Don't Let Me Be Misunderstood
La folie. Prodigieuse. Et il pleut, dans les rues, droites puis vacillantes, vastes puis étroites. Au bord du canal, ils avancent tranquillement. Sous la pluie, et les pavés sont luisants. Sous la pluie, et les gens bien sont endormis.
Leurs pieds nus sont trempés. Ariane souffle. Dans ses doigts, sa cigarette n'arrête pas de s'éteindre. Hoseok avance joyeusement devant elle, comme un gamin. Son éternel t-shirt rouge. À peine fatigué. Il est si confiant, elle en serait presque jalouse. Peut-être est-il simplement naïf. Aveuglé par l'insouciance.
Namjoon est plus mesuré, à leurs côtés. Son large chapeau dégouline, ses mains sont cachées dans les poches d'un long manteau. Il a dégoté un flingue, on ne sait trop où. Mais tout le monde sait ce que ça veut dire. La pluie délave les couleurs. Yoongi marche devant, en silence, son long katana dans le dos. Et Taehyung est derrière, avec Jungkook. Ils ne se croisent pas, ne se regardent pas. Pas ce soir. Pas cette nuit. Jungkook tient une batte de baseball dans sa main droite. Il paraît qu'il a déjà été champion, il paraît qu'il ratait jamais un tir.
Et, comme ça, ils arrivent devant les murs immenses, avec des barbelés. Yoongi laisse échapper un sourire. La folie. Majestueuse. Elle bat dans ses veines, dans son cœur trop calme.
Et, comme ça, ils grimpent. Sautent au-dessus. La cour intérieure est vide, trempée. Yoongi a récupéré les clefs. Comme tout le monde, ils rentrent par la grande porte. En silence. Cœurs suspendus.
Les gardiens ne les remarquent pas tout de suite, les lumières grincent, les portes en acier sont closes. Il suffit de couper les fils électriques, de débrancher le générateur d'urgence. Court-circuit. Jungkook a assommé les deux gardiens du poste de sécurité, Namjoon s'est engouffré à l'intérieur. Une balle dans la serrure, on ouvre le capot du bouton d'urgence. Malgré lui, Namjoon sourit. Comme si c'était écrit. Il appuie.
Les portent s'ouvrent. L'alarme retentit.
Les prisonniers hébétés sortent des cellules à reculons. Les gardiens se réveillent tout à fait. Namjoon attrape Jungkook par le col, il faut partir. Il faut s'enfuir. Ils vont bientôt être encerclés. Mais c'est le chaos. Ce n'est pas un exercice. L'odeur de l'essence commence à monter, entêtante. Yoongi sort les allumettes.
Les prisonniers les laissent passer, s'engouffrant tous à présent vers les couloirs étroits. Ils s'enfuient. Les grandes portes sont ouvertes. Et dehors, l'orage. Mais ils courent sans s'arrêter.
Ça a été si rapide.
Les flammes commencent à s'élever, à grandir. Ils sont enivrés, complètement tarés. Il faut s'enfuir pourtant. Mais Namjoon et Jungkook sont toujours là-bas, dans le poste de sécurité, à fracasser les caméras. Il faut s'enfuir. Mais les gardiens se réveillent, les mettent en joue, commencent à crier. Jungkook n'arrive pas à le croire. Son cœur bat tellement fort. Et tout ce temps, dans ces cellules minuscules, si loin du ciel. Et tout ce temps, toute cette vie qui partirait en cendres s'il avait les menottes aux poignets.
Il a lâché sa batte de baseball quelque part sur le sol, Namjoon lève les mains en l'air. Alors Jungkook prend le flingue dans sa poche, enlève la sécurité, appuie sur la détente. Un gardien s'effondre. L'autre s'enfuit. Mais le temps s'est arrêté.
Jungkook est devenu un assassin.
Oh, I'm just a soul whose intentions are good
Oh Lord, please don't let me be misunderstood
Ariane vient les chercher en hurlant. Jungkook reste immobile, les mains sur le flingue. L'odeur de la fumée partout, il faut se baisser, il faut partir. Ariane le tire par le bras, ils sortent dans la rue pleins de crasse, toussant en s'en arracher les poumons. Un feu de joie, dans la nuit, sous la pluie. Yoongi les attend près du canal. Les autres sont déjà partis.
Et Jungkook a arrêté de respirer. Les yeux dans le vide. Pour rester libre, il s'est enchaîné à cette nuit-là. Tous ses rêves, quand il parviendrait à s'endormir. Toutes ses nuits blanches. Le doigt sur la détente, le gardien sans nom qui tombe sur le sol. Et l'autre s'est enfuit. Il a tout vu. Il sait tout. Jungkook est fichu.
Yoongi attend, parce qu'il sait qu'il a raison. Il se contente de le surveiller, sur le côté. Sur le canapé de son salon. Jungkook ne se souvient même plus comment il est arrivé là, dans la maison sans lumière. Taehyung est accoudé au mur dans un coin, silencieux.
- Jungkook, il te reste une nuit. Il faut que tu rentres chez toi.
Pour dire adieu.
Le flingue est toujours dans ses mains. Taehyung le saisit avec douceur, le met sur le côté, remet la sécurité. Jungkook garde les yeux baissés. Puis un rire nerveux. Il regarde Yoongi.
- Ça t'est jamais venu à l'esprit qu'on n'était pas obligés de tout faire cramer pour faire la révolution ?
Sa voix est légèrement brisée, légèrement rauque.
- Être libre. Être libre et ne laisser absolument personne décider à sa place.
- Dis moi... Jungkook. Qui t'a parlé de révolution ? Ça t'est jamais venu à l'esprit qu'on voulait peut-être juste foutre le bordel ?
- T'es qu'un bourgeois qui s'ennuie en fait.
Il rit.
- C'est possible. Rien qu'un bourgeois à pieds nus.
Il vaut mieux en rire.
Jungkook se lève. Il habite à deux pas, dans une grande maison sans tâche. Il tremble à peine. C'est comme si tout était écrit depuis le début, le tout début de l'histoire.
Alors Yoongi et Taehyung sont seuls dans le grand salon sans lumière. Alors ils se regardent, pour la première fois depuis cette nuit-là. L'expression de Taehyung est indéchiffrable. Namjoon dirait, bleu d'Égypte. Yoongi se lève, téméraire. Namjoon dirait, rouge amarante. Deux couleurs qui se mêlent.
À deux pas, à peine. Qui les séparent. Un seul, à présent. Leurs nez se touchent. Ce n'est même pas tendre, ce n'est même pas lent. C'est comme un chaos indolent.
Une éclipse.
Oh Lord, please don't let me be misunderstood
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