Chapitre 13-4
Lorsque j'ouvris la porte du cabinet, Wolfe était assise à son bureau et sanglotait, le visage enfoui dans ses bras. J'hésitai à me diriger directement dans la salle d'attente. La pauvre dame ne paraissait pas en état pour poursuivre ses consultations. Je n'étais pas surprise. Elle était soit dans un état dépressif soit dans un état d'hyper activité.
Je refermai fermement la porte derrière moi pour obliger Wolfe à relever la tête. Elle se redressa brusquement de son fauteuil et s'essuya les joues avec le dos de sa main.
— Miss Jimenez ? s'étonna-t-elle.
Je levai les sourcils et répondis calmement :
— Oui, c'est l'heure de mon rendez-vous.
La praticienne fit mine de se recoiffer et tira le premier tiroir de son bureau pour en sortir un flacon rempli de pilules. Vas-y, prends ta dose, mais évite de me charcuter la bouche après. Avec un signe de tête, elle m'indiqua que je pouvais aller m'installer, mais je décidais de lui poser ma question maintenant avant d'en avoir plus le courage :
— Quand allez-vous me retirer mon appareil dentaire ?
Elle sembla analyser ma question quelques instants.
— Bientôt ! Le résultat doit être parfait. Votre dentition demande beaucoup de travail. Vous n'imaginez pas l'ampleur des dégâts quand vous êtes venue me voir la toute première fois.
Ses derniers mots avaient été articulés très calmement. Ses larmes s'estompaient. L'effet des pilules semblait déjà faire effet.
— Quand vous dites "bientôt", c'est quelques jours, quelques semaines, quelques mois ?
La praticienne se leva et tira sur sa blouse blanche.
— Dès que toutes vos dents seront à leur place. Nous avons arraché quatre molaires il y a quatre mois. Maintenant, il devrait y avoir assez de place à l'intérieur de votre mâchoire.
L'espace d'un instant, la vive douleur que j'avais ressentie lors de cette intervention se raviva. Complètement shootée ce jour-là, Wolfe s'était loupée lors de l'injection de l'anesthésie dans ma gencive.
Une fois de plus, je ne réussis pas à obtenir de date.
Alistair et Bergamote m'accueillirent avec un grand sourire en haut du toit. Comme toujours, j'étais la dernière à arriver. Le tourne-disque répandait dans l'air une chanson de Frank Sinatra.
— Regarde ça, Bergamote ! Notre Ronney s'est enfin décidée à porter la robe que tu lui as cousue.
Embarrassée, je croisai mes bras sur la poitrine. Alistair se précipita vers moi pour m'entraîner au milieu de la terrasse.
— Elle te va bien, Ronney.
Bergamote tourna autour de moi afin d'admirer son travail. Elle avait mis tellement de cœur et d'énergie à coudre cette robe, que j'avais décidé de la porter aujourd'hui pour lui faire plaisir après être restée des mois au fond de mon armoire.
— Une véritable Pin-up ! s'écria Alistair en tenant ses bretelles.
— Arrête, murmurai-je, mal à l'aise, en baissant les yeux.
— Laisse-la donc tranquille, Ali, se fâcha Bergamote.
Elle se tourna vers moi les yeux brillants et ajouta :
— Tu es très élégante, ma Ronney. Tu devrais t'habiller comme ça un peu plus souvent.
Je secouai la tête énergiquement.
— Non, non. J'ai l'impression d'être un aimant vivant qui attire tous les regards sur moi.
Après avoir échangé sur nos journées, j'allais aborder le sujet "Logan", mais me ravisai. Bergamote et Alistair me questionneraient jour et nuit à propos du jeune homme si je leur en parlais maintenant avant de m'inciter à sortir avec lui.
— Je nous ai préparé une bonne pizza, dit ma colocataire en m'invitant à la suivre sur le côté de la terrasse. Nous avons un peu de temps avant que Daphné commence à répéter avec les autres danseuses.
— Sa représentation est dans deux semaines, il me tarde d'y être, déclarai-je tout en prenant place sur le muret.
Alistair me servit un verre de vin et dit :
— Ce sera dur de laisser partir Daphné et sa troupe après sa représentation. J'ai entendu dire que le ballet allait ensuite entamer une tournée dans tout le pays.
Une immense contrariété m'envahit. Je pris une bouchée de ma pizza en imaginant nos prochains rendez-vous, les samedis soir, sans Daphné. Ça ne serait plus pareil.
Bergamote et Alistair étaient en train de faire leur programme pour dimanche quand mon téléphone sonna. En découvrant le nom de Yeraz sur l'écran, je fus prise d'un vertige et mon cœur se mit à battre à cent à l'heure. Il est toujours vivant, pensai-je, soulagée. Je répondis avec une voix fragile.
— Ronney, je suis à Sheryl Valley. Je viens de rentrer.
Yeraz parlait avec une certaine retenue, mais son ton trahissait une certaine anxiété.
— D'accord...euh...
Alistair et Bergamote me regardaient d'un air suspicieux. Ils tentaient de deviner qui était mon interlocuteur au bout du fil. Mon changement soudain de comportement avait attiré leur curiosité.
— As-tu des choses à me demander pour lundi ? J'ai validé ton planning, mais je te laisse le vérifier.
Merde, je ne lui avais même pas demandé comment il allait. Mes deux acolytes à côté de moi ne me lâchaient pas du regard.
— Où es-tu ?
Je fermai les yeux. Au son de sa voix, je sentais qu'il s'attendait à me voir chez lui. Prise de court, je répondis maladroitement :
— Dans le centre-ville. Je suis avec mes deux colocataires.
Pourquoi me sentis-je obligée de lui préciser ces informations ?
— Ça ne me dit pas où tu es, Ronney.
Il était calme, mais juste en apparence. Je l'imaginai alors dans son costume noir, assis derrière son bureau, les traits fatigués. Je ne pouvais pas lui dire où j'étais. C'était le seul endroit qui me faisait me sentir bien et que je voulais garder exclusivement pour moi.
— Ronney ? insista mon interlocuteur.
— J'ai juste besoin de ce moment, Yeraz. Je ne peux pas te dire où je suis.
Alistair poussa du coude Bergamote. Tous les deux bouche bée affichaient une expression de grande surprise sur le visage.
J'entendis Yeraz soupirer au téléphone
— S'il te plaît, Ronney, souffla-t-il. Juste quelques heures, laisse-moi rejoindre ton monde. Le mien est si...sombre ce soir.
Mon cœur se serra et un trouble s'éleva au plus profond de moi. Comment pouvais-je rester étrangère à quelqu'un qui me demandait de l'aide, même si cette personne était Yeraz ? Il n'y avait pas de mots pour décrire ce que je ressentais à ce moment-là.
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