Ce soir là, ma mère et moi avions refait le monde, jusqu'à ce que la robe tiède de la nuit eut recouvert le quartier. C'est quand les phares jaunâtres de la Ford Mustang défranchie de mon père apparurent dans l'allée, que nous nous décidâmes à rentrer.
Les deux jours suivants passèrent à une vitesse folle, plus qu'il ne l'aurait fallu.
Vint ainsi la veille du grand départ.
Ma valise, longuement préparée, était close et prête dans l'entrée.
Le soir tombé, ma mère et moi, liste en main, avions fait le point pour ne rien oublier. Les documents essentiels à mon voyage étaient soigneusement rangés dans mon sac à dos en jean, et ma valise, pleine à craquer, contenaient assez de vêtements pour que je ne puisse pas mourir d'hypothermie.
Les vols pour l'Alaska étaient si peu nombreux, que nous avions dû en réserver un plus d'une semaine avant la rentrée. Ce n'était pas si mal, j'allais ainsi avoir le temps de prendre mes marques sur le campus, m'habituer au lieu où je passerais mes deux prochaines années.
Le vol était à six heures du matin, et nous devions y être plus d'une heure avant le décollage. La nuit promettait d'être courte. Nous étions parvenus à trouver un vol au départ de l'Aéroport de Midland, à une vingtaine de minutes en voiture. Il y aurait deux escales, une à Dallas, puis Seattle, pour un total de treize longues heures de vol.
Bien que le réveil allait être matinal, nous fîmes durer la soirée, profitant de ces derniers instants ensemble. Mon père rentra plus tôt, nous pûmes manger réunis, et nous passâmes un moment à discuter sur la terrasse.
L'heure arriva de se souhaiter bonne nuit, et mes parents partirent se coucher.
Quant à moi, j'avais décidé, malgré l'heure tardive, de faire un dernier tour de mon quartier.
Je parcourais les rues vides, sur l'asphalte encore tiède. Je regardais ces maisons identiques, ces jardins desséchés, ces trottoirs sur lesquels j'avais tant pédalé. Je revenais dans ces coins, ces points de rendez-vous de notre bande d'amis, à l'abris du monde. Cette planque derrière la maison des Thompson, là où nous avions pris notre première cuite en douce. Ce skate-park ridiculement petit et délabré, qui était impraticable l'été car en plein soleil. Ce banc près du jardin de Matthew, où nos conversations nocturnes avaient duré des heures. Et je réalisais alors que tous ces moments passés dans ces endroits appartenaient désormais au passé. C'était comme regarder des photographies vieillissantes après plusieurs années. Je partais pour deux ans, et même si j'allais revenir, tout serait différent. Tout aura changé, rien ne sera plus jamais comme avant. Parce qu'en deux ans, j'allais forcément changer, moi aussi.
Un puissant sentiment de nostalgie vint m'envahir, et ne semblait pas vouloir me quitter lorsque je rebroussa chemin.
Je dormis peu, cette nuit là, imaginant mille scénarios sur ce qui m'attendait là-bas, si loin de chez moi. Je finis par tomber de sommeil aux alentours de deux heures du matin.
Lorsque la sonnerie métallique de mon réveil à cloches retentit, il me sembla que seul quelques minutes s'étaient écoulées. Il faisait encore nuit noire, et la lune, minuscule et lointaine, était parfaitement visible par ma fenêtre grande ouverte. Une brise tiède s'engouffra dans la chambre, tandis que je me levais, nu comme un ver. Du mouvement de l'autre côté du couloir m'indiqua que mes parents aussi avaient dû se lever.
Chancelant, je me rendis dans la salle de bain, où je pris une douche à la hâte, puis m'habilla en vitesse. J'avais opté pour des vêtements confortables, un Jean brut clair et taille haute, un tee-shirt blanc des plus basique, et un gros et grand pull de laine vert sapin que je ne n'allais évidement pas porter avant d'être dans l'avion. Mes boucles claires restèrent indomptables, alors j'abandonna l'idée de tenter de me coiffer.
Quand je descendis dans la cuisine, mes parents étaient tous deux prêts et en train de prendre leur petit déjeuner. Ma mère affichait ce faux sourire, tentant de masquer son évidente tristesse qui me fit mal au cœur. Quand à mon père, fier et pudique, il se montra comme à son habitude, grognon de bon matin.
Ma mère me détaillait, tandis que je me servais mon café.
- Troye, manges un peu veux-tu ? Me dit-elle, en me servant un bol de céréales colorées.
- Je n'ai pas très faim, je mangerais dans l'avion.
Elle fit une mine contrariée, et je finis par me forcer à en avaler quelques cuillères. Mon père en profita pour se moquer gentiment de ma corpulence fine, remettant en question mes capacités à survivre en Alaska avec si peu de réserves. Cela avait détendu l'atmosphère, et nous rimes en discutant de choses et d'autres jusqu'à ce qu'il fut temps de partir.
J'avais inutilement fait un dernier tour dans ma chambre, pour être sûr de ne rien oublier. Ou peut-être voulais-je seulement regarder une dernière fois la pièce dans laquelle j'avais grandi. Je jetais un dernier regard sur ce lieu qui contenait tous mes souvenirs. Il y avait ces posters de Rock défraîchis, punaisés aléatoirement ça et là pour masquer l'horrible tapisserie à motifs, un bureau pour la première fois rangé, cette fenêtre de toit qui depuis longtemps ne s'ouvrait plus, ces petits mots et photos scotchées au dessus de la tête de lit. Je regardais ce tapis un peu miteux sur lequel j'avais fait mes devoirs durant toutes ces années, et ce lit où j'avais embrassé Matthew, le jour où j'avais compris que ce n'était pas les filles qui m'attiraient. Ce même lit où il m'avait brutalement repoussé, dégoutté par ce que j'avais fait, et sur lequel j'avais ensuite pleuré durant des heures entières. Cet endroit ne renfermait pas que de bons souvenirs, mais c'était les miens. Ma jeunesse. Comme si en quittant cette ville, je lui disais adieu.
Une nouvelle vie, un nouveau départ, quel que soit le mot que j'y attribuais, cela restait terrifiant.
Nous partîmes un peu en avance, et les routes étaient si vides de monde, que nous fûmes bien vite arrivés.
La dernière image que je vis avant de rejoindre mon terminal, était ma mère en larme, tenue solidement par mon père au visage fermé. Cette séparation avait été digne des plus grands films américains, pleine d'émotion et parfois presque théâtrale.
Le cœur serré, j'attendis longuement l'annonce du départ, jusqu'à ce qu'il vint. Quelques instants plus tard, j'étais confortablement installé contre un hublot, avec comme compagnie deux sièges vides.
Direction l'Alaska. Un long voyage, plus que tous ceux que j'avais pu faire par le passé.
Destination qui m'effrayait et, d'une façon que je ne m'expliquais pas, était vraisemblablement excitante.
~
Au fond,
la tête dans les nuages,
j'imaginais une vie meilleure.
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