4. RENÉE (Partie IX)
- Elle te manque ? repris-je, l'air de rien.
Charlie tourna pensivement la tête vers la fenêtre de la cuisine et resserra la ceinture de sa robe de chambre.
- Viens, lança-t-il, en gagnant le canapé du salon.
Je m'installai près de lui lorsqu'il prit ma main dans la sienne.
- Tu lui ressembles tant, soupira-t-il.
Je doutai que Charlie soit complètement objectif - je n'avais plus rien à voir avec la banale adolescente que j'avais été.
- Elle me manque beaucoup, avoua-t-il enfin. Je n'ai jamais vraiment cessé de l'aimer, tu sais.
Son aveu ne me surprit pas, bien au contraire. J'étais plutôt étonnée de la facilité avec laquelle les mots lui étaient sortis.
- Je me rappelle de la première fois où je l'ai vue. Ça a été le coup de foudre. Les choses se sont vite précipitées. Nous n'avions qu'une idée en tête : nous marier. Nous avons fait ça à la hâte et puis, tu es arrivée. J'étais fou de joie. J'avais une femme, une maison, un boulot que j'aimais et j'allais avoir un enfant. Mais les choses n'ont pas tourné comme je l'avais imaginé...
La voix de mon père se cassa à cet endroit et il se tut. Je profitai de son silence pour lui poser la question qui s'imposait à moi.
- Comment tu as fait... quand elle est partie ?
- Ça a été très dur. Tu es mieux placée que quiconque pour comprendre ce que j'ai ressenti. C'était comme si ma vie n'avait plus aucun sens. Je me suis petit à petit laissé aller...
- Et à quel moment t'es-tu ressaisi ? l'invitai-je à poursuivre.
- Quand j'ai compris qu'elle ne reviendrait pas. Oh, je me suis fait aider bien sûr mais, au fil du temps, j'ai appris à vivre sans elle. Je me suis réfugié dans le travail.
- Et tu n'as jamais songé à refaire ta vie ?... Avant Sue, je veux dire.
- J'avais trop peur d'être brisé une nouvelle fois. Tu en aurais été capable, toi ? répliqua-t-il.
- Je ne dis pas que ça aurait été impossible, mais il m'aurait fallu beaucoup de temps, avouai-je.
Nous restâmes ainsi à discuter jusque tard dans la soirée, Charlie ayant déversé un flot intarissable de souvenirs, qu'il n'avait jusqu'ici encore jamais partagés avec moi. Mon père bâilla, épuisé par cette interminable journée - j'avais remarqué ses coups d'œil répétés à la pendule. Quelques minutes plus tard, il gagnait sa chambre et j'en fis de même.
Je pénétrai dans la pièce sombre et appuyai sur l'interrupteur de la lumière. Je refermai la porte en la claquant derrière moi, de manière à ce que Charlie l'entende distinctement. Je me dirigeai ensuite vers la petite fenêtre aux rideaux jaunis que j'ouvris dans un geste brusque - la boiserie émit par ailleurs un bruit menaçant - et l'air frais de la nuit vint caresser mon visage brûlant. Une fois n'est pas coutume, la quasi-constante couverture nuageuse avait fait place à un ciel étoilé - la pluie avait cessé un peu plus tôt dans l'après-midi.
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