People Are Strange
Jungkook se réveille dans un lit trop grand. Les rideaux sont baissés, l'obscurité totale. Et c'est étrange, c'est comme s'il sentait soudain et précisément chaque centimètre de son corps. Lorsqu'il se redresse, la douleur lui arrache un grognement.
Il se lève avec peine, avance à l'aveugle. Il cherche la lumière mais il n'y en a pas une once. Une main sur chaque mur, il remonte un couloir immense. Au bout, il y a une lueur, enfin. Jungkook reste en retrait.
C'est une lampe à pétrole, anachronique, posée sur une table. Deux hommes parlent doucement, la voix grave et fragile.
- ...convaincue ?
- Je lui ai raconté des mensonges formidables. N'importe qui s'y serait laissé prendre.
- Elle est ici ?
- Dans la chambre du fond.
Un silence.
- On a passé un cap, pas vrai ?
- Je crois. Mais personne ne nous a vus. On va pouvoir aller encore plus loin.
- Et nous ?
- Nous quoi ?
- On va aller plus loin ?
Un autre silence, et Jungkook laisse échapper une quinte de toux étranglée. Les deux hommes se retournent. Jungkook ne sait comment ils parviennent à le voir dans le noir. Il s'avance, reconnaît Namjoon. Celui-ci se lève et range sa chaise. Il lui lance un mince sourire alors qu'il a déjà la main sur la poignée.
- Salut, Jungkook.
Quand il ouvre la porte, la pièce est soudain inondée d'une lumière violente. Jungkook plisse les yeux. La lumière disparaît. L'autre - Yoongi, de ce que Jungkook a compris - soupire et enfouit son crâne entre ses paumes. Il avait un katana, la veille, un katana et une allure de vaurien qui a réussi un sale coup. Il n'a plus l'air qu'épuisé, pâle à la clarté vacillante de la lampe à pétrole.
- Y'a du pain sur le rebord de la fenêtre dehors. Si Ariane t'a trop amoché, ce dont je doute, tu peux manger et aller te recoucher. Sinon Taehyung va passer pour t'emmener en cours.
Il regarde Jungkook, toujours appuyé contre le mur, dans le blanc des yeux.
- Euh... merci ?
- Ouais c'est ça. Faudra pas s'y habituer non plus. Mange, surtout. T'as une capuche ?
- Non.
- Prends un sweat à ta taille dans l'armoire de ta chambre.
Malgré les questions qui se bousculent, la curiosité mal placée, Jungkook n'a pas tellement envie de discuter. Dans l'armoire, y a une bonne douzaine de sweats noirs, quasi neufs, de toutes les tailles. Il secoue la tête. Pas de question. Quand il revient dans la cuisine, Yoongi a disparu.
Comme prévu, Taehyung vient le chercher. Jungkook ne peut s'empêcher de remarquer qu'il a des converses, lui. Il n'a pas cédé à l'envie de se balader pieds nus toute la sainte journée. Ça le fait rire, Jungkook, mais il ne parvient pas à saisir l'ironie. Et quand il sort, il reconnaît le quartier. C'est chez lui. Yoongi n'a pourtant pas l'allure d'un fils à papa. Enfin, lui non plus, à bien y réfléchir.
Taehyung ne dit pas un mot, soudain muet. Il n'a pas encore enfoncé sa capuche sur son crâne et c'est frappant, à la lumière du jour, les couleurs. Et plus, encore, ce regard fatigué, opaque, sur ce visage de statue grecque. Jungkook marche les mains dans les poches. Les pensées qui divaguent. Le feu sur le canal. Il se demande dans quel pétrin il s'est encore fourré. Jungkook n'a jamais eu particulièrement de désir d'anarchie. Tout ce qu'il veut, c'est qu'on le laisse tranquille. Et s'il n'est pas rentré chez lui depuis deux jours, il dira que son téléphone n'avait plus de batterie. S'il ne rentre pas ce soir, il ne rentrera peut-être jamais.
Un regard s'accroche dès qu'ils rentrent dans le bâtiment en briques, gris, froid. Jimin adossé à un mur les suit des yeux, sourcils froncés. Il s'approche d'un air menaçant, lance à Taehyung :
- Qu'est-ce que tu lui veux ?
Taehyung fait semblant de ne pas comprendre. Il hausse les épaules et se barre vers sa classe, il doit arriver en avance pour réserver la chaise au fond à droite, près de la fenêtre. Et Ariane ne viendra pas, évidemment. Pas aujourd'hui.
Jungkook fait mine de planter Jimin dans le hall, mais il lui barre le chemin du bras.
- Putain, Jimin. C'est quoi ton problème ? C'était pas suffisant, la dernière fois ?
- Tu traînes avec Kim Taehyung.
Ce n'est même pas une question. Jungkook attend le développement de l'argumentation, qui tarde à arriver.
- Fais gaffe, Jungkook. Ils sont pas dignes de ta confiance.
- Je croyais que tu connaissais pas les gars du belvédère, Jimin ?
Air innocent sous la capuche sombre.
- Oh, ta gueule. Fais gaffe, c'est tout.
Jungkook éclate carrément de rire. Et puis il a mal aux côtes, d'un coup. Mais il soupire :
- Tu m'as caché ton sens de l'humour, Jimin. T'es hilarant en fait.
- Va te faire foutre.
When you're strange
Faces come out of the rain
Le soir, Jungkook se cache dans les rues immenses, entre les maisons jumelles et leurs grands jardins rasés de près. Un doute affreux. Il veut juste qu'on le laisse tranquille. Il ne veut pas de question, pas de regards torves. Il ne veut pas tondre la pelouse, il ne veut pas laver la berline. Les enfants qui jouent dans la rue s'écartent déjà de son chemin.
Un doute affreux.
Jungkook se retourne brusquement et se barre en courant.
Le souffle court, sa gorge est brûlante et son corps est une grande plaie. Mais il court jusqu'au belvédère, sans un regard en arrière. Il traverse la ville, les immeubles immenses, les ruelles tordues, les flaques. Le grand boulevard. Et enfin, le grand vide qui surplombe le canal.
Là, il n'y a pas grand monde, ce soir. Rien qu'Hoseok et Yoongi qui établissent leur plan de bataille. Ils se retournent en l'entendant arriver. Hoseok a un regard amusé.
- Tiens, Jungkook. Tu peux déjà plus te passer de nous ?
Jungkook reprend son souffle un instant. Yoongi le scrute gravement.
- Je veux entrer dans le club.
When you're strange
Nobody remembers your name
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