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Midland, Texas.

Ce fut l'été le plus chaud que nous avions eu depuis de nombreuse années. La canicule s'abattait sur une grande partie du pays, plongeant les habitants dans un climat difficilement supportable. L'air était de plomb, suffocant, et le soleil frappait si fort les tuiles des maisons qu'il était impossible de se rafraîchir à l'intérieur. Toutes les fenêtres étaient grandes ouvertes de jour comme de nuit, et tous les foyers étaient équipés de ventilateurs grinçants devenus indispensables. Les citoyens, rendus somnolents par la lourdeur ambiante, minimisaient tout mouvement, car même le plus infime faisait suer à grosses gouttes. Les voitures immobiles dans l'allée prenaient la poussière, échappant aux jets d'eau dont l'usage avait été interdit en cette période sèche. Les maisons, toutes identiques, ne laissaient voir de leur jardin qu'étendues jaunâtres d'herbe brûlée.

C'était ça, l'été au Texas. Mais ce fut l'un des pires, et même la jeunesse en pâtissait.

Cette léthargie générale ne m'avait pas épargné.

Allongé les bras en croix sur le carrelage tiède près de la baie vitrée, dans l'espoir d'attirer une brise inexistante, j'observais le plafond d'un œil vide.

- Troye ! Viens m'aider s'il te plaît !

Je me relevais en geignant, et montais les marches une à une en traînant les pieds.

Je retrouvais ma mère dans ma chambre désordonnée, qui s'affairait à remplir une grande valise largement ouverte sur mon lit.

- Oh, mais où ai-je bien pu mettre ce pull, bon sang... Marmonna-t-elle.

Face à ma grande penderie, elle se releva, les poings sur les hanches, et se tourna vers moi.

- Enfin ! C'est tout de même incroyable que je doive m'occuper de ta valise à ta place !

Elle me lança un regard mi-accusateur, mi-anxieux, puis se remis à fouiller.

- Maman, j'ai encore deux jours pour la faire, je vais m'en occuper, ok ?

Je m'approchais puis lui pris des mains les chaussettes dépareillées qu'elle avait entrepris de trier. Elle me regarda, les yeux larmoyants, puis me pris soudainement dans ses bras.

- Je n'arrive pas à réaliser que tu pars si loin, si longtemps... Sanglota-t-elle contre mon épaule.

- Maman... Je reviens pour Noël tu sais ? Et puis, ce n'est que pour deux ans.

Je me détachais, et la regardais avec tristesse. Elle me ressemblait beaucoup. Elle avait les mêmes yeux d'un bleu azur en amende, et la peau texane, halée et constellée de tâches de rousseur qui ressortaient davantage une fois exposées au soleil. Ses cheveux fins et ondulés, châtains et mi-longs, se confondaient avec le tanné de son visage finement dessiné. Elle avait ce petit nez harmonieux dont j'avais hérité, et ce sourire éclatant, communicatif, qui avait le pouvoir de réchauffer n'importe quel coeur.

Depuis plusieurs semaines, ou plutôt, depuis que nous avions su quelle université j'allais intégrer, elle était devenu fébrile, et à la manière d'une sangsue, ne me quittait plus d'une semelle.

Tous mes amis étaient partis pour l'été, fuyant la chaleur insupportable de ce mois d'août à Midland City. Nous avions été éparpillés, à mon grand malheur, dans diverses universités radicalement opposées. Les adieux, bien que provisoires, avaient été déchirants.
Ainsi seul, privé de nos sorties régulières, je n'avais d'autre choix que de préparer assidûment mon départ vers une nouvelle vie, à quatre milles kilomètres de ma ville natale.

L'après-midi touchait à sa fin, et nous descendîmes en cuisine pour préparer le repas.

- Papa sera là pour le dîner ? Demandais-je sans grand espoir.

- Non mon chéri, il finit tard ce soir.

Je soupirais, me sentant stupide de poser encore cette question dont la réponse était pratiquement toujours la même.

- Oh.. Je sais ce que tu penses. Me lança-t-elle. Mais tu sais, ton père travaille très dur pour que nous ne soyons pas dans le besoin. Ne sois pas si dur envers lui. Me dit-elle avec un faible sourire.

Ma mère ne travaillait pas, hormis quelques petits boulots de ménage par ci par là. Fière d'être mère au foyer, elle avait durement élevé trois garçons. L'un d'eux travaillait dans un bureau d'étude à l'autre bout du pays, le second venait de partir à l'armée pour son service militaire. Et moi, le dernier de la fratrie, qui allait également quitter la maison. Cela me rendait triste, l'imaginant seule dans cet endroit censé accueillir cinq personnes.

Nous continuâmes à préparer le repas, puis mangeâmes en tête à tête.

- As-tu essayé les pull-overs que je t'ai acheté ? Me demanda-t-elle alors que nous débarrassions la table.

- Oui maman, merci. Ils sont très bien.

Nous n'avions pas de télévision, c'était beaucoup trop cher à l'époque. Alors , munis d'un jeu de cartes, nous nous installâmes autour de la table de jardin en formica, à l'ombre de la maison. 

Il n'y avait pas de vent, et le couché du soleil n'enlevait que peu de degré à la température affolante.

- Maman ?

- Mmh ? Répondit-elle, analysant son jeu de carte les sourcils froncés.

- Ne t'inquiète pas pour moi, d'accord ? Ça ne m'enchante pas de partir non plus... Mais ce n'est que temporaire, et je m'en sortirais très bien, je t'assure. Et puis, c'est pas le bout du monde non plus ! Je reviendrais pour les fêtes, et puis..

Ma gorge s'était serrée malgré moi, et ne me permit pas de terminer ma phrase. 

Elle pinça les lèvres en un sourire douloureux, puis pris ma main dans la sienne.

- Je suis désolée que tu sois contraint de partir si loin. Les études sont si chères de nos jours... Je sais que tu es tenace, indépendant, responsable. Simplement.. Tu vas me manquer mon chéri.

Elle sécha ses larmes en tapotant du bout des doigts, puis nous partîmes sur des sujets plus légers que mon imminent départ. 

Oui, je partais pour un endroit que je ne connaissais pas, et où personne ne me connaissait. Sûrement bien loin du mode de vie et du climat Texan.

Et comme pour quiconque débuterait une nouvelle vie, ce départ, et ce que j'allais découvrir, m'angoissait.

Je savais ce que je quittais, je ne savais pas ce que j'allais trouver. 

Ça ne me ressemblait aucunement, et je ne voulais surtout pas le montrer.

Mais en réalité, j'étais terrifié.

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