corps. Ce qui lui arrive, ça aussi c'est ma faute. Hazel et Cha-Cha l'ont enlevé parce qu'ils ne nous ont pas trouvé en venant ici. Ces deux-là n'arrêtent pas de blesser des gens que j'aime uniquement parce qu'ils n'arrivent pas à nous atteindre Cinq et moi. Si seulement j'avais su que Klaus était avec eux, je l'aurais cherché beaucoup plus tôt au lieu de perdre mon temps à la bibliothèque.
- Tu veux en parler ?
Il secoue la tête de gauche à droite, incapable de prononcer le moindre mot.
- Tu veux...que je m'en aille ?
Encore une fois, un simple non de la tête me permet de comprendre qu'il veut que je reste.
- D'accord.
Il se retourne vers le plafond, tandis que j'essaie de ne pas montrer à quel point je me déteste à ce moment précis. Je l'ai déjà vu au fond du gouffre. Si je suis entrée sans hésiter dans cette salle de bains, c'est parce qu'il est très souvent arrivé chez moi en plein manque ou...simplement après avoir mal réagi à tous ces trucs qu'il prend. Et dans ces moments-là, j'ai déjà dû l'aider à se laver, à se nourrir, à se coucher. Comme un enfant. Pourtant cette fois-ci me brise encore plus le cœur que les dernières, parce que je n'ai pu que déduire la cause de son malheur. Je ne sais pas tout ce qu'il y a à savoir. Je sais juste qu'il a voyagé dans le temps, et qu'il a connu des batailles atroces. Mais je sens qu'il y a bien plus derrière tout ça.
Je crois bien qu'on est restés dans cette salle de bains une bonne demi-heure. Sans rien dire. J'ai simplement attendu qu'il sorte pour lui donner une serviette et l'accompagner jusqu'à sa chambre au bout du couloir. Il n'arrête pas de se gratter, mais j'ai l'impression qu'il est enfin de retour parmi nous. Et je m'apprêtais à lui poser les questions que je brûlais d'impatience de pouvoir lui poser, quand Cinq fait son entrée en toquant à la porte, l'air soucieux.
- Ça va ?
Tout comme moi, il a dû très vite remarquer le sang dans le couloir.
- Salut. Ouais la nuit a été longue.
Ça me fait plaisir d'entendre de nouveau sa voix. Je pensais qu'il resterait muet encore longtemps. Mais on sait tous les deux que ce n'est pas une simple nuit qui l'a mis dans cet état.
- C'était pas la première on dirait, fait remarquer Cinq en entrant.
- Ouais...
- C'est nouveau les plaques.
- Ouais elles appartenaient à un ami.
Un ami. Elles appartenaient à un ami. Alors c'est ça. Il n'a pas simplement fait la guerre, il a aussi perdu quelqu'un là-bas. D'abord Diego, maintenant lui...je ne sais pas comment je vais encore pouvoir me regarder dans un miroir maintenant. En fait c'est à mon tour de ne plus trouver mes mots et de rester muette de honte.
- Tu l'avais pas ce tatouage avant.
J'aimerais que Cinq arrête d'être aussi insistant. Je sais qu'on a besoin de savoir ce qui lui est arrivé mais...
- Ce qui est fou c'est que je me rappelle absolument pas l'avoir fait celui-là. Je te l'ai déjà dit, la nuit a été longue.
- Je suis sûr que t'as essayé.
- De quoi tu parles ?
Cinq se tourne alors vers moi, en souriant avec curiosité.
- Tu as déjà reconnu les symptômes, pas vrai ?
Evidemment que je les ai reconnus. Je baisse la tête en soupirant.
- Décalage horaire, commencé-je à énumérer. Démangeaisons sur tout le corps.
- Maux de tête qui te donnent l'impression qu'on t'a bourré le crâne de coton par le nez.
Je me souviens parfaitement de toutes les fois où j'ai ressenti ça. Tellement qu'au bout d'un moment c'est devenu une simple habitude comme les autres.
- T'as l'intention de m'en parler ? insiste Cinq.
- Vos petits copains quand ils se sont pointés ici et qu'ils ont pas réussi à vous mettre la main dessus, vous savez que c'est moi qu'ils ont pris en otage ?
- Klaus on est désolés. Si Cinq et moi on avait su qu'ils s'en prendraient à toi je te jure qu'on aurait...on aurait fait autrement.
- Tu leur as volé leur mallette, pas vrai ?
Bordel mais c'est quoi son problème ? J'essaie de m'excuser mais lui tout ce qui l'intéresse c'est cette foutue mallette ?!
- Je croyais que c'était du fric ou...que je pouvais la vendre, vous voyez ? Qu'elle me servirait en gros. Et j'ai fini par l'ouvrir.
Sans avoir la moindre idée de comment l'utiliser...
- Et ensuite où est-ce que tu t'es retrouvé ? Ou quand, devrais-je dire.
- Cinq !
J'essaie de lui faire signe de se calmer. D'arrêter de l'interroger aussi agressivement, mais il n'en fait qu'à sa tête.
- Ça change quoi de toute façon ?
- Ça change quoi ?! Tu...t'es parti combien de temps ?
- Quasiment un an je dirais.
Un an ?! Il est resté un an...dans une époque inconnue, en pleine guerre ?!
- Un an ? reprend Cinq fasciné. Tu sais ce que ça veut dire ?
- Ouais. Que j'ai dix mois de plus maintenant.
- Non il y a vraiment pas de quoi se marrer Klaus.
Si seulement il s'était pointé quelques minutes plus tôt il aurait vu comme moi que Klaus n'avait absolument aucune envie de se marrer. Mais il est comme ça, à partir du moment où il sent qu'il va un peu mieux, il croit pouvoir se débrouiller seul et cacher son mal-être à tout le monde. Je l'ai trop souvent vu faire. Peut-être que s'il n'avait pas subi un interrogatoire comme celui que lui inflige Cinq, il se serait confié à moi. J'aurais préféré qu'il le fasse.
- Hazel et Cha-Cha feront tout ce qu'ils peuvent pour récupérer la mallette.
Sur ce point-là il a pas tort. Un agent de La Commission doit veiller sur sa mallette comme si sa vie en dépendait, parce que c'est en quelque sorte le cas. Il ne faut jamais l'égarer, ils risquent de revenir la chercher à tout moment et ça m'étonnerait qu'ils demandent gentiment cette fois.
- Tu l'as rangée où ? demandé-je alors inquiète.
- Nulle part. Je l'ai détruite.
Oh non. Là on est mal. Ça risque de pas leur plaire. Tout comme ça ne plaît pas à Cinq.
- Pourquoi t'as fait ça ?! T'es complètement taré ?!
- Qu'est-ce que ça peut te faire ? s'énerve Klaus.
- J'aurais pu l'utiliser pour revenir en arrière espèce d'abruti ! J'aurais pu tout recommencer !
- Cinq arrête !
Je vais me mettre devant lui pour essayer de le calmer. Hurler de cette façon sur Klaus ne servira à rien. D'ailleurs ce dernier se lève pour se diriger vers la sortie avec agacement. J'essaie quand même de le retenir, en vain.
- Klaus...
- L'interrogatoire est terminé. Alors lâchez-moi.
Et le voilà parti. Non mais j'y crois pas. Je me retourne vers Cinq, en tentant de comprendre ce qui a bien pu lui passer par la tête.
- Quoi ? me demande ce dernier visiblement ennuyé par le regard que je lui lance.
- Tu poses vraiment la question ? On dirait que tu t'en fiches complètement de ce qui lui est arrivé. Ou même...de ce qui est arrivé à l'amie de Diego.
- Ce ne sont pas nos priorités. Si Klaus avait été un peu plus malin, il n'aurait pas gâché cette chance qui nous était servie sur un plateau.
Mais il est vraiment...waouh. J'avais tort depuis le début. Je n'ai pas retrouvé Cinq. Parce que...celui que j'ai en face de moi, celui qui prononce ces mots...ce n'est pas l'homme que j'ai aimé. Ce n'est pas le père que je voudrais que ma fille ait. Il n'éprouve donc aucun remord ? Aucune empathie ? Rien ?!
- Est-ce que tu t'entends franchement ? On est en train de leur pourrir la vie avec nos conneries !
- Nos conneries ? Sauver le monde d'une destruction totale c'est des conneries pour toi ?
Toujours le même refrain ! Encore et toujours le même refrain !
- Non mais tu vois c'est ça ton problème ! T'es tellement obsédé par cette apocalypse, que t'oublies les gens que tu tiens tant à sauver ! Tu les connais pas en fait ! La dernière fois que tu les as vu t'étais qu'un gosse mais moi je les ai vu devenir des adultes ! D'accord ?! J'ai vu Allison subir son divorce, se faire enlever la garde de sa fille, Klaus sombrer de plus en plus dans ses addictions et aller je ne sais combien de fois en désintoxe, Vanya s'émanciper de son passé pour devenir autre chose que la laissée pour compte ! J'ai même vu la fusée de Luther décoller pour la lune ! Et j'ai vu Diego se faire briser le cœur sans jamais abandonner la femme qu'il aimait en se battant pour défendre les habitants de cette ville ! Ils sont tous importants pour moi et pour Grace, et toi tu débarques comme un étranger et tu penses que tu as le droit de gâcher leurs vies comme si de rien n'était, mais grandis un peu Cinq !
Je crois entendre mon cœur battre à toute vitesse dans ma poitrine. J'essaie de me calmer mais...je lui en veux tellement d'être aussi con.
- T'as passé tellement d'années à parler avec un foutu mannequin en plastique que t'en oublies que les vraies personnes ressentent de vraies émotions que tu peux pas simplement ignorer et piétiner comme ça ! Alors excuse-moi, mais s'il nous reste vraiment quatre jours à vivre, je préfère les passer aux côtés des personnes que j'aime et je te plains de pas pouvoir faire pareil !
Il me fixe simplement sans rien dire. Du début à la fin, il s'est contenté de...me regarder. Et finalement c'est pas plus mal comme ça. Je fais ainsi demi-tour pour sortir de la chambre de Klaus et retourner dans la mienne. Malgré tous mes efforts pour ne pas me tâcher avec le sang dans la salle de bains, je suis obligée de me changer si je ne veux pas me faire remarquer dans la rue. Mais au moment où je lance ma veste sur mon lit, Cinq fait irruption dans la pièce comme un taré.
- Tu crois vraiment que je fais tout ça simplement pour sauver sept milliards d'inconnus ?! J'ai fait tout ce chemin jusqu'ici pour notre famille Huit ! J'essaie de leur donner le futur qu'on souhaitait avoir toi et moi, et t'as pas le droit de me reprocher ça !
Je le sais. Moi aussi je voudrais qu'ils puissent tous être heureux. Je voudrais qu'on vieillisse tous ensemble, que nos enfants grandissent ensemble. Mais...je détourne simplement le regard en me dirigeant vers mon armoire pour attraper un nouvel uniforme. Je suis trop en colère contre lui, et surtout contre moi-même, pour avoir cette discussion maintenant. Je ne veux pas lui sortir encore plus d'horreurs que je suis certaine de regretter.
- Il faut que je retrouve Klaus et Diego avant qu'ils se fassent tuer eux aussi.
- Donc tu vas fuir cette conversation. Tu ne vas pas me donner d'explications pour tes mensonges.
Quoi ? Comment ça mes mensonges ? Je me retourne aussitôt, perdue.
- De quoi tu parles Cinq ?
- J'ai dû tout raconter à Luther. Je lui ai parlé de l'apocalypse, de La Commission. Et j'ai été assez surpris quand il m'a dit que toi aussi tu avais travaillé pour eux. Alors que tu prétendais avoir refusé quand ils te l'ont proposé.
Je savais que c'était une mauvaise idée de lui cacher. Et d'en parler à Luther et Diego en premiers. Mais d'un autre côté...j'ai pas à me justifier auprès de lui.
- C'était il y a des années, j'ai fait ce que j'avais à faire, et en aucun cas je n'ai de comptes à te rendre. T'étais pas là, j'ai dû me débrouiller sans ton aide.
- C'est pas moi qui suis parti si ma mémoire est bonne.
J'y crois pas. Il continue de me le reprocher alors qu'il sait très bien que ce n'était pas volontaire de ma part. Je sens mon poing se serrer très vite, essayant de contenir toute ma colère, quand soudain, la fenêtre explose en mille morceaux. Les débris sont propulsés hors de la pièce, telle une pluie de verre, tombant quelques mètres plus bas. Ni Cinq, ni moi n'avons bougé d'un cil pourtant. Même le bruit ne nous a pas fait réagir. On se regarde simplement droit dans les yeux, et je crois voir dans les siens, autant de colère et de tristesse qu'il doit en voir dans les miens. J'ai toujours détesté me disputer avec lui. Et je suppose que cette fois-ci...ça ne pourra pas s'arranger facilement. Surtout pas maintenant. Alors je me décide à sortir en passant à côté de lui, mon uniforme à la main. Pour l'heure, ce n'est peut-être pas sa priorité à lui, mais c'est la mienne de m'occuper de mes frères et de m'assurer qu'ils restent en vie...au moins quelques jours de plus.
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Désolée pour le retard ! J'étais hyper fatiguée ces derniers jours, la journée de vendredi s'est plutôt mal terminée pour moi...bref ! Je voulais absolument poster un chapitre ce soir, et j'espère qu'il vous aura plu !
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