Souvenirs
Quoi ?
C'est... c'est pas possible !
Je suis pourtant bien mort non ?
Et pourtant ...?!
J'ouvre les yeux. La douleur a disparu, je ne tousse plus.
J'y crois pas...
Alors c'était vrai ? Il y a vraiment un autre monde ?
Je me rends compte que c'est la première fois que je souris depuis longtemps. Ça fait du bien...
Et pourtant mon sourire s'évanouit aussi vite qu'il est apparu. Si c'est vraiment le monde des morts, où sont les autres ?
Et puis petit à petit, je ne sais pas pourquoi, je me mets à douter. Est ce que je suis réellement mort ?
Bien sûr ! Je me souviens de cette... sensation. De froid extrême, et puis de flotter dans une odeur... enivrante... ça sentait comme maman.
Maman...
Où es-tu ?
Je sais que t'es partie avant moi... des larmes me montent aux yeux. Non, je n'ai pas le droit de pleurer. Je suis vivant.
Du moins je crois...
Je me décide à m'aventurer un peu plus loin. Je suis dans une espèce de grande carrière de pierre, et il ne semble n'y avoir qu'une seule issue.
Bon... ça ne peux pas être si dangereux que ça, si ?
J'emprunte prudemment l'étroite fissure qui permet de sortir de la carrière, et d'un seul coup, un flot d'énergie s'élance dans mes veines, une sorte de picotement tout d'abord, puis une véritable douleur lancinante qui remonte jusque dans la tête.
Ça brûle. Je veux que ça s'arrête. Quoi que ce soit, il faut à tout prix que ça stoppe. La douleur me transperce le crâne, on dirait qu'il va exploser. C'est comme si quelqu'un voulait faire rentrer de force des choses dans ma tête... j'ai mal !
Je crie.
Et puis d'un seul coup, tout s'arrête.
Je me souviens.
Mon frère est là. Il me regarde intensément. Nos regards entremêlés lancent des éclairs muets. J'aime me plonger dans ses yeux. Nos regards semblent identiques, et pourtant... ils sont inversés. Mon œil droit est bleu azur, mon œil gauche est doré, presque ambré. Chez mon frère, c'est l'inverse.
Des souvenirs remontent. Mais pas des souvenirs de la mort, non. Des souvenirs plus récents. Plus anciens. Et en même temps, des visages et des noms viennent flotter dans ma tête... c'est un bazar sans nom.
Qui suis-je ? Et où suis-je ?
D'autres souvenirs se pressent dans mon esprit.
« -Maîtresse, maîtresse, c'est quoi les figés ?
Mon frère aux yeux vairons lève aussitôt la main, mais la grande femme au tableau l'ignore.
-les figés sont les noms donnés aux gens originaire d'un autre monde que les Kosmes. Quelqu'un sait en quoi ces figés sont particuliers ? Oui, Nathanaël ?
-Les figés, contrairement à nous passeurs, ne peuvent pas voir les portes et ne peuvent pas passer. Par conséquent, ils n'ont qu'une seule vie et ne peuvent pas visiter d'autres mondes ! »
Oulah... ça fait beaucoup trop pour la tête... déjà que je ne connais plus mon nom... enfin au moins, je sais celui de mon frère. Nathanaël.
« Naël ! Silence ! Venez ! »
C'est Hadrien qui nous appelle.
Il doit encore avoir trouvé une porte. C'est lui le plus fort à ce jeu là.
Moi je n'y arrive jamais. Enfin si, mais les autres ne voient pas mes portes et elles finissent par disparaître.
Hadrien et Nathanaël se disputent pour savoir qui pourra lui donner un nom.
Mais moi je sais quel nom cette porte portera. Son aura est tellement ancienne, tellement chargée de souvenirs et de vie, elle s'appellera Lythos.
Et mes frères ne peuvent pas me résister, je le sais.
J'aimerais avoir un peu de temps pour tout remettre en ordre dans ma tête, mais le flot d'informations ne semble pas vouloir se tarir. Ce que je sais : je m'appelle... Silence ? Un surnom peut-être ? Et mes frères sont Hadrien et Nathanaël... Une autre vague de mémoire vient submerger mes pensées.
« Hadrien !!! » la voix de Naël est paniquée, il hurle à pleins poumons : « Hadrien, reviens, c'est plus drôle ! »
Moi je reste silencieux. C'est pour ça que Hadrien m'a donné ce surnom. Silence. Et pourtant je voudrais crier, chercher mon frère. Nathanaël est totalement hors de lui. Il court dans tous les sens, il cherche la porte dans laquelle notre grand frère vient de disparaître. Mais ça ne sert à rien, je le sais. Depuis la seconde à laquelle Hadrien est rentré dans cette porte, je l'ai senti. Un lien s'est brisé.
Est ce que... je viens de revoir mon frère disparaître sous mes yeux ? Il y a une grosse boule dans ma gorge, j'ai du mal à respirer. Des larmes ont envie de sortir, mais elles restent dans mes yeux, comme si elles avaient déjà été pleurées.
Naël et moi, on court vers la maison. À toute vitesse. Il faut qu'on trouve Papa, ou même maman. Ils ne sont que des Uns, mais ils pourront peut être nous aider ? Je suis plus rapide que Naël, bien qu'il soit plus vieux que moi. La porte de la maison n'est pas fermée à clé. Elle ne l'est jamais. Mais lorsque je rentre dans la maison, des larmes dégoulinant le long de mes joues, je ne ressens aucune présence.
C'est étrange, il y a toujours quelqu'un chez nous. Je sens une boule d'angoisse grossir au creux de mes reins. Naël arrive enfin. Il ne ressent pas les choses de la même façon que moi, mais il me voit trembler comme une feuille.
J'ai l'impression de revivre un cauchemar. Je dois sortir de ce lieu, et vite. C'est sûrement la cause de ces souvenirs trop forts pour être juste des simples relents du passé. Je me force à avancer, mais mes jambes se dérobent sous moi. Une nouvelle vague arrive. Cette fois je tente de résister, mais l'énergie me recouvre et la scène se poursuit.
J'élève alors la voix :
« Il y a quelque chose qui cloche »
Naël me lance un regard désespéré. Il sait que quelque chose se passe. Je ne me serais pas permis de lui voler sa voix sinon. Enfin, pas vraiment voler. Emprunter plutôt. Oui c'est ça, j'emprunte les voix des gens, je ne leur vole pas. Mais c'est mon seul moyen pour parler, alors je suis parfois obligé de m'en servir.
Wow ... je peux... emprunter la voix des gens ? Sinon je ne peux pas parler ? Ça paraît complètement fou, mais j'y crois. En fait c'est plus que ça. Je le sais. C'est vrai. Ces souvenirs me montrent mon monde, ma vie.
Maman et Papa ne sont plus là.
Ils ont disparu. Ils ne peuvent pourtant pas aller bien loin, ils ne peuvent ni voir ni traverser les portes... je me concentre pour essayer de sentir leur aura. Et d'un coup je sais où ils sont. Je sors en courant et je déboule sur la place du marché. Les larmes commencent à me monter aux yeux lorsque je constate l'évidence : c'est le grand jour. Et cette année, mes parents sont réquisitionnés pour entrer au service du roi. Forcément, ce ne sont que des Uns. Ils n'ont pu faire qu'un seul passage. Quand ils avaient dix ans, comme tout le monde, pour se rendre dans le monde tetragénique où se situe l'école des passeurs.
Et puis ensuite ils sont devenus des figés. L'accès aux portes leur est impossible, ils ne peuvent même pas les apercevoir. En tant qu'appartenant à la caste des Uns, ils peuvent à tout moment être réquisitionnés par le royaume, ou plutôt par le roi.
C'est tellement injuste.
Je ne comprends rien à ces souvenirs... et pourtant, ce sont mes pensées !
Je suis parvenu à ramper en dehors de la fissure, mais les souvenirs continuent d'affluer. Je pense que c'est dû à mon passage. Enfin, je crois que c'est comme ça que s'appelle l'événement qui m'a permit de vivre encore. Ça revient. Cette fois ci, je laisse l'énergie entrer librement dans mon esprit. Et lorsqu'elle arrive à mes souvenirs, elle les englobe doucement, sans les heurter.
Je me précipite, Nathanaël à mes côtés, vers mes parents mais avant même que nous ayons pu les atteindre, des gardes nous bloquent le passage avec leurs lances. Je bouscule un garde et lui emprunte sa voix pour crier aux autres soldats : « Laissez passer ces deux là, je les connais ! Ils vont juste s'assurer de la qualité de la marchandise ! »
Puis je lui rends sa voix. Il est abasourdi. En même temps, qui aurait pu se douter que j'avais ce pouvoir ? Je cours jusqu'à mes parents. Ils sont dans un sale état. L'aura d'habitude si bleue de maman est tachée de gris. Elle souffre, et je peux le ressentir au plus profond de moi. Alors je lui emprunte ses sentiments. Non, le mot exact est plutôt voler. Je lui vole sa tristesse et sa douleur. Ça fait un mal de chien, mais j'encaisse. Pour elle. Je fais la même chose à Papa. Et puis je laisse Naël faire la suite. Il touche les tempes de nos parents, et ces derniers ont un regard vide pendant un moment. Il est en train de leur montrer ce qui s'est passé.
Tout va beaucoup trop vite. Je n'arrive plus à réfléchir, je n'ai plus aucune énergie. Ma vue se trouble, et je perds connaissance.
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