London Calling
Un rai de lumière, pâle, sur le visage. Une odeur de café et de tabac froid. Hoseok se réveille, râle un peu. Le jour est brutal. Une tape à l'arrière de sa tête, Ariane lui enfonce une miche de pain dans les mains. Elle a déjà sa veste en cuir sur le dos, déjà une cigarette à la main.
- Allez, mange, on a du boulot.
Il rit bruyamment. Pas de parents, presque pas de murs et rien que des fenêtres.
Un peu plus tard, ils sont dans la rue. Le pas long. L'allure pesante. Le soleil se reflète sur le bitume, sur la carrosserie, sur les vitres teintées des berlines du grand boulevard. Virage serré à gauche, on descend les escaliers. La vallée est ternie d'herbes folles qui viennent poindre entre les pelouses d'un vert effrayant. Une route, parfaitement grise, serpente entre les jardins immenses qui entourent des maisons toutes identiques. Toit en tuiles oranges, murs de crépi beige. Hoseok et Ariane rentrent sans frapper.
À l'intérieur, pas de lumière. Tous les rideaux sont baissés. Assis sur un lit défait, Yoongi enroule une bande blanche autour de ses paumes. Hoseok remarque, sur son visage, plus de bleus que la veille.
- Tu t'es encore battu, hier ?
- Si on veut.
Il ne saura rien de plus. Le père de Yoongi est parti en vacances à l'autre bout du monde, son vénérable fils vit surtout la nuit. Il a rencontré Hoseok dans un de ces bars où traîne jusqu'à l'aube toute la jeunesse défraîchie. C'était déjà il y a cinq ans. Ils ont eu le temps d'organiser leur révolution.
Quand ils marchent dans le quartier, y a des chiens qui aboient derrière des clôtures, des gamins qui jouent au milieu de la route. Ils s'arrêtent en les voyant. Une radio joue du vieux punk, dans le fond. Ils ne s'enfuient pas, ils les regardent, l'air fasciné. Yoongi soupire. C'est ridicule. Ariane s'éloigne, seule. Il est encore trop tôt. Elle rentre avec pleins d'autres dans un vieux bâtiment en briques, surmonté d'une grande horloge.
Elle retrouve Taehyung assis au fond d'une classe, comme la veille, comme tous les autres jours, capuche abaissée sur son front. Les autres ne font pas attention à eux. Rien que quelques regards en coin, appuyés, qui cherchent à voir son visage. Il se contente de regarder par la fenêtre, le jour qui se lève sur l'hiver. Ariane vient s'assoir à côté de lui, retire un écouteur de ses oreilles. Taehyung ramène un peu sa capuche sur ses yeux.
- Ça fait mal ?
Nouveau sourire bancal.
- Ça valait le coup. Pas vrai ?
- Yoongi t'a pas épargné.
Taehyung manque de s'étrangler. La classe se retourne, discrètement. Ariane se pince les lèvres.
En plein jour, il pleut. Ils retrouvent Namjoon à la pause, assis sur un rebord de fenêtre, un carnet à la main. Ils regardent par dessus son épaule. Rouge. Bleu. Violet. Les néons du parking. Namjoon n'a pas dormi. De temps à autre, il lance un regard dans un coin de la cour, sous les arbres. Deux gars ont l'air de se battre sans grande conviction.
- Regardez-moi ça. Aucune technique.
Les coups ne s'enchaînent pas, ils hésitent entre chaque tentative, se regardent à peine.
- Ça pourrait durer une éternité.
Soudain, l'un des deux frappe plus fort et l'autre s'écroule sur le côté. Une petite foule commence à s'amasser, quelques cris fusent. Quelques rires, aussi. Il se relève et assène un poing dans la tempe. Namjoon relève la tête. Ariane cherche les yeux de Taehyung derrière le tissu.
Ultraviolets en rafale.
Les visages des deux gamins sont défigurés par la haine et la douleur. La foule commence à s'éparpiller quand elle comprend. Une sonnerie retentit dans le bâtiment. Ce n'est pas terminé. Tout le monde s'enfuit sauf eux, et les trois qui les observent de loin.
Un coup encore plus fort que les autres. Il s'effondre pour de bon, crâne sur le bitume, dans l'ombre des arbres.
Ultraviolence en complice.
Taehyung s'approche, suivi de près par Namjoon. Un des deux gars s'enfuit, passe dans le hall bondé, les autres baissent les yeux. Taehyung tend la main, celui à terre la saisit. Rouge. Bleu. Violet. Sous la capuche. Mais il n'a pas peur.
- Comment tu t'appelles ?
- Jungkook.
- Tu veux que je t'apprenne quelque chose, Jungkook ? Montre-moi ton poing.
Taehyung sort ses mains couvertes de bandages de ses poches, et prend la main que l'autre lui tend. Doucement, il lui déplie les doigts un à un, et saisit le pouce. Puis il replie les doigts et ramène le pouce au-dessus.
- Voilà. C'est beaucoup mieux.
Namjoon a un sourire en coin.
- Viens au belvédère, Jungkook. Demain soir. Vingt-trois heures. N'aie pas peur.
A nuclear era, but I have no fear
Quand Ariane raconte l'histoire à son frère, ce soir-là, il sourit d'un air satisfait.
- C'était une bonne idée de le faire rentrer, ce Taehyung.
- T'as vu qu'il avait aussi de nouvelles marques aujourd'hui ? Il a essayé de les cacher avec sa capuche.
Le sourire de son frère se fige un peu.
- Taehyung, hein ? Fais attention, petite sœur. Fais attention...
- Oh ta gueule, Hoseok.
Cause London is drowning
And I live by the river
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