Ils disent que je suis un monstre… Les gens… Encore en 2022, ils ne comprennent pas le TDI, me considèrent comme une potentielle tueuse, ou une affabulatrice… Ma famille me répète « Mais Opale, arrête ta comédie ! Être plusieurs dans une tête, c’est impossible ! ».

Alors je me retrouve, seule, à chaque fois, à attendre dans la salle d’attente de mon psychiatre…

Parfois, c’est pas moi qui attend mais une de mes alters, alors j’ai toujours sur moi mon carnet, pour que chaque alter note où elle est et ce qu'elle fait… Le problème c’est que certaines ne noteront jamais qu’elles ont engloutis l’entièreté de ton frigo (Hein Sacha?) ou vidé ton compte bancaire en boules de bain alors que t’as pas de baignoire (Hein Lucie?)…

Les consultations sont rarement un plaisir… Entre la dépression de Sacha, les compulsions de Lucie et l’immaturité d’Edith (mon alter little de 5 ans)… Je ne suis pas vraiment sûre que ça m’aide, vu que c’est jamais la même qui front…

Puis un jour, un nouveau gars a commencé à attendre avec moi… Benoît… Yeux bruns, cheveux blonds… Toujours ce beau sourire soucieux…

Alors nous avons commencé à parler, une fois, deux fois… Il parlait tantôt à Sacha, tantôt à Edith, ou à Lucie… Parfois même il parlait à Gwen, mon alter mutique, celle qui, quand elle front, reste définitivement prostrée, jusqu’à ce qu’une autre prenne sa place…

Et il ne semblait pas s’inquiéter de mes changements… Je l’ai remarqué en lisant mon carnet… Parce que hein, pour parler dépenses inutiles et bourdes, y a personne pour écrire, mais par contre, pour parler du beau gosse de la salle d’attente, y a du monde… Pourtant, aucune n’a noté une méfiance, un comportement suspect de sa part… Alors j’ai attendu de front à mon tour lors de ce moment pour m’en assurer… Elles avaient raison : il ne semblait pas perturbé par le fait que la fois d’avant, j’avais une autre personnalité… Alors j’ai pris les devants et l’ai invité à boire un verre…

Alors nous avons bu un chocolat chaud en sortant du psy… Après tout, c’était le dernier rendez-vous avant les congés de notre psychiatre pour Noël… Nous nous sommes baladés dans le marché de Noël et sommes restés quelques heures à contempler le grand sapin illuminé sur la place de la mairie, je sentais en moi l’envie d’Edith de front, mais j’ai résisté, un peu… C’était mon moment…

J’avoue, jétais un peu anxieuse, d’être à mon premier date depuis longtemps, et à l’idée de switcher devant lui… Mais tout se passa à peu près bien, même si, après avoir failli switcher avec Edith devant le sapin, arrivés dans le café, j’ai oublié une demi-heure du rendez-vous… J’ai supposé que c’était Lucie, vu la quantité d’assiettes à dessert vides posées sur la table… Pourtant, Benoît n’avait pas l’air interloqué, ou effrayé… Alors, en nous quittant, nous avons approchés nos lèvres, et nous sommes embrassés… Dans ma tête ce fut comme une agréable explosion…

Nous étions à notre cinquième rendez-vous, quand j’osa enfin lui parler de mon TDI, c’est alors qu’il me sourit et me déclara :

« J’ai un trouble de la mémoire immédiate, je peux oublier les cinq dernières minutes rien qu’en tournant la tête cinq secondes… Pourtant, à chaque fois que je vous vois, peu importe qui dirige tes pensées, je suis amoureux… J’ai l’impression de te rencontrer pour la première fois à chaque fois que je te vois… J’adore la fougue de Lucie, la sensibilité de Sacha, et je suis attendri par Edith… Regarde… Moi aussi je dois me balader avec un carnet…

C’est alors qu’en ouvrant son carnet, je découvris à quel point il m’aimait, il avait rencontré chacune de mes alters comme si elles n’étaient qu’une, et pourtant éprouvait de l’amour (et de la sympathie pour Edith) pour chacune…

Alors nous avons fini la soirée, enlacés sur mon canapé, lui n’avait plus peur de m’oublier, moi je n’avais plus peur de switcher...