Chapitre 35
— Quelque chose ne va pas ? demanda Estelle Aurston, inquiète.
Ella respira calmement un instant, avant de relever les yeux vers elle et de sourire.
— Ce n'est rien, répondit-elle, d'une gaieté feinte. C'est juste que... le nom de votre frère m'a dit quelque chose, alors ça m'a fait... étrange.
Plus aucun doute sur les pensées d'Ella. Cet Alan appartenait bel et bien à son passé, et il était certainement la prochaine étape. Ou peut-être la dernière ; il était assez proche d'Estelle pour en vouloir à Delphine. Fly se crispa. Approchaient-ils du but ?
— Peut-être que tu l'as déjà vu enfant, expliqua Estelle, il vivait à Géopolis, comme moi. Ou tu as peut-être vu son nom dans les journaux, c'était un bon joaillier.
Fly sentait son cœur s'accélérer, et il devait faire un effort pour rester impassible. C'était sûr alors, c'était lui. Trop d'indices concordaient...
Ella était crispée, mais faisait de son mieux pour paraître détendue devant Estelle. Elle souriait et parlait calmement, admirablement maître d'elle-même.
— Oui, c'est sûrement ça, répondit-elle. Je ne savais pas que vous aviez un frère. Et comme je suis fille unique, la question ne m'a même pas traversé l'esprit.
— Ah oui, je vois, sourit Estelle. J'aime beaucoup mon frère, on jouait souvent ensemble quand j'étais jeune. Je le vois moins souvent, maintenant, il vient parfois me rendre visite, mais c'est beaucoup plus compliqué pour moi de voyager.
— C'est sûr que c'est pas évident de voyager d'une ville à l'autre, commenta Fly. Je viens de Toritoshi mais maintenant je vis à Hydran et ça m'avait manqué...
— Je comprends, répondit Estelle, parfois ma Géopolis natale me manque un peu. Tous les souvenirs que j'ai là-bas... Mais dans un autre sens, Toritoshi a un côté plus paisible. Et on peut vivre sous la lumière du Soleil. C'est assez dur, à Géopolis. La majorité des gens finissent par quitter la ville, un jour ou l'autre. C'est le cas de mon frère, justement. Il a toujours vécu à Géopolis, mais il ne s'est pas vu élever son enfant sans voir le Soleil. Il vit à Hélioterra, maintenant, il a bien choisi sa ville !
Estelle souriait, légère, mais pour Fly et Ella, c'était comme un coup de poing à chaque information, une avancée cruciale à retenir, d'infimes détails qui changeaient tout. Les deux jeunes échangèrent un regard. Ils savaient quoi faire, maintenant. Aller à Hélioterra, trouver cet Alan, et... et quoi, au juste ? Quel était le but d'Ella, finalement ?
— Je suis déjà allée une fois chez lui, continua gaiement Estelle. C'est très beau, Hélioterra, je n'y étais jamais allée. Je retournerai peut-être un jour. Il faudra aussi que je visite Hydran. C'est là dont vous venez, si j'ai bien compris ?
— Oui, c'est ça, répondit Fly. Je vous conseille, c'est impressionnant ! Enfin, de toute manière, j'ai l'impression qu'il y a des paysages magnifiques dans toutes les villes.
— C'est vrai, murmura Estelle.
— Puis-je vous poser une dernière question ? reprit Ella.
— Bien sûr.
— Est-ce que vous pourriez me donner l'adresse de votre frère ? Comme son nom me dit quelque chose, je pense que je l'ai connu enfant. J'aimerais le rencontrer, un jour, je pense que ça m'aiderait dans ma quête d'identité.
Fly avait peur, très peur qu'Estelle se doute de quelque chose, même si le mensonge d'Ella était bien ficelé. Un mensonge ? Non, techniquement, elle n'avait rien dit de faux.
— Oui, pas de soucis, répondit Estelle à son grand soulagement. Je ne l'ai pas en tête, je vais la chercher tout de suite.
Elle se dirigea dans une autre pièce. Ella et Fly échangèrent un regard. Il avait peur, elle était déterminée.
— Est-ce qu'un de vous deux peut venir ? lança Estelle, au loin.
Sans un mot, Fly la rejoignit dans son bureau. Elle lui indiqua un classeur et il en sortit la feuille sur laquelle était écrite la précieuse adresse. De retour au salon, Ella la copia sur une feuille vierge.
— Pourrais-tu également m'inscrire ton adresse sur une feuille, s'il-te-plaît ? lui demanda Estelle. J'aimerais pouvoir te recontacter. Discuter avec toi. J'ai... envie de mieux te connaître.
Ella sourit tendrement.
— Oui bien sûr.
La version originale de l'adresse d'Alan fut remise à sa place dans son étagère, et, à ses côtés, celle d'Ella.
— Merci pour tout, s'inclina Ella au moment de partir.
— Merci à toi, répondit Estelle. J'avais besoin de te rencontrer. Je t'écrirai.
Et quelques adieux et formalités plus tard, ils furent dehors.
Le Soleil avait commencé à décliner et leurs ombres s'étiraient longuement sur le sol et les murs. Il ne fallait plus qu'ils tardent trop à rentrer, sinon Augustin et Ingrid allaient s'inquiéter un peu. Ce serait sûrement bientôt l'heure du repas. Fly commençait à avoir un peu faim.
Ils marchèrent quelques instants jusqu'à la place où ils étaient arrivés.
— Kali ! cria Fly, machinalement.
Après quelques battements d'ailes qui projetaient sur leurs visages un vent frais, un bel oiseau brun était posé devant eux.
— On va à Hélioterra, déclara Ella d'un ton sec juste avant qu'ils ne montent.
— Je m'en doutais, répondit Fly. Tu penses que c'est lui ?
— Sans aucun doute. Même son nom m'est familier. Si je l'avais entendu plus tôt, je l'aurais su. Mais maintenant, j'ai son adresse, et même si c'est dans un an, je le retrouverai.
— Les vacances ne sont pas encore finies et on a pas mal économisé en vivant chez Augustin, on peut peut-être se permettre d'y aller maintenant, si tu le veux.
— Bien sûr que je le veux. J'en aurai enfin fini avec lui.
Fly eut des frissons dans le dos. Peut-être qu'il s'était habitué à la Ella souriante et émotive qui s'était montrée cette après-midi, mais elle lui paraissait particulièrement sèche et haineuse. Peut-être qu'elle était juste la même Ella que d'habitude, celle qui lui crachait des paroles amères à la moindre occasion, celle qui l'avait plaqué contre un mur lors de leur première rencontre. Enfin, lorsqu'elle s'était pour la première fois montrée à lui sans imiter Lalie comme elle le faisait habituellement.
Cette Ella lui faisait de la peine. Il espérait qu'accomplir cette quête et retrouver son passé lui permettrait ensuite de vivre en paix. D'être apaisée, heureuse, souriante comme il avait pu la voir. Il savait que c'était possible, elle avait juste besoin de soutien, d'amour.
Fly se hissa sur l'oiseau, puis aida Ella à le rejoindre.
— On peut aller voir pour un avion demain, si tu veux, continua-t-il.
— Je veux bien, répondit Ella.
Sa phrase très sèche s'enchaîna étonnamment sur une légère hésitation.
— Enfin, rajouta-t-elle, plus douce, si ça ira pour toi, pour dire au revoir à Augustin et Ingrid...
Fly soupira. C'est sûr, il aurait voulu rester avec eux pour toujours, mais quel que soit ce jour, il faudrait bien finir par rentrer à Hydran, de toute manière.
— Demain ira bien, répondit-il, d'un sourire un peu triste. Je tâcherai de revenir plus souvent.
L'oiseau s'élança. Direction l'aéroport. Un avion partait le lendemain matin, et Fly acheta deux billets pour Hélioterra. Ils rentrèrent ensuite à Villomne, où Augustin et Ingrid les attendaient pour le dîner. Une fois à table, Fly entreprit de leur expliquer la situation – en omettant soigneusement les détails qu'Ella aurait voulu garder pour elle.
— Alors vous partez demain ? répéta Augustin, un peu triste.
— Oui, répondit Fly. Désolé de te prévenir au dernier moment, on a eu pas mal d'imprévus...
— Aucun soucis, petit frère. Je suis triste que tu partes, mais je m'y attendais. Tu avais prévenu que tu ne resterais pas pour toujours !
Augustin rit doucement, sûrement en partie pour recouvrir sa peine. Fly l'aurait bien voulu, rester pour toujours. Mais en effet, ça n'était pas raisonnable. Il n'y avait donc plus qu'une seule chose à faire : Fly releva la tête et afficha son plus beau sourire.
— Ne t'en fais pas ! entonna-t-il, joyeux. Je reviendrai en vacances ici, et toi tu viendras un jour à Hydran ; et en attendant, je t'écrirai des lettres !
— Ça me semble être un bon programme, commenta Ingrid, souriante, en caressant doucement l'épaule de son aimé.
— Ne t'en fais pas, reprit Fly, déterminé. Je ne te laisserai pas, cette fois, grand frère !
— Je n'en doute pas, répondit l'intéressé en souriant à son tour.
Fly savoura son dernier repas avec ces amis qui faisaient désormais clairement partie de sa famille.
Le lendemain, Augustin et Ingrid les accompagnèrent à l'aéroport.
Fly caressa affectueusement sa monture avant de la laisser partir. Il ne pourrait plus voler avant un moment.
L'aéroport était un peu comme lorsqu'ils étaient arrivés : à pieds dans une zone ensoleillée – sans qu'il ne fasse trop chaud – où les oiseaux s'aventurent peu, accompagné d'une Lalie souriante qui décortiquait le paysage. Pourtant, Fly se sentait drastiquement différent. Il avait retrouvé Augustin, il avait renoué avec sa ville, et portait en lui la certitude qu'il ne s'en éloignerait plus jamais vraiment.
Les deux hommes ne manquèrent pas de s'étreindre avant de se séparer.
— A plus tard, petit frère, lança Augustin.
Lorsque les deux groupes se séparèrent, Fly et Lalie n'eurent d'autre choix que de se tourner vers l'avenir : Hélioterra. La ville du Soleil, et d'Alan Aurston, l'assassin de la mère d'Ella.
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