CHAPITRE L
Je suis heureuse d'être arrivée à temps avec Lila pour trouver Diego et le ramener en lieu sûr pour le soigner, avant qu'il ne se vide de son sang. Ça ne m'étonne pas vraiment que notre cher paternel ait poignardé avec tant de facilité le soi-disant expert des couteaux. L'imbécile craignait que j'agisse de manière irréfléchie en revoyant le vieillard, mais c'est lui qui finit par se vider de son sang après avoir croisé son chemin.
D'ailleurs je me demande bien où Lila a pu apprendre à cautériser une plaie aussi facilement. On dirait une vraie pro, même quand Diego se met à hurler et à se débattre de douleur, elle parvient à le « chauffer » juste assez pour qu'il en perde connaissance et reste enfin immobile.
- C'est impressionnant, on dirait que t'as fait ça toute ta vie.
- Pas toute ma vie. Peut-être une ou deux fois.
C'est déjà pas mal pour un être humain ordinaire. Je commence à croire qu'elle n'en est pas vraiment un...
- T'es sûre que tu veux pas y retourner pour trouver le gamin ? me demande-t-elle toujours concentrée sur la plaie de Diego.
C'est vrai que je me suis inquiétée pour lui au début, mais s'il lui était arrivé quelque chose j'aurais été immédiatement mise au courant.
- Non il va bien. Il a un peu plus d'expérience que Diego en matière de survie.
Et pile à ce moment-là, comme s'il m'avait entendu parler de lui, ce cher Numéro Cinq apparaît devant nous en posant immédiatement son regard sur Diego, allongé dans le canapé et totalement inconscient.
- Ah, il a survécu.
- T'as l'air déçu, fait aussitôt remarquer Lila.
Je ne suis même plus étonnée de sa nonchalance maladroite, alors j'en oublie parfois que certaines personnes peuvent trouver ça étrange. Je sais qu'au fond il doit se réjouir de le savoir en vie, mais il n'osera jamais le montrer.
- De te voir ? Toujours ouais.
Dit-il à celle qui s'efforce de sauver la vie de celui qu'il était supposé surveiller. Il sait très bien que Diego peut être impulsif et pourtant il l'a laissé se faire poignarder sans même s'en apercevoir.
Pourtant enfin, son visage se radoucit quand il remarque ma présence dans un coin de la pièce, et s'approche très vite pour m'examiner.
- T'es réveillée. Comment tu te sens ? Tu devrais pas être debout.
Okay...on se calme. J'attrape ses mains qu'il avait posé sur mes épaules pour mieux m'observer et les éloigne de moi en souriant.
- Je vais bien. Comment tu crois que Diego a atterri ici dans cet état ?
Son regard s'assombrit. Pas de colère, d'inquiétude. Encore et toujours plus d'inquiétude. Parfois il me donne vraiment l'impression d'avoir 13 ans physiquement et mentalement.
- T'as utilisé ton pouvoir pour le retrouver ? Qu'est-ce qui t'as pris ? Je dois te rappeler que tu t'es évanouie dans mes bras sans raison il y a quelques heures à peine ?
- Peut-être que si vous m'aviez attendue avant de foncer tête baissée et de presque vous faire tuer, je n'aurais pas eu à vous courir après.
C'est alors à mon tour de m'inquiéter quand je repère du sang sur son col, qui je suis certaine n'était pas là avant son départ. C'est un détail assez difficile à manquer chez une personne...
- T'es blessé ?
- Ça va c'est rien.
Malgré tout je le pousse jusqu'à un fauteuil en soupirant d'agacement et l'oblige à rester immobile tandis que je vais dans la cuisine pour trouver de quoi désinfecter la plaie.
- Tu t'es coupé en te rasant ? plaisante très vite Lila dans le salon. Je sais comment font les grands garçons tu veux que je te montre ?
Je reviens me mettre à côté de Cinq en me retenant de rire face au regard meurtrier qu'il lance à Lila. Ces deux-là ne s'apprécient pas beaucoup...
- Je compte jusqu'à trois, le prévins-je en versant de l'alcool sur un mouchoir. Trois.
Je l'entends retenir un gémissement de douleur au moment où je plaque le mouchoir de désinfectant maison sur son cou ensanglanté. Je lance un sourire complice à Lila qui se concentre à nouveau sur son propre malade avec une pointe d'amusement.
J'en profite pour jeter un rapide coup d'œil à la plaie de Cinq. C'est pas tous les jours qu'on voit ça. Et sachant que c'est arrivé au même endroit où Reginald Hargreeves se trouvait...
- Pogo aussi est à Dallas ?
Bien qu'étonné de ma question, il ne me fait pas l'affront de me demander comment j'ai pu deviner ce qui lui est arrivé. Comme si j'étais incapable de reconnaître ces griffures.
- C'est qu'un bébé chimpanzé mais il suit déjà le vieux partout où il va.
Rien de nouveau. Je n'ai jamais eu l'occasion de demander à Pogo comment il a pu...évoluer à ce point, mais j'ai toujours su que mon père en était la cause. Pas étonnant qu'ils soient déjà inséparables en 1963.
- Hey ?
La main de Cinq attrape subitement la mienne alors que je finissais de nettoyer sa blessure. Il la serre tendrement en se relevant pour encore une fois me dévisager avec insistance. Même si je commence à en avoir l'habitude, ça ne me plait toujours pas qu'il se fasse autant de soucis pour moi. Alors je ne lui laisse même pas le temps de poser sa question.
- Cinq je vais bien je t'assure. À part ce rêve bizarre j'ai pas eu de nouveaux symptômes depuis notre dernière conversation.
- Attends, encore un rêve ? Le même ?
Oooh. J'avais l'intention de ne lui parler sous aucun prétexte de ce rêve. Il est déjà suffisamment jaloux sans bonne raison de l'être, si je lui raconte ce que j'ai vu...
Mon regard plongé dans le sien, je cherche un moyen d'éviter cette catastrophique discussion.
A mon grand soulagement, les ronflements d'Eliott derrière nous me fournissent l'excuse idéale et inespérée. Je serais bête de ne pas en profiter.
Je me retourne donc en lâchant la main de Cinq pour courir vers notre ami bâillonné.
- Est-ce qu'on a complètement oublié de détacher notre sympathique hôte ?
Je vais agiter ma main devant ses yeux fermés et sans surprise, je ne reçois aucune réaction de sa part. Je me demande comment il peut si bien dormir dans une situation pareille. Et je suis peut-être jalouse de le voir profiter d'un aussi paisible sommeil, quand les miens se finisse toujours par un brusque réveil et des milliers de questions.
- On était supposées le détacher ? me demande Lila curieuse.
Je lui souris, puis me tourne vers Cinq qui s'approche à son tour.
- On a encore besoin de lui pour traquer les autres, il est hors de question que tu prennes plus de risques avec tes pouvoirs.
Son côté surprotecteur commence un peu à m'agacer, je n'ai pas attendu de le retrouver pour prendre des risques. Mais je suis consciente que je ne suis pas dans mon état normal et que je peux devenir dangereuse très rapidement si je ne fais pas attention. En attendant, il faut réveiller la belle aux bois dormants et je n'ai pas besoin de mes pouvoirs pour ça.
Je jette un dernier coup d'œil à notre ami, avant de lever ma main dans les airs et de la claquer sur sa joue. Maintenant il sait ce que je ressens quand je me réveille dans la panique. Ses gémissements reprennent à travers le bout de tissu coincé dans sa bouche, bien qu'il soit plus surpris qu'apeuré.
- Je suis certaine qu'il a retenu la leçon et qu'il ne va plus essayer de tous nous tuer.
Je me penche vers lui en souriant avec un air à la fois amical et menaçant que j'ai pu perfectionner avec le temps.
- Pas vrai que tu vas rester bien sage si on te libère ?
Le malheureusement prisonnier continue de me fixer pendant un court instant avec de grands yeux, et enfin, se met à hocher la tête à toute vitesse en nous regardant tour à tour Cinq et moi.
Je me redresse avec satisfaction.
- Tu penses encore à ce type, hein ?
Je fais volte-face en entendant Cinq prononcer ces mots qui font ressurgir en moi les souvenirs de mon dernier rêve, que je voudrais par dessus tout oublier.
- Qu'est-ce que t'as dit ? lui demandé-je en tentant de cacher mes craintes.
- J'ai rien dit.
- Bien sûr que si tu as...
J'arrive à lire dans son regard qu'il ne sait vraiment pas de quoi je suis en train de lui parler. J'ai imaginé ça ? J'entends encore des voix...
J'ai la tête qui tourne, j'en ai marre de me sentir aussi cinglée.
Je passe ma main dans mes cheveux tout en desserrant légèrement ma cravate qui me donne l'impression de m'étrangler. J'ai du mal à respirer et cette fois ça n'a rien à voir avec une alerte de mon vieil ami.
- Huit ?
La main de Cinq vient se poser sur mon épaule, mais je la retire très vite sans même m'en rendre compte.
- Détache-le et remets-le au travail. T'as raison on n'a pas de temps à perdre.
Je m'empresse de sortir de cet endroit étouffant et me retrouve inconsciemment sur le toit du bâtiment. Ici, même si je peux voir tout ce qu'il se passe en bas, je sais que personne ne peut me voir et c'est une idée assez rassurante. Il fait nuit noire et je n'ai aucune idée de l'heure qu'il peut être, mais les étoiles dans le ciel sont magnifiques. J'avais l'habitude de les regarder avec Cinq dans l'Apocalypse, et je laissais parfois Grace les observer avec moi quelques instants avant de la mettre au lit. Je vais donc m'asseoir contre le petit mur qui me sépare du vide, ne me souciant même plus de ce qui pourrait m'arriver, ou de ce qui m'est déjà arrivé la dernière fois que je me suis retrouvée sur un toit toute seule.
Pourquoi je n'arrête pas de repenser à ce rêve ?! Même s'il m'a paru plus que réel, je suis certaine que c'était juste mon imagination qui me jouait des tours. Contrairement au rêve où Cinq et moi étions mariés, j'avais déjà vécu cette mission pour La Commission. Mes souvenirs se sont sûrement mélangés, je sais pas. Je suis complètement perdue dans mon propre corps, qui pour commencer n'est même pas le bon.
- Alors de quoi t'as rêvé cette fois ?
Je sursaute presque en sentant Cinq apparaître près de moi. Ou peut-être bien que c'est sa question qui m'a fait peur.
- Et avant que tu changes de sujet une nouvelle fois, je tiens à insister sur le fait que je te connais suffisamment pour te reposer la question encore et encore jusqu'à ce que tu te décides à me répondre. J'espère simplement que tu nous éviteras toute cette perte de temps en le faisant maintenant parce qu'on a une Apocalypse à empêcher.
Quel imbécile. Je ne le regarde pas, déjà bien assez agacée par son sourire satisfait pour avoir envie de le voir. C'est vrai qu'il me connait, et ça m'énerve.
En fait ça m'énerve tellement, qu'à présent je me fiche totalement de le rendre jaloux ou non en lui disant la vérité. Il va détester si bien me connaître !
- J'ai rêvé que j'étais au milieu d'une mission que K et moi avions réalisé environ un an et demi après mon arrivée à La Commission. La seule différence, c'est que je n'étais pas avec lui, mais avec toi.
Jusque là rien de bien inquiétant, ça ne m'étonne pas qu'il n'ait aucune réaction face à cette partie de l'histoire.
- Et puisque tu avais pris le rôle de K en tant que partenaire dans ce souvenir...
Pourquoi je me retrouve toujours dans ce genre de situations gênantes ? Est-ce que je dois vraiment dire ça à voix haute ?
- Dans la réalité, K essayait constamment de me séduire durant nos missions, et bien sûr je ne répondais jamais à ses avances parce que c'est toi que j'aimais, et il le savait alors il n'est jamais allé plus loin que ça. A vrai dire, même si au début je trouvais ça un peu lourd, plus j'apprenais à le connaître et plus j'apprenais à rire de toutes ses tentatives de...
- D'accord j'ai compris ce type est un comique, m'interrompt Cinq précipitamment. Qu'est-ce que ç'a à voir avec ton rêve ?
Je crois que dans un coin de sa tête, il sait déjà pourquoi je lui parle de ça. Et c'est justement parce qu'il l'a compris, qu'il me pose la question. Pour quelqu'un de si intelligent et égocentrique, je trouve qu'il fait bien trop souvent preuve de déni quand ça l'arrange.
- Comme je te l'ai dit, dans ce rêve tu avais pris la place de K dans ma vie, donc ça paraît plutôt logique que K, lui ait pris la tienne. Ce qui veut dire que c'est avec lui que j'étais supposée être avant d'être engagée par La Commission et de travailler avec toi.
Et je ne prononce plus le moindre mot après ça pendant un long moment.
Un long moment durant lequel Cinq semble fixer un point au loin. Je connais ce regard, il est en train d'assimiler toutes les données que je viens de lui transmettre, et cherche à savoir quelle réaction serait la pus adaptée à la situation. A ce stade je m'attends à tout de sa part, c'est pourquoi je lui laisse du temps, jusqu'à ce qu'il se décide enfin à revenir à lui en se levant pour faire les cent pas devant moi.
- Alors je dois admettre que j'aurais de loin préféré que tu refasses le même rêve que la nuit dernière au lieu de rêver que cet idiot ait pris ma place. Et même si je m'inquiète un peu que ton subconscient puisse imaginer ce genre d'événement, je suis quand même rassuré puisque ce n'était qu'un simple rêve. N'est-ce pas ?
Il parle avec assurance, mais je vois bien à son attitude qu'il est loin d'être rassuré. Et je ne vais malheureusement pas apaiser ses craintes puisqu'il voulait que je lui dise la vérité.
- Non Cinq je crois pas. Je connais ce sentiment d'avoir l'impression que tout autour de soi est vrai pendant un rêve, et de ne réaliser qu'une fois qu'on se réveille que ça ne l'était pas. J'en sais beaucoup sur le subconscient, les rêves lucides...mais là je suis sûre et certaine que ce n'était rien de tout ça. Je sais pas comment, mais je sais que je suis parfaitement éveillée quand je me retrouve dans ces rêves. Franchement rien que de dire ça j'ai l'impression de devenir complètement folle, j'ai aucune idée de ce qui m'arrive et t'as pas idée à quel point ça me terrifie.
Cinq apparaît aussitôt à genoux devant moi, et saisit fermement mes mains en plongeant son regard dans le mien.
- T'es pas folle. Ça ne me fait pas plaisir de dire ça mais je te crois. J'aimerais seulement qu'on ait plus d'informations sur ce qu'il t'arrive pour pouvoir y mettre fin.
- Est-ce que vous êtes complètements inconscients tous les deux ?!
Nos regards se posent immédiatement sur celle qui vient à son tour d'apparaître sur le toit. Elle a l'air furieuse.
- Grace ? commencé-je perplexe en me levant. De quoi tu parles ?
- Non mais quelle idée stupide tu as eu de me cacher ton traumatisme temporel ! Si papa l'avait pas mentionné on serait dans une merde pas possible !
En temps normal je lui dirais immédiatement de surveiller son langage, mais je peux sentir son affolement. Elle a trouvé quelque chose de grave.
- Tu as fait des recherches ? l'interroge Cinq. Je croyais que seuls les dirigeants de La Commission avaient accès à ces données.
- Sans blagues Sherlock ?!
Et avant même qu'on puisse réagir, l'adolescente en furie se met à serrer les dents en se tenant l'épaule avec douleur. Je n'attends pas une seconde de plus pour foncer vers elle et voir la plaie profonde qu'elle a au bras. La manche de son t-shirt est déchirée et couverte de sang. Et merde !
- Grace qu'est-ce que t'as fait ?!
- Je devais faire vite. Je devais t'avertir de ne plus t'endormir avant qu'il soit trop tard.
- Comment ça ? reprend Cinq. Pourquoi elle ne doit pas s'endormir ?
- Parce qu'elle pourrait ne jamais se réveiller.
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Voilà voilà, ce chapitre a mis un peu plus de temps à sortir mais le voilà ! Et j'espère qu'il vous aura plu !
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