Kala

"Qu’est-ce que tu as ? –Me demande Luke en venant enrouler ses bras nus autour de mon ventre-

-Rentres chez toi Luke

-Ca y est tu recommences – Il soupire-

-Je n’ai jamais changé d’avis à ce sujet –Dis-je en me tournant face à lui tout en ignorant ses magnifiques yeux bleus- S’il-te-plait.

-Pourquoi ne pourrait-on pas passer cette soirée ensemble ? –Dit-il en relevant mon visage vers le sien-

-Parce que c’est… C’est trop dangereux !

-Justement je peux mieux te protéger maintenant –Il me serre doucement contre lui et je me crispe- Kala je t’en prie ne sois pas comme ça avec moi…

-Ils vont te faire du mal Luke –Dis-je en contenant les sanglots dans ma voix à mesure que je nous écarte de la fenêtre-

-Personne ne me fera quoi que ce soit c’est promis –Il embrasse mon front et je m’empresse de me retirer de ses bras pour aller fermer les volets, le cœur battant à toute allure- Qu’est-ce qu’il y a ?

-Rien

-Il y a quelque chose dehors ?

-Non rien ! Maintenant rentres chez toi.

-Quand Ashton te propose une soirée tu dis oui, mais quand c’est moi bizarrement tu es réticente –Grogne-t-il avant de se laisser tomber sur mon canapé-

-Ce n’est pas pareil –Dis-je les joues rouges- Et de toute façon je dois aller travailler ce soir.

-Où est-ce que tu travailles ? –Me demande-t-il alors que je croise les bras- Il faut bien que je réapprenne à te connaître.

-Au Chenil des Clifford, l’arrêt de tram avant celui de l’hôpital

-Oh je vois –Il me fait signe de venir m’asseoir sur le canapé mais je reste où je suis- Et tu y es depuis quand ?

-Depuis presque un an –Je réponds en fixant mon téléphone, prête à recevoir un énième message-

-Tu t’y plais ?

-Oui, j’aime le contact des animaux et mon collègue Michael est très gentil avec moi.

-C’est ton collègue ? –Je fais un simple oui de la tête- Il n’y a que toi et lui dans ce chenil ?

-Luke sans même que tu ne le dises, je peux lire dans ta tête, Michael est seulement mon meilleur ami

-Avant c’était moi ton meilleur ami –Boude le blond- Et ça ne nous empêchait pas de coucher ensemble. –Je rougis à ces paroles et m’occupe de peigner mes chats-

-Je ne couche pas avec Michael –Dis-je dans un souffle-

-Et avec Ashton ? –Je brosse un peu trop brutalement un de mes chats qui s’en va en me feulant dessus-

-Quoi ?!

-Tu as couché avec Ashton ?

-Pour qui tu me prends ?! –Dis-je sur les nerfs-

-Non ce n’est pas contre toi –Dit-il nerveusement- c’est juste que… Je suis un peu jaloux. Avant j’étais le seul homme dans ta vie et maintenant… Il y en a deux autres.

-T’es complétement con Lucas ! –Dis-je en balançant la brosse à travers la pièce avant d’entendre mon téléphone vibrer, ce qui me provoque un choc brutal-

-Je sais –Je regarde mon téléphone avec hantise, me sentant pâlir un peu plus à chaque seconde qui passe sauf que c’est un message de Michael- Kala tu te sens bien ? »

        Je fais oui de la tête mais bientôt mes larmes s’écoulent le long de mes joues sans que je puisse les retenir, relâchant toute la pression devant les yeux exorbités du blond. Ce dernier se redresse automatiquement et vient me porter jusque sur mon lit où il nous allonge doucement.

        Une de ses mains fait son chemin jusque dans mes cheveux tandis que l’autre parcoure mon dos secoué de sanglots saccadés.

« Shht je suis là –Me murmure-t-il à l’oreille-

-R…Rentres Luke

-Non, je ne veux pas te laisser seule, pas dans cet état –Je ne dis rien et me contente de renifler, essayant de reprendre mon calme- Tu te souviens, quand on était gamins ?  Quand on a commencé à être de bons amis et que tu venais dans ma chambre presque tous les soirs pour parler, quand tu me disais tout ce que tu avais sur le cœur et qu’on finissait par s’endormir aux alentours d’une heure du matin.

-O…oui..

-J’aimais tellement que tu viennes te confier à moi, tu me donnais de la valeur et j’étais fier de pouvoir t’aider, de te faire te sentir écoutée. Je voulais être celui qui allait te faire sourire, toi le petit animal sauvage de l’internat –Il embrasse ma joue tout en me berçant- A l’époque quand tu pleurais, je te prenais dans mes bras comme ça et je nous berçais, pour donner l’illusion qu’on était deux et qu’ensemble les problèmes étaient surmontables.  Tu t’en souviens de ça aussi ?

-Oui Luke –Dis-je tristement en enroulant mes doigts autour des siens-

-Ca te calmait et on finissait par dormir dans les bras de l’autre. Tous les soirs. Jusqu’à ce que je tombe amoureux de toi et que je cherche à te donner plus –Il pose sa tête contre la mienne- J’ai toujours aimé te consoler, sécher tes pleurs et te prouver qu’il y avait du bon en ce monde.

-Il n’y a rien de bon en ce monde –Dis-je en me tournant face à lui-

-C’est parce que tu t’es rendu aveugle. Un jour peut-être tu verras le monde comme moi et tu vivras enfin.

-Peut-être. »

        Cependant je ne crois pas que ce monde dont-il parle mérite d’être vu. Ma cécité n’est pas un choix, on m’a poussé à le faire. Si on n’avait pas assassiné ma mère, devant mes yeux, peut-être serais-je une fille normale, avec un boulot normal et un petit ami.

        Mais je ne suis rien de tout ça et mon destin est tout tracé. Je finirai seule, enfermé dans ma crainte d’autrui et priant pour ne jamais avoir vu ma mère en train de giser au sol ou même voir ma sœur se faire enlever. Il y a des choses que l’être humain ne peut supporter, des tourments qui finissent par ronger le corps et l’esprit jusqu’à vous faire craindre toute chose.

Pourquoi moi ?

        Le blond reprend ses baisers dans mon cou tandis que je réfléchis. Peut-être Luke est-il capable de nous protéger tous les deux maintenant, mais j’ai l’impression que l’on joue contre un adversaire de taille.

Que rien ni personne ne pourra me protéger car ce n’est pas Luke le prochain, mais moi. C’est moi qu’ils veulent, moi la dernière de la famille Schwartz.

*

Aux alentours de 22 heures je prépare mes affaires et attends Luke qui se rhabille à son tour, prenant soin de me donner la main une fois que nous sortons de chez moi.

        A vrai dire je ne sais pas très bien ce que je veux. Luke m’avait manqué, c’est un fait et lui seul avait un jour réussi à me faire avancer. Mais après tout ce temps loin de lui, j’ai l’impression de retrouver un étranger. Même si le gout de ses lèvres et ses caresses me ramènent en arrière, quelque chose à changer.

Etait-ce finalement cette fichue rumeur qui avait réussi à me faire oublier Luke ?

        Certe je n'y avais pas cru mais ça m’avait détruite. J’avais perdu ma sœur deux ans auparavant et j’étais encore instable lorsqu’Evana, une des jeunes assistantes de Mme Hemmings était venu me trouver pour me demander si il s’agissait de la vérité.

Que Luke couchait avec Emily Dowpring et s’amusait à me tourner en ridicule dans mon dos.

        C’était un mensonge ; c’était bien trop gros pour être vrai, Luke avait beau ne plus être puceau il avait peur des filles à l’époque. J’étais la seule qu’il approchait, la seule qu’il aimait. Je l’imaginais mal faire des acrobaties avec une autre fille que moi. Mais au fond j’avais été blessée, car si jamais c’était vrai, alors je ne lui suffisais plus.

Mais il y avait autre chose de plus gênant encore, le fait qu’une telle rumeur s’était propagée. C’était étrange ;

        Luke et moi étions le couple le plus discret du lycée et de l’internat, les gens nous trouvaient bizarres mais rien de plus, ils se contentaient de nous observer de haut en bas, comme des extra-terrestres, mais jamais personne n’a eût l’idée de colporter des rumeurs. Alors pourquoi celle-ci est-elle arrivée jusqu’à mes oreilles ?

        Je rentre rapidement dans le tram suivi de Luke, regardant autour de moi de peur de trouver un individu louche. Depuis le message de ce soir je ne peux m’empêcher de paniquer. Qui est cette personne ? Pourquoi m’espionnait-elle ? Et comment a-t-elle eu mon numéro ainsi que mon adresse?

Encore une multitude de questions sans réponses. Cesseront-elles un jour ?

*

        Luke me dépose au Chenil, sous le regard surpris de Michael et sans plus attendre je fonce me changer, évitant les questions du violâtre. Ashon et Luke sont les deux seuls prénoms qui sortent de sa bouche de toute la soirée. L’un de par sa dangerosité et l’autre pas son romantisme hors pair.

«  Tu devrais rester avec Luke –Me conseille-t-il-

-Mêle toi de tes affaires Gordon ! –Il me donne un coup de gant en latex dans la nuque- Hey !

-Je ne disais pas ça pour t’entendre bougonner, mais juste qu’il a l’air d’être un type bien.

-Ashton aussi est un type bien.

-Non Kala, il a fait de la prison.

-Et alors ? Maintenant il aide les gens à l’hôpital, c’est une bonne reconversion.

-On finit toujours par replonger –Il soupire-

-Il y a deux mois encore tu voulais me caser avec lui ! –Dis-je en levant les mains en l’air-

-Il y a deux mois je n’avais pas compris qu’il s’agissait de lui –Il se laisse tomber sur sa chaise de bureau après avoir fini le vaccin d’un chiot particulièrement agité- Non vraiment Kala je pense qu’il faut que tu t’éloignes d’Ashton.

-C’est déjà fait –Dis-je amèrement- mais pas dans le même but que tu imagines.

-Le principal c’est que tu aies commencé à t’éloigner –Il me regarde- Et puis de toute façon tu ne l’appréciais pas plus que ça je me trompe ? Tu me le décrivais comme un pot de colle désespérant, alors ça ne doit pas te manquer de ne plus le voir. »

Je ne réponds rien car moi-même je suis surprise de ma réponse intérieure.

Ashton me manque.

        Aussi étrange que ça puisse paraitre, son sourire me manque, ses petites fossettes creusées par la joie de son visage, ses yeux pétillants de générosité derrière ses lunettes, son rire, sa voix, sa faculté à prendre la parole aisément, ses cheveux bouclés que j’avais pris plus d’une fois dans la figure. Tout de lui me manque alors que jusque-là je ne l’avais considéré que comme un simple ami de tramway.

Je secoue ma tête en tout sens afin de me reprendre.

Ahston n’est qu’un ami, ou du moins n’était.

Sans compter qu’il est contraire à tout ce que je suis.

Pas comme Luke.

*

        C’est vers 2 heures du matin que je quitte le chenil, suivi de Michael qui exceptionnellement a pris sa soirée dans le but de ranger son appartement. Tout ça parce qu’il reçoit Elga chez lui demain soir et qu’il est stressé à l’idée qu’elle puisse voir le bazar sans nom chez lui.

Pire qu’une fille.

Lorsque le tram s’arrête à l’arrêt de l’hôpital je lève instinctivement mes yeux, cherchant du regard les iris verts du bouclé. Ce soir je prends enfin le tram et c’est une bonne occasion pour lui parler, pour m’expliquer un tant soit peu. Sauf que je ne le vois pas.

Mon cœur semble s’émietter lentement à mesure que mes yeux se posent sur les quelques têtes qui passent la porte de la rame. Aucune chevelure frisée à l’horizon.

Peut-être ne travaille-t-il pas ou bien est–il parti plus tôt ou plus tard.

Luke non plus n’est pas là.

Je suis seule.

Les portes du tram se referment et je soupire longuement ? Pour une fois que j’étais motivée, c’était bien la peine.

*

        Je fixe les lumières défilant devant la vitre du tramway, ignorant les bruits et les gens autour de moi. C’est d’ailleurs plus paisible comme ça et ça me permet de penser à autre chose un court instant. Du moins jusqu’à ce que le tram annonce l’arrêt d’Ashton et que je me retourne par curiosité pour voir qui dans ce tram va descendre ce soir.

        Il y a un garçon devant les portes, il porte une capuche noire mais je remarque que de celle-ci s’échappent plusieurs bouclettes dorées. Je les reconnaitrais entre mille d’ailleurs et mon cœur se serre lorsque le tram s’arrête enfin, s’apprêtant à ouvrir les portes et à laisser Ashton s’en aller.

« Ashton ! –Je me lève d’un bon et accourt jusqu’à lui, ses yeux verts se posant sur moi- Ash je…

-T’es qui ? Je ne parle pas aux inconnues. »

        Et sur ces bonnes paroles il m’écarte de son chemin avant d’enfouir ses mains dans ses poches et de sortir du tram, ne prenant même pas la peine de me saluer ou de m’adresser un regard. C’était comme si j’étais un fantôme, comme si de revenir vers-lui  ne l’avait pas touché.

Etait-ce une blague ? Ou pour se venger de l’avoir ignoré pendant ces longues semaines ?

Il sait parfaitement qui je suis.

Pourtant la froideur que j’ai lu dans ses yeux me trouble au plus haut point.

Me déteste-t-il ?

Ou m’a-t-il réellement fait disparaitre de sa vie tandis que moi j’avais essayé en vain ?

Le tram s’en va de nouveau et je regarde au loin la forme noire d’Ashton se diriger vers l’appartement.

Qu’ai-je encore fait.