Chapitre 9-5
Le yacht s'était arrêté au large des côtes. Deux hommes se penchèrent au-dessus de l'eau et se préparaient à pêcher le Marlin. Je trouvais absurde de chasser ce poisson avec un bateau pareil alors que les autres avaient des barques ou des modèles plus adaptés pour le tournoi en question.
J'étais assise sur l'échelle, à l'arrière de la coque, le pantalon remonté jusqu'en en haut des chevilles pour pouvoir mettre mes pieds dans l'eau. En face de moi, j'avais l'océan à perte de vue. Je portais mon maillot de bain sous mes vêtements, mais ma pudeur m'empêchait de les enlever. D'ici, j'entendais les rires des femmes invitées par monsieur Al Jasser pour lui tenir compagnie. Elles profitaient du petit bain installé dans le salon du pont avant avec des rails de cocaïnes à leur disposition. Non loin de moi, Yeraz et l'émir discutaient sur des banquettes autour d'une table avec alcool et petit four au menu. Leurs gardes du corps se faisaient discrets et se promenaient un peu partout sur le Yacht. De mon côté, j'essayais discrètement d'écouter la conversation entre les deux hommes d'affaires.
— Il suffit de jouer sur le manque d'harmonisation des taux de TVA. Nous devons voir avec ces pays qui n'ont pas de disposition pénale. Certains gouvernements préfèrent fermer les yeux pour acheter la paix sociale.
Al Jasser attendait la réponse de Yeraz qui mettait du temps à venir, puis la voix du jeune homme répondit avec une sorte d'amertume résignée.
— Blanchir cet argent ne sera pas compliqué avec la complicité de nos banquiers, avocats et amis juges.
Yeraz marqua une pause avant de continuer :
— Nous devons infiltrer les nouvelles économies légales notamment dans "les money transfers."
— Nos partenaires commerciaux sont prêts à vous suivre, monsieur Khan.
Al Jasser se racla la gorge avant de poursuivre comme s'il cherchait ses mots.
— Et que faisons-nous pour la cargaison de drogue bloquée à l'entrée du port de Sheryl Valley ?
Une note de prudence perçait dans la voix de l'émir. Yeraz émit un petit reniflement de mépris.
— Ça ne nous concerne pas ! La mafia sicilienne peut s'en occuper. Pas de trafic d'être humain ni de drogue sur mon territoire. C'est bien clair ?
— Vous êtes l'héritier de l'empire de votre père. Nous agirons comme vous le souhaitez. J'ai appris que Leone et ses hommes vous ont doublés à New York sur l'appel d'offres numéro huit. Où en est cette affaire ?
— Je m'en suis occupé. Leone ne reviendra plus mettre son nez dans nos affaires. Il est...
Yeraz chercha le mot, puis le prononça avec une froideur sans nom :
— Hors circuit.
Al Jasser visiblement satisfait de la réponse claqua des mains et répondit avec un petit rire sadique :
— Vous êtes bien le digne héritier de votre père. Buvons un peu pour fêter ça.
Un frisson d'horreur me parcourut le corps. Je déglutis difficilement. La noirceur de Yeraz m'explosait au visage.
En cette soirée festive, des centaines de personnes puis des milliers s'amassèrent sur le rivage pour assister au retour des bateaux au port. De gros spots placés sur le pont éclairaient le chemin que les participants devaient emprunter afin que le public puisse admirer les corps des monstres marins. Le port était en ébullition et l'ambiance à la fête.
Al Jasser, du haut de son yacht, brandissait avec deux de ses hommes, cannes à pêche et filets comme des conquérants. Toute la jetée applaudissait, criait et se bousculait pour admirer les marlins. L'assistance frémissait d'impatience.
À Los Cabos, ce poisson attirait toutes les convoitises, symbole de la haute société sur l'île. Le pêcheur capturant le plus gros marlin se verrait recouvert de millions de dollars dans ce tournoi de pêche sportive. Il y avait beaucoup d'argent en jeu. C'était l'un des moteurs économiques de la basse Californie du Sud le plus rentable. Le ticket d'entrée pour participer à ce concours hors norme s'élevait à soixante-cinq mille dollars par bateau. Les retombées sur l'économie locale étaient vertigineuses.
Al Jasser et son équipe descendaient du yacht, acclamés comme des rocks stars. Des bras vinrent aider l'équipage à soulever la créature, enroulé dans une bâche. Sur le pont, l'émir se tourna vers Yeraz et moi encore installés sur le Yacht. Il nous attendait.
— Nous restons là, déclara Yeraz, le regard caché derrière ses lunettes de soleil alors qu'il faisait nuit.
— Très bien, monsieur Khan. Ne vous enfuyez pas avec mon bateau, car je vous retrouverai.
Yeraz éclata de rire et porta une main sur le cœur comme pour exprimer une promesse silencieuse. L'émir me salua d'un signe de tête avant de partir défiler devant une foule enflammée. Était-ce les gains qui le stimulaient dans ce sport ou bien l'adrénaline que lui procurait ce spectacle avant la pesée des poissons ? Quoi qu'il en soit, à cet instant, narcotrafiquants, mafieux, princes, PDG, industriels, redevenaient tous de grands enfants.
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