roku

Il pleut sur Tokyo.

Les amis de Jeongguk l'avait toujours appelé l'homme de pluie. Là où il allait, lorsqu'ils organisaient un repas, une sortie, si Jeongguk était invité, il semblait qu'il amenait le déluge avec lui. Ame-otoko.

Comme s'il y avait volonté de se moquer de lui, l'humidité s'amusait de la douleur dans son genou. Le sentiment que son articulation le définissait et régissait l'humeur et le jour existait déjà, alors avec les averses sur Tokyo, tout était un peu ridicule.

C'est le soir où l'on contemple la pleine lune.

Jimin l'avait invité pour la première fois dans son appartement. C'était pour fêter l'Otsukimi ou l'automne, la beauté du satellite et peut-être que l'appartement luxueux du chef s'y apprêtait parfaitement.

Il habitait dans l'une des immeubles luxueux qui caressaient les étoiles et scintillaient autant qu'elles. À leurs pieds, un immense jardin dont la pluie en interdisait l'exploration. Il était déjà tard le soir, Park Jimin avait fermé le restaurant pour la nuit et regagné ses quartiers, Jeongguk avait récupéré des heures de sommeil avant de braver les transports et rejoindre l'homme dans sa tour.

Les bouteilles de Aki-agari s'entrechoquent dans son sac à dos.

Jimin vint lui ouvrir la porte. Les manches de son gilet étaient remontées jusqu'au coude et il avait posé un torchon sur son épaule. Avec une flamme malicieuse dans les yeux et une telle fluidité qu'il semblait avoir répété, Jimin s'exclama : Qu'est-ce que tu fais là ? T'es pas censé être sur la Lune ?

Quand il était enfant, Jeongguk y avait cru, à ce lapin sur la Lune, sauvé des flammes et de la mort par l'Homme habitant le satellite. Jeongguk cherchait le lièvre à s'en faire brûler les yeux, et la frustration secouait son âme d'enfant lorsque ses parents lui soufflaient : Regarde ! Il est là ! Et que la seconde où il reposait ses yeux fatigués sur la Lune, l'animal avait disparu.

Jimin lui dit qu'il ressemblait à un lapin avec un sourire mi attendri, mi amusé. Il lui demanda s'il avait ramené des mochi puisqu'il n'était pas en train d'en pétrir sous l'ombre d'un cratère, et Jeongguk était tout penaud avec son sake.

Fidèle à lui même, le chef avait préparé des Udons où flottait un jaune d'oeuf cru et rond, comme la Lune. Sur le plan de travail, douze astres de dango se baignaient avec les glaçons, là où ils avaient été mis à refroidir. La table avait été mise en face de cette gigantesque baie vitrée depuis laquelle on pouvait admirer la Lune briller. Un morceau de R&B se jouait silencieusement, car il n'était plus l'heure.

Jimin surpasse la nuit.

Les deux hommes sont trop fatigués pour rire aux éclats et la drôle d'atmosphère les rends plus lents, plus cocons, plus tiède. Lorsqu'ils se parlent, c'est dans une douce langueur couverte de sirop.

C'est l'effet du clair de Lune.

La peau de Jimin apparaît plus laiteuse, ou mielleuse, peut-être, il ne sait pas. Ses yeux scintillaient, mais Jimin lui dit qu'il ne faisait que refléter les siennes, car il aimait le complimenter. Jeongguk ne réagissait jamais, et Park avait toujours un sourire amusé. Mais il avait ces milliers de petites remarques dans sa poche, et prenait un malin plaisir à les réciter. Il le taquinait avec ses mots et ses yeux, ça le faisait toujours rire, comme s'il le fallait, pour désamorcer quelque chose. Le noiraud fit mine de ne rien voir lorsqu'il s'attacha les cheveux pour manger et que Jimin étudia le processus avec un rictus attendri, les baguettes à mi chemin. Il faisait mine de ne pas voir les signes. Car si Jimin voulait désamorcer, Jeongguk n'avait pas encore mis le feu aux poudres.

C'est lui. Jeongguk se jette, seul et entier, dans les flammes.

L'homme a déposé des roseaux de Cortaderia selloana sur la terrasse, ils appellent son attention tant ils s'agitent au vent mais Jimin est plus séduisant encore. Quand ses yeux deviennent trop lourds et que Jeongguk détourne les siens, même leur reflet est caressé par les plumes, même leurs regards se lient.

La Lune était coquine. Elle les observait graviter l'un autour de l'autre, les léchait d'une lumière avalée par celle du plafonnier. L'observation de la Lune avait changé de face, pile, c'était l'observation des amoureux.

Le clair du satellite portait quelque chose de charnel. C'était toujours lui, qui couvait les amants quand les draps s'emmêlaient et prennaient en moiteur. Mais il détenait les secrets aussi, les clés, les crimes, les démons. Quel pouvoir elle avait, cette Lune.

Elle rendait Jeongguk à fleur de peau et Jimin plus affamé encore.

Jeongguk se sent grand brûlé.

Tout est déjà donné à l'homme.

Rien entre ses pattes ne pourrait suffire.

Alors, il danse dans les flammes.

Il s'était arrêté de pleuvoir sur Tokyo. La rondeur de la Lune n'était plus troublée par ces gigantesques vitres qui semblaient aimer accueillir la pluie.

Il semble que l'incendie ne puisse plus être éteint.

Sur son téléphone, Jeongguk montrait le petit village de campagne où vivaient ses grand-parents. Jimin était curieux, il lui confia qu'il n'avait très peu voyagé au Japon, malgré lui, les années passées dans un premier restaurant, dans un deuxième, à l'étranger, et puis autre part encore, l'avait façonné sans laisser à ses ailes le luxe de s'étendre.

Alors le chef lui avait dit qu'il fallait qu'il y emmène. Il écoutait avec amusement, les récits d'enfance du noiraud et s'amusait de leurs différences. Lorsque Jeongguk mentionnait les après-midi perdues sur le petit navire de pêche, Jimin maudissait son éducation plus rigide, les cours de kendo après l'école, puis les devoirs que sa mère lui ajoutait par-dessus les cahiers fermés.

Mais la curiosité dépassait la jalousie.

Pendant qu'ils nettoyaient l'appartement, ils discutèrent de ces périodes plus ou moins honteuses de l'adolescence. Jeongguk lui confia avec autodérision, ces années où il peignait ses paupières noires et cuisait ses cheveux pour qu'ils retombent devant elles. Ça fit rire Jimin, comme ça faisait rire tous ceux à qui il l'avouait.

Il achetait ces contrefaçons Vivienne Westwood et accumulait les habits noirs, au grand dam de ses parents. C'était la pagaille, rien n'allait vraiment ensemble, avec son corps de jeune, il avait l'air d'un épouvantail. Mais il s'était rarement senti aussi puissant.

Jimin demanda des photos, Jeongguk laissa cette partie de sa vie sous les verrous.

Le chef avait été l'un de ces élèves qui respirait l'élite, bon à l'école et membre de ces nombreux clubs de sport dont il raflait les médailles. Il racontait que ses parents ne l'avaient jamais forcé à faire ce qu'il détestait, mais qu'ils entretenaient ce chemin qui semblait avoir été dessiné à ses pieds et plus loin encore. C'était un sentier de lourde excellence, dégagé par des sacrifices et des émotions retenues.

Pour autant, ses parents l'avaient laissé expérimenter la cuisine. L'élite y existait encore davantage, alors il fréquenta les meilleurs restaurants, les meilleures formations, écoles et la magie dans ses doigts fut domptée de la meilleure des manières.

"Ça ne t'a jamais... ça ne t'a jamais gêné ? Fin... est-ce que tu ne te sens pas hyper redevable ? Envers tes parents ?"

"Bien sûr, ils m'ont permis de faire tellement de trucs. Mais je sais pas, je crois qu'il y a une partie de moi qu'il leur en veut un peu de pas m'avoir fait galérer."

"Hm, de ce que tu m'as raconté... tu as, tu as quand même eu ton lot de galère... Non ? Fin..., justement j'ai parfois l'impression que ce milieu est, un peu, sans pitié. Non ?"

"Totalement, mais, je pense aussi à tous ces gens que j'ai croisé, et combien ont sauté en cours de route parce qu'ils n'étaient pas assez. Et... parce que j'ai été façonné depuis tout petit, tout était plus simple et je sais pas... Tant mieux d'un côté ? Mais, ça me faisait du tort de voir ces personnes si talentueuses être dégagées parce qu'elles n'avaient pas appris ce truc parmi tant d'autres."

Jeongguk acquiesça.

Ils étaient tous deux lovés contre le sofa. Le plateau en bois blanc qui faisait de la pyramide de dango un autel, était vide. Les billes de riz s'étaient gorgées du clair de Lune pendant le repas et rayonnaient maintenant dans leur estomac. Avant de les avaler, ils les avaient recouvertes d'une douceur d'anko, il ne restait dans la petite assiette qui en contenait, qu'une trace prune.

Ses bouteilles de saké s'étaient doucement vidées. Et les mochis en forme de lapin, fourré de glace à la vanille avaient été engloutis. Jeongguk accusa Jimin de vouloir l'engraisser pour mieux le dévorer, puisqu'il avait ajouté des morceaux de patates douces et des citrouilles rôties. Ce mélange de sucré et de salé faisait tourner la tête et Jeongguk se goinfrait comme pour être plus dodu. Il se jetterait lui-même dans le foyer, pour rôtir, rissoler jusqu'à l'or, et aurait alors la plus belle des valeurs pour s'offrir à Park Jimin.

Mais il le faisait discrètement, et il avait l'espoir que Jimin l'en tire, de cet incendie, qu'il l'abrite sur ce satellite les couvant d'un doux regard. Ou peut-être qu'il préférait être dégusté. Il ne savait plus. Peut-être qu'il n'avait jamais su, Jimin le perturbait, il sentait sa peau chauffer.

Même quand la conversation est sérieuse, qu'elle touche à ces profondeurs de l'âme que Jeongguk se délecte de connaître, il calcine.

"Je déteste autant que je remercie cette permanente... compétition, et, et sélection. Devoir toujours être au top est tellement épuisant.", reprit Jimin.

"Mais c'est fini ça, un peu, non ? Tu as ton restaurant maintenant."

"Et si je dois être à mon meilleur, c'est bien maintenant. J'ai pas le droit à l'erreur, où tout s'écroule."

Les lèvres de Jeongguk se plissèrent en une moue.

"Tu es un peu radical, non ? Tu as le droit à l'erreur, tu es humain. Tout ne va pas s'écrouler pour autant. Fin, je ne pense pas."

"C'est parce que tu es pas dans ce milieu."

Ça le fit tiquer.

"Je suis dans le milieu de la vente, du commerce, de la relation client, de la gestion de stocks... d'êtres plus ou moins vivants. C'est un milieu tout aussi compliqué, Jimin. J'ai vu des collègues se faire éjecter pour des erreurs que j'aurais pu faire."

"Je voulais pas dénigrer ce que tu fais !", s'empressa d'ajouter le chef en secouant sa main devant lui.

"Je sais, je sais, mais il y a des milieux encore plus exigeants et impitoyables que les nôtres. Fin... Je pense qu'il serait important que tu réalises..., peut-être, qu'il y a cette pression dans tant de domaines et pour tant de personnes, et que le seul moyen de s'en échapper est d'essayer de prendre du recul. Je pense... Fin... Tu fais une erreur ? Bon. Fais chier. Sûrement réparable. Peut-être pas. Tu... Tu vas pas forcément pour autant tout, tout perdre. Y'a... des nuances, je pense."

"Je sais pas..."

"Mon oncle était un salaryman je ne sais pas où. Je sais qu'il a merdé quelque part, il n'a jamais vraiment voulu nous avouer comment mais il a fini par être gentiment conduit vers la sortie, licencié pour motif économique... À quel point c'était économique, je sais pas. Enfin..., tout ça pour dire qu'il... qu'il a eu ce sentiment d'avoir tout... perdu et qu'il s'est complètement laissé... crever ? Fin, il avait le sentiment d'être un énorme échec. Et aujourd'hui, il est tellement malheureux, il travaille encore comme salaryman, dans une plus petite société, il gagne pas grand chose, mais assez, et il a toujours pas digéré le fait d'avoir fait une erreur, il croit toujours être un échec, alors il se tue au travail pour se prouver, dans la pression, la peur permanente de refaire une boulette, et c'est, vraiment, vraiment triste Jimin"

Jimin pinça ses lèvres.

"J'ai partagé beaucoup de bons moments avec lui, heureusement qu'il a de la famille, mais il se fait grignoter toujours un peu plus par le travail et la pression. J'ai... j'ai pas envie que tu fasses la même chose. Ça mènera tellement à rien ?"

"Je suis désolé pour ton oncle."

"Il est pas mort."

Jimin leva les yeux au ciel.

"Tu sais ce que je veux dire."

Jeongguk sourit.

"Je sais, je sais... M'enfin, tu vois où je veux en venir ? Désolée si c'est mal sorti, mais.... je sais pas, il y a quelque chose qui me frustre."

Comme pour gagner du temps, Jimin demanda :

"Qu'est-ce qui te frustre ?"

"Bah, ce que j'ai essayé d'expliquer, j'ai... J'ai l'impression... que tu te mets une pression vraiment énorme ? Et j'en ai vu les dégâts, je crois, donc, ça me fait du mal, parce que je ne veux pas que tu sois malheureux. Comme mon oncle."

"Je suis pas malheureux."

"Tant mieux"

"Je crois que j'ai jamais été plus heureux aujourd'hui. C'est dur mais, je me sens tellement épanoui."

"Tu as accompli le rêve de tellement de gens, tu as un restaurant qui tourne bien, tu gagnes ta vie comme ça, c'est tellement génial ! Je dis pas que ça suffit pour être heureux, mais, ça aide, tu le mérites."

"Totalement. J'ai ce truc quand je me lève, j'ai la poitrine tellement... je sais pas... dilatée ? Non, ça veut rien dire, mais... Genre, comme un bonbon à la menthe et après tu bois un verre d'eau glacée, ou... non ! Une bourrasque de vent frais un jour de printemps, tu vois ? C'est peut-être juste parce que je prends souvent le vélo, mais, je viens au marché avec tellement de bonne humeur et d'envie, et je prends du plaisir à faire ce que je fais... Je dis pas que tous les jours sont faciles, mais, je suis heureux."

Jeongguk sourit.

Jimin avait complètement fondu dans le coin du canapé. Il s'était recroquevillé dans une position paresseuse, les orteils cherchant de la chaleur sous une veste qui traînait, la tête posée sur le haut du canapé, les cheveux ébouriffés par les coussins qui l'entouraient. Il semblait malléable, et ouvert, et tellement réceptif, et tellement Jimin dans cette dualité de douceur et d'épice.

Il portait seulement un short noir, une veste bleu marine par-dessus un tee-shirt et il avait des boucles en argent pour seul ornement. Ses yeux bouffis de fatigue dévoraient son regard, ou peut-être que c'était le saké. En tout cas, il était attirant dans sa mollesse et le visage incliné sur le canapé, il observait Jeon Jeongguk.

"Mais je crois que c'est même pas le truc qui me rend le plus heureux."

Le noiraud ne voulait pas y croire, mais il pensa savoir où cela allait. Il ne dit rien, étudia son jean cargo gommer la forme de ses jambes, et puis l'imprimé de son sweat qui s'écaillait.

Il y eut un silence, comme si Park Jimin attendait que le noiraud cède à la tentation, de demander, c'est quoi ? Ou plutôt, c'est qui ? Et Jeongguk détestait ça. Il n'appréciait pas réellement que les pièges soient tendus devant lui, sous ses yeux, un collet que l'on aurait même pas pris la peine de dissimuler. Alors il ne dit rien. Jimin non plus.

Le glissement des chaussettes du chef sur le canapé avait l'allure d'une lente approche de serpent. Et puis, Jeongguk sentit la pression d'orteils sur sa cuisse, un petit coup, comme pour le tirer de sa contemplation. Il releva les yeux alors, Jimin l'observait avec un sourire mesquin.

"Tu dis rien?"

"Si tu voulais continuer à dire ton truc, tu l'aurais fait."

"Hm... Alors t'es comme ça."

Son pied s'enfonçait constamment dans le muscle de sa cuisse, il le tourmentait, gentiment.

"Comment?"

"Tu me laisses pas te mener par le bout du nez."

Jeongguk eut un rire nasal, et puis une espèce de fierté qui le fit hausser un sourcil.

"Et non."

Jimin eut cette moue, ce sourire mélangé, il ferma les yeux en hochant la tête.

"M'OK."

Ils sourirent.

Il semblait que le silence angoissait Park Jimin. Ce dernier avait laissé la télévision monologuer dans le salon et par-dessus tout cela, il avait laissé se jouer sur les enceintes aux coins des pièces, un vieux morceau de pop japonaise.

Au restaurant, quand Jimin l'y conviait après la fin d'un service ou d'une journée, il y avait toujours cette petite enceinte portable et cabossée, crachotant le programme radio de l'instant.

Alors Jimin était de ces gens. Peut-être qu'il portait même des écouteurs pour dormir.

Jeongguk s'en fichait un peu de ce brouhaha permanent dans l'appartement. Si cela rendait le chef aussi à l'aise et familier, qu'il en joue des milliards de chanson, et qu'ils se noient dans les notes et les octaves, les percussions ou le piano, puis qu'on entende rire cette femme à la télévision.

Mais, même sous l'eau, il semblait que les silences le rendait quelque peu agité, comme s'il ne savait plus vraiment quoi faire.

Du bout de ses orteils, Jimin voulait déboutonner une des cinq poches cousues sur son pantalon. Il s'amusait avec la partie un peu lâche, qui n'était pas retenue par le bouton pression. Puis, même s'il portait ces socquettes blanches, il arrivait à saisir un bout du tissu entre son gros orteil et son compère, puis tirait un bon coup. Le bouton se défaisait dans un petit bruit métallique, il jouait avec le rabat quelques secondes, et s'amusait à le presser de nouveau, avec force. Dans l'envers, le métal arrondi se marquait sûrement dans la peau du jeune homme, un rond simple et parfait. Qu'importait, il n'était pas de ceux qui n'appréciaient pas les marques. Les preuves de passage. Les preuves d'existence.

Ils parlèrent d'autre chose, du gigantesque de cette tour résidentielle, puis du marché, Jimin lui demanda de raconter Tsukiji. Il s'amusait de ces milliard de manières qu'avait Jeon Jeongguk de s'exprimer. Une première réponse, il s'expliquait dans une retenue qui voulait prouver maturité. Et puis, quand le sujet lui échappait un peu, par excitation, il s'emballait et parlait trop, n'articulait sûrement pas assez et un petit rictus tressautait sur le visage de Jimin lorsque sa langue se posait contre ses deux incisives dans un zézaiement.

Pendant leur conversation, Jimin ne s'arrêtait pas pour autant de l'embêter du bout du pied. Si bien qu'agacé, Jeongguk finit par saisir sa cheville et s'en servit pour tracter le corps de Jimin qui s'affaissa davantage. La fatigue l'avait déjà fait glisser de quelques centimètres sur les coussins, mais il était maintenant quasiment allongé. Le noiraud posa son pied sur ses cuisses et le maintenit là, gardant sa main autour de sa cheville.

Il se demandait peut-être d'où venait tout ce courage, et maudissait le fait que le premier contact qu'il avait avec le chef était avec sa cheville. Il y avait quelque chose de presque prude mais pourtant si sensuel. Jeongguk se convint de ne pas s'excuser ni s'éloigner, même si Jimin pouvait sans doute sentir la moiteur de sa paume contre sa peau, son pouls rapide et angoissé se trahissait dans les bout de ses doigts.

Jimin fléchit le genou. Le plat de son pied s'arrondit autour du muscle.

Et puis :

"Tu vas pas être trop fatigué demain? Enfin," le chef fronça les sourcils "Aujourd'hui. Dans quelques heures en fait."

"Ça va. J'ai dormi avant de venir. C'est toi qui doit être crevé, tu as ta journée dans les pattes."

Jimin hocha la tête dans un sourire.

"Un peu. Mais ça va. J'ai pas envie que la soirée se termine."

"Moi non plus."

Jimin avait préparé une chambre d'ami pour lui.

C'était assez impressionnant, un appartement aussi grand, pour Tokyo. Alors que chez Jeongguk, une seule pièce faisait sa cuisine, sa salle à manger, son salon et son bureau, Jimin avait le luxe d'avoir une chambre d'ami. Et de grandes vitres qui donnaient sur la capitale, un peu en dessous des nuages quand Jeongguk y avait la tête.

Au fil de leur conversation, le chef avait commencé à piquer du nez. La nuit avait été entamée depuis un moment déjà, et bien que les deux hommes en grignotaient toujours un peu plus, de l'éveil encore, pour se voir, pour se parler, le sable de sommeil les rappelait facilement à l'ordre.

Jeongguk avait une relation différente avec la nuit, il commençait ses journées sous son manteau et dormait sous le soleil. C'était handicapant, souvent, parfois, ce décalage d'horloge, pour voir les autres et vivre normalement. Il était loin d'être dans le pire, mais il rentrait du travail après les pauses déjeuners et puisqu'il n'avait jamais appris à s'occuper par autre chose filait directement se coucher. Depuis Park Jimin et leurs balades de début d'après-midi, il dormait plus tard et se réveillait tout juste pour aller au travail. Et puis, quand c'était les soirées qui se chamboulaient, il dormait au soleil et restait éveillé au ronron des autres, rejoignait le marché de Toyosu par le premier train.

Alors, tandis que l'énergie d'un début de journée palpitait toujours dans son corps de jeune adulte, Jimin s'arrondissait de léthargie.

Il était ridicule qu'il rentre chez lui en taxi, puis, à peine arrivé, qu'il soit l'heure pour repartir à Toyosu, alors, malgré ses réticences, Jimin l'avait convaincu de patienter dans sa chambre d'ami, de faire une sieste, ou juste de s'allonger, il lui avait dit de faire comme chez lui.

C'était étrange de savoir Jimin profondément endormi dans la pièce d'à côté. Lui, les yeux larmoyants force de rester grand ouverts, le pouce faisant défiler des stupidités sur son téléphone. Mais il y avait tout de même une chose qui les rapprochait. C'était cette Lune délaissée pour les sentiments, inondant sous des rideaux, qui les baignait dans cette mer maternante et les laisser dériver.

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