Chapitre 32

En rentrant à la maison, Fly était épuisé. Il se laissa tomber dans le canapé-lit sans demander son reste. La lumière qui filtrait à travers ses paupières devint soudain moins présente. En ouvrant les yeux, il découvrit une Miss Lalie penchée au dessus de lui. On aurait pu croire qu'elle l'observait.

— Où était Fly ce matin ? demanda-t-elle dans un sourire figé qui aurait été étrange sur n'importe quelle autre personne.

Fly n'avait pas envisagé ça. Il avait stressé pour Augustin et Ingrid, mais pas pour Lalie. Quel imbécile !

— Je devine, lança Augustin depuis la cuisine où il essuyait des verres. Un Fly fatigué au visage rougi, et qui est motivé tôt le matin, de plus ! C'est un Fly qui est parti voltiger, ça !

Fly sourit. Augustin l'avait bien cerné. Il ne se doutait pas que ce n'était pas pour le plaisir qu'il avait volé, ce matin, mais s'il l'avait fait, il aurait pu adopter le même comportement.

— On empêche pas Fly, celui qui vole, de sillonner le ciel de la ville des oiseaux, continua l'aîné en brandissant théâtralement un verre.

— Oh, Fly est allé voler, répéta Miss Lalie. Pourquoi Fly n'a pas emmené Miss Lalie ?

— C'est parce que tu aurais la nausée s'il s'amusait pendant que tu es là, compléta Augustin, hilare.

— C'est vrai, répondit Fly dans un réel désir de lui expliquer. Lorsque je vole seul, je vais très vite, et je fais quelques... figures acrobatiques...

— Il aime risquer sa vie ! plaisanta Augustin.

Fly leva les yeux au ciel en un soupire. Il devait reconnaître qu'Augustin l'amusait. Il aimait cette complicité. Il espérait seulement que Lalie ne le prenait pas au pied de la lettre.

— Ce n'est pas dangereux, reprit-il pour la rassurer, puisque je suis expérimenté. Par contre toi tu ne l'es pas et même en tant que passagère ça le serait.

Miss Lalie bouda un instant.

— Alors Fly ne voudra plus voler avec Miss Lalie ?

— Bien sûr que si ! Si tu es là, je ferai attention à toi voilà tout !

Manifestement satisfaite de cette réponse, elle s'écarta et sautilla vers la cuisine, où elle semblait prendre plaisir à aider Ingrid et Augustin.

— Du coup, chouette séance de vol ? reprit Augustin, plus calme.

Fly se concentra pour se remémorer ses sensations une fois là haut, minimisées par sa quête et les informations qu'il avait acquises. Le vent, la vitesse, il les tenait. Un sourire se dessinait sur son visage sans qu'il ne puisse le contrôler.

— Je vois que oui, constata Augustin qui avait jeté un œil en l'absence de réponse.

— Oui, répondit Fly malgré tout. C'était incroyable. Ça faisait trop longtemps que je n'avais pas volé comme ça.

Il savourait cet instant de bonheur. Tout le monde heureux, un calme apaisant seulement entrecoupé de quelques bruits de verres que l'on repose dans un placard.

— Et toi, grand frère, tu voles à quelle zone maintenant ?

Il se souvenait qu'Augustin avait pris du retard sur son apprentissage du vol. Il avait bien envie de voir jusqu'où il avait progressé.

L'intéressé ne répondit pas. Lorsque Fly ouvrit les yeux, il put voir qu'Ingrid échangeait avec lui des regards interrogateurs.

— Écoute Fly, soupira Augustin. Je sais que pour toi, voler c'est très important et que ça te semble facile, mais pour moi, c'est beaucoup trop dur. Je ne vole pas.

Fly se sentait très mal à l'aise. Il n'avait pas l'intention de blesser son ami, mais était quand même étonné. Il ne pensait pas que c'était difficile à ce point pour lui, au point de ne pas s'en sortir, finalement. Pour lui qui aimait tellement ça, ne pas pouvoir voler, c'était un peu comme rater sa vie.

— Mais ne t'en fais pas, je suis très heureux, continua Augustin comme s'il avait lu dans ses pensées. Je suis vraiment content que tu aies cette passion qui te fasse tant de bien, mais j'espère que tu comprends que ça n'est pas mon cas, et que je ne volerai probablement jamais. J'ai... j'ai trop peur.

Fly baissa la tête, un peu triste.

— Je suis désolé si je t'ai blessé.

— Ce n'est rien, répondit Augustin dans un sourire timide mais sincère.

Il sortit de la cuisine, et s'approcha pour prendre Fly dans ses bras, qui n'hésita pas un instant à prendre part à l'étreinte. Il reprit ensuite le sourire plus vif qu'il avait avant, et lui ébouriffa les cheveux.

— Je suis fier de toi, mon petit frère des airs, déclara-t-il joyeusement.

— Merci grand frère, répondit-il, souriant.

Il était heureux de pouvoir l'appeler ainsi, et de voir qu'il comptait toujours autant dans son cœur.

Lalie, qui n'avait manifestement rien suivi à la conversation, les informa bientôt que le repas était prêt. Elle était enjouée – comme souvent – et leur servir quelque chose qu'elle avait elle-même préparé semblait la combler de bonheur.

— Alors Fly, commença Augustin dès qu'il eut terminé son assiette. Tu comptes faire quoi cet après-midi ?

Fly, qui mâchait encore une bouchée de son repas, fut assez décontenancé par sa question. Il n'y avait pas vraiment réfléchi. Instinctivement, il se tourna vers Lalie. Il décocha même un petit sourire en la voyant irradier de joie – comme souvent, elle le contaminait de ses bonheurs simples. Aucune trace d'Ella. Et sans Ella, pas de recherche. Il pouvait bien avancer sans elle – cela lui ferait plaisir – mais s'il tombait sur Estelle Aurston seul, il serait bien décontenancé. Il en avait déjà pris le risque jusque là, mais maintenant qu'il semblait si proche du but, la situation lui semblait bien plus réelle, et terrifiante.

— Je ne sais pas... répondit-il, stressé d'entendre le silence se répandre après une question. Vous avez une envie ?

Augustin sourit, comme à son habitude.

— Tu as une envie, Lalie ?

Lui aussi aimait répandre la bonne humeur, il fallait croire. Fly se sentait bien, entouré de personnes douces et lumineuses. Dommage qu'il ne soit pas là que pour en profiter et que les problèmes d'Ella occupent constamment sa pensée.

Mais il pouvait se détendre. Il avait beaucoup avancé. Lorsqu'elle reviendrait, ils pourraient reprendre leur quête ensemble, avec de l'espoir tenu par un indice solide. Après tout, ils avaient toujours fait ça. Il se démenait avec Ella puis se détendait avec Lalie.

Et là, il était très tendu. Il en avait besoin.

— Miss Lalie veut voir des fleurs.

— A cette saison ? s'étonna calmement Ingrid. Il y a bien quelques fleurs mais elles sont en déclin.

Loin de décourager Lalie, cette affirmation ne fit que raviver sa passion, et on semblait voir les fleurs sortir directement de ses yeux, déversant au monde les couleurs qui semblaient animer les émotions de la jeune femme.

— Il y a encore plus de fleurs d'habitude à Toritoshi ?! s'émerveilla-t-elle.

— Haha oui, sourit Augustin, au printemps il y en a partout et on peut parfois sentir l'odeur du miel rien qu'en passant dans une rue.

— C'est merveilleux ! s'écria la jeune femme en souriant jusqu'aux oreilles. A Hydran le printemps, c'est comme l'hiver à part qu'il fait plus chaud et que Miss Lalie ne risque pas de glisser d'un ponton.

— Oh je vois, répondit Augustin, content de pouvoir lui aussi apprendre de son interlocutrice.

— Tu as déjà vu les feuilles mortes, réfléchit Ingrid, et Villomne est le meilleur quartier pour ça. On pourrait peut-être s'approcher de l'Arbre.

— Oh, très bonne suggestion, s'enjoua immédiatement Augustin. A moins qu'on parte à la recherche de quelques jardins fleuris de fleurs tardives.

— On n'a qu'à faire les deux, s'amusa Fly.

— Ça c'est bien mon p'tit frère, clama Augustin en lui ébouriffant les cheveux.

— Vous pensez vraiment qu'on a le temps ? demanda Fly, beaucoup plus sérieux.

— Oui, répondit Augustin, qui n'avait pas l'air de beaucoup s'en inquiéter. Si on trouve les fleurs dans un quartier près de Prabe ça se tente ! Après, je sais où trouver l'Arbre à coup sûr, pas les fleurs !

Les trois habitués de la cité des oiseaux exposèrent de rire à l'unisson. Miss Lalie n'avait pas l'air de comprendre, mais ça ne semblait pas la déranger. Elle souriait plus fort, en entendant leur rire, le regard ailleurs.

— C'est sûr qu'on ne risque pas de le manquer, soupira Fly de rire.

La tablée resta silencieuse un instant, après quoi Augustin tapa dans ses mains et se leva.

— Allez, ne perdons pas de temps !

— Mais attends, j'ai pas fini ! s'offusqua Fly à qui il restait encore une ou deux bouchées dans l'assiette.

— Bah mange alors ! s'amusa Augustin en commençant à débarrasser la table, bientôt rejoint par Ingrid et Lalie.

Fly eut vite raison du reste de son repas, sans plus personne à qui parler. Ils étaient déjà passés à Prabe, mais ce n'était pas pour le tourisme. C'était un quartier magnifique, cela plairait sûrement à Lalie.

Fly fronça les sourcils.

— Mais ça va aller pour aller à Prabe ? commença-t-il, inquiet. Si tu... ne peux pas voler...

Il avait peur que ça rende triste Augustin. Il s'en voulait un peu d'être aussi rude avec lui. Mais à vrai dire, comment se déplacer jusqu'à Prabe sans oiseau ? Il ne pouvait prendre qu'un seul passager sur le sien.

— Ne t'en fais pas, répondit Ingrid, je peux voler en zone trois, on pourra y aller à deux oiseaux.

— Oh.

Fly se sentit un peu bête, il n'avait absolument pas pensé à Ingrid. C'était évident pourtant. Il était tellement focalisé sur Augustin qu'il ne s'était même pas posé la question.

— Allez, allons-y ! déclama l'intéressé avec son entrain habituel.

Ingrid posa sur Fly un regard bienveillant, qui le rassura beaucoup, avant d'aller enfiler ses chaussures.

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