CHAPITRE LIV
Il y a seulement quelques jours, après que Luther m'ait enfermée dans le sous-sol de notre ancienne maison, et qu'il ait tenté de tuer Vanya m'obligeant à m'interposer pour lui sauver la vie et celle des autres, entraînant ainsi notre combat et la destruction de l'espèce humaine, j'aurais franchement adoré le voir se faire ratatiner de cette façon. A vrai dire, je ne sais même pas comment j'ai pu me retenir à ce moment-là de ne pas le faire moi-même. Mais mon passage dans la boucle temporelle a ironiquement été bénéfique à notre relation si conflictuelle. Oui, au début le voir se faire bombarder par une attaque nucléaire a bien su me satisfaire d'une certaine façon. Mais j'ai fini par en avoir assez, et franchement le voir prendre un tir de tank à la place de Klaus tant de fois m'a fait me rendre compte qu'au final on reste une famille. Une famille bien merdique, mais une famille quand même.
Tout ça pour dire qu'en arrivant j'étais assez contente de le voir frapper avec tant de force son adversaire dans ce combat de boxe clandestin plus que stupide. Mais après le second coup de poing qu'il reçoit sans même bouger le petit doigt pour se défendre, je commence à m'inquiéter pour lui. Qu'est-ce qui lui prend ?
- Il va se faire démolir ! s'affole Vanya penchée sur la barrière qui nous sépare du combat.
- T'en fais pas, la rassuré-je tant bien que mal. C'est pas pour rien qu'on l'appelle Numéro Un.
Pour n'importe quelle personne qui connaît bien Luther, cette phrase ne veut absolument rien dire. Numéro Un des idiots oui mais...pour sa défense il a passé énormément de temps isolé sur la lune. Et puis il est à moitié chimpanzé. Donc il s'en sort plutôt bien quand on prend en compte tous ces facteurs que je ne vais certainement pas raconter à Vanya dans l'immédiat.
D'abord on va essayer de sauver le monde, et après on lui racontera toutes les horribles choses que Sir Reginald Hargreeves nous aura fait subir au court de notre vie, parce qu'il nous faudra bien plus que huit jours pour ça.
Malheureusement Luther me donne rapidement tort, quand il se fait attraper par la nuque et jeter contre la barrière, juste sous nos yeux. Non mais c'est quoi son problème maintenant ?!
- Reprends-toi Luther ! lui crie Vanya désespérée.
Je sens Cinq se crisper à son tour à côté de moi.
- Pourquoi il se défend pas ?!
Il est pas le seul à vouloir le savoir. Je déteste voir ça. J'ai l'impression d'être de retour dans la boucle, et tous les hurlements de ces imbéciles autour de nous qui encouragent cette sale brute ne font qu'attiser ma colère. Je voudrais pouvoir regarder ailleurs, et je ne parviens plus à me retenir de le faire lorsque je vois mon frère se prendre le dernier coup de grâce, et être projeté un ou deux mètres plus loin sans s'être défendu. C'est pas vrai Luther...
QUELQUES HEURES PLUS TARD
J'aime pas vraiment attendre gentiment dans cette voiture que Luther se réveille. D'abord parce que s'il s'était défendu, on n'aurait pas à patrouiller devant chez lui de cette manière, et aussi parce que Vanya a insisté pour rester à ses côtés. Je sais qu'elle ne se souvient pas de lui, et que pour Luther des mois se sont écoulés depuis leur dernière rencontre, mais il s'est passé tellement de choses entre eux avant notre arrivée ici. Je ne ressens plus la même haine que je ressentais envers mon frère avant la boucle temporelle, mais je m'inquiète toujours autant pour Vanya. Si ce n'est plus.
Et voir Cinq essayer de cacher un léger bâillement sur le siège conducteur ne m'aide pas à me sentir mieux. Le pauvre doit être épuisée.
- Cinq depuis quand t'as pas dormi ?
- C'est pas important.
- Tu peux pas continuer de veiller sur moi sans penser à toi.
Bien sûr il choisit de ne pas répondre, pensant bêtement mettre fin à cette conversation aussi facilement. Je crois bien que la dernière fois qu'il s'est vraiment reposé, c'était après s'être fait tirer dessus, et avoir été soigné à l'Académie. Ce qui n'a pas non plus été une partie de plaisir pour moi.
- Cinq tu sais que j'ai failli y passer la dernière fois que j'ai dû te sauver la vie parce que tu refusais d'admettre que tu t'étais fait tirer dessus, pas vrai ?
- Je sais et je m'en veux toujours pour ça, mais je vais très bien.
- Et je suis bien vivante, mais je risque toujours de mourir à chaque fois que je ferme les yeux.
Cette fois je parviens maladroitement à attirer son attention. Je ne voulais pas l'inquiéter davantage, je ne sais pas pourquoi j'ai dit un truc aussi stupide. Même si c'est vrai, ça ne risque pas de le rassurer.
Je pousse alors un long soupir agacé en détournant le regard vers le ciel nuageux à travers le pare-brise. J'en ai marre de cette situation.
- Huit on va trouver un moyen de te sauver.
On...
- Tu veux dire, toi, moi, et notre tête brûlée de fille qui apparaît et disparaît sans arrêt, parfois gravement blessée et inconsciente du danger dans lequel elle se met ?
- Huit...
- Je fais tout ce que je peux pour tenir Cinq. Vraiment je...j'essaie, mais t'imagines pas à quel point c'est difficile de rêver de la vie qu'on a toujours voulu avoir ensemble, et de choisir de me réveiller tout en sachant que quelque part, c'est la vraie vie d'une autre version de moi qui a droit à son mariage de rêve, et à sa famille aimante et soudée, quand moi je dois passer tout mon temps à courir après tout le monde, pour pouvoir encore une fois stopper une putain d'Apocalypse, avec une organisation d'assassins professionnels qui n'arrête pas de nous courir après, et ce vieil enfoiré de...
- Huit !
Je m'arrête de parler subitement, comme si quelqu'un venait de vider un seau d'eau glacée sur ma tête pour me ramener à moi. Pourtant à la place je regarde la main de Cinq qui est venu agripper la mienne fermement, et son propriétaire qui me fixe avec de grand yeux attristés. Maintenant c'est certain qu'il ne va pas se reposer. Bien joué Numéro Huit...
- T'en fais pas, déclare Cinq avant même que je puisse m'excuser de m'être emportée à ce point. Je préfère que tu vides ton sac plutôt que de finir dans un asile comme Diego.
Évidemment qu'il parvient à me redonner le sourire avec une remarque si immature. Je crois bien que c'est sa franchise que j'aime le plus chez lui, même si elle peut parfois être vraiment chiante pour les autres.
Je lui souris enfin en serrant moi aussi sa main dans la mienne.
- Je suis désolée Cinq, c'est vrai que c'est difficile de quitter une vie parfaite pour...toutes ces catastrophes qui continuent de nous tomber dessus. Mais il n'y a qu'un seul Numéro Cinq qui compte vraiment pour moi. Et en attendant que je le rencontre dans un de mes rêves j'imagine que tu feras l'affaire.
J'aime le voir sourire, mais la tête qu'il fait quand je me moque de lui resteras toujours ma préférée. Il a décidé de ne pas se reposer pour me surveiller, et je compte bien lui faire regretter ça jusqu'à ce qu'il arrête de se comporter comme un imbécile invincible.
- Tu crois que c'est possible que tu sois moins susceptible dans une autre réalité ?
- C'est possible si dans cette réalité je suis pas uniquement entouré d'incompétents.
- Susceptible et arrogant. C'est évident que je suis tombée amoureuse de toi seulement parce qu'on était les deux seuls survivants de l'espèce humaine.
- Vous êtes trop mignons.
Cinq et moi sursautons aussitôt en nous tournant vers la banquette arrière sur laquelle est installée, comme si de rien n'était, notre chère fille adorée qui de toute évidence continue de croire qu'apparaître et disparaître à sa guise reste un comportement tout à fait normal.
D'accord, je suis plus qu'heureuse et soulagée de la revoir sans blessure mortelle cette fois, mais je suis aussi furieuse.
- Grace ! hurlé-je aussitôt en me retournant complètement vers elle. Si tu nous donnes pas des explications maintenant, la prochaine fois que cette foutue montre se mettra à biper je la réduirai en pièce avant que tu puisses te volatiliser !
Bien qu'elle tente de cacher son inquiétude, elle s'empresse tout de même de glisser son poignet derrière son dos pour protéger le précieux objet de ma colère.
- Waouh maman, t'es vraiment pas sociable quand tu manques de sommeil.
- Vraiment ? Et selon toi, le fait de voir ma fille disparaître pendant plusieurs heures sans savoir si elle est vivante ou mourante dans une époque différente, n'a absolument rien avoir avec mon attitude ?
Je ne peux pas m'empêcher de remarquer le regard qu'elle pose sur Cinq au moment où elle s'apprêtait à me répondre, pour finalement décider de se taire pour ne pas empirer les choses. C'est étonnant qu'il puisse faire comprendre à une personne qu'elle se comporte de manière irresponsable sans même dire le moindre mot. Pourquoi il ne se regarde pas plus souvent dans le miroir ?
En tout cas Grace finit par retirer son bras de sa cachette pour nous montrer la montre qui provoque tant d'anxiété chez moi depuis que je l'ai vu pour la première fois.
A première vue, c'est une montre analogique plaquée or assez banale. Si je ne l'avais pas entendu émettre un tel boucan, je n'y aurais même pas fait attention. Mais elle doit être importante puisqu'elle oblige automatiquement Grace à tout laisser en plan pour aller je ne sais où, je ne sais quand.
- C'est un cadeau de mon...d'un ami.
D'un ami ? Elle n'a clairement pas hésité de manière aussi flagrante pour un simple ami. J'arrive pas à croire que je vais prononcer ces mots parce que c'est mon cauchemar de mère mais...
- Ton petit-ami ?
- Quoi ?! Maman ! Non ! Bien sûr que non ! Pourquoi tu...je vois même pas pourquoi tu me poses la question !
Ouais, elle a un définitivement un petit-ami...
- Tu peux me le dire Grace, je vais pas m'énerver pour ça.
- Je n'ai pas de copain !
Je ne vois pas pourquoi elle tient tant à me le cacher, j'ai eu son âge, je sais ce que c'est et j'aurais adoré pouvoir en parler avec ma mère à l'époque. Bien sûr à ce moment-là j'étais coincée dans l'Apocalypse alors j'aurais adoré pouvoir parler à n'importe quel autre être humain que Cinq. Heureusement, Grace n'a jamais connu ça et j'espère sincèrement que ça ne lui arrivera jamais. Et pour ça, il faudrait déjà qu'elle fasse un peu plus attention à ce qu'elle fait quand elle voyage n'importe quand.
- Bref, reprend l'adolescente aux joues rouges en baissant la tête. Est-ce que vous allez continuer de m'interroger sur un sujet sans importance, ou est-ce qu'on peut enfin discuter de la solution que j'aie pu trouver à ton problème de mort imminente ?
Je vais essayer d'ignorer à quel point sa formulation était maladroite puisque je suis curieuse de savoir ce qu'elle peut bien avoir en tête.
- Je sais comment te guérir de ton traumatisme temporel. Ou en tout cas je crois que ça pourrait fonctionner...
- Tu crois ? la reprend très vite Cinq.
- Oui je crois, parce que ça n'a jamais pu être tester avant.
- Tu veux qu'on prenne le risque que son état empire ?
- Tu passes ton temps à prendre des risques bien plus importants que celui-là.
- Résultat on se retrouve coincés dans le passé avec un nouvelle Apocalypse en route.
Très vite je n'entends même plus leur argumentation. Je suis d'accord que notre situation n'est pas idéale, mais si on n'avait pas voyagé dans le passé, on serait tous morts. Et si Cinq et moi on ne s'était pas retrouvés coincés pendant des années dans le futur, Grace ne serait pas venue au monde. Ici j'ai le choix entre prendre le risque de mourir en essayant de rester en vie, ou de mourir en ne faisant rien.
- Cinq ?
Ils s'arrêtent enfin tous deux de parler et se tournent vers moi comme si je venais d'hurler ce mot. Je pose ma main sur l'épaule du concerné pour tenter de le calmer et lui lance un léger sourire.
- On devrait au moins écouter ce qu'elle a à dire.
Bien que réticent à l'idée de mettre ma vie en danger, comme à son habitude, il finit par capituler et s'adresse de nouveau à Grace sur un ton plus posé cette fois.
- On t'écoute.
Une Grace satisfaite me lance rapidement un sourire reconnaissant qui disparaît lorsqu'elle reprend son sérieux. Elle est à la fois si mature et si irresponsable, si je n'avais pas arrêté cette dispute ridicule entre elle et Cinq ils auraient pu continuer pendant des heures. Je le répète souvent, mais ils se ressemblent beaucoup trop.
- Actuellement tu es en danger parce que ton corps rejette le retour à la normal après avoir connu la boucle temporelle. La solution serait donc de ramener ton corps à une époque où la boucle temporelle ne se serait pas encore produite pour effacer les effet de ce rejet.
Ramener mon corps à une époque différente ? Pourquoi ça me semble si familier ?
- Je sais que ça semble simple et qu'on peut se demander pourquoi personne a jamais tenté ce genre d'expérience à La Commission...
- Parce qu'ils avaient personne comme toi, l'interrompt Cinq. T'es la seule à pouvoir altérer la temporalité d'un corps humain.
Evidemment puisqu'elle l'a déjà fait auparavant. Sur moi qui plus est...
- Grace la dernière fois que t'as utilisé cette capacité pour empêcher le rajeunissement de ton père durant son voyage, c'est moi qui me suis retrouvée piégée dans ce corps que je n'aimais déjà pas à l'époque où c'était normal pour moi de l'avoir. Qu'est-ce qui te fait croire que cette fois-ci tu vas réussir sans me ramener à l'âge d'un nourrisson ?
Je vois déjà le pire se produire. Soit je me retrouve assez jeune pour porter des couches, soit je me retrouve assez vieille...pour porter des couches. Dans les deux cas, je serais incapable d'aider ma famille, ce qui était déjà bien assez difficile dans ma trentaine, et presque impossible aujourd'hui.
- C'était il y a des mois pour moi, et je me suis entraînée depuis. Et j'admets que je me suis surestimée dans le cas de papa, mais il suffirait que je te rajeunisse de seulement quelques jours pour que ça fonctionne. Tant qu'oncle Klaus ne débarque pas en hurlant avec un extincteur au milieu du processus je sais que ça pourrait fonctionner. De toute façon on manque d'options et de temps alors...
Elle n'a pas tort. A chaque fois que je m'endors je rapproche du moment où je pourrais ne pas me réveiller. Mais est-ce que j'en suis vraiment arrivée au point où je ne peux compter que sur les pouvoirs incontrôlables de mon adolescente de fille pour survivre ? Je déteste l'idée que ma vie soit entre ses mains. Si ça ne fonctionne pas, je refuse qu'elle ait ma mort sur la conscience.
- Maman s'il te plait. Fais-moi confiance.
Je lui fais confiance mais...
- Elle a raison Huit.
Je tente tant bien que mal de cacher ma surprise face à la réaction de Cinq qui semblait en désaccord total avec Grace il y a à peine quelques instants. Je plonge mon regard dans le sien, pour y lire une inquiétude à la fois familière et inconnue. Il se fait du soucis pour moi, mais il s'en fait aussi pour Grace. Il doit penser à la même chose que moi, mais jamais il ne pourra se décider à me laisser mourir, même si pour ça il doit prendre le risque d'être celui qui devra aider Grace à surmonter son échec dans le cas où cette tentative serait vaine.
D'un côté sa peur me rassure. Si je venais à disparaître, je sais qu'ils seront là l'un pour l'autre et c'est tout ce que j'avais besoin de savoir.
J'imagine que je n'ai plus le droit d'hésiter de toute façon alors...
- D'accord, finis-je par accepter. Je te fais confiance Grace, on va le faire à ta façon.
J'espère vraiment que ça va bien se passer...
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Bon je ne sais pas pourquoi c'était si difficile pour moi d'écrire ce chapitre mais il m'a fallu un mois pour le finir. J'ai dû écrire trois versions différentes avant d'être finalement satisfaite du résultat alors j'espère qu'il vous aura plu et que je vais pouvoir écrire la suite sans problème cette fois.
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