CHAPITRE LII

C'est bizarre comme fut un temps j'avais en horreur les insomnies. Je m'allongeais dans mon lit et fixais le plafond de ma chambre pendant des heures sans pouvoir m'endormir.
Aujourd'hui, je tuerais pour en avoir.
Même tout le café du monde ne suffirait pas à me tenir éveillée, alors que je suis littéralement dans un cas de vie ou de mort. Mais mon corps est épuisé, ces derniers jours ont été un désastre et j'ai l'impression que mon cerveau n'a pas eu une seule seconde de répit depuis l'enterrement de Sir Reginald Hargreeves. Et dire que j'étais si heureuse de le savoir mort, voilà que je me retrouve avec une version de lui plus imprévisible que jamais. Évidemment il ne nous connaît pas et peut se montrer très hostile avec les étrangers. Diego en est la preuve...
J'aimerais juste pouvoir me reposer un instant sans avoir à me soucier de quoique ce soit d'apocalyptique...

- Huit ?

J'ouvre les yeux en me tournant vers Cinq, qui s'approche de moi un grand sourire aux lèvres, je me lève aussitôt de ma balançoire et commence à agiter mes mains en face de moi pour lui faire signe de ne pas faire un pas de plus.

- Qu'est-ce que tu fais là Cinq ?! T'es pas supposé me voir dans ma robe !

J'ai déjà du mal à me déplacer sans me prendre les pieds dans les centaines de couches de tissus qui emprisonnent mes jambes, mais en plus si je dois essayer de fuir...eh bah voilà. Il ne me faut pas longtemps pour perdre l'équilibre et basculer en arrière.
Heureusement il n'y a que mon voile qui atteint le sol puisque Cinq apparaît très vite derrière moi pour me rattraper, et en même temps me prendre dans ses bras pour m'empêcher de fuir. J'essaie de ne pas rire, mais son air satisfait me fait très vite succomber.

- C'est la première et dernière fois que je laisse Allison m'aider à choisir ma robe de mariée.
- Et...c'est aussi la première et dernière fois que tu comptes te marier, pas vrai ?

Je lui souris en me séparant de lui pour me rasseoir sur la balançoire et retirer mes horribles chaussures.

- Tu sais que les autres te tueront s'ils découvrent que tu es venu ici avant la cérémonie ?

Mon incroyable fiancé, vêtu de son plus élégant smoking, vient se mettre en face de moi en attrapant les cordes de ma balançoire pour pouvoir se pencher vers moi.

- On devrait s'enfuir avant qu'ils s'en aperçoivent et passer directement à la lune de miel. Tu sais que je peux nous emmener n'importe où.

Tout en imitant son air malicieux, j'attrape sa cravate pour le rapprocher encore plus de moi et sourire à seulement quelques centimètres de ses lèvres.

- C'est trop tard pour te défiler Numéro Cinq.
- Me défiler ? Je voulais juste te rendre service en t'enlevant cette robe dans laquelle tu es si inconfortablement époustouflante.

Quel crétin. Heureusement pour lui que j'ai déjà accepté de me marier avec lui.
Et au moment où nos lèvres allaient se toucher, Cinq se fait soudain soulever dans les airs par deux énormes bras.
Et merde.

- Luther ! hurle le futur marié avant de disparaître et de réapparaître quelques mètres plus loin.

Je ris en le voyant remettre en place sa veste et sa cravate, tout en continuant de pester contre le nouveau venu.

- T'as de la chance que je m'en sois pas chargé, déclare Diego derrière nous.

Je me retourne pour le voir sans grande surprise, faire virevolter un couteau dans sa main.

- Diego, protesté-je aussitôt, on avait dit pas de couteaux !
- Sauf cas majeur ! Le futur marié qui disparaît à quelques minutes de la cérémonie, ça me paraît assez majeur comme cas !

Je lève les yeux au ciel en me levant pour de bon avec l'aide de Luther. C'est un miracle qu'il ait trouvé un smoking suffisamment grand pour sa carrure, mais ça lui va plutôt bien au final.
Je n'ai pas le temps de protester que les voilà déjà partis tous les trois. Je les regarde s'éloigner en souriant de l'exaspération de Cinq. J'aurais dû m'y attendre, il n'a jamais aimé les restrictions.

- Alors ils l'ont trouvé.

Je me fige à l'attente de ces mots. Ce n'est pas tant la phrase qui me choque, mais la voix qui la prononce. Je fais volte-face pour voir là, face à moi...Ben.
Il porte un smoking lui aussi, assorti à celui des autres garçons d'honneur. Et il me sourit.

- J'aurais peut-être été plus rapide si Klaus avait pas autant profité de l'enterrement de vie de garçon. Tu te rends compte que j'ai dû le repêcher dans une benne à ordure le jour de ton mariage ?

Je fais quelques pas vers lui, surprise des larmes qui commencent à me monter aux yeux. C'est Ben. Mon frère. Pourquoi je réagis comme ça en le voyant ?
Évidemment il se rend compte que quelque chose ne va pas.

- Huit ? Tu te sens bien ?

Enfin je suis devant lui. Enfin je peux poser ma main sur sa joue. Enfin je sens la chaleur qui émane de son corps. Et enfin je réalise que...
Bien sûr...
Ce n'est pas mon Ben.
Mon Ben est mort.
Pourtant celui qui se tient devant moi est bien vivant, il respire, et je peux le toucher sans que ma main passe à travers de lui.
Évidemment je suis en train de rêver. Je ne suis pas à ma place ici.

- Huit ? Pourquoi tu pleures ?

Je sens la panique dans sa voix. Il n'a jamais su gérer ce genre de situation sans paniquer, et ça me fait rire. Je crois bien que c'est une des personnes les plus introverties que je connaisse, et en même temps, il a ce tempérament qui l'empêche de se taire quand il a quelque chose à dire. Je continue de caresser sa joue en riant, et en pleurant.

- Je suis juste tellement contente que tu sois là.

Je sais qu'il se retient de réagir à mon comportement étrange pour ne pas me vexer, parce qu'il se retient très mal.

- Désolée, je voulais pas t'inquiéter.
- Non c'est rien. C'est un grand jour pour toi, tu dois être stressée c'est tout.

Ma gorge se serre, mon cœur bat à toute vitesse, et malgré les centaines de voix dans ma tête qui tentent de m'en empêcher, je l'entoure rapidement de mes bras pour le serrer contre moi au moment où je ferme mes yeux.

- Merci Ben.

Doucement, je sens mon étreinte se relâcher. Je sens mes bras tomber comme si mon frère se faisait lentement effacer de ma vie. Encore une fois.
Et finalement...

- Huit ?

Je croise le regard inquiet de Cinq lorsque j'ouvre enfin les yeux. Mon Cinq.
Je peux lire le soulagement sur son visage lorsqu'il me voit enfin reprendre conscience. Je ne sais pas depuis combien de temps je dors, ni depuis combien de temps il essaie de me réveiller, mais il devait être fou d'inquiétude.
Je constate en jetant un coup d'œil autour de moi que je suis assise sur une marche des grands escaliers intérieurs qui mènent jusqu'au salon d'Eliott, où j'imagine que Grace est toujours endormie. Je me redresse alors avec l'aide de Cinq qui vient rapidement s'asseoir près de moi en me dévisageant comme il sait si bien le faire. Je lui souris en tenant sa main fermement.

- Je vais bien. Je suis réveillée. Tout va bien.

Il hoche la tête en restant toujours silencieux, comme pour se rassurer lui-même du mieux qu'il peut.

- Cinq je t'assure que ça va. Je suis là, d'accord ?
- Si tu le dis.

Je lui souris de nouveau et lève alors ma main, pour la poser délicatement sur sa joue. Je mentirais si je disais que je ne suis pas inquiète de cette situation, et je comprends son affolement, mais tant que je suis avec lui je ne veux pas qu'il se fasse du soucis en plus pour moi. Il a déjà tellement de choses à faire.
Nos fronts se touchent rapidement, tandis que sa main vient à son tour saisir la mienne. Finalement je le sens se calmer, et je me rends compte à quel point j'en avais besoin moi aussi. Oui je suis bien de retour dans ma réalité, mais maintenant je comprends ce que Grace essayait de me dire un peu plus tôt. J'ai bien failli ne pas me réveiller cette fois. J'étais tellement absorbée par cette vie que je ne me rendais même plus compte que ce n'était pas la mienne. J'allais totalement m'abandonner à ce « rêve », et je m'y serais perdue si Ben ne m'avait pas ramenée à moi.
Je ne sais pas s'il est venu jusqu'ici avec nous. Même si je l'ai vu se battre avec les autres dans la boucle temporelle sous sa forme fantomatique, je ne sais pas si je peux vraiment me fier à tout ce que j'ai vu là-bas puisque Cinq n'y était pas, et que notre but premier est justement d'empêcher ces événements de se produire...en tout cas j'espère vraiment qu'il a pu voyager dans le temps avec nous. Ça voudrait dire que je pourrais le revoir et lui parler. Il me manque tellement qu'il vient de me sauver la vie sans le savoir.
Soudain des bruits de machines qui semblent s'affoler nous vole toute notre attention et nous pousse à nous lever presque en bondissant.

- Hey, ça s'agite ! se met à hurler Eliott à l'étage. Il y a une de vos machines qui s'affole ! Venez voir !

On n'attend pas un instant de plus pour nous précipiter et rejoindre notre ami parmi les multiples engins supposés nous aider à retrouver notre famille.

- Laquelle ? l'interroge Cinq avec hâte.
- C'est le radar atmosphérique.

Le radar atmosphérique ? Pendant des années j'étais la seule à vraiment pouvoir faire disjoncter ce genre de machine, mais je sais que ce n'est plus le cas. On est deux maintenant. Alors ce petit point qui clignote sur l'écran ce serait...

- Vanya.

Cinq croise mon regard au moment où je prononce ce mot si douloureux.

- Je comprends pas, reprend Eliott sans se douter de l'importance de sa découverte. C'est quoi que vous traquez ? Un ouragan ? Une tempête ?
- Des ondes acoustiques.
- Des ondes acoustiques, répète l'homme impressionné par ce qu'il ne semble même pas comprendre.

Je vois Cinq commencer à s'éloigner et comme je le connais trop bien pour le laisser faire, je le rattrape juste à temps avant qu'il ne disparaisse et saisis son bras.

- Je viens avec toi.
- C'est hors de question.
- Cinq je dois la voir !
- La dernière fois que vous vous êtes retrouvées face à face vous avez détruit l'espèce humaine toute entière, et t'as bien failli y passer !

Je sais que c'est une mauvaise idée, surtout quand on connaît mon état actuel. Mais je dois la voir, je refuse de la fuir davantage alors que c'est justement ce qui a causé toute cette merde la première fois.
De nouveaux bips incessants nous interrompent une fois de plus, pourtant ils ne viennent pas d'ici mais du salon, et très vite une Grace affolée apparaît devant nous en essayant de stopper le bruit de sa montre.

- Je dois y aller, nous annonce-t-elle entre deux injures contre l'objet.
- Quoi ?! hurlé-je aussitôt. Grace c'est trop dangereux ! Tu dois rester avec nous !
- T'en fais pas maman je gère, il va rien m'arriver. Je vous aime, et surtout on s'endort pas, okay ? Bye !
- Grace Hargreeves si tu...

Mais c'est trop tard, la voilà déjà partie. J'en ai marre de ça ! Ces deux-là et leur pouvoir agaçant ! Je pousse un grognement de frustration, qui fait voler une des machines à travers la pièce et la réduit en mille morceaux lorsqu'elle s'abat contre un mur. Quand est-ce que ma fille a arrêté de m'écouter pour se mettre à foncer tête baissée vers le danger sans arrêt ?! Ça lui a pas suffit de se faire tirer dessus ?!

- Huit...
- Cinq si t'essaies de me calmer tu vas atterrir contre un mur toi aussi.

Je suis tellement énervée que je préfère ne rien ajouter. On a plus important à faire et de toute façon je n'ai aucun moyen de retrouver Grace puisqu'elle n'en fait qu'à sa tête comme son père. Maintenant ça suffit !

- On va retrouver Vanya, ajouté-je sur un ton ferme. Ensemble et maintenant.

Et je ne lui laisse pas le temps de protester puisque je suis déjà en route vers la porte d'entrée. Moi aussi je peux décider d'être têtue ! Non mais merde ! C'est quoi cette famille ?!

+++++++++++++++

Je suis tellement pas douée en montage photo mais je suis fière de ce que j'ai pu faire pour (ENFIN) vous présenter notre chère héroïne. Je sais que certaines personnes ont besoin d'un exemple pour visualiser un personnage alors voilà (selon moi) Numéro Huit !

Si ce n'est pas du tout l'image que vous vous faisiez d'elle, je vous en prie laissez libre court à votre précieuse imagination, c'est le plus important !
J'espère en tout cas que ce chapitre un peu plus long que d'habitude vous aura plu !

Merci pour les + de 100K !
Je vous aime fort ! 🖤🤍

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