Chapitre 12-2
Il y avait du monde dans le magasin de bricolage pour un vendredi matin. On me bouscula dans un virage d'une des rangées et je m'excusai comme si j'étais en tort.
Les allées étaient grandes, il y avait tellement de choix en matière de couleurs de peintures que je ne savais plus trop sur laquelle m'arrêter. Des pots ouverts étaient présentés à l'avant des rangées avec la mention "ne pas toucher". Cette exposition devait nous aider à faire notre choix, mais pour moi c'était encore pire. Ces échantillons de couleurs me donnaient envie de tout acheter.
Des pistolets à peinture à haute puissance étaient en vente un peu partout dans le magasin. C'était le nouvel accessoire incontournable à avoir chez soi. Un animateur en faisait même la démonstration à un stand, au milieu d'un public déjà conquis.
Je ne savais pas depuis combien de temps je déambulais au milieu des rangées. Cette sortie me permettait de me changer les idées. Ça faisait longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi légère. Finalement, j'arrêtai mon choix sur deux pots de couleur gris clair que je mis dans le caddie en espérant que ça suffirait. Ma chambre était minuscule, j'avais l'impression que je pourrais repeindre tout l'appartement avec ça.
Je m'apprêtai à faire un dernier tour dans les allées quand une douce voix, féminine, résonna sous les hauts-plafonds du magasin.
— Votre attention, s'il vous plaît. Suite à un souci de sécurité, votre magasin doit fermer ses portes. Merci de vous diriger sans attendre vers les sorties sans passer par les caisses.
Un brouhaha de contestation monta partout dans les allées pour crier au scandale. Mécontente, je reposai mes pots de peinture quand la voix se fit de nouveau entendre :
— Miss Jimenez est tenue de rester à l'intérieur du magasin.
Je marquai un temps d'arrêt et fronçai les sourcils en me demandant l'espace d'un instant si tout ceci était une blague puis me rappelai soudain que beaucoup de gens portaient le même nom que moi à Sheryl Valley. Je repris ma route. La voix raisonna une nouvelle fois :
— Ronney Jimenez est tenue de rester dans le magasin.
Merde ! C'était mon prénom. Il n'y avait plus vraiment de doute. Un petit garçon passa devant moi en demandant à son père :
— Papa, c'est qui Ronney Jimenez ?
— Sûrement une femme qui a fait une très, très grosse bêtise. La police va procéder à son arrestation.
Un picotement parcourut ma nuque. J'avais soudain du mal à respirer. C'était impossible que cette Ronney ce soit moi. Il devait forcément s'agir d'une autre personne ou d'une erreur. Je retrouvai mon calme, mais avant que je ne puisse faire un pas de plus, une voix masculine se fit entendre dans les haut-parleurs. Le ton n'était plus le même.
— Ronney avec deux "n".
Fais chier ! hurlai-je au fond de moi. Mon sang me monta violemment au visage. Je bouillais de rage. Il était là ! Je voulais fuir, mais Yeraz me rattraperait avant même que je ne franchisse les portes. Faire un scandale au milieu de la rue n'était pas mon genre.
Le magasin s'était vidé doucement en faisant place au silence. J'avais l'impression d'être dans un de ces films d'horreur où la victime ne s'en sortirait pas vivante. Je prêtai l'oreille, mais n'entendais rien. Au fil des secondes qui passaient, les sombres nuées de la terreur m'envahissaient l'esprit. C'est alors qu'une voix basse, légère comme un souffle me parvint de derrière :
— Je t'avais dit que je viendrais te chercher.
Je me retournai lentement. Mon visage se décomposa. Ses traits parfaits à l'expression vaguement arrogante me déstabilisèrent quelques instants. Yeraz ôta ses lunettes aux verres opaques. Il se tenait bien droit et relevait la tête avec un air de défi tout en me décrochant un de ses faux sourires diplomatiques.
— Tu n'as pas des choses plus importantes à faire que de me traquer comme un animal et de faire évacuer entièrement un magasin juste pour me parler ?
— Juste ? Je t'ai demandé quelque chose hier soir, d'être à ton poste ce matin. C'est toi qui m'obliges à foutre les gens dehors. Je suis heureux de voir que tu te promènes tranquillement.
Sa voix était lourde de menaces non formulées.
— Isaac nous attend dehors.
— Je n'irais nulle part avec toi !
Piqué, il répliqua sèchement :
— En fait, Ronney, je ne te laisse pas le choix.
Il s'avança vers moi et m'attrapa par le bras pour m'obliger à le suivre. Je réussis à me dégager de sa poigne d'acier et saisis un pistolet de peinture que je vidai sur lui. La seconde d'après, son costume ainsi que son visage étaient couverts d'un vert affreux. Yeraz s'immobilisa. Les bras écartés de son corps, il baissa la tête pour évaluer les dégâts avant de relever son visage de Grinch sur moi. Ses yeux sortaient de leurs orbites, il ne contenait plus sa fureur.
Oh non, merde. Fous le camp, Ronney. Je rassemblai tout mon courage et me mis à courir de toutes mes forces, dans les allées, Yeraz à mes trousses. Je renversai sur mon passage les pots de peinture pour le ralentir. Tout à coup, un bruit sourd m'obligea à me retourner. Yeraz venait de glisser sur le sol. Je ralentis et retenais mon fou rire devant cette scène digne des plus grandes cascades. La pause fut malheureusement de courte durée. Je dus me remettre à courir quand il se releva en poussant un cri de rage.
Après plusieurs minutes de courses folles dans les rangées du magasin et à bout de souffle, je jetai un regard par-dessus mon épaule. Yeraz avait disparu. Je m'arrêtai pour reprendre ma respiration. Où était-il passé ? Tous les sens en alerte, je me déplaçais à tâtons. Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine.
Soudain, le manche d'un balai surgit en dessous des étagères et balaya mes jambes pour me faire tomber à la renverse. Yeraz apparut quelques secondes après, au-dessus de moi, avec un pot de peinture à la main. Je poussai sur mes coudes pour me relever, mais il me lança le contenu du récipient avant que je ne réussisse à me remettre sur pied. Je m'essuyai le visage avec mes mains avant de me relever difficilement. J'étais recouverte de peinture jaune jusqu'à mes converses.
— Tu n'es qu'un sal con ! fulminai-je, hors de moi en trépignant des pieds.
Yeraz saisit un autre pot qui était à sa portée et me le jeta lui aussi sur moi. Sans attendre, je fis de même. Une guerre au corps à corps s'engagea alors entre nous et nous nous affrontâmes un bon moment ainsi. Les récipients volèrent un peu partout. Le sol était une véritable pataugeoire et nous nous écroulâmes tous les deux à terre, à plusieurs reprises.
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