Chapitre 28

Fly l'avait vue se rapprocher peu à peu au dessus des toits des maisons, et la Tour d'Oiseaux apparaissait maintenant à l'issue de la rue dans laquelle ils se trouvaient. On entendait le pépiement et les battement d'ailes de centaines d'oiseaux au cœur de la grande place.

Miss Lalie n'avait accordé aucun intérêt à l'édifice jusque-là, concentrée sur les parterres fleuris et les bandes de gazon, mais maintenant que la tour s'imposait en face d'eux, elle avait le nez en l'air et la bouche bée, pour observer à quelle hauteur elle s'élevait.

Sa surface grise semblait irrégulière, façonnée par le vent depuis des décennies. Chacun de ses étages circulaires était perforé de plusieurs grandes arches desquelles s'échappaient parfois quelques oiseaux. Les étages les plus bas étaient plus larges, et la quantité de volatiles qui y séjournaient était impressionnante.

Le petit groupe se remit en marche, et s'approcha jusqu'à être entrés sur la place.

— C'est haut, murmura Miss Lalie.

Elle devait avoir mal au cou à ainsi fixer la cime de la tour.

— Elle va jusqu'à la cinquième zone, précisa Fly. Quand on a volé hier, on est allés jusqu'à la troisième.

Lalie ne réagissait pas. Certainement qu'elle écoutait, mais qu'elle restait ébahie.

Fly s'approcha le premier. Quelques oiseaux se tournèrent vers lui, curieux. Dès qu'il le put, il posa sa main dans le plumage du plus proche. Les autres se retournèrent à leurs occupations lorsqu'il cessa d'avancer vers eux.

Les plumes étaient douces. Légères, et solides en même temps. Fly sourit. Le volatile le regardait, circonspect.

Une main se posa délicatement non loin de la sienne, et caressa les plumes de la même manière.

— Les plumes sont douces, commenta Miss Lalie, le sourire aux lèvres.

Fly lui rendit son sourire. Savoir qu'elle partageait sa joie et son excitation le comblait de bonheur.

— Merci, murmura-t-il presque sans aucun son.

— Quoi ? se retourna brusquement la jeune femme.

Fly baissa les yeux sur les plumes entre ses doigts sans répondre. Lalie le regarda pendant plusieurs secondes, attendant qu'il parle, puis revint finalement à ses préoccupations initiales. Elle aussi regardait ses mains. Elle semblait contente, et pas aussi émue que Fly, qui aurait pu se laisser aller à pleurer.

Fly retira lentement sa main et élança ses bras pour entourer le cou de l'oiseau. L'animal ne réagit presque pas, habitué au contact humain. Miss Lalie, au contraire, le regardait fixement, d'abord avec étonnement, puis avec un sourire lumineux comme elle savait si bien en faire. Elle se rapprocha et étreignit à son tour l'oiseau ainsi que Fly.

Augustin et Ingrid s'étaient rapprochés, eux aussi souriants. Fly plongea sa tête entre les plumes. Sa ville lui avait manqué.

— Fly pleure ? demanda Lalie avec une pointe d'inquiétude.

Elle desserra son étreinte et il ne tarda pas à relever la tête pour voir ce qu'elle faisait. Elle posa son pouce contre sa joue et essuya d'un geste maladroit la larme qui y ruisselait.

— Fly ne pleure plus, affirma-t-elle en souriant à nouveau.

Il essuya d'un revers de manque l'humidité qu'il lui restait.

— Ce n'est pas de la peine, précisa-t-il, souriant.

Augustin, lui aussi, essuyait ses yeux, sous le regard réconfortant d'Ingrid, ce qui ne manqua pas d'arracher un rire léger aux deux hommes.

— On vole ? demanda Fly avec joie.

Ingrid et Augustin échangèrent un regard un peu gêné.

— Je pense que c'est mieux pour visiter le quartier si on marche, répondit tendrement la jeune femme.

Fly avait du mal à cacher sa déception. Il n'attendait que ça, voler.

— C'est vrai, bredouilla-t-il. Vous me l'avez déjà dit, je suis désolé...

— Ne t'excuse pas.

Elle lui souriait du mieux qu'elle le pouvait. Elle ne cherchait pas à le blesser, au contraire. Sa voix était douce, aussi lisse que ses cheveux.

— Fly, expliqua Augustin d'une voix tout aussi calme. On pourra mieux profiter les uns des autres au sol, discuter, et mieux voir les f...

— Abruti, ne révèle rien ! le coupa Ingrid d'un sourire taquin.

— Pardon, murmura-t-il avant de reprendre sérieusement. Tu pourras voler à ta guise après, mais puisqu'on avait prévu de passer un moment plus convivial, ça serait mieux qu'on reste au calme...

Fly acquiesçait en silence. Il avait l'impression d'être un enfant en train de recevoir une leçon de ses parents. Après tout, Augustin était comme son frère. Il s'en voulait un peu de son égoïsme, mais il voulait tellement voler...

— Allons-y, si ça te va, proposa Augustin en lui souriant tendrement.

Fly ne se fit pas prier, et les suivit sans broncher. Il voulait montrer du mieux qu'il le pouvait à Augustin qu'il était heureux de le retrouver. Il jeta un regard en arrière à l'oiseau qu'il venait d'enlacer, qui avait toujours ses deux yeux braqués sur lui. « A toute à l'heure », pensa Fly. Puis il se focalisa de nouveau sur son frère de cœur qui avançait tranquillement entre les maisonnettes du centre de Villomne.

Augustin et Ingrid se tenaient la main. Ils avançaient au même rythme, sans échanger un mot, leur regard se promenait sur les façades et les reflets de la lumière sur les pavés. Miss Lalie était relativement calme, et semblait presque les imiter. Lorsqu'elle regardait sur le côté, Fly pouvait cependant voir son visage ébahi, avec de grands yeux et un énorme sourire. Augustin et Ingrid souriaient tendrement. Ils étaient plus habitués à cette beauté-là.

Fly était en arrière du petit groupe. Lorsqu'il prit conscience de son retard qui se creusait légèrement, il accéléra le pas et revint à leur niveau, à temps pour voir d'immenses murs de feu remplacer les façades grisâtres des maisons.

Son visage imita bientôt celui de la Lalie qu'il avait vue quelques instants plus tôt. Entre les bâtiments s'élançaient de grands arbres avec d'immenses feuilles qui formaient une palette complète de nuances de orange. Le sol était lui aussi devenu en partie un tapis de feuilles mortes.

— Le quartier est toujours magnifique à l'automne, commenta Augustin avec émotion.

— Il y a des grands arbres comme ceux-ci un peu partout, compléta Ingrid. C'est bien cela qui a donné son nom à Villomne. La ville de l'Automne, car il y resplendit depuis des siècles.

Fly était bluffé. Il n'avait jamais fait le rapprochement. Miss Lalie s'élança et sauta à pieds joints sur ce tapis de lave. Ses pieds ne brûlaient pas pour autant, mais un éclat certain s'échappait de son regard de miel. La couleur de ses cheveux s'alliait particulièrement bien avec les couleurs de l'automne. Son haut rouge renforçait l'impression qu'elle avait été peinte là en même temps que les feuilles. Ses deux couettes voletaient tendrement sous l'impulsion d'un vent léger, qui sonnaient comme une caresse aux sens de Fly.

— Miss Lalie aime aussi les feuilles, sourit-elle.

— C'est vraiment beau, confirma Fly.

— C'est ce qu'une personne qui visite Villomne ne doit pas manquer, affirma Ingrid, d'un bonheur manifeste.

Elle semblait aimer ce paysage comme un membre de sa famille. Fly leva les yeux sur les oiseaux qui quadrillaient le ciel et faisaient couler leur ombre sur le sol de feuilles et de pavés. Il comprenait ce sentiment.

Le couple se remit en marche sous une pluie éparse de feuilles ardentes. Il les suivait, les yeux remplis de la palette incandescente du paysage. Lalie ne sautillait pas, elle était plutôt calme, ce qui s'accordait bien avec le tableau d'automne mélancolique.

Les rayons du Soleil faisaient luire le miel de ses yeux lorsqu'elle se retournait pour lui sourire. Elle attrapait de temps à autres une feuille qui planait à sa hauteur, puis la regardait, un peu abîmée dans sa paume avant de la laisser continuer sa course dans un léger regard en arrière.

Cet endroit semblait serein. Fly était serein. Il ne semblait plus se soucier de rien. Il avait vivement souhaité retrouver Ella pour qu'elle puisse l'aider, mais dans ce paysage idyllique, il préférait largement à sa haine et sa colère le sourire tendre et lumineux d'une Lalie émerveillée.

Les arbres s'étendaient jusqu'au bout de la rue, et il y en avait quelques uns qui trônaient ici ou là dans les autres rues du quartier. Si l'automne annonçait tristement le début de l'hiver, il rendait à la vue tout le Soleil que les feuilles avaient accumulé durant l'été.

C'est toujours sans emprunter aucun oiseau que le petit groupe revint finalement à son point de départ. Le chemin n'avait pas été fatiguant, le rythme était lent, mais tout de même assez long, et Fly était content de s'asseoir un instant et de boire un peu d'eau.

Augustin ne tarda pas à s'atteler à la préparation du repas, à quelques reprises aidé par Ingrid qui passait par là, tandis que Fly et Lalie purent retourner à leurs occupations.

Fly soupira en s'asseyant sur l'un des canapés. Il devait trouver au plus tôt où se cachait Estelle Aurston pour faire gagner de son précieux temps à Ella lorsqu'elle reviendrait. La promenade l'avait apaisé, et lui permettait maintenant de réfléchir plus calmement. Aucune solution miraculeuse ne se présenta malheureusement à son esprit. Il aurait bien aimé que son inconscient en ait trouvé une sans lui demander son reste pendant qu'il pensait à autre chose.

La tête entre les mains, il laissait son esprit vagabonder loin de ses préoccupations, lorsque le canapé s'affaissa légèrement juste à côté de lui. Miss Lalie, immobile, le regardait avec un visage sans sourire, mais toutefois emprunt d'une certaine sérénité. Elle lui demanda d'une voix calme :

— Alors, tu en es où de tes recherches ?

Elle ne le regardait pas toujours dans les yeux, et semblait presque vidée de son énergie. Elle était calme, très calme. Fly n'avait jamais vu Ella comme ça.

Il hésita un instant, jetant un regard vers Augustin qui leur tournait le dos, occupé sur une poêle qu'il remuait délicatement.

— J'ai cherché dans l'annuaire, murmura-t-il, mais je ne la trouve pas. Il faudrait peut-être regarder dans des hôpitaux ou des établissements où elle pourrait avoir séjourné, puisqu'elle a eu un accident.

Ella n'avait pas montré la moindre réaction. Elle était de marbre. C'était cela, elle n'était pas calme, elle contenait seulement tout ce qu'elle avait en elle. Ils n'étaient pas seuls, certainement ne voulait-elle pas attirer l'attention. Fly ne pouvait s'empêcher de se demander si elle était en colère, si elle était déchirée à l'intérieur d'elle-même. Il ne pouvait pas le savoir. Il valait mieux qu'il se satisfasse de ne pas être agressé par son caractère anguleux.

— Estelle Aurston ne peut pas vivre seule, affirma-t-elle d'un ton simple, sans émotion.

Fly fronça les sourcils.

— Tu penses qu'elle ne s'est pas remise de l'accident ? demanda-t-il, horrifié par cette possibilité.

— Monsieur Lyndon l'a dit, répondit-elle calmement, tu ne t'en souviens pas ? L'accident a paralysé ses quatre membres. Elle vit certainement dans un établissement spécialisé.

Fly la regardait, bouche bée. Cette idée réduisait certainement la liste des lieux à visiter pour la trouver – si tant est qu'elle habitait toujours à Toritoshi.

— Si c'est ça, s'exclama-t-il tout bas, il suffit d'obtenir la liste des établissements de ce type, et de tous les visiter !

Ella acquiesça, un léger sourire aux lèvres.

— On pourra chercher ça cet après-midi, conclut-elle, le repas sera certainement bientôt prêt.

Augustin n'avait pas tout à fait fini, mais il lui fallut en effet moins d'une dizaine de minutes pour appeler la maisonnée à le rejoindre, ce qui ne leur aurait pas laissé le temps de se lancer dans des recherches approfondies. 

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