- Yoongi ?

Il fait tellement chaud.

- Yoongi ?

- Quoi ?

- Allume la lumière.

Yoongi grogne, sort une cigarette et allume son briquet. Le visage de Taehyung s'éclaire et vacille avec la flamme, se fend d'un sourire franc. Puis Yoongi éteint. Ne reste que le rougeoiement au bout de ses doigts. Alors Taehyung craque une allumette et embrase la bougie.

- T'es plus fatigué, Taehyung ?

- Ça dépend.

Ils n'ont même pas ouvert la fenêtre. Un carré de ciel sans étoiles, quelques immeubles qui viennent déchirer l'espace. Alors Yoongi ne se laisse pas le temps de se demander ce qu'il fout là, dans un lit où il ne dort jamais. Il écrase son mégot dans le cendrier et le sourire de Taehyung s'élargit. Leur peau est encore nue. Quelques baisers. C'est de la folie pure. Ses lèvres dans son cou, ses lèvres sur sa clavicule, entre ses côtes, et plus bas. Tellement plus bas.

- Taehyung ?

Il a tellement peur, d'un coup.

- Taehyung ?

- Quoi ?

- On est en train de faire une connerie ?

- Si l'on exclue la probabilité très élevée qu'Ariane me tue à mains nues, non, on n'est pas en train de faire une connerie.

Alors Yoongi rit de son rire rauque et s'abandonne un peu plus. C'est le beau milieu de la nuit, au beau milieu de la ville. C'est l'hiver, encore, et l'air est moite dans la chambre. Le lit est nu. Des jambes, sur ses jambes. La lumière tremblante de la bougie, sur la table de nuit. Leurs cœurs lents. Leur sang acide. C'est violent, et c'est doux. Comment dire ? Il n'y a pas de mots, pour ça.

I want you, I want you so bad

It's driving me mad, it's driving me mad

Yoongi ferme les yeux dans un sourire et ne voit pas, à la fenêtre, le regard qui passe. Si triste. Brûlé. En cendres. Ariane retient son poing qui allait frapper à la vitre et s'enfuit dans les rues englouties, sans courir. Chacun de ses pas est si lourd, à chacun de ses pas elle s'enfonce. Un peu plus. Veste en cuir dans les rues de la ville. Les passants s'écartent quand ils croisent ses yeux vides.

Ariane ne retient pas son poing quand elle frappe à la porte de l'appartement. Namjoon ne dort pas. Namjoon ne dort jamais. Il ouvre sans sourire.

- Tu savais, pas vrai ?

Namjoon ne demande même pas de quoi elle parle.

- Plus ou moins.

- Et tu comptes faire quoi ?

- Rien.

- Tu veux toujours te battre pour Yoongi, c'est ça ? T'en as pas marre, Namjoon, de te cacher sous ton chapeau ? Il en a rien a foutre de toi. Il en a rien à foutre de nous, de rien, de personne. Tout ce qu'il veut, c'est foutre le feu à la ville et se venger de son père qui n'est jamais là. Parce que c'est qu'un pauvre idiot légèrement pyromane qui sait plus quoi faire de tout son argent.

Un silence.

- Tu sais bien que c'est pas vrai, Ariane.

- T'es si sûr de toi, Namjoon ? Dis-moi, qu'est-ce qu'il nous a donnés comme preuves ? Il s'est servi de nous, putain ! L'usine, la dernière fois, on s'est fait tirer dessus comme des lapins ! Et la prison ! Ça servait à quoi, tout ça ? Ose me dire que t'y as pas pensé.

Sa voix est presque calme. C'est terrifiant. Tant de rage contenue. Et depuis tout ce temps, leur petite bande aux allures de gang qui n'était qu'une jolie réunion de cœurs en miettes. De poètes au sang brûlant vomissant leurs sentiments par leurs poings. Et s'ils ne dorment pas la nuit, c'est que l'hiver est trop grand pour eux, trop blanc, trop gris. Ils sont trop vifs et crèvent d'envie de vivre.

Des enfants.

- À quoi tu penses ?

Un sourire terrifiant. Parce que ce n'est pas un sourire.

- Je pense que c'est drôle, quand même, tous les ennemis que Yoongi a réussi à se faire en si peu de temps.

She's so heavy

Heavy, heavy, heavy

Ils se retrouvent dans le parking, au troisième sous-sol. Nul ne saurait dire si c'est le jour ou la nuit. S'il pleut. Si l'hiver est encore là ou si les fleurs ont fleuri. Quelques voitures abandonnées, quelques néons qui agonisent. Et ils sont là, encore, un peu détruits, un peu maudits.

Ils attendent en silence. Jungkook n'est pas encore arrivé, et personne ne sait s'il s'en est sorti. Un peu de culpabilité qui leur troue l'estomac. Ce n'est qu'un gamin, un lycéen un peu trop doué avec ses poings. Il n'était pas prêt, jamais vraiment blessé personne. C'est insupportable. Hoseok fait les cent pas et Namjoon le suit des yeux. Yoongi et Taehyung viennent d'arriver, un peu essoufflés. Ils ont changé de couleur. Namjoon aimerait les détester, mais il n'y parvient pas. Ce serait trop facile.

Des pas dans l'escalier, baskets sur l'asphalte. Jungkook apparaît, enlève ses chaussures et les balance sur le mur. Il n'en peut plus.

Mais Jimin le suivait de près. Quand il arrive, tous les autres se relèvent, menaçants. Et Jimin sourit d'un sourire trop grand. Jin et Agnès arrivent à sa suite, puis tout un tas de gars et de filles qu'ils ne connaissent pas. Qui ont tous des gourdins ou des couteaux à la main, et le regard fixé sur Yoongi.

Une chose est sûre, ils vont se battre là, dans le parking. Yoongi sort son katana du fourreau dans un son affreusement métallique.

- Tiens, Jin, quel plaisir !

- Alors comme ça, t'en as plus rien à faire si tu tues des gardiens de prison, Yoongi.

Jungkook lève sa batte, mais baisse les yeux.

- Si t'écoutais seulement la vraie histoire, tu saurais que c'était un accident.

Jimin éclate de rire. D'un rire trop grand.

- On en a rien à foutre de tes explications, t'as rompu l'accord, Min Yoongi.

Et Agnès le tient en joue avec sa carabine à air comprimé. Taehyung se retourne, un instant, et le regard d'Ariane lui glace le sang. Elle le scrute à son tour, mais tout ce qui les liait s'est évanoui. Ne reste que la rancune, la douleur, quelques regrets. À peine. Elle est prête à tout. Taehyung ramène sa capuche sur sa tête, soupire. Il savait pourtant bien, et depuis si longtemps, que ça se terminerait comme ça.

Il n'y a plus rien à dire.

La bataille commence sans signal. Jin envoie valser ses lunettes de soleil et son poing dans les dents de Yoongi, qui fronce les sourcils, s'écarte et lui fait une large entaille du bout de sa lame. Jungkook abat sa batte sur le crâne de Jimin, parce qu'il n'en peut plus, parce qu'il lui a promis, un soir, qu'il se vengerait. Jimin le sait. Il esquive le coup, s'abaisse, le fait tomber en le prenant sous les genoux. Agnès vise Namjoon, qui n'a un souvenir que trop vif de la brûlure de ses plombs. Alors il court vers elle et envoie la carabine s'écraser contre le mur. En arrière-plan, Ariane ramasse un couteau et s'élance vers Yoongi, mais Taehyung la rattrape, s'appuie sur ses épaules, la maintient au sol. Seulement, elle est plus forte. Elle a toujours été plus forte. Elle l'envoie rouler sur le côté, sur le sol tiède du parking qui hurle. Son couteau sous sa gorge. Elle le supplie de lui donner une bonne raison de le faire.

Un regard triste.

Cruel.

Le froid de la lame contre son cou. Elle est incandescente. Taehyung la scrute sans peur. Mais elle sent l'odeur, qui la prend à la gorge, qui lui donne la nausée. Ce n'est pas l'odeur de la mort. Hoseok est en train de foutre le feu aux voitures.

Une à une, elle s'embrasent, et Hoseok s'élance dans les escaliers, rejoint l'après-midi calme, tendre, paralysé et la neige qui tombe sur la ville. Les rues sont blanches, le boulevard, le belvédère. Il soupire, s'allume une cigarette.

Le chaos en-dessous est en train de flamber. Plus personne ne se bat, ils cherchent la sortie. Le feu est partout, la chaleur, la fumée. Tout va exploser.

Et Yoongi qui murmure :

- On a tout foutu en l'air, pas vrai ?

Taehyung, de l'autre côté des flammes, lui jette un dernier regard.

Jimin a pris la main de Jungkook, il la serre si fort. Jungkook l'assomme d'un coup de batte. Il n'en peut plus. Il aperçoit Taehyung, dans l'allée, qui porte une Ariane inconsciente. Ils courent tellement vite, dans les escaliers. Ils entrevoient la sortie, mais le feu est si vif, et ils sont si peu. Namjoon se jette contre la porte. Aucun cœur n'est lent, aucun cœur n'est calme.

Et dehors, il neige sur la ville. Alors quand Hoseok tombe du belvédère, même les oiseaux oublient de s'envoler.

Le monde entier les a déjà oubliés.

Fin.