Chapitre 9
Lorsqu'il sortit de la cabane, le lundi matin, Fly ne fut pas étonné de voir Miss Lalie l'attendre tout sourire sur le ponton. Sa joie le fit sourire, bien qu'il ne put s'empêcher de penser à Ella.
— Fly va bien ? demanda innocemment la jeune femme.
— Oui et toi ? répondit l'intéressé dans un sourire.
Sa joie était sincère, il était content de la voir, malgré le petit pincement au cœur qui assaillait sa conscience.
Les deux amis bavardèrent joyeusement sur le chemin. Miss Lalie avait très hâte de retourner à la serre, le mois prochain, pour pouvoir contempler les fleurs. Elle avait une vraie passion pour elles. Elle restait vague sur le sujet, mais semblait tout de même bien s'y connaître, pour savoir exactement de quelle fleur on parlait lorsqu'on énonçait un nom.
La journée fut en tout point similaire à celles d'avant : Fly passait le plus clair de son temps avec Miss Lalie, sans prêter attention aux autres, en profitant naïvement de sa bonne humeur pour essayer lui aussi de sourire.
Il y avait tout de même un aspect de la journée qui différait avec celles qu'il avait déjà passé ici : à chaque sortie de cours, il guettait l'apparition d'Ella, pour lui poser ses questions et essayer de l'apaiser. Il était un peu moins concentré en cours, souvent absorbé par ses réflexions.
— Est-ce que Fly veut venir avec Miss Lalie sur le ponton ? demanda la jeune femme à la fin de la journée.
Le jeune homme réfléchit un instant. Le ponton ? Il y en avait partout des pontons...
— De quel ponton tu parles ? la questionna-t-il.
Miss Lalie le regarda de ses grands yeux d'ambre embués de naïveté et de joie.
— Du ponton au bout de la ville ! répondit-elle dans un nouveau sourire enjoué. Celui où Miss Lalie aime beaucoup aller !
— Ah oui ! Pardon, je n'avais pas compris de quoi tu parlais. Oui, je veux bien !
— Super ! s'enthousiasma-t-elle aussitôt, des étoiles dans les yeux. Miss Lalie est tellement contente de passer du temps avec Fly !
— Moi aussi je suis content, tu es une bonne amie !
Sans aucune réponse, ni aucun regard, la jeune fille partit d'un pas vigoureux sur le long ponton de bois. Elle regardait l'horizon, imperturbable, et ne semblait pas lui accorder une seconde de pensée.
Au moins, elle ne se souciait pas de tous les problèmes du monde.
Mais Ella était sûrement en arrière plan, en regardant la scène, énervée de ne pouvoir rien faire. Fly commençait à bien connaître Miss Lalie, mais en réalité, il ne connaissait qu'à moitié la personne qui lui faisait face, puisqu'il ne savait presque rien d'Ella, sinon qu'elle était grincheuse et acariâtre. Mais maintenant qu'il connaissait son secret, il pourrait faire plus ample connaissance avec elle. Elle venait de penser à celui qui avait tué sa mère, quand il l'avait vue, elle ne pouvait pas être de bonne humeur.
Rattrapant rapidement Miss Lalie, Fly marcha donc à son rythme rapide. Il essaya de faire comme elle : regarder le paysage magnifique autour de lui, s'en emplir les yeux, et profiter de l'instant présent.
Le doux roulement de la mer, ponctué du craquement du bois et de quelques mouettes qui voulaient faire remarquer leur présence, remplissait le paysage sonore, et était apaisant. Fly était heureux de vivre, et d'être venu ici, pour sentir le Soleil sur sa peau, et l'odeur de l'océan.
Il serait resté ainsi dans sa contemplation inattendue jusqu'à être arrivé au ponton, si Miss Lalie ne l'avait pas tiré de ses rêveries.
— Laura voudra venir ? demanda-t-elle alors qu'ils n'était plus très loin de la cabane de Fly.
— Je ne pense pas, répondit le jeune homme. Je crois qu'il est un peu trop tôt pour qu'elle soit libre, elle semblait avoir beaucoup de travail ces temps.
Ce que Fly se garda bien de dire, c'est qu'il avait envie d'être seul avec Miss Lalie, pour apprendre à la connaître un peu mieux, et si possible, voir Ella.
Fly ne put cependant s'empêcher de penser à sa tutrice, au visage souriant et apaisant de celle qui s'occupait de lui avec l'amour d'une mère depuis des années. Il avait de la chance de l'avoir.
— D'ailleurs, Lalie... commença-t-il alors.
— Oui ? répondit l'intéressée.
— Est-ce que tu as de la famille ? Tu n'en as jamais parlé, et quand je suis venu chez toi, je n'ai vu personne...
— Non ! Miss Lalie vit complètement seule ! dit-elle dans un sourire qui contrastait avec la tristesse de ses mots. Mais Miss Lalie est très forte, elle sait se débrouiller toute seule, faire à manger et retrouver son chemin !
— Mais... tu n'as vraiment personne sur qui compter ?
— Quand Miss Lalie a une question, elle va la poser au vieux Kan. Le vieux Kan est très gentil, il est toujours là pour Miss Lalie, il sait tout sur elle et lui parle comme à une vraie personne !
« Ainsi elle se rend compte que les autres la dénigrent » pensa Fly.
— Miss Lalie peut aussi demander de l'aide aux professeurs, ils la connaissent bien moins que le vieux Kan, mais ils sont gentils et essayent toujours d'aider Miss Lalie !
— C'est vrai que Madame Bordellmark me semble très gentille. En tout cas, elle s'est très bien occupée de moi, et a été très gentille, donc ça ne m'étonnerait pas qu'elle soit gentille avec toi !
— Oui, Miss Lalie aime beaucoup Madame Bordellmark !
Fly sourit, légèrement tristement.
Ainsi elle était seule. Totalement seule. Pas de famille, pas même d'oncle éloigné ou de grand-mère pour s'occuper d'elle. Juste un vieil homme qu'elle allait voir parfois, et quelques professeurs attentifs.
— Lalie ? demanda-t-il encore.
— Oui ?
— Tu connais le vieux Kan depuis longtemps ?
— Miss Lalie a l'impression de connaître le vieux Kan depuis toujours ! clama-t-elle joyeusement. Il l'a vue grandir et l'aide depuis qu'elle est toute seule, car le vieux Kan est très gentil, et connaît tout d'elle !
Une vieille connaissance alors. Le vieux Kan était peut-être comme sa Laura à elle, en un peu moins officiel et un peu moins présent. Laura l'avait vu grandir, s'occupait de lui, était très gentille et connaissait tout de lui.
Une pensée germa alors dans son esprit, si bien que le jeune homme en eut froid dans le dos.
« Si le vieux Kan connaît tout d'elle, alors peut-être qu'il sait pour Ella... » pensa-t-il.
Il ne pouvait pas en être certain, et ne devait en aucun cas lui révéler son existence s'il n'en était pas au courant, mais il devait tenter...
Après quelques nouveaux instants de silence, le ponton solitaire se présenta enfin à la vue du duo. Miss Lalie s'élança sur l'impasse sans ralentir, tandis que Fly ralentit légèrement, avant de la suivre.
Arrivée tout au bout, Miss Lalie s'assit sur le bord du ponton, et plongea son regard de miel dans la profondeur de l'océan. Fly la rejoignit bientôt, et ne lui jeta qu'un bref regard avant de le porter sur le paysage. Leurs pieds n'étaient qu'à quelques centimètres de l'eau, et seraient trempés en un rien de temps si une vague venait à les surprendre.
— Je suis content d'être venu habiter sur Hydran, dit Fly, l'air de l'océan lui balayant les cheveux.
— Miss Lalie est contente aussi de vivre sur Hydran. Et Miss Lalie est contente que Fly soit venu vivre sur Hydran, parce que Fly est très gentil !
Elle se tourna vers lui dans un grand sourire.
— Toi aussi tu es gentille ! C'est vrai... que Toritoshi me manque un peu, parfois, mais ici c'est si beau... L'océan, l'aspect rudimentaire des pontons, le Soleil, les poissons...
— Miss Lalie adorerait aller à Toritoshi, un jour !
Le silence les enveloppa de nouveau, ou plutôt la délicieuse tranquillité des bruits ambiants. Fly avait l'impression d'être englouti tout entier par l'horizon, que le vent qui lissait ses vêtements était un vent de liberté, et qu'ici, sur ce ponton éloigné de toute civilisation, il était le maître du monde. Il n'avait pas besoin de la regarder pour comprendre que Miss Lalie ressentait quelque chose de similaire.
— Miss Lalie doit rentrer chez elle, déclara la jeune fille après un temps qui avait semblé durer des heures. Fly connaît le chemin, ou Miss Lalie la raccompagne ?
Le jeune homme mit quelques secondes à comprendre que quelqu'un lui parlait et à se détacher de sa contemplation.
— Euh, je veux bien que tu me raccompagnes, s'empressa-t-il de répondre, un peu gêné.
Sans plus de mots, mais dans son habituel sourire, la jeune femme se leva et fit demi-tour. Fly dut se hâter pour la suivre, et ils regagnèrent sans un mot le ponton de sa demeure.
— Merci, dit-il avait qu'ils se séparent. J'aime beaucoup ce ponton. Je me sens...
— Serein, répondit la jeune femme à sa place.
Leurs yeux étaient plongés les uns dans les autres, et un sourire tendre étira le visage du jeune homme.
— C'est exactement ça, approuva-t-il.
Il se retourna légèrement, regardant où était le Soleil dans sa course, si Laura l'attendait à la porte et à quelle distance exacte était sa cabane.
— Miss Lalie est contente de voir que Fly aime le ponton ! A demain !
Et elle fit demi-tour.
— A demain ! lança Fly avant de se retourner lui-même vers sa cabane.
Sa décision était prise. Dès qu'il le pourrait, il irait voir le vieux Kan.
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