Chapitre 12-5

Je m'immobilisai devant l'entrée du bureau de Camilia. Après avoir pris une profonde inspiration, je frappai à la porte puis l'ouvris en priant pour ressortir vivante de cet endroit.

Elle était installée derrière son bureau et m'invita à m'asseoir avec un énergique mouvement de menton et un sourire aimable. Ses lunettes au bout du nez lui donnaient un air revêche.

— Bonjour, Ronney. Comment ça va depuis hier ?

Je me risquai à répondre :

— Bien...et vous ?

Elle me regarda avec un léger reproche dans les yeux, et peut-être bien que je le méritais. Camilia rompit le silence par une nouvelle question :

— Vous rappelez-vous des termes du contrat ?

Je me vidai de toute mon énergie. Elle se doutait certainement de quelque chose. Je bafouillai :

— Oui, je m'en souviens, mais aucune règle n'a été enfreinte.

Ou presque.

— Vous n'avez donc pas couché avec mon fils ?

Mon visage reflétait une stupéfaction sincère. Elle insista :

— Êtes-vous tombée amoureuse de lui ? Ou l'inverse ?

— Non, non !

Choquée par ses questions si directes, j'évitai de la regarder dans les yeux quelques instants avant de revenir sur elle.

— Yeraz et moi n'avons eu aucun rapport intime et il n'y a pas de sentiment ni de son côté ni du mien.

Camilia m'écoutait avec attention comme pour déceler la plus petite parcelle de mensonges dans mes paroles. Je sentais son regard froid et aigu semblable à des lames d'acier qui me poignardaient longuement.

— Ronney, je ne suis pas stupide. J'ai assisté au spectacle désastreux d'hier soir et j'ai vu cette scène surréaliste entre mon fils et vous.

Elle inspira pour garder son calme. Embarrassée, je sentis mes joues devenir de plus en plus rouges. Je me forçai à regarder bien droit devant moi pour ne pas fixer le sol.

— Nous avons tissé un lien, mais pas comme vous le pensez. Yeraz me fait la plupart du temps confiance. J'arrive à l'amener à se confier à moi. Il a rencontré aussi quelques membres de ma famille donc il voit la vie que nous menons dans les quartiers difficiles. Oui, il y a de l'affection à certains moments quand il ose s'ouvrir à moi. Ce sont des moments rares et j'en profite pour lui parler d'une autre vie qu'il pourrait avoir.

Je m'arrêtai et regardai Camilia avec crainte et respect. Son expression s'adoucit enfin et ses yeux noirs prirent une teinte indescriptible. Il y avait dans toute sa personne un air de distinction naturelle.

— Donc, c'est tout ? Il n'y a rien de plus ?

Je serrai mes lèvres pour les obliger à rester closes, puis secouai la tête quand soudain la demande de Yeraz me revint.

— Il souhaite que je m'installe chez lui, jusqu'à la fin de mon contrat.

Je tentai un pauvre sourire, honteuse de ma propre voix. Camilia leva un sourcil attendant que je poursuive.

— Votre fils est quelqu'un avec peu de confiance en lui même s'il montre le contraire. Il est limite paranoïaque, et a sûrement peur que je transmette des informations sensibles à d'autres personnes. J'ai accepté pour calmer les choses.

Mes paroles avaient une part de vérité. Nous n'allions pas partager le même lit. Yeraz se maîtriserait mieux s'il ne me savait pas trop loin de lui.

Camilia se leva de son fauteuil et vint se camper solidement sur ses jambes, devant son bureau en me regardant toujours droit dans les yeux. Elle portait un pantalon étroit qui lui moulait les hanches et un haut blanc à dentelle à manche longue. "Superbe" était le mot qui me vint à cet instant à l'esprit. Au même âge, je ressemblerais à une vieille momie en décomposition avec pour seul objet brillant : mon appareil dentaire. Camilia retira ses grosses lunettes et se pinça l'arête du nez.

— Je suis désolée, Ronney. Toute cette agitation hier soir entre Yeraz et Hadriel m'a fait perdre la tête. Je ne sais pas comment j'ai pu imaginer un seul instant qu'il y avait quelque chose entre mon fils et vous. Yeraz est incapable d'aimer une femme. Je vous trouve très courageuse de vous jeter à corps perdu pour sauver l'âme d'un être aussi sombre. Vous avez aujourd'hui toute ma confiance.

À son ton, je sentais qu'elle me soutenait. Je m'autorisai à respirer de nouveau.

Nous finîmes la discussion sur la compagnie "Roskuf", le dossier brûlant du moment qui faisait trembler tous les investisseurs. Je confiai à Camilia mes doutes. Le dossier comptable falsifiait ses chiffres. Je pressentais une fraude pyramidale, un système de Ponzi. Une escroquerie vieille comme le monde.

— Creusez de ce côté. S'il s'avère que vous aviez raison, nous pourrions tout perdre. Les investisseurs se retourneraient contre Yeraz, et je ne donnerais pas cher de sa vie. Seigneur, je ne peux pas le perdre.

La détresse dans la voix de Camilia me retourna l'estomac. L'amour pour son fils était si grand. Rien ne comptait plus pour elle que ses enfants. Absolument Rien.

Je quittai la pièce, le cœur lourd de secrets. Je ne lui avais rien dit à propos de notre baiser sur Los Cabos.

Une voix m'interpella lorsque je traversai le hall. Je me retournai et esquissai un sourire forcé.

— Peter, bonjour.

— Je suis heureux de constater que vous êtes toujours vivante, miss Jimenez. Comment se passent vos petites vacances dans votre quartier si charmant ?

Je serrai les dents. Son ton ironique teinté de mépris me hérissa le poil. L'assistant de Camilia se tenait droit devant moi, les mains derrière le dos, tout en relevant son menton de façon hautaine.

— Je profite, Peter, merci.

Je me retournai pour partir, mais Peter haussa la voix pour me retenir.

— C'est parfait ! Puisque vous avez du temps devant vous, nous pouvons continuer votre séance de coaching.

Mon visage se déforma au moment où Peter dévoila la paire de Louboutin caché derrière son dos.

— Non, j'ai tant à faire, balbutiai-je en reculant.

— J'ai un défi à relever, miss Jimenez ! Ne me rendez pas la tâche plus difficile. Suivez-moi dans le salon, à l'étage. Je suis moi-même un homme très occupé. C'est une chance que je m'occupe de vous. Rappelez-vous : on casse la démarche, on casse la démarche.

Peter se dirigeait vers les escaliers en balançant ses hanches de gauche à droite en répétant ces derniers mots en boucle. Cet homme était capable de me poursuivre dans tout Sheryl Valley pour me mettre ces chaussures aux talons vertigineux aux pieds. Il ne lâcherait rien. Je soupirai profondément, la mine défaite, puis le rejoignis en haut.

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