2 ~ Calamity Jane

Kala

Enfin vendredi soir.

Je finis de ranger mon bureau en prenant soin de ne pas laisser trop de bazar pour Célia.

Exceptionnellement le père de Michael m’a laissé mon week-end ce qui a beaucoup fait rire son fils.

« - Tu dois plaire à mon père –Ricane-t-il-

-Pourquoi ?

- Ca fait un an que Célia bataille pour avoir ses week-ends et jours fériés, mais mon père refuse toujours. Il dit qu’elle ne bosse pas suffisamment bien pour pouvoir se permettre de demander ça.

- Donc je bosse bien ? –Dis-je en esquissant un sourire-

-C’est ce que je pense oui.

-Bon je vais aller voir la chienne de la Junkie –Dis-je en prenant la direction du chenil-

-Pas la peine tu vas encore te mettre en retard.

-Au pire Michael, il n’y a personne qui ne m’attende.

-Et ton petit inconnu du tram hein ? –Je me retourne et essaye de cacher mon teint rougeâtre qui rivalise avec mes cheveux-

-Je te demande pardon ?

-Ca fait un petit moment que tu ne m’en as pas parlé –Dit-il avec un sourire narquois-

-Que veux-tu que je te dise ?

-Je sais pas, tu pourrais discuter un peu avec lui.

-Jamais de la vie ! –Dis-je en retirant ma blouse d’un geste nerveux- Il m’énerve à sourire tout le temps, je préfère rester seule, je n’aime pas la compagnie des gens de toute façon.

-Tu sais que je suis vexé ?

-Toi tu es la seule exception Michael, t’es la seule personne avec qui je m’entende.

-Et il serait temps que tu découvres d’autres personnes.

-Non. »

        Il lève les yeux au ciel et je pars dans l’annexe du cabinet vétérinaire où se trouve le chenil. Je déteste la compagnie des êtres humains, au contraire je préfère me retrouver entourée par les animaux. Depuis que je suis petite c’est ainsi, je n’ai jamais beaucoup parlé avec les autres, mais avec les animaux c’était différent  Eux au moins ils sont fidèles et là quand on a besoin d’eux, il ne juge pas, ils sont simplement affectueux d’un réconfort absolu.

         Je m’approche de la chienne de la junkie qui grogne à ma vue avant de finalement se détendre. Je ne suis pas là pour lui faire du mal. Je passe ma main au niveau de son museau et la laisse renifler pour s’habituer à mon odeur.

« - C’est mieux que ta maitresse hein ma belle ? –Dis-je tout bas alors qu’elle me laisse lui frotter le haut du crane- tu as l’air d’aller beaucoup mieux, c’est dommage que tu aies à retourner auprès de quelqu’un comme cette femme, tu mériterais qu’on prenne soin de toi. »

        Je soupire tristement et lui prépare une gamelle de croquettes que Michael a préparées spécialement. Chaque animal ici à son traitement et il est important qu’il soit respecté. C’est d’ailleurs ce que Mr Clifford reproche à Célia, à plusieurs reprises cette dernière s’est trompée dans les traitements. Ce n’était rien de grave mais Mme Clifford et lui ont dû se dépêcher de refaire les traitements pour le soir, avec une note qui m’était dédiée. Je connais chaque animal ici et jamais je ne me suis trompée, alors que je ne suis là que depuis quelques mois.

« - Kala tu vas louper ton tram ! –Me dit Michael en ouvrant la porte, tenant mes affaires à la main-

-J’arrive ! –Je range le sachet de croquettes de la chienne et vais me laver les mains avant de prendre mon sac- Merci c’est gentil.

- Profite bien de ton week-end.

- Tu es jaloux ?

- A peine –Il rit et me pousse doucement à l’extérieur avant de se pencher pour embrasser mon front- A lundi, tu m’envoies un message quand tu es rentrée ?

- Ouais ouais !

- J’insiste !

- Comme à chaque fois Gordon»

Il essaye de me mettre un coup de pieds aux fesses mais je l’esquive et me sauve pour aller attendre le tram, un sourire aux lèvres. Michael est vraiment le seul ami que j’ai.

Et que j’apprécie réellement.

        Il fait de plus en plus froid et je ne suis pas assez couverte, le bon plan pour tomber malade. Ainsi lorsque le tram se pointe enfin, je me rue à l’intérieur et me colle au chauffage à côté d'un siège, soupirant de bien-être. Je reste dans cette position si bien que j’ai le dos tourné à la porte de montée du tram et que je ne vois pas qui entre à l’arrêt suivant. Je m’en moque de toute façon. Sauf que quelque chose me fait froncer les sourcils. Quelqu’un vient de s’asseoir à côté de moi, je le sais car j’entends une respiration irrégulière tout proche de mon oreille. Je me crispe et un frisson de dégout me parcourt. Pourquoi se mettre là alors que tous les autres sièges sont libres ? J’ai horreur de ça et m’apprête à le faire savoir à l’inconnu lorsque je me tourne vers lui., ou plutôt vers ses cheveux bouclés en désordre.

Mon cœur déraille un instant à la vue du garçon que jusque-là j'avais vu tous les soirs dans le dernier tram. Il reprend son souffle et je ne peux m’empêcher d’ouvrir grand mes yeux. Pour quelle obscure raison a-t’il besoin de se mettre là précisément celui-là ?

« - Salut ! »

Alors là c’est le pompon

.

 *

Ashton

        Enfin le week-end ! Je sors à grands pas du bâtiment après avoir salué Moyra et remarque que le tram arrive déjà en quai. Il ne faut pas que je le loupe, j’habite beaucoup trop loin. Je pique donc un sprint et me rue dedans avant même que les portes ne se ferment. Haletant, je m’agrippe à la barre pour reprendre mon souffle et mon coeur fait un énième bond lorsque je lève la tête avec difficulté. A travers mes boucles désordonnées je discerne clairement une tignasse rouge, dos à moi.

 Elle est là !

        Je reprends nerveusement mon souffle et réuni mon courage pour aller m’asseoir à côté d’elle. Ce n’est pas très discret comme technique d’approche, typiquement masculin d’ailleurs, il y a de la place partout et elle doit se demander pourquoi quelqu’un s’assoit à côté d’elle. Mais je n’ai rien trouvé de mieux. Elle tourne la tête et me dévisage avec surprise.

Ou bien avec dégoût ?

« - Salut ! »

Comme je m’y attendais cette dernière ne décroche pas un mot et se contente de me regarder avec incrédulité avant de tourner de nouveau la tête.

« - Bonsoir –Murmure-t-elle contre la vitre-

- Emh… J’ai remarqué que tu n’étais pas là hier soir, j’ai cru qu’il t’était arrivé quelque chose –Dis-je avec un rire maladroit, elle va sans doute me prendre pour un pervers qui l’épie-

- Non.

- Bon ça va alors… Mh quoi qu’il en soit, tu dois sûrement te demander pourquoi je viens te parler ? –Elle ne répond pas mais se contente d’hausser les épaules- Je me suis dit qu’on pouvait faire connaissance. »

        Une fois encore elle tourne son visage vers moi et me jauge de ses yeux verts sans émettre le moindre son. Elle est vraiment bizarre comme fille, mais ça ne m’arrête pas, au contraire, au travail j’ai l’habitude de côtoyer des gens bizarres.

« - Ashton Irwin, enchanté.

-Pardon ? –Dit-elle sans comprendre-

-Je m’appelle Ashton –Dis-je un peu plus fort, ne cessant de sourire-

-Oh, génial –Dit-elle en levant les yeux au ciel-

-Et toi ? –Elle reste silencieuse- Tu dois bien avoir un prénom ?

-Oui et alors ?

-J’aimerais bien le connaitre –Dis-je avec un sourire innocent-

-Et si je refuse ?

-Je vais t’en inventer un dans ce cas »

        Je commence à énumérer une liste de prénoms qui me passent par la tête, sans forcément chercher à tomber sur le bon. C’est un bon prétexte pour parler un peu et même si elle ne me répond que par ‘non’ ou par un mouvement de la tête, ça me suffit.

Quatre mois que je passais mon trajet dans mon coin, alors autant en profiter un peu.

« - Bon t’as pas un peu fini ? –Me dit-elle sèchement-

-Dis-moi ton prénom alors.

-Non.

-Ok, je continue dans ce cas –Je reprends ma liste et me retiens de rigoler en voyant son air abattu-

-C’est pas vrai, tu ne t’arrêtes donc jamais !

-Je suis du genre tenace et patient, dans mon métier il le faut –Dis-je-

-Tu m’en vois ravie.

-Oh allez donne-moi au moins la première lettre.

-K –Grogne-t-elle-

-C’est une blague ? »

        Demandé-je avec surprise, sauf qu’elle semble vexée. Apparemment ce n’était pas une blague. Je commence donc à réfléchir à des prénoms en K mais rien ne me vient en tête, c’est impossible elle se moque de moi.

« Mh Karine ? Karen ? Kelly ?

-Rien de tout ça –Dit-elle sans me regarder-

-J’abandonne –Dis-je et pour la première fois je la vois qui sourit en coin, c’est rapide mais sincère-

- Tu n’es pas si tenace en fait.

- Je ne connais pas d’autres prénoms en K.

- Bon très bien –Dit-elle en soufflant- mais ensuite tu me promets de me laisser tranquille ?

- D’accord !

- Je m’appelle Kala.

- Mity Jane –Dis-je à la suite, elle me regarde avec étonnement-

- Pardon ?

- Kala-mity Jane, comme Calamity Jane, tu comprends ? »

        Je me sens terriblement ridicule mais ne peux m’empêcher de rigoler à ma propre bêtise, ce qui fait ressortir mes fossettes. Par contre ça n’a pas l’air de la faire rigoler. D’habitude mes blagues plaisent à mes collègues, parfois même à mes patients, mais j’ai en face de moi la fille la plus rigide du monde.

« - C’était nul –Me dit-elle-

-Je sais, mais je trouve que ça te correspond bien. Tu sais, tu me fais penser à une de mes patientes, Madame Worthy, car oui au cas où tu te poserais la question, je suis aide-soignant à l’hôpital –Ajouté-je avec fierté mais elle ne semble pas y prêter une quelconque attention- Bref, Worthy elle ne fait que râler et même lorsque je lui raconte des blagues elle me demande de sortir parce que je l’agace. La pauvre elle n’a pas eût une vie facile, cependant elle…

-C’est ton arrêt boucle d’or. – Je me stoppe, surpris par le surnom qu’elle m’a donné et constate qu’on arrive bientôt à mon arrêt de tram-

-Oh tu sais où je descends ? –Dis-je avec un sourire malicieux-

-Ca fait quatre mois que je te vois descendre à l’arrêt avant le mien, alors oui. »

Alors elle descend juste après moi ?

Je me lève et ne peux m’empêcher de sourire, elle a l’air de ne pas apprécier ma compagnie mais elle avait quand même fais attention à certains détails. Quand le tram s’immobilise enfin je me tourne une dernière fois vers elle.

« - Je suppose que ce serait trop demandé d’avoir ton numéro ?

-Et comment, tu rêves !

-Bon dans ce cas à demain, Calamity Jane.

-Je ne serai pas là -Me dit-elle d'une voix sans teint-

-Alors à lundi ? »

Elle se remet dos à moi et je descends enfin pour prendre la direction de mon appartement. Au moins je sais que je ne la verrai pas demain.

Quand j’arrive devant ma porte je fais doucement tourner le verrou pour ne pas réveiller mon colocataire, sauf qu’une fois à l’intérieur je remarque la lumière allumée dans sa chambre.

« - Lucas, tu ne dors pas ? –Dis-je doucement en m’approchant de sa porte ouverte-

- On est vendredi soir Ashton, je n’ai plus dix ans, je me couche à l’heure que je veux –Me dit ce dernier en ouvrant sa porte- Et c’est Luke ! -Dit-il avec une main posée sur sa hanche-

- T’as plus dix ans mais tu dors encore avec ce foutu pyjama pingouin madame la diva.

- Tu es jaloux – Je lève les yeux au ciel et pars me mettre en pyjama, un bermuda et un débardeur- Alors le boulot ?

- Monsieur Speckler a fait un malaise, Moyra m’a demandée de m’occuper de lui.

- Et comment il va ?

- Quand je l’ai couché il avait l’air d’aller un peu mieux, mais je m’inquiète.

- Je passerai le voir demain. Tu veux une bière ?

- Non merci, je pense que je vais aller me coucher. –Dis-je en déposant mes affaires- Au fait, tu ne devineras jamais à qui j’ai parlé ce soir.

- A toi-même j’imagine, pour ne pas changer –Il soupire-

- La fille aux cheveux cerise, celle du tram ! –Dis-je tout sourire, ignorant son commentaire-

- Ah tu as enfin osé lui parler. Et alors, verdict ?

- Elle n’est pas commode du tout –Je le regarde qui se décapsule une bière en souriant en coin et finalement je fais de même-

- Du genre ?

- Je la trouve froide, pas méchante, mais rigide, comme si sans me connaitre je lui inspirais du dégoût –Je le regarde- Tu trouves que j’inspire le dégoût ?

- Tu veux vraiment le savoir ? –Dit le blond en fronçant ses fins sourcils-

- Quoi ?! Mais je… -Commencé-je offusqué mais bientôt il se met à ricaner-

- Tu es le gars le plus sympa que je connaisse, laisse tomber,  cette fille était sûrement mal lunée.

- Je ne sais pas, ça avait l’air plus… Profond. Comme si elle renfermait en elle une véritable rancœur –J’avale plusieurs gorgées de ma bière- Ca fait quatre mois qu’elle a ce regard et si ça se trouve même depuis plus longtemps. Je voudrais comprendre.

- Ashton ça sert à rien, tu sais comme moi que toutes les personnes ne se confient pas de la même façon. Et puis tu as Oriane, tu...

- Mais elle est si jeune et pourtant si tu voyais son regard –Je pose le goulot contre mes lèvres et m’évade dans mes souvenirs- Elle m’a dit s’appeler Kala.

- Kala ? –Je sors de mes pensées et regarde Luke qui va jeter sa bière- Elle t’a dit son nom de famille ?

- Non, juste son prénom –Je finis la mienne et la jette- Pourquoi ?

- Oh juste comme ça. »

        Il me fait un petit sourire avant d’aller se coucher. Rapidement je l’imite et m’enroule dans mes draps, ressassant dans ma tête la vision de ses iris verts aussi durs et froids que de l’acier, ne laissant transparaitre aucune émotion, comme si rien n’avait de réelle valeur à ses yeux.

Comme si la mort pouvait la prendre à n’importe quel moment sans qu’elle ait envie de lutter.

Kala.

Drôle de spécimen que cette fille aux cheveux cerise.

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