Chapitre 1 : La poupée immaculée
Il y fort longtemps, un dieu sans corps, ayant créé l'univers décida de donner forme à la race humaine. Il façonna un cristal spirituel d'une beauté sans pareille, brillant d'un éclat unique. Un jour, il sépara ce cristal en deux, donnant ainsi forme à l'homme et la femme. Depuis lors, les êtres humains naissent dépourvus de la moitié de leur âme et sont condamnés à chercher celle qui la complétera. C'est la raison pour laquelle, lorsque deux âmes sœurs se retrouvent, l'amour les empêche de se séparer.
Lorsque j'avais entendu pour la première fois cette légende, de la bouche de ma propre mère, je n'avais pas pu m'empêcher de penser que c'était quelque chose de splendide et poétique. Bien qu'à l'époque, je n'avais que cinq ans, et je me souviens n'avoir seulement dit que c'était joli avec un sourire sur les lèvres. Depuis, on m'avait récité ces mêmes mots des centaines de fois, mais aujourd'hui ils avaient une saveur toute particulière. Après avoir enfilé mes vêtements et terminé mon petit-déjeuner sur le balcon de ma chambre, j'avais pris une grande inspiration avant de descendre les escaliers menant à l'entrée du manoir de Douma. Non sans nervosité, j'avais finalement franchi le pas de la porte d'entrée principale, marchant lentement le long de l'allée quand le secrétaire du maître de maison me remarqua.
- L-lady Olympia ? Vous comptez sortir ? s'exclama-t-il sans dissimuler sa surprise.
- Ne vous en faites pas, je ne vais pas m'enfuir, je souhaite seulement faire une petite promenade. Je serais de retour d'ici une heure. répondis-je en passant une mèche de mes cheveux derrière mon oreille.
Il bredouilla un bon nombre d'excuses en s'inclinant respectueusement. Sans prendre la peine de répondre, j'étais sortie du domaine pour me retrouver dans les rues du district jaune. Il était facile de comprendre ce qui avait causé la surprise de ce pauvre homme, cela faisait treize ans que j'avais mis les pieds sur cette île, et il m'était rarement arrivé de sortir de mon plein gré ces dernières années. Je passais le plus clair de mon temps enfermée dans ma chambre, ou dans la bibliothèque à lire des livres sur ce monde dont je ne souhaitais pas faire parti.
Ma place n'était pas ici, cette certitude hantait mes pensées à chaque instant. Mon seul souhait avait toujours été de pouvoir retourner chez moi, et voir mon île, si proche, depuis ma fenêtre, heurtait toujours un peu plus mon cœur. Pourtant, je savais que je n'en avais pas le droit, et que c'était impossible de s'approcher de l'île. Lorsque j'étais enfant, j'avais plus d'une fois essayé de nager jusque là-bas, mais l'on m'avait toujours rattrapée de justesse. L'île de Tennyo n'était pas si loin de celle de Tenguu, malheureusement elle était protégée par de forts courants marins, des tourbillons qui entraînaient tout droit vers les profondeurs de l'océan quiconque souhaitait s'approcher de la terre ferme.
Malgré tout, tout mon être souhaitait revoir un jour ce sanctuaire abandonné, et j'espérais qu'un miracle me permette d'y arriver. C'est sans doute pour cela que mes pas m'avaient dirigée vers la plage sans même que je m'en aperçoive. Le bruit des vagues apaisait mon cœur, et c'est dans cette solitude que je trouvais la force de continuer à avancer. Je savais que je ne pouvais pas me permettre d'être plus égoïste que je ne l'étais déjà. Mon rôle sur cette île était d'offrir mes prières à la déesse Amaterasu pour que le soleil continue de briller au-dessus de nous tous. Il était de mon devoir de danser devant l'océan et d'accomplir ce rituel pour qu'elle nous accorde sa protection. Il en avait toujours été ainsi depuis la nuit des temps, les femmes de Tennyo protégeaient le sanctuaire sacré de la déesse, et elles dansaient pour l'honorer et permettre à ce monde de ne pas sombrer dans les ténèbres. Cette terrible nuit il y a treize ans avait changé la donne, et j'étais désormais la seule qui pouvait assumer cette responsabilité.
Les vagues berçaient avec tendresse mes pensées, amenant de temps à autre des coquillages à mes pieds tandis que je marchais le long de la côte. Depuis mon réveil, je n'avais cessé de repenser à cette vieille légende, et ce pour la simple et bonne raison qu'aujourd'hui était le jour de mon anniversaire. C'était peut-être pour cela que j'avais rêvé de ma mère, et de ces douces paroles m'affirmant qu'elle était certaine qu'un jour je trouverais moi aussi mon âme sœur. Le rouge me monta aux joues à cette idée, et naïvement, j'espérais que cette journée me permettrait de faire une rencontre inoubliable. Toutefois, la plage était déserte, alors j'avais rebroussé chemin pour me rendre au Plazza dans le quartier central. Je ne savais pas trop ce qui me prenait d'espérer quoi que ce soit, et c'est avec une certaine nervosité que j'avais fini par m'asseoir sur l'un des bancs de cette place animée.
J'avais jeté de brefs regards à chacune des personnes qui m'entouraient avant de les voir s'éloigner peu à peu avec cette expression que je ne connaissais que trop bien.
- C'est vraiment Olympia-sama ?! Vous avez vu la couleur de ses cheveux ? Et son visage ? Elle est aussi pâle que la mort...
- On dirait qu'elle est malade... Je trouve ça effrayant...
- Elle a l'apparence d'un monstre, et on dit qu'elle ne parle presque jamais vous savez !
- Je suis d'accord, et en plus de cela, elle n'adresse pas même un regard à ceux qui l'admirent et la remercient pour ce qu'elle fait. C'est comme si elle n'avait pas la moindre émotion.
Sans une once de discrétion, ce petit groupe avait continué à me regarder comme une bête de foire. Ils étaient suffisamment proche pour que j'entende chacune de leur parole acerbe, et me faire regretter d'avoir mis un pied en dehors du manoir. Incapable d'entendre un mot de plus, je m'étais levée du banc et avais entrepris de retourner au manoir de Douma. J'avais toujours été différente au yeux des autres, et même si cela faisait de longues années, je me souvenais encore de l'incompréhension de la population quand maître Douma avait décidé de m'accueillir chez lui. Il avait justifié son geste, à raison, par le fait que je sois la dernière femme de Tennyo. Les années avaient passé, et mon apparence singulière avait continué de me valoir ce genre de paroles. Cela m'avait souvent blessée pendant mes deux premières années ici, puis peu à peu, j'avais appris à ne plus rien laisser transparaître, à ne plus rien attendre des autres, à ne plus laisser leurs paroles m'atteindre. Peu à peu, j'étais devenu une poupée, dont l'expression restait la même peut importe les circonstances. Je leur avais donné raison, mais c'était étrangement bien plus facile de vivre ainsi. Chaque jour se ressemblait, mais tout ce qui avait réellement de l'importance c'était que j'accomplisse mon devoir.
J'avais regagné ma chambre et m'étais accoudée sur le rebord du balcon, regardant vers l'horizon, quand tout à coup d'étranges nuages se mirent à recouvrir le ciel. En l'espace d'un instant, le tonnerre éclata et l'obscurité noya le soleil dans son épais manteau sombre. Le ciel se déchira comme à l'approche d'une tempête inattendue, et au même moment Douma entra dans ma chambre. Ses yeux se posèrent sur moi avec sérénité malgré la situation tandis que je m'empressais de rentrer. Il n'avait pas besoin de me dire un mot, je savais qu'il fallait que je me prépare pour un rituel.
Malgré l'urgence de la situation, je devais m'assurer d'être suffisamment préparée, sinon le rituel ne permettrait pas de repousser l'obscurité. Je devais me vider l'esprit, me purifier et repousser toutes les pensées qui pouvaient me tourmenter. Je devais rester la jeune fille pâle, aux longs cheveux blancs qui ressemblait à une poupée immaculée. Je plongeais les bras dans l'eau chaude recouverte de pétales de fleurs d'Iroha, purifiant mon corps par chacun de ces gestes délicats et mon esprit en ne pensant qu'à prier la déesse pour sa clémence. Après m'être soigneusement préparée, j'avais enfilé ma tenue, déposant soigneusement une fleur d'Iroha entre des mèches soyeuses de ma chevelure avant de rejoindre la calèche qui m'attendait.
Le paysage défilait, et j'entendais à la perfection l'agitation qui avait pris possession de la foule. Bien assez tôt, nous arrivions au port et l'un des gardes repoussa la foule pour me laisser monter sur une barque qui me mènerait un peu plus loin, jusqu'au petit temple érigé au milieu des vagues. C'était sur cette scène au beau milieu des éléments que je performais mes rituels, dansant pour ramener le soleil et calmer la colère de la déesse Amaterasu. En tant que dernière femme de la tribu blanche, j'étais la seule autorisée à poser les pieds sur ce sanctuaire à ciel ouvert. Au milieu des vagues, j'entendais à la perfection les cris de détresse du peuple sur la rive, priant pour que les ténèbres reculent, mais peu à peu, leurs voix s'estompaient pour que je n'entende plus que le murmure des vagues. Doucement, je déployais mon éventail en fixant mon regard sur l'horizon, laissant mon corps se mouvoir avec délicatesse. Avec chacun de mes gestes, je priais la déesse pour que la lumière revienne, laissant naturellement mon corps tout entier suivre cette danse qui honorait ce monde. Mes pieds ne sentaient plus la fraîcheur des vagues qui venaient parfois s'écraser sur ce piédestal, et le vent qui caressait ma peau ne pouvait entraver mes mouvements, j'étais libre dans chacun de mes gestes et mes prières faisaient peu à peu leur effet. Les grondements résonnant dans le ciel se résorbèrent et le ciel retrouva sa couleur bleue à mesure que l'obscurité était chassée par la lumière.
Une fois le soleil revenu à sa place, le calme sembla revenir après cette frayeur. C'était du moins ce dont j'étais persuadée jusqu'à revenir au port. Comme à chaque fois, beaucoup m'exprimaient leurs remerciements, et même si j'entendais leurs paroles, je n'osait pas leur adresser un regard, me contentant d'avancer à travers la foule pour rejoindre la calèche qui m'attendait. J'étais sur le point de monter les deux petites marches me permettant d'aller m'asseoir quand quelqu'un agrippa mon bras.
- Olympia-sama ! Je vous en supplie, laissez-moi vous parler. s'exclama un jeune homme en resserrant son emprise sur mon bras.
La panique se mit à prendre possession de moi à cause de ce contact inattendu. J'essayais de le repousser de toutes mes forces sans même réussir à entendre le reste de ses paroles. Une voix hurlait déjà bien plus fort que lui, résonnant dans mon esprit en faisant frissonner tout mon corps d'effroi.
« Protège-toi. Défends-toi. Tue-le.»
- Le soleil est de plus en plus instable, je sais que vous avez besoin de plus de Shou pour pouvoir maintenir le lien. Je vous en prie, servez-vous de moi pour vous assurer que le soleil brille !
Sa voix était désespérée, et même si mes yeux étaient fixés sur lui, je ne voyais pas son visage, mais un autre tout droit sorti du passé. Je voyais ma propre peur se refléter dans ses yeux. « Tue-le. Vas-y ». Cette voix devint de plus en plus forte alors que le jeune homme me secouait violemment et que j'étais incapable de m'écarter. Personne n'essayait de m'aider, tous se contentaient d'être spectateurs de cette lutte désespérée. Jusqu'à ce qu'il arrive, celui qui allait donner le tournant que j'attendais depuis longtemps.
Note de l'auteur : Hello ! Si vous avez lu ce premier chapitre, je vous remercie du fond du cœur et j'espère sincèrement qu'il vous aura plu, mais surtout, qu'il vous donnera envie de suivre cette histoire ! N'hésitez pas à me laisser un petit commentaire ça fait toujours très plaisir ! <3
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