Chapitre 29
L'ombre des oiseaux faisait clignoter le Soleil léger de l'automne et le tumulte né des multiples battements d'ailes et des piaillements des volatiles donnait à Fly une impression de rafraîchissement. Ella n'était certainement pas de cette impression, puisqu'elle arborait désormais un regard noir et ne prononçait pas un mot.
Heureusement pour Fly, le silence qui les séparait et murait Ella dans sa solitude ne serait bientôt plus une fatalité. Ils arrivaient près d'une placette d'où ils pourraient prendre leur envol.
— Kali ! appela Fly.
Un oiseau vint bientôt se poser devant eux. Il était plus petit que celui qu'ils avaient monté la veille. Fly trépignait d'impatience – bien qu'il sût qu'il ne pourrait pas faire des acrobaties à sa guise avec Ella dans son dos.
Ils se hissèrent tous deux sur la selle et, après avoir attaché le cordon à leur ceinture, ce fut reparti pour le même rituel que la veille. D'abord la première zone – il était toujours assez simple de s'y insérer puisque les oiseliers y volaient très lentement. Puis la deuxième zone, presque instantanément. Fly répéta l'opération jusqu'à atteindre la cinquième zone – la plus haute – cette fois. Il devait parfois attendre plusieurs secondes que la voie soit libre au dessus de lui, mais il était à l'aise et saisissait toujours la moindre opportunité. Il leur avait probablement fallu moins d'une minute pour arriver tout en haut.
Là, il pouvait faire ce qu'il voulait. Il dut faire un effort conséquent pour ne pas s'élancer à toute allure et effectuer des loopings ou toutes sortes d'acrobaties qui auraient fait peur à Ella – voire représenté un danger pour une personne non habituée comme elle. On pouvait voler à n'importe quelle hauteur en tant que passager, mais il y avait tout de même un certain bon sens à avoir.
Fly s'élança quand même à une certaine vitesse.
Ella se tenait à lui et devait faire preuve d'une certaine agilité pour rester en équilibre sur la selle, mais son air grognon n'avait pas disparu. Fly avait du mal à voir son visage, dans son dos, mais en lui jetant des coups d'œil, il était presque sûr qu'elle avait encore les sourcils froncés.
A la vitesse à laquelle ils allaient, ils ne leur fallut pas longtemps pour atteindre l'hôpital de Villomne. Il était plutôt sur la périphérie du quartier, notamment pour avoir plus de place pour ses grands bâtiments – il en fallait puisqu'ils ne pouvaient excéder deux étages – et pour éviter le bruit constant des oiseaux massivement groupés au centre, autour de la Tour.
Fly redescendit rapidement, s'insérant dans les zones lorsqu'elles étaient libres comme lors de la montée. L'oiseau se posa juste devant l'hôpital – manifestement une zone dégagée prévue à cet effet pour éviter aux blessés d'avoir à marcher. Fly n'était jamais venu ici. Il connaissait très peu Villomne, que vue du ciel à vrai dire.
L'immense bâtiment s'étendait en largeur aussi loin qu'il le pouvait. Ses murs étaient blancs, afin de rappeler la propreté symbolique d'un hôpital et le distinguer d'une maison ordinaire – même s'il n'y avait pas grand-chose à faire de ce côté-là compte tenu de sa taille.
Énervée qu'il s'arrête ainsi devant l'édifice et l'observe, passif, Ella pris les devants, non sans le lui faire comprendre d'un regard noir. Fly s'élança à sa poursuite pour la rattraper et ils entrèrent bientôt dans l'hôpital.
Le hall était très grand, et quelques personnes en blouse blanche passaient ici et là pour aller d'un couloir à l'autre. Certains s'arrêtaient parfois pour échanger quelques mots avec un patient assis.
— Sois un peu plus concentré, siffla Ella juste dans son oreille.
Elle se dirigea vers le guichet le plus proche, que Fly n'avait même pas encore repéré.
— Bonjour, commença-t-elle dans son plus grand sourire de politesse, d'une voix tout juste assez forte pour être entendue dans cette fourmilière. Pourriez-vous nous fournir quelques renseignements ?
Fly était abasourdi par son ton plus que poli. Ce n'était pas celui d'Ella, qu'il savait bien plus sèche que ça, ni celui de Lalie qui avait un sourire plus léger, bien moins attaché aux apparences. Après tout, Ella était très soucieuse de ses intéractions. Elle allait jusqu'à totalement dissimuler sa véritable personnalité, quitte à souffrir deux fois plus. Du moins, c'était ce qu'il pensait. Mais en la regardant à cet instant, il ne percevait quasiment aucune trace de souffrance. La seule qu'elle laissait s'échapper était certainement celle qu'il lui imaginait à force de la connaître.
— J'aimerais obtenir la liste des établissements qui pourraient accueillir des personnes qui ne peuvent plus être autonomes, continua Ella dans son magnifique sourire de façade.
— Oui bien sûr ! répondit la réceptionniste, tout aussi polie.
Fly ne lui avait pas prêté attention jusque là. Elle souriait, elle aussi, et dégageait cette impression de propreté qui semblait propre aux soignants. Elle se leva et fouilla dans quelques dossiers avant d'en tirer un papier qui semblait la satisfaire.
— Voilà, déclara-t-elle. Vous cherchez à un endroit en particulier ou je vous fais une photocopie ? Il y a toutes les informations nécessaires dessus.
— Je veux bien une photocopie, s'il-vous-plaît, répondit Ella.
Quelques instants plus tard, elle avait le document en mains.
— Merci beaucoup !
Son visage reflétait la joie et la reconnaissance. Fly ne pouvait réprimer une certaine admiration – bien que mêlée de compassion – envers ce talent d'actrice hors pair. Rien sur son visage, ni dans ses gestes, ne pouvait la trahir. C'était comme si elle avait toujours été cette jeune femme bienveillante, polie, qui souriait aux gens sans raison explicite.
Ella fit demi-tour afin de regagner la sortie de l'établissement, et Fly la suivit après un timide au revoir.
Ella lisait attentivement la feuille un peu à l'écart de l'entrée, les sourcils froncés.
— Celle-là se trouve à Villomne, grogna-t-elle. Allons-y.
Elle se mit en route sans hésiter un instant, mais Fly était quasiment sûr qu'elle ne savait pas où elle allait. Elle jetait des regards agacés aux panneaux sans toutefois s'arrêter, et accélérait vivement dès qu'elle avait tout lu.
— Attends Ella ! cria Fly en la rejoignant au pas de course.
— Quoi ? cracha-t-elle dès qu'elle se retourna.
Elle avait même agité sèchement ses bras en signe d'énervement. Sa colère semblait prête à exploser et à le recouvrir de lave destructrice. Fly était tout de suite beaucoup plus hésitant.
— Tu... tu voudrais pas qu'on vole ? bredouilla-t-il.
— Si tu veux, siffla-t-elle en faisant demi-tour.
Elle marcha quelques mètres sur la place puis se planta comme un piquet, bras croisés, et toujours un regard d'acier. Elle était insensible aux battements d'ailes des quelques oiseaux qui survolaient l'immense hôpital, mais Fly y voyait un certain réconfort. Il jeta un regard aux volatiles, ce qui arracha un soupire énervé à Ella qui n'avait pas bougé d'un pouce depuis.
— Ella... commença-t-il. Pourquoi... pourquoi est-ce que tu es aussi énervée ?
Elle se raidit, probablement pour tenter de contenir une explosion de colère. Elle se tourna vers lui, ses deux yeux clairs brûlants comme s'il regardait directement le Soleil.
— Tu as oublié, répondit-elle sur un ton de menace. Tu as oublié ce qui lui est arrivé alors que Monsieur Lyndon l'a dit, il l'a dit !
Elle fulminait, Fly sentait presque bouillir l'eau à l'intérieur, et il avait peur qu'un jet brûlant ne vienne s'écraser contre sa peau sans prévenir.
— On aurait pu gagner un temps précieux, cracha-t-elle. Tout ça, demander les adresses, aller visiter les premières, tu aurais pu le faire sans moi, et on aurait gagné un temps précieux ! Tu crois que j'ai tout mon temps moi ? On ne sait même pas quand reviendra cette abrutie de Lalie ni si on pourra régler cette affaire avant de retourner à Hydran !
Sa colère laissait transparaître ses peurs, mais elle était si menaçante que Fly aurait voulu se faire tout petit et se cacher dans un trou de souris pour qu'elle ne le retrouve plus. Il aurait presque voulu tout arrêter et rentrer chez lui.
— Et toi, tu as oublié ! asséna-t-elle en haussant le ton.
Fly était à deux doigts de pleurer. Il se sentait blessé. Il avait oublié, était-ce impardonnable à ce point ? Il reporta son regard vers le sol. Par chance, un fragment du brouhaha déchaîné par les oiseaux parvint jusqu'à ses oreilles et lui redonna un peu de force.
— Tu sais Ella, commença-t-il doucement, au départ tu m'avais fait venir simplement pour veiller sur Lalie en ton absence... Enfin... je veux t'aider, et ça me fait plaisir si je peux avancer un peu pendant que tu n'es pas là mais... essaye de ne pas m'en vouloir s'il-te-plaît... considère plutôt ça comme un bonus !
Il releva les yeux et afficha du mieux qu'il le put un sourire néanmoins un peu timide. Il voulait lui montrer qu'il n'était pas là pour lui faire la guerre, qu'il ne disait pas ça pour la fâcher ou être contre elle. Ça semblait fonctionner, au moins en partie, Ella – tout de même loin de sourire – semblait s'être un peu détendue.
— Très bien, soupira-t-elle. Excuse-moi de m'énerver, je suis un peu... à cran.
Fly avait de la peine pour elle. Il voyait bien qu'elle allait mal. Ça lui donnait envie de faire tout son possible pour l'aider. De tout faire pour qu'elle puisse sourire sincèrement.
— Ne t'en fais pas, sourit-il. On va faire de notre mieux !
Elle laissa presque échapper un léger rictus. Le niveau de sa colère était au moins redescendu d'un cran.
Elle reporta son attention sur la feuille qu'elle tendit à Fly.
— La troisième, indiqua-t-elle.
Fly se pencha sur le papier pour lire l'adresse.
Rue des Champignons.
Il ferma subitement les yeux et masqua ses paupières froncées d'une main crispée.
— Tu ne sais pas où c'est ? demanda Ella, inquiète.
— Je ne suis jamais vraiment venu à Villomne, répondit-il, alors les adresses que je connais remontent aux souvenirs de celles que j'ai étudiées sur une carte...
Après quelques secondes de silence, Ella se mit à rire doucement. Elle marcha tranquillement dans la direction qu'elle avait empruntée à sa sortie de l'hôpital.
— Tu voudrais pas qu'on vole ? singea-t-elle, hilare.
Fly avait du mal à se concentrer et ne pouvait se retenir de sourire.
— C'est bon, rétorqua-t-il, toujours la main sur les yeux. Je fais ce que je peux !
— Bon, décréta-t-elle, le temps que tu retrouves dans tes vieux souvenirs où se trouve la Rue des Champignons, j'y vais à pieds en suivant les panneaux !
Fly ouvrit les yeux, surpris. Elle y allait vraiment !
— Mais attends ! s'exclama-t-il. Je vais retrouver !
— C'est bien ce que je dis, répondit-elle au loin, à tout à l'heure !
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