Chapitre 12-1

L'aube arrivait timidement en projetant des faisceaux de lumières diffuses à travers les rideaux. Je me levai en rassemblant ma tignasse embroussaillée pour l'attacher. La rancœur que j'éprouvais à l'encontre de Yeraz ne s'était pas dissipée, bien au contraire. Je m'habillai à la diable pour partir aider mes parents au restaurant. Malgré la menace de Yeraz, proférée hier soir, il était hors de question que je vienne travailler ce vendredi. Je n'avais pas envie de le voir.

Le bol d'Alistair dans l'évier indiquait qu'il était déjà sorti faire sa promenade. Bergamote dormait encore. Il faisait beau, ce matin-là, je décidais de me rendre à pied au restaurant.

Ma mère dressait les tables. Un sourire fendit son visage quand elle m'aperçut. L'établissement, vidé de ses clients, était calme et une atmosphère paisible flottait partout à l'intérieur. Ma mère m'accueillit avec une étreinte chaleureuse avant de m'observer attentivement.

— Tu as les traits fatigués.

— Je me suis couché tard.

Elle m'interrogea d'un regard curieux, mais je préférais changer de sujet. Je dépliai une nappe qui sentait bon la lessive et commençai à recouvrir les tables.

— Elio dort encore ?

— Il se prépare pour son rendez-vous de suivi, à l'hôpital.

— Tout va bien ?

— Oui, son traitement est efficace. Il est en meilleure forme même si les effets secondaires sont virulents. Il est souvent fatigué.

Ma mère, émue de parler de l'état de santé de mon frère, soupira profondément et prit un instant avant de se remettre au travail.

— Carolina et Caleb viennent de se séparer. Ce jeune homme ne sait vraiment pas ce qu'il veut.

Je fis mine de ne pas être au courant de la nouvelle. Ma mère marqua une pause et proposa sur un ton hésitant :

— Tu pourrais peut-être passer voir ta cousine pour la soutenir dans cette dure épreuve. Après tout, tu es bien placée pour savoir ce qu'elle traverse. Je ne supporte pas de voir ma nièce dans cet état-là.

Une onde de colère et de sombre ressentiment reflua en moi. Je dus lutter de toute mes forces pour la refouler. Ma mère se souciait toujours du bien-être de ces créatures foncièrement mauvaises sans jamais vraiment se soucier du mien. Pourtant, elle aurait pu tout changer de ces années où j'avais été martyrisée par mes cousins et mes cousines. Je me contentai de répondre avec un sourire forcé :

— Carolina est une femme forte. Elle s'en remettra.

— Tu vois, Ronney, le problème c'est que tu ne penses qu'à ta petite personne. La rancune ne mène nulle part. Dans la vie, il faut passer à autre chose et savoir pardonner. Nous faisons tous des erreurs.

Je la dévisageai, muette de stupeur. La voix d'Elio vint interrompre cette discussion sensible, lourde de rancunes et de non-dits. Mon frère m'embrassa le front et me jeta un regard inquiet.

— Tout va bien, sœurette ?

Je hochai la tête et lui rendis gauchement son sourire. Il était en forme, c'était le principal.

— Veux-tu que je t'accompagne à l'hôpital ?

— Je ne veux pas que tu sois là. Tu sais bien que je préfère être seul pour accueillir les bonnes comme les mauvaises nouvelles.

Mon frère caressa ma joue avec le bout de ses doigts. J'avais tellement d'interrogations au sujet du traitement, de sa maladie, de sa possible rémission, mais il y a des questions que l'on ne pose pas, de crainte d'entendre la réponse. Pour lui, je pouvais tout donner, jusqu'à ma vie.

— Tu es venu à pied ? Je peux te déposer quelque part si tu veux avant mon rendez-vous ?

— J'ai de la peinture à acheter. Je veux repeindre les murs de ma chambre.

Ma mère sauta sur l'occasion pour m'inciter une fois de plus à prendre soin de moi :

— Tu pourrais en profiter pour passer chez ce très bon coiffeur, sur Manhattan Avenue, juste à côté de Macy's. Tu devrais faire quelque chose à tes cheveux, Ronney. Il paraît qu'il fait des miracles.

— Fous-lui la paix ! intervint mon frère.

Il se tourna vers moi et ajouta avec une sincérité indéniable :

— Tu es jolie.

Ma mère ne répondit rien. Pressée par le temps, elle était déjà en train de dresser une autre table.

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