Chapitre 7
— Je me répète : qu'est-ce que tu fais ici ?!
Fly cligna des yeux. C'était pourtant bien la même fille qui le menaçait à présent que celle qui lui souriait aveuglément quelques minutes plus tôt. Le miel de ses yeux qui semblait vouloir lui transpercer le cœur, relevés par ses sourcils froncés, était plus effrayant encore que la menace directe de ses mains.
Fly, tremblant et horrifié, tenta une approche délicate.
— Euh, c'est-à-dire... commença-t-il en arborant un sourire maladroit et tendu, Lalie, tu...
— Ne m'appelle pas Lalie ! vociféra son assaillante. Je ne veux rien avoir à faire avec elle, continua-t-elle en instant bien sur le dernier mot avec mépris.
Fly fronça les sourcils. Il dévisagea la jeune femme, que l'impatience semblait rendre plus irritée encore – si toutefois c'était possible. Elle ressemblait en tous points à la Miss Lalie qu'il venait de quitter. Longues couettes brunes, yeux d'ambre, légères tâches de rousseur, t-shirt rouge et ceinture de stylos. Miss Lalie avait peut-être une jumelle ? Où était passée la joyeuse jeune fille, alors ? Et pourquoi la jumelle en question n'allait-elle pas à l'école ?
— Vous... commença le jeune homme, intimidé. Vous n'êtes pas Miss Lalie ?
Son agresseuse durcit encore son regard, si bien que Fly crut qu'il allait fondre devant tant de haine. Puis, contre toute attente, elle explosa de rire. Le jeune homme en fut d'abord désarçonné, puis légèrement soulagé, mais se ravisa vite quand le rire devint presque démoniaque.
— Ca me fait bien rire ce que tu me dis-là ! siffla-t-elle sur un ton peu rassurant.
— Je vois ça, répondit Fly en tentant une pointe d'humour.
En sentant l'étreinte de son poignet s'affermir, il s'empressa d'ajouter :
— Je suis désolé de vous avoir confondues ! Vous vous ressemblez... beaucoup... est-ce que vous êtes sœurs ?
La situation semblait comique, puisque la jeune femme éclata à nouveau de rire. Elle reprit ensuite son sérieux, sans démence ni menace, seulement la dureté d'une pierre froide.
— Tu ne mérites pas d'en apprendre plus tant que tu ne m'as pas toi-même dit pourquoi tu m'as suivie.
Fly avala sa salive avec difficulté. C'était donc bien elle qui l'avait accompagné. Depuis quand ne l'avait-il pas perdue de vue ? Avait-elle pu faire semblant d'être Miss Lalie pendant tout ce temps ? Et surtout pourquoi... Sous le regard insistant de son assaillante, le jeune homme cessa tout questionnement pour répondre aussi gentiment que possible à la question posée.
— Je venais seulement proposer à Miss Lalie qu'on se revoie dans le weekend, parce que... nous avons passé de très bons moments ensemble ce matin !
Il articula un sourire pour témoigner de sa bonne foi, et repensa aux évènements de la mâtiné pour le rendre plus vrai.
— Alors, reprit la jeune femme sur un ton exaspéré, tu es vraiment ami avec Miss Lalie ?
Fly, d'abord horrifié par tant de méchanceté envers son sosie, hocha vigoureusement la tête.
Son agresseuse déserra son étreinte sur son poignet et son cou, et expira bruyamment en regardant à droite, exaspérée.
— Dans ce cas, j'aurais mieux fait de ne pas t'agresser...
— Mais du coup... commença Fly, soulagé que la jeune femme ait repris une attitude humaine.
— Ne pose pas de questions ici, le coupa-t-elle. Si tu y tiens je t'explique ce que tu veux savoir, mais pas ici.
La sérénité des vagues se jetant contre les poteaux de bois emplirent l'univers sonore. La jeune femme semblait réfléchir.
— Redis-le moi, seulement. Tu es vraiment ami avec Miss Lalie ?
— Oui, répondit Fly, légèrement irrité. Je vous l'ai déjà dit, je suis ami avec Miss Lalie. C'est si étrange que ça ?
— Je ne pensait pas qu'on puisse trouver un quelconque intérêt à cette idiote, sinon de m'atteindre.
« Bonjour l'égo ! » pensa très fort le jeune homme, en levant les yeux au ciel dès que son interlocutrice eut tourné le regard.
Elle s'éloignait doucement sur le ponton, regardant à droite et à gauche, et murmura, sans même le regarder, un bref « suis-moi ».
Fly hésita un instant, mais choisit finalement de la suivre. Elle ne semblait plus lui vouloir de mal, et il voulait savoir qui elle était. Il entama alors la marche d'un pas peu assuré, avant de gagner en vitesse pour suivre celui de la jeune femme. Elle regardait toujours droit devant elle, et son visage était dur, fermé. On aurait dit qu'elle était concentrée, et légèrement crispée, aussi.
La marche dura un certain temps sans qu'il ne se passât rien, puis des bruits se firent entendre. Des gens semblaient se rapprocher tranquillement, en discutant et riant.
— Souris, lui intima la jeune femme.
Lorsque le groupe fut à leur niveau, l'un d'eux salua cette dernière.
— Salut Miss Lalie ! fit-il.
Fly, horrifié, se tourna vers l'intéressée, se demandant si elle n'allait pas étrangler le passant. Le visage jovial de son amie avait remplacé celui de l'inconnue.
— Bonjour ! répondit-elle dans un grand sourire innocent.
Fly sourit timidement, quand les passants le regardèrent.
L'inconnue reprit alors sa marche, et dès que tout autre humain qu'eux se fut éloigné, elle perdit aussitôt son sourire pour retrouver son visage dur et sérieux.
La métamorphose était surprenante, et le jeune homme en fut abasourdi. Elle aurait aussi bien pu se faire passer pour Miss Lalie depuis le début qu'il n'y aurait vu que du feu.
Lorsqu'elle commença à ralentir le pas, elle se dirigea vers une cabane des plus banale d'Hydran, sûrement sa maison. Elle ouvrit la porte et entra une fois que Fly eut lui-même franchi le seuil. Elle alluma la lumière, sans ouvrir les volets, et ferma la porte à clef.
— Voilà, déclara-t-elle enfin sur le même ton las et lugubre. Nous devrions être en sûreté ici, tu peux parler si tu le souhaites.
Fly resta un moment à contempler le petit intérieur, le mobilier était simple, et l'ensemble du bois qui couvrait la maison, d'un brun sombre. Se rendant alors compte qu'il pouvait poser ses questions, il se mit à réfléchir, puis demanda simplement :
— Qui... es-tu ?
L'inconnue baissa les yeux d'un air presque attendrissant.
— Je m'appelle Ella, commença-t-elle en relevant son regard dur. Mon existence même est un secret. Personne n'est au courant à part le vieux Kan, et toi maintenant. Je t'interdit d'en souffler mot à qui que ce soit.
Fly hocha vigoureusement la tête, il n'avait pas besoin d'une menace concrète pour comprendre qu'il le regretterait amèrement s'il venait à transmettre cette information.
Le jeune homme s'attendait à ce qu'elle continue ses explications, mais elle restait rigide comme une statue.
— Et... qui es-tu, par rapport à Lalie ? continua-t-il alors.
Il crut qu'elle n'allait pas lui répondre. Elle ne bougeait toujours pas, comme si elle n'avait pas entendu. Elle soupira alors, visiblement embarrassée.
— C'est un peu compliqué... je n'en ai jamais parlé à personne, surtout à quelqu'un que je ne connais que depuis quelques semaines.
— Est-ce que... tu es Lalie ?
— En quelques sortes, oui, et en même temps pas du tout.
Fly fronça les sourcils, déconcerté.
— Euh, c'est-à-dire ?
— Miss Lalie et moi habitons le même corps.
Fly ne sut quoi répondre, et la pièce se plongea dans un silence de morts. Il mit un moment à comprendre ce que cela impliquait.
— Donc là, tenta-t-il, il y a Ella et Miss Lalie en même temps dans la personne en face de moi ?
— Non, tu n'y es pas. La majorité du temps, c'est Miss Lalie que tu vois, et moi, je ne fais que voir ses actions en arrière-plan. Le reste du temps, c'est moi, et je joue la comédie, pour que personne ne se rende compte de rien. Mais Miss Lalie n'a pas conscience de ça. Elle se souvient inconsciemment de ce que j'apprends, mais je ne peux rien entreprendre lorsqu'elle est là.
— Et... pourquoi tu le caches à tout le monde ? demanda Fly après un instant de réflexion. Je suis sûre que tu gagnerais à ce qu'on t'accepte telle que tu es. Tu ne peux pas dire que les gens te jugeraient puisque c'est déjà le cas.
— Je dois me venger.
Fly sentit son pouls s'accélérer. Une vengeance allait plus loin qu'une simple histoire de différence. Il ne pourrait pas l'aider, et surtout, c'était sûrement dangereux et illégal.
— Je dois retrouver celui qui a tué ma mère, et détruit ma vie. Il était son ami, et a trahi sa confiance. Elle était l'être que j'aimais le plus au monde, et il me l'a enlevée, en plongeant en même temps une partie de ma personnalité dans un déni profond. Je ne vis que pour le tuer. Je le ferai, quoi qu'il advienne.
— Il... n'a jamais été puni pour son crime ?
— Non. Et même, je l'aurais tué quand même. Il ne mérite même pas de vivre.
— Mais... il y a d'autres façons de se venger. Le faire inculper par exemple. Si tu le tues, c'est toi qui iras en prison, et tu ne mérites pas forcément ça non plus.
Il continua de parler, malgré les mouvements agacés de son interlocutrice.
— Tu ne peux pas ne vivre que pour tuer quelqu'un, il y a forcément de belles choses que tu pourras vivre, même avec ton handicap. Il y a forcément des choses que tu aimes, et tu devrais plutôt...
— Tu n'es pas à ma place, cracha Ella. Tu n'as pas à me dire ce que je dois faire, car tu ne peux pas ressentir la haine que je ressens !
Elle se retourna, serrant les poings.
— Je... je suis désolé... murmura Fly.
Ella sembla légèrement apaisée, elle se décrispa un peu, et expira. Elle n'esquissa ensuite plus le moindre mouvement, comme elle l'avait déjà fait avant qu'il prenne l'initiative de poser une question.
— Et... commença-t-il donc, pourquoi est-ce que tu m'as attaqué... maintenant ? Tu aurais pu ne rien montrer de toi, comme d'habitude.
— C'est à cause du journal, répondit-elle toujours sans se retourner. Je repartais en acheter un autre, et je pensais que tu avais compris.
— Que j'avais compris... que tu allais chercher un autre journal ?
Ella ne bougea pas, et Fly prit ça comme une affirmation.
— Mais... pourquoi voulais-tu absolument ce journal ? Tu aurais pu me le dire quand on n'était pas trop éloignés...
Comme la jeune femme ne répondait toujours pas, Fly essaya de trouver lui-même la réponse.
— A moins que... continua-t-il sur un air d'hésitation, ça ait un rapport avec ta vengeance ?
Son interlocutrice ne sembla pas affectée par sa phrase, presque comme si elle ne l'entendait pas, puis se retourna subitement, un immense sourire aux lèvres.
— Miss Lalie est très contente de faire visiter sa maison à Fly, comme ça, il pourra venir la voir.
Le visage du jeune homme se décomposa. Ella, avec ses mystères et ses réponses, venait de s'envoler, impuissante à l'arrière-plan de sa pensée, remplacée par Miss Lalie, souriante.
— Fly ne va pas bien ? demanda-t-elle innocemment.
— Si, si, ça va, répondit le jeune homme dans un faux sourire, réalisant à quel point la vie d'Ella était complexe.
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