CHAPITRE 7
Wesley
Vendredi quatorze juillet deux mille vingt-trois
[...]
Je ne sais plus où j'en suis dans cette vie. Elle qui m'avait promis monts et merveilles, qui m'avait montré qu'elle valait le coup d'être pleinement vécue, qui m'avait fait découvrir ce bonheur d'être en vie, d'exister, jubile désormais de la descente aux enfers que je subis ces derniers mois.
Suis-je trop faible pour me relever face à l'épreuve qu'elle me fait traverser ? Ou ne suis-je pas assez fort pour me battre ?
Je pense pouvoir me prétendre courageux d'endurer autant de souffrance quand bon nombres se seraient laisser couler à ma place. Pour être franc, c'est ce que je m'apprêtais à faire : me laisser mourir. [...]
Mais un soir, sur le pont de Westminster, alors que je rentrais chez moi après une journée merdique, comme elles l'étaient toutes depuis que ma vie a subitement pris un tournant misérable, j'ai fini par trouver un nouveau sens à ma vie. J'ai trouvé comment expier la faute commise, comment punir la vie de m'avoir ôté ce qui me rendait heureux dans ce bas monde.
Voilà ce qui me fait encore tenir sur mes jambes aujourd'hui, qui m'anime depuis ma chute. Cette envie insatiable de faire payer ce pour quoi j'en bave.
Tout ça à cause du putain de manque d'humanité de la part de chacun.
Je la déteste.
Cette vie.
[...]
La sonnerie de mon téléphone retentit pour me prévenir de l'arrivée d'un message – la énième fois depuis une heure. Pourtant je reste imperturbable, laissant mes états d'âme s'exprimer sur ces bouts de feuilles. Écrire dans ce carnet soulage un temps soit peu ma peine et, même si cela ne fait que retarder l'inévitable, cette méthode a l'air de me convenir pour le moment.
— Wesley ! Entendis-je crier depuis le rez-de-chaussée.
Il n'y a que la voix de Teresa pour résonner aussi fortement – je suppose qu'elle peut remercier ses deux petits frères et sœurs en bas âge pour ce timbre de voix si strident.
— Même la porte fermée, ta voix me parvient... Marmonné-je.
— Descends ton cul ici avant que je vienne le chercher moi-même !
Je me pince l'arête du nez puis me décide à bouger avant qu'elle n'exécute sérieusement ses menaces. Je range mon carnet à son endroit habituel, caché de la vue de tous afin que personne n'y fourre son nez, puis récupère mon portable pour lire tous les messages et certains appels manqués.
En arrivant ici au début du mois de juin, je n'aurais jamais pensé que les amis de Lucas puissent être aussi chaleureux et amicaux envers moi – il faut dire que j'ai eu besoin de temps pour m'acclimater et que j'étais très loin d'être commode. En même temps, je ne suis pas venu ici dans l'optique de me faire des amis – j'ai autre chose à penser pour ces vacances, un autre objectif à atteindre.
Néanmoins, je suis parvenu à m'ouvrir légèrement à force d'être constamment entouré de ces gens qui se comportent avec moi comme si nous étions des amis d'enfances. Une chaleur dont j'avais oublié l'existence ces derniers mois par mon manque de sociabilité, par la solitude que je m'inflige.
Et ce semblant de bonheur qu'ils m'apportent me fait sans cesse retomber dans mes travers.
Parce que je culpabilise affreusement de m'autoriser à ressentir ce bout de joie que j'avais juré bannir à jamais de ma vie.
J'échoue lamentablement en tout point depuis des mois, c'est pour quoi mon but pendant ces vacances est là pour pallier à toute la merde que j'ai accumulé jusqu'à présent.
Rien ni personne ne se mettra en travers de mon chemin, déterminé à accomplir ce pour quoi ma présence ici est requise.
À la fin de l'été, je serai un homme apaisé et heureux d'avoir rendu justice.
Je l'ai juré.
Je lis sans vraiment prêter attention aux messages de Teresa qui m'harcèle pour que je descende les aider à préparer les pizzas pour ce soir, mon attention étant interpellée par quelques messages d'Alice, la dame pour qui je travaille pour les prochains mois. Un mois à ses côtés vient de s'achever, et je regrette presque qu'il se soit écoulé aussi vite.
— Bonsoir Alice, tout va bien ? Je m'enquis de demander quand elle finit par décrocher.
— Ah, Wesley ! Tu aimes te faire désirer, à ce que je vois.
Elle a tenté de me joindre il y a un peu plus de deux heures ; je suis coupé de tout contact avec le monde extérieur quand je me perds dans mon carnet, trop absorbé à décrire mes journées ainsi que l'état d'esprit dans lequel je suis plongé.
— Je te taquine. Tu as ta vie de vacancier et d'aide à domicile à concilier en même temps, je sais bien.
Elle est tellement compréhensive et adorable, je n'aurais pas pu tomber sur une meilleure grand-mère.
— Et tu dois certainement être occupé ce soir à célébrer ce jour de fête nationale. Ajoute-t-elle.
— Oui mais je dois répondre présent quand tu en as besoin. Puis, c'est pas comme si on habitait à côté.
Un avantage très agréable.
— Je ne voulais pas t'embêter, cependant mes petites-filles sont au cinéma et je n'ai personne pour m'aider à préparer le repas.
Alice n'a pas besoin d'en rajouter davantage que je la coupe :
— Je suis là dans dix minutes.
Mains dans les poches, je descends les escaliers à la vitesse d'un escargot, l'envie d'une sieste ayant subitement fait son apparition. Je me dirige vers Lucas et ses amis pour les observer préparer la pâte à pizza dans la cuisine qui est ouverte sur le salon où je me trouve.
— Ça te dérangerait de nous donner un coup de main ? Se plaint mon cousin.
— Je suis occupé.
Des rires sarcastiques résonnent et leurs pairs d'yeux posés sur moi me montrent leur agacement à cause de mon ton dédaigneux.
— Celui qui ne travaille pas la pâte n'a pas le droit d'en manger. Dit fièrement Lennie.
— Ça tombe bien, je ne suis pas là ce soir.
Je m'approche de l'îlot central afin de les rejoindre. J'y pose mes avant-bras puis regarde à tour de rôle chaque pâte qu'ils pétrissent.
— Heureusement, j'ai bien envie d'ajouter. Me corrigé-je.
Teresa me lance de la farine qui traîne sur la table en pleine gueule, que j'esquive sans problème.
— Raté.
— T'es au courant que tu n'as rien pour plaire ? S'agace-t-elle.
— Ça vous fait au moins une chose en commun. Remarque Alex.
Le regard meurtrier qu'elle lui lance suffit à lui dessiner un sourire espiègle au coin de la bouche.
— Je n'ai ni l'envie ni l'énergie de gâcher mon temps précieux pour un homme aussi futile que toi.
— En général, c'est ce que disent les filles qui finissent par tomber amoureuse.
Teresa roule des yeux et je jure voir un rictus au moment où elle se retourne pour récupérer les ingrédients à mettre dans les pizzas.
— Qu'est-ce que tu vas faire ? S'intéresse Bastian.
— Alice a besoin de moi pour le dîner.
— Tu vas chez Alice ?
Je fais un signe de tête à Teresa pour approuver puis elle me tend aussitôt un téléphone sorti de son short en jean.
— Cette imbécile l'a oublié en partant tout à l'heure.
Quand je le récupère, mes yeux s'attardent un instant sur l'écran de verrouillage qui s'est allumé. Elle est sur une moto et une femme à ses côtés est également installée sur une autre moto, tout sourire. Je n'ai pas le temps de détailler davantage l'image que je le range déjà dans mes poches.
— Vous pouviez pas le faire ? Je rétorque.
— Je l'ai remarqué il y a à peine une demi-heure et nous sommes occupés à cuisiner.
— Elle est quand même forte car ça signifie qu'elle n'a même pas remarqué l'absence de son portable. Constate Bastian.
— Le jour où Marylin aura toute sa tête c'est là qu'il faudra s'inquiéter. Riposte Lennie.
Je m'installe sur le canapé, après être allé chercher mes chaussures, pour les enfiler confortablement. Je tends l'oreille afin de ne manquer aucune info de leur conversation à l'autre bout de la pièce.
— Au fait, ça donne quoi avec Marylin ? Le bébé c'est pour bientôt ?
Face au silence qui s'en suit, je devine aisément les regards désespérés qu'ils doivent s'échanger à la suite des propos débiles tenus par le brillant Bastian. Le silence ne tarde pas à être brisé par mon cousin qui s'éclaircit la gorge :
— Je voulais lui parler à la fête mais je ne l'ai pas vue, et depuis plus de nouvelles.
— Elle était avec moi ce matin pour mon entraînement de boxe.
— Mais elle n'était pas à la fête ? Personne ne l'a vue ? Questionne Alex.
Je me relève puis contemple un instant ma paire de chaussures avant d'apporter ma version des faits.
— Je l'ai vue.
Je fais durer le suspens un moment et, quand je me tourne dans leur direction, un large sourire éblouit mon visage.
— Elle est à peine restée cinq minutes qu'elle repartait déjà, le visage inondé de larmes.
— Hein, quoi ? Pourquoi ? S'enquit Teresa.
— Qu'est-ce que j'en sais ?
Et surtout qu'est-ce que j'en ai à foutre ?
— C'est votre pote, pas la mienne.
— Je confirme, il n'a rien pour plaire. Glisse Lennie sans me lancer un regard.
Je m'attarde un moment sur sa personne, le souvenir de notre première rencontre surgissant dans mes pensées à la suite de sa réflexion.
Lucas savait pertinemment que je ne venais pas passer des vacances dans sa ville natale pour me faire des amis ; et, de toute évidence, encore moins une petite amie. Ça n'a pas empêché la plus jeune du groupe, Lennie, de tenter sa chance. J'ai répondu que j'étais gay, n'ayant ni la force ni la patience d'entendre une énième fille prononcer « j'attendrai que tu m'aimes en retour aussi longtemps qu'il le faudra ». J'ai choisi la facilité, ce qui a fortement déçu et mis en colère mon cousin ainsi qu'Alex à cause du chagrin que j'ai provoqué chez Lennie.
Je crois que c'est pire que de dire que tu n'es pas intéressé, a craché Lucas. Au moins, le message a eu l'effet escompté, et c'est tout ce que je souhaitais. Même si je note qu'elle n'a pas l'air d'avoir tout à fait digéré la pilule compte tenu de ses commentaires à deux balles.
— Attends, je viens avec toi.
— Moi aussi.
Teresa et Lucas commencent à se débarrasser de leur tablier – très douteux au passage – mais je les arrête dans leur démarche.
— Inutile. Il y a juste Alice chez elle, j'y vais simplement pour la cuisine.
J'observe l'heure m'indiquer le retard que je suis en train de prendre alors je ne m'attarde pas davantage puis quitte les lieux sur ces mots :
— Quand je lui rendrai son portable, vous pourrez faire part de votre inquiétude. Levé-je le téléphone en l'air.
— N'oublie pas qu'on doit aller voir le feu d'artifice à vingt-deux heures trente ! Ne sois pas en retard !
Je passe le seuil de la porte, m'abandonnant aux sombres pensées qui ne cessent de me tourmenter. Je crois que je ne me souviens même plus de ce que ça fait que d'avoir la tête comblée de positif, de joie, de souvenirs heureux qui s'y entassent. Ça fait bien longtemps maintenant que mon cerveau n'a plus connu un tel répit.
Au commencement de ma descente aux enfers, j'évitais de me retrouver seul, par peur d'être incapable de me raisonner au moment de faire une connerie. Puis j'ai découvert des pensées insoupçonnées, une partie de moi-même que je ne connaissais pas. C'était le seul moment où je n'avais pas honte de penser aussi irraisonnablement, de concentrer toute ma souffrance sur une intention malsaine, d'apprécier le fait d'être encore vivant pour punir ce monde de mes tourments.
— Wes !
Je fais volte-face en plein milieu du trottoir pour observer Lucas accourir jusqu'à ma hauteur. J'observe ses traits de visage un instant et je lâche un long soupir, me préparant déjà à ses questions qui me gavent à la longue.
Je n'aime pas étaler mes problèmes, et encore moins me plaindre à ce propos afin de récolter la compassion des autres. Je vis les choses dans mon coin jusqu'à ce qu'elles s'améliorent, quitte à y laisser un bout de mon âme.
Personne, ici, ne sait ce que je traverse et encore moins ce qui m'amène. Que les gens me portent constamment leur pitié ou qu'ils me traitent différemment à cause de ce que je vis est une sensation détestable ; je ne veux pas être au centre de l'attention et encore moins le sujet de leurs ragots.
Pourtant, mon cousin n'a cessé depuis ce début de vacances d'être sur mes côtes. Et je commence à saturer d'une telle immiscion de sa part.
— Tu es resté enfermé toute la journée dans ta chambre. Finit-il par lâcher. Je ne t'ai jamais connu comme ça et ça me déplaît de constater que la joie de vivre qui t'animait se soit éteinte aussi subitement.
Quand on est enfants, nous n'avons pas conscience de toute la merde que la vie apporte dans notre quotidien. Maintenant que je ne vois plus le monde par ces yeux innocents, je le constate.
— Pourquoi tu ne veux pas me parler de ce que tu vis ? Tu sais que vider ton sac te soulagerait, Wesley.
— Tu ne peux pas te contenter d'un « je vais bien » comme tous les autres ? Pourquoi tu te sens obligé de te soucier de moi alors que je n'ai pas besoin de ton aide ou celui de qui que ce soit d'autre ? Réagis-je sur la défensive.
— Parce que ce sont les personnes qui assurent ne pas en avoir besoin qui crient silencieusement « à l'aide ».
N'étant pas d'humeur pour cette énième conversation quant à mon état mental, je décide de lui tourner le dos pour reprendre mon chemin.
— Si tu ne veux pas t'ouvrir à moi, ouvre-toi au moins à quelqu'un d'autre. Ça ne peut que t'être bénéfique, Wes. Pour toi, comme pour ton entourage.
Je le plante sans lui adresser un regard ou une parole de plus, préférant fuir que d'affronter réellement la dure réalité qui me frappe chaque instant de ma maudite existence.
J'ai demandé à mes parents de garder le secret car je ne me sentais pas prêt à recevoir la pitié des autres, que je voulais passer un été sans que les yeux d'inconnus avec qui je partage une maison me scrutent d'un air triste et que je puisse profiter de l'été « sans y penser ». Et que je le dirai si je me sens prêt, si le moment se présente. Ils y ont cru.
Alors que la réelle raison de ce choix d'abstinence est bien toute autre : je ne pourrais plus mener ma vie ici à ma guise et je ne pourrais plus exécuter ma vengeance comme je l'entends si Lucas venait à découvrir la raison de ma venue.
Et, ça, c'est inenvisageable.
*
Qu'est-ce qu'il y a de meilleur que des lasagnes faites maison ? Je viens à peine de les sortir du four que la pièce en est embaumée. Alice me félicite à l'instant où ses yeux se posent sur le plat très réussi que je viens de poser sur la table.
— Mes petites-filles vont être ravies.
Je me débarrasse des gants de cuisine qui m'ont protégé de la chaleur du plat puis remarque l'heure tardive sur l'écran de mon portable.
— Si tu n'as plus besoin d'aide, je vais rentrer.
— Tu ne veux pas dîner avec nous ? Fait-elle la moue. Le plat est pour quatre, même si Marylin a tendance à manger pour trois...
Ce que j'apprécie, chez cette grand-mère, c'est la manière dont son visage s'illumine en évoquant ses petites-filles. Elle a toujours quelque chose à dire sur elles, et toujours à leur propos – j'en viens même à me dire qu'à ce rythme là, je les connaîtrai par cœur sans jamais avoir passé de temps avec.
Alors que je m'apprête à refuser par politesse, et parce que les autres risquent de s'impatienter, nous entendons la porte d'entrée s'ouvrir brusquement sur deux voix qui s'écrient l'une plus forte que l'autre.
— Je suis tellement remontée que mes paupières s'en hallucinent encore !
— Arrête de brailler grognasse, tu vas réveiller tout le quartier.
Amusé, je croise les bras et me concentre sur leur conversation de l'autre côté du mur afin de ne rater aucun moment de cette scène hilarante.
— N'y prête pas attention. Reprend finalement Alice alors que j'écoute toujours Marylin déverser sa rage. Ces deux-là n'arrêtent pas de se crêper le chignon, malgré mes menaces. On s'y habitue avec le temps.
Alice s'installe sur une des chaises présentes autour de la table tandis que les voix se rapprochent de nous.
— Quelle grosse conne j'ai été tout ce temps !
Je retiens un rire en constatant le visage exaspéré de leur grand-mère.
— Cet enflure vient de donner un tournant dramatique à mes vacances, putain !
Les filles font enfin leur apparition dans la cuisine et il ne faut pas plus d'une demi-seconde à Marylin pour m'apercevoir et, ainsi, l'enrager plus qu'elle ne l'est déjà. Un régal.
— Et qu'est-ce qu'il fout là celui-là ? Putain mais c'est quoi cette journée de merde ?
— Ça y est, tu as fini d'être vulgaire ? S'impatiente Alice. Ou tu as besoin que je rééduque ta langue ?
— Je suppose qu'on peut laisser Wesley s'en charger. Rétorque mielleusement Lara.
Lara s'apprête à poursuivre sa phrase, certainement pour expliquer la raison du comportement grotesque de sa grande sœur, cependant cette dernière l'en empêche aussitôt en plaquant sa main sur sa bouche.
— C'est bon, mamie. Je me suis assez défoulée. Se persuade-t-elle. Je vais bien, même très bien. Je pète la forme !
Un court silence s'installe dans la pièce, contrastant drôlement avec la bruyante personne que se trouve être Marylin. Lara en profite pour s'échapper de l'emprise de sa sœur puis se laisse tomber sur une chaise, fatiguée, sa nuque prenant appuie sur le dos de cette dernière.
— Vous êtes rentrées bien tard du cinéma.
— On a fait un détour chez Lucas. Lâche Lara, les yeux plantés en direction du plafond.
— Pourquoi ?
Depuis son entrée dans la cuisine, Marylin me fixe d'un air mauvais, bras croisés, et si son regard pouvait tuer je serais déjà six pieds sous terre.
— Pour récupérer mon portable mais il paraît qu'un idiot me l'a volé.
Je ricane, amusé.
— C'est comme ça que tu me remercies de te l'apporter ?
J'ai à peine le temps de le sortir de mes poches et de le lever qu'elle me l'arrache déjà.
— D'abord, qui oublie son portable ? Ils sont greffés à nos mains.
— Être unique n'est pas une chose que tu connaîtras Lara.
Un dernier regard niais en direction de sa sœur et Marylin me bouscule pour sortir de la pièce d'un pas pressé.
— Avec elles, je ne suis pas sûre d'être capable de vivre jusqu'à leur retour en France.
— Mamie, déconne pas sur ça ! Sinon, maintenant que l'ambiance est plus calme depuis que la grognasse a quitté les lieux, on peut savourer ce succulent plat de lasagnes qui me fait de l'œil depuis que j'ai reniflé son odeur à l'entrée ? Si on tarde trop, je risque de rater le feu d'artifice.
— Tu attends ta sœur. Wesley, peux-tu aller la chercher ?
La porte d'entrée grande ouverte, je déduis aisément sa position ; je la referme légèrement derrière moi afin de discuter sans être écouté. Appuyé contre l'encadrement de la porte, bras croisés, je la fixe faire les cent pas, téléphone appuyé contre sa poitrine. Ses murmures ne sont entendus que par sa personne et, n'ayant pas toute la soirée, je m'exprime afin qu'elle remarque ma présence.
— Eh bien, on est tombé de son petit nuage ? Me moqué-je.
Compte tenu de son comportement et de ses paroles plutôt explicites, la visite chez Lucas n'a pas dû se dérouler de la même manière qu'un conte de fée. Mon petit doigt me dit qu'il ne s'agit pas de sa première déception, et certainement pas de la dernière.
Son visage expressif me permet de prendre un malin plaisir à me jouer de ses sentiments, une vraie satisfaction que je prends le temps de savourer.
— Si tu veux mon avis...
— Le mien me suffit.
Je sens mes lèvres s'étirer d'elles-mêmes, comme toujours dès que sa répartie fait écho à la mienne.
— Ça t'amuse, hein ? Rage-t-elle.
— Pas vraiment. Si tu fais le boulot à ma place, je n'en tire aucun plaisir.
Si elle ne faisait pas partie de cette communauté de merde que sont les motards, nos destins auraient peut-être été différents. Peut-être. Parce que c'est bien connu, avec les si on referait le monde.
— Dommage pour toi, c'est fait ; je vis déjà le pire été de ma vie rien que par ta présence ou celle d'un quelconque autre homme.
Je ricane à cause de ses propos étonnement divertissants.
— Ne te repose pas sur tes lauriers dans ce cas, car ça ne fait que commencer, trésor.
Elle ne se doute pas à quel point ce surnom lui va à ravir.
— Ne te méprends pas dans ce cas, car je ne compte pas laisser un homme commencer quoi que ce soit à mon égard.
— Pourtant Lucas est bien un homme, non ?
Marylin perd finalement toute son assurance et je suis surpris de constater ses yeux devenir humides. Plusieurs secondes s'écoulent avant qu'elle ne me livre une réponse :
— Si tu savais ce que ça fait d'être amoureux, tu ne te permettrais pas d'être aussi minable.
Un silence s'installe, laissant la discussion prendre un ton bien différent d'il y a à peine quelques secondes.
— J'ai juste eu la fâcheuse idée de croire, qu'avec lui, ça serait différent.
La haine que me renvoie son regard en dit long sur les pensées qui la traversent à l'instant.
— La vie est incertaine, elle nous donne et reprend sans prévenir. Si nous savions que certaines choses, certaines relations, certaines personnes n'étaient qu'éphémères, nous ne savourions pas le temps passé avec autant d'exaltation, ou peut-être empêcherions-nous même ces nouveautés d'arriver par peur de la souffrance qui nous est réservée à la fin. Nous passerions à côté de magnifiques moments et sentiments qu'elles nous procureraient, par pur égoïsme. La vie est une garce, oui, mais une belle garce.
Ses paroles résonnent en moi, c'est pour quoi je me retrouve incapable de lui répondre.
— Alors est-ce qu'on peut vraiment me blâmer de m'être laissée attendrir par ce que je croyais être le grand amour ?
Je soutiens son triste regard tandis que le mien reste neutre, ne souhaitant pas qu'elle sache à quel point ses propos m'ont troublé à cause de leur véracité.
Je me reprends après de longues secondes perdu dans mes pensées, n'appréciant pas ce moment de silence.
— Un rejet est toujours désagréable à digérer. Avoué-je. Mais sois plus digne que les autres filles qui sont passées avant toi, et qui passeront après toi : n'en redemande pas un deuxième.
Je lui tourne le dos pour entrer à l'intérieur de la maison, pressé de mettre un terme à cette conversation inutile.
Cependant, alors que je m'apprête à franchir le seuil de la porte, Marylin s'exclame :
— Eh, l'abruti, attends.
Malgré sa qualification de ma personne plutôt rabaissante, je lui accorde toute mon attention.
— J'ai quelque chose à te proposer.
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