CHAPITRE LVI

- Tu sais que j'ai pas envie de le faire Cinq. Mais je suis tellement épuisée, je sais pas combien de temps encore je vais pouvoir tenir.
- Et si ça fonctionne pas ?

Je jette un rapide coup d'œil en direction de Grace, assise à l'autre extrémité du toit, qui a accepté de nous laisser parler un instant avant qu'on commence. Elle joue avec ses cheveux et bouge nerveusement sa jambe droite en évitant très mal de nous observer.

- C'est notre fille. Elle est plus forte que nous deux réunis.
- Elle est jeune et inexpérimentée.
- Elle existe justement parce qu'on a été jeunes et inexpérimentés comme elle. La différence c'est qu'elle a des parents qui sont prêts à l'encourager, et même si c'est la dernière chose que je dois faire...

Un nœud immense dans ma gorge m'empêche de poursuivre. Je l'ignore et souris malgré tout à Cinq en posant ma main sur sa joue.

- T'arrêteras jamais de te faire du souci pour moi, c'est ça ton problème. T'es tellement borné Numéro Cinq.

Je vois bien qu'il fait des efforts, mais il n'a jamais été doué pour rassurer les autres. Il n'a jamais vraiment essayé de rassurer qui que ce soit à part moi de toute façon. On s'aperçoit que nos visages se sont rapprochés l'un de l'autre, uniquement lorsque nos fronts se touchent. Une sensation familière et rassurante m'entoure tandis que je ferme mes yeux un instant pour profiter de ce moment de calme avant la tempête. J'espère vraiment que ça va fonctionner. J'ai envie de vivre, pour lui et pour Grace. Pourquoi je devrais mourir avant même qu'on ait pu ressembler à une vraie famille tous les trois ?

- Je suis désolée de vous interrompre.

On se tourne aussitôt vers Grace qui s'était rapprochée de nous sans qu'on s'en aperçoive.

- J'ai cru comprendre que vous aviez quelque chose de prévu pour ce soir. On devrait se dépêcher.

Le gala. C'est vrai qu'on doit encore sauver le monde malgré tout. Après ça j'espère qu'on aura enfin droit à des vacances.
Je me tourne vers Cinq en lui souriant du mieux que je le peux. Ce qu'il essaie d'imiter. Et alors que je m'apprêtais à partir, je m'arrête net pour entourer mes bras autour de lui et le laisser m'étreindre avec force. Je ne sais pas lequel de nous deux avait le plus besoin de ça, mais je me sens plus confiante lorsque je me sépare de lui et que je suis Grace jusqu'au centre du toit. Pas d'adieux. On se dit adieu seulement quand on est certains qu'on ne se reverra plus et je sais que ça va marcher. J'ai pas d'autre choix que d'y croire aveuglément maintenant.
Grace me tend ses mains, et après un dernier regard vers Cinq derrière moi, je me décide à les prendre.

- Je sais pas comment tu vas réagir à ça, m'annonce Grace sur un ton grave. Je sais pas si ça va te faire mal ou...
- T'en fais pas pour moi Grace. Je peux tout supporter.
- Comme si je le savais pas déjà.

On échange un même sourire que tant de personnes ont souvent trouvé identique. Je suis tellement fière d'elle. Je l'aime tellement.

- Tu vas y arriver chérie.

Elle hoche la tête, prend un court instant pour se préparer, ou hésiter, puis ferme ses yeux pour enfin commencer à se concentrer.
Pourtant plusieurs secondes passent sans que je remarque quoique ce soit d'étrange se produire. Aucun signe de ses pouvoirs.

- Pourquoi ça marche pas ? l'interroge Cinq en apparaissant près de nous.

Les yeux toujours fermés, Grace lâche soudain ma main gauche pour tendre la sienne vers Cinq qui la fixe avec incompréhension.

- J'ai du mal à me lancer quand je suis aussi stressée, nous explique Grace sans hésitation. Ça va aller, tu peux pas modifier la temporalité de son corps mais tu peux m'aider à le faire.

Bien sûr, c'est de lui qu'elle a hérité ces capacités. J'aurais définitivement été plus rassurée de la savoir plus proche de mon don, mais on ne peut pas tout avoir.
Cinq se décide finalement à prendre sa main malgré son hésitation flagrante, provoquant au même moment un léger courant électrique venant de l'autre main de Grace, et qui vient parcourir tout le reste de mon corps à toute vitesse. J'imagine que ça veut dire qu'elle est prête, et que je dois aussi l'être.
Ma théorie est très vite confirmée par une lumière bleuâtre qui se met à entourer Grace, puis Cinq, et finalement, moi. Elle ne me fait pas mal, j'ai juste l'impression que mon corps tout entier vibre à son rythme. Cinq n'a pas l'air d'être à son origine, alors que je remarque les sourcils de Grace se froncer au bout de quelques secondes. Il y a un problème ?

- Grace ?
- Je vais y arriver. Je peux le faire.

A la voir de plus en plus serrer les dents et vaciller, je me doute bien que ça ne doit pas être facile pour elle. Jusqu'à cet instant j'étais tellement inquiète de ne pas m'en remettre que je n'ai même pas pensé au fait que ça puisse être dangereux pour elle. Je ne veux pas qu'elle se fasse du mal ou s'épuise pour moi.

- T'en es sûr ? insiste Cinq à son tour.
- Je me suis entraînée avant, mais jamais sur un corps atteint de traumatisme temporel. Toute sa chronologie est éparpillée.
- Okay, commencé-je vraiment à m'inquiéter. C'était peut-être pas une bonne idée.
- Non maman je peux y arriver ! Il me faut juste un peu plus de temps !

La lumière qui nous entoure commence à devenir oppressante à mesure que Grace se force à puiser de son énergie. Et je suis encore moins rassurée de voir l'état de Cinq se détériorer à son tour. Il titube lentement, mais ne lâche pas la main de Grace quoiqu'il arrive.
A ce rythme-là ils seront morts tous les deux avant moi.

- Cinq ? Ça va pas ?
- Si...j'ai juste...il faut...
- Je l'ai ! crie tout à coup Grace en ouvrant ses yeux.

Au même moment, Cinq perd définitivement l'équilibre, m'obligeant à agripper sa main pour l'empêcher de tomber.
Et j'ai juste le temps d'entendre Grace hurler, que tout devient noir subitement.
Je ne perds pas connaissance, mais je me sens tomber. Et cette douleur atroce que je ressens dans ma poitrine m'empêche de faire le moindre mouvement. Je sais que j'aie dit à Grace que je pouvais tout supporter, mais c'est difficile de subir une telle douleur quand je ne parviens même pas à crier, ou à ouvrir les yeux pour essayer de comprendre ce qui est en train de m'arriver. Je suis emprisonnée dans mon propre corps avec la douleur et la peur.
Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Est-ce que je suis morte, ou en train de mourir ?

- Maman réveille-toi !

Finalement je parviens à ouvrir mes yeux, qui se font aussitôt attaquer par les rayonnements aveuglants du soleil. Je respire comme si je venais de courir un marathon, pourtant je suis restée paralysée comme ça pendant ce qui m'a semblé durer une éternité.

- Maman ! Papa !

Il me faut un instant pour totalement revenir à moi et voir clairement le visage de Grace penché au-dessus de moi. Elle a l'air soulagée et pourtant toujours terrifiée.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Je tourne la tête dès que j'entends la voix de Cinq, et sens les battements de mon cœur devenir incontrôlable en le voyant allongé juste à côté de moi, dans un état similaire. Son regard se remplit de la même inquiétude lorsqu'il croise le mien.

- Huit ? Ça va ? T'es blessée ?
- Non mais toi t'as une sale tête.
- Merci.

Je sens une vague de soulagement m'envahir, jusqu'à ce que j'entende des sanglots près de nous et que je me rende compte que c'est Grace qui est en train de pleurer en nous regardant.

- Grace ?

J'ai toujours détesté la voir pleurer.

- Vous me répondiez pas, parvient-elle à articuler entre deux sanglots. J'ai cru vous étiez morts, j'ai cru que je vous avais tués.

Oui j'ai toujours détesté la voir pleurer, mais je ne l'avais jamais vu pleurer avec tant de terreur dans le regard. J'ai aucune idée de comment je suis supposée la rassurer, on ne parle pas d'un enfant qui se serait moqué d'elle à l'école, ou d'un bobo au genou. Et puis je ne me souviens de rien entre le moment où j'ai attrapé la main de Cinq et celui où je me suis réveillée à côté de lui.

- Grace on est désolés. On voulait pas te faire peur.
- Je veux pas vous perdre tous les deux...
- C'est pas le cas ma chérie. On va bien, d'accord ? T'as pas à t'en faire pour nous.

Je l'entoure de mes bras et la berce doucement comme j'avais l'habitude de le faire avant quand je voulais la calmer. C'est la deuxième fois de sa vie qu'elle croit avoir perdu ses parents, et ça me fait tellement de peine qu'elle doive endurer ça à son âge. Je voulais une vie différente de la nôtre pour elle.

- Pourquoi j'ai l'impression de me faire étrangler par cette foutue cravate ?!

Cinq nous oblige à nous séparer pour nous tourner vers lui, tandis qu'il se défoule sans raison sur la malheureuse cravate. Et le voir dans cet état, provoque chez Grace et moi un fou rire qu'on ne parvient pas à contrôler. Peut-être que c'est simplement la pression qui redescend, mais je suis contente de la voir rire de nouveau.
Pourtant je me rends très vite compte que je me sens moi aussi un peu oppressée dans mes vêtements. Et c'est vrai que Cinq paraît légèrement plus grand que tout à l'heure. Et puis...

- C'est pas vrai !

Je ne me soucie pas des sursauts que je viens de provoquer chez mes deux voisins, puisque je suis trop heureuse en baissant le regard, de voir ma précieuse poitrine de retour à sa place. Je dois la toucher pour m'assurer qu'elle est bien réelle.

- Je suis tellement contente de vous revoir ! hurlé-je avec émotion.
- Maman...

Je remarque enfin les regards que me lancent Grace et Cinq, comme si je venais de perdre la tête sous leurs yeux.

- Quoi ? J'ai vécu avec eux plus longtemps qu'avec vous. Ils m'ont vraiment manqué.

J'essaie de ne pas me sentir vexer en les voyant lever les yeux au ciel, un sourire moqueur aux lèvres. Mais minute...si Grace devait me rajeunir, pourquoi ils sont là ?

- Grace qu'est-ce qu'il s'est passé ? lui demandé-je avec plus de sérieux.

Elle se calme à son tour, et commence à passer sa main sur sa nuque en évitant mon regard. Ça n'augure rien de bon ça...

- Ouais le truc c'est que tant que vous vous touchiez pas, l'énergie faisait que passer à travers moi sans vous connecter, mais au moment où j'ai réussi à trouver la bonne période pour ton corps, t'as attrapé la main de papa, ce qui a créé un lien entre nous trois, qui était beaucoup moins facile à manipuler. J'avais peur de perdre totalement le contrôle alors j'ai paniqué et utilisé l'âge le plus rapide à copier.
- C'est-à-dire ? s'impatiente Cinq qui apprécie autant que moi ce nouvel imprévu.
- C'est-à-dire...le mien.

Le sien ? Son âge ? Mais alors...

- Félicitations, plaisante Grace d'une voix tremblante. Vous avez de nouveau 16 ans.

On...a...QUOI ?!

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Okay donc je dois quand même vous expliquer pourquoi j'ai décidé d'inclure ce léééééger rebondissement dans mon histoire. Depuis le début j'ai un peu de mal à écrire des scènes trop « romantiques » entre eux parce que même s'ils sont adultes mentalement, physiquement ils ont quand même 13 ans. Bref, après avoir vu la saison 3 où Aidan a en réalité 17 ans et n'est pas forcément très différent de la saison 2, je me suis dit que ça passait totalement avec le personnage de le vieillir de 3 ans sans que ça change notre façon de le visualiser. Pour vous ça ne va pas changer grand-chose dans votre lecture, mais moi je serai plus à l'aise pour vous écrire tous les bisous et les câlins que vous me demandez depuis le début ^^. Voilà en tout cas si ça ne vous plaît faites le moi savoir c'est important pour moi d'avoir vos retours là-dessus !

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